mardi 4 janvier 2011

Écoles lavalloises — vague d'immigration, pauvreté et tensions raciales

Le journal La Presse de ce mardi 4 janvier nous dresse le portrait de l'évolution de la population scolaire ces dix dernières années :
Le portrait a bien changé dans les écoles de Laval au cours des dernières années. La commission scolaire est débordée par la vague d'immigration qui déferle sur l'île Jésus depuis 10 ans. La pauvreté et les tensions raciales font désormais partie du paysage scolaire. Six enseignants témoignent de leur réalité.

À l'école primaire Saint-Norbert, au cœur du quartier Chomedey, les classes de maternelle sont remplies, parfois aux trois quarts, d'enfants d'immigrés qui ne parlent pas un mot de français. La tâche est titanesque pour les enseignants, qui se plaignent d'une décision qu'a prise la commission scolaire il y a huit ans: supprimer les classes d'accueil à la maternelle.

Selon les enseignants, la commission scolaire de Laval est submergée par la vague d'immigration qui déferle sur l'île Jésus depuis 10 ans. « Ça augmente continuellement. Et avec le métro, les déménagements Montréal-Laval sont devenus plus fréquents que l'inverse », souligne une enseignante, qui travaille en classe d'accueil à Saint-Norbert, et qui a préféré conserver l'anonymat.

Selon des chiffres du ministère de l'Immigration du Québec, entre 1998 et 2007, 21 000 nouveaux arrivants ont posé leurs valises à Laval. «Pas nécessairement des gens qui débarquent au pays: il y a aussi un exode vers la banlieue d'immigrés installés à Montréal depuis quelques années», explique le porte-parole Claude Fradette.

Ils sont d'origine roumaine, libanaise, marocaine, algérienne, haïtienne.

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Environ 15 % de ces Lavallois d'adoption ont le statut de réfugié.

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L'école Saint-Norbert reflète cette nouvelle réalité et ressemble donc beaucoup à certaines écoles de Montréal. « Quand je dis à des gens de Montréal que je travaille à Laval, les gens disent : " Ah, une belle petite école tranquille. " Mais non! C'est comme à Montréal dans certains quartiers difficiles », raconte notre enseignante.

Et c'est d'autant plus difficile que la Commission scolaire de Laval ne semble pas avoir pris acte de ce changement. « Chaque année, on commence avec cinq ou six classes d'accueil et on augmente à une douzaine en cours de route. Chaque année, on commence au minimum et il faut réinventer la roue », dit une autre enseignante de Saint-Norbert, qui travaille elle aussi en classe d'accueil depuis des années.

Il y a quelques années, la Commission scolaire a même songé à fermer toutes les classes d'accueil. On voulait intégrer les enfants au secteur ordinaire en ajoutant un volet francisation. Une aberration, disent les profs. « Il a fallu se battre, monter des dossiers. Les enfants qui ne connaissent pas le français seraient un boulet dans les classes régulières », souligne une enseignante.

Les enseignants notent également un changement de mentalité chez les immigrés qui s'établissent à Laval. « Il y a 10 ans, nos enfants étaient motivés, ils voulaient apprendre. Le prof était vu comme une figure d'autorité. Aujourd'hui, on a des enfants différents, qui ont un rapport différent avec l'autorité, dit l'une des deux profs. On a beaucoup plus de problèmes de discipline. »

Conflits entre Québécois de souche et jeunes arabes

Un vent sec et glacial souffle en cet après-midi de février 2010. Ce jour-là, le terrain de l'école secondaire Saint-Maxime a l'air d'un champ de bataille. Environ 200 élèves et des dizaines de policiers de l'escouade anti­émeute, matraques à la main, se font face. Quelques policiers sont atteints par des morceaux de glace et des pierres.

Les élèves interrogés ce jour-là sont unanimes: un conflit entre Québécois de souche et jeunes d'origine arabe est à l'origine de cette escalade de violence.

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« Une simple dispute au sujet d'une fille peut se transformer en affrontement ethnique », croit Julie Bossé, qui enseigne les mathématiques.

