dimanche 20 mars 2016

Québec — Le français perd de plus en plus de terrain au travail

Extrait d’une lettre ouverte de Jacques Létourneau parue dans Le Devoir  :

Si l’application de la Charte de la langue française adoptée en 1977 avait réussi à faire passer le nombre de Québécois et de Québécoises travaillant généralement en français de 64 % en 1971 à 73 % en 1989, cette proportion a diminué à 66 % en 2010, soit un taux similaire à celui qui prévalait avant l’application de la Charte.

Situation inquiétante

Dans le secteur privé, la situation est inquiétante. À l’échelle du Québec, la main-d’œuvre qui travaille généralement en français dans les entreprises s’élevait à 70,8 % en 1989 pour tomber à 59,7 % en 2010 ! Dans la région de Montréal, toujours en 2010, ce pourcentage a chuté sous la barre des 50 %, pour atteindre 44,4 %. Sur l’île de Montréal même, la situation est catastrophique : le pourcentage d’employées et employés dans les entreprises qui travaillent généralement en français est passé de 45,3 % en 1989 à 32,1 % en 2010. À Montréal, d’ailleurs, 40 % des petites et moyennes entreprises exigent la connaissance de l’anglais lors de l’embauche. [Note du carnet : tous ces postes n’ont pas de contact avec des clients ou des collègues anglophones...]

Au-delà de ces données chiffrées préoccupantes, un constat se dessine : la bilinguisation est de moins en moins le fruit de l’apprentissage d’une autre langue, mais bien une obligation pour beaucoup trop de travailleurs et de travailleuses d’apprendre l’anglais pour obtenir un poste. À Baie-Comeau, par exemple, le syndicat de Hôtel-Motel la Caravelle se bat pour le droit de travailler en français. La situation dans le secteur de la santé, pourtant régi par le gouvernement du Québec, est elle aussi inquiétante. Selon une étude de l’IREC2, plus de 35 % du personnel soignant québécois s’exprime régulièrement en anglais au travail. La considération des allophones comme des demandeurs de services en anglais est l’un des vecteurs de ce phénomène. [Et certains prétendent que l’immigration n’a plus d’impact sur l’anglicisation du Québec... ce ne serait que l’effet de la « mondialisation » qui a bon dos.]

Les secteurs public et privé de la région métropolitaine se révèlent des lieux stratégiques quant à l’intégration des immigrants et immigrantes au marché du travail. Et si le bilinguisme devait continuer à dominer les milieux de travail montréalais, la vitalité du français sera vraiment menacée. Les statistiques tirées d’une autre étude de l’IREC3 montrent que 20 % des immigrants, soit environ 200 000 d’entre eux, ne parlent pas le français. Ce constat menace la survie de la langue française au Québec.

[Note du carnet : nous avons aussi connu plusieurs patrons francophones à Montréal (ne parlons même pas des anglophones !) qui imposaient le bilinguisme aux francophones (les anglophones pouvaient être unilingues) alors que ces employés n’avaient aucun contact avec de la clientèle hors Québec.]

Absence de volonté politique

L’aspect le plus inquiétant de la situation demeure l’absence de volonté politique d’agir. Le gouvernement a l’intention d’accepter un plus grand nombre d’immigrants sans investir davantage dans les services d’intégration et de francisation. Dans ce contexte d’austérité, la francisation des nouveaux arrivants sera mise en péril.

Par ailleurs, l’Office québécois de la langue française (OQLF), affaibli par les coupes budgétaires, peine à jouer son rôle. Il faut lui redonner les moyens pour qu’il puisse s’assurer de la mise en place et du