« L'affrontement avec les policiers était un jeu, pour eux », enchaîne son collègue, qui préfère garder l'anonymat. Les élèves ont avant tout un problème avec l'autorité, et d'abord avec les policiers, ajoute-t-il.

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Pour les deux profs, le plus grave problème des élèves de Saint-Maxime ne se trouve pas dans la cour d'école ou dans les corridors, mais bien dans les salles de classe. « Nos élèves sont extrêmement faibles en général », résume Julie Bossé.

Dans son palmarès annuel publié par le magazine L'actualité, l'école Saint-Maxime était classée au 423e rang provincial sur 477 en 2008. « En fait, notre plus grande difficulté, c'est la langue. Pour au moins 50% de la clientèle, le français n'est pas la langue maternelle, ni même la deuxième ou la troisième langue, dit l'autre enseignant. On observe alors qu'il n'y a pas de bagage culturel commun. Pour une élève afghane qui ne sait pas lire ou écrire en français, les fables de La Fontaine ne veulent pas dire grand-chose. »

Immigration et pauvreté à Laval

Le visage de Laval a beaucoup changé au cours des dernières années avec la vague d'immigration qui y a déferlé. Et cette nouvelle réalité se reflète notamment dans les écoles.

Leurs boîtes à lunch sont presque vides, quelques-uns n'ont qu'un sandwich au ketchup. Certains n'ont pas de manteaux ou de bottes d'hiver et leurs parents ne peuvent acquitter la facture d'électricité. Plusieurs élèves de l'école élémentaire L'Escale vivent dans des conditions comparables à celles d'un pays du tiers-monde.

« Ici, c'est les Nations unies ! » lance Silvia Arantio, qui enseigne depuis 10 ans dans l'école de 325 élèves du quartier Saint-François.

Les pupitres de sa classe sont occupés par 23 enfants de six nationalités. Ils sont philippins, algériens, asiatiques. Environ 40% d'entre eux sont d'origine haïtienne.

Tricotées serré, les familles de ces élèves s'entassent souvent à 12 ou 15 dans un bungalow, dans des quartiers aux noms bucoliques: de l'Harmonie, de la Joie, de la Rosée.

Mais derrière le mirage banlieusard, la pauvreté est omniprésente. « Très souvent, les enfants n'ont pas déjeuné le matin, se sentent faibles et n'ont pas de vêtements d'hiver. Parfois, ils passent deux ans avec des chaussures de pointure 9 même s'ils devraient porter des 7 », décrit Mme Arantio.

Pour les enseignants de L'Escale, l'éducation ne se fait pas seulement devant un tableau noir, mais aussi à la maison. Il faut dire que les familles vivent souvent dans des conditions de grande austérité. «Les Haïtiens envoient souvent de l'argent à leurs familles en Haïti, surtout depuis le tremblement de terre alors qu'ils ne peuvent pas payer leur électricité», souligne Michel Gingras, aussi professeur à L'Escale, au service de la Commission scolaire depuis 20 ans. « On fait de l'éducation à tous les points de vue. Même pour l'hygiène. Ce n'est pas rare qu'on dise à des jeunes de sixième année de retourner à la maison prendre une douche », dit Silvia Arantio.

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Laval est selon lui victime de sa réputation. « C'est la ville des extrêmes entre riches et pauvres. Le plus triste, c'est que ça ne s'améliorera pas. Il faut faire de l'éducation auprès des familles, parce que la pauvreté se transmet d'une génération à l'autre », prévient M. Gingras.

Secteur en mutation, lente ghettoïsation

Native de Saint-François, autrefois un quartier ouvrier blanc et francophone, Silvia Arantio a vu le secteur se muer avec les années en une sorte de prolongement du quartier Montréal-Nord. Les familles haïtiennes se sont en quelque sorte ghettoïsées.

Il y a quelques années, Saint-François était le terrain de jeu des gangs de rue dans l'île Jésus. La situation s'est améliorée dans les dernières années, de l'avis même des policiers. En fait, les problèmes se sont déplacés dans d'autres quartiers de Laval. Le quartier demeure extrêmement pauvre, et tente de peine et de misère de devenir plus prospère.

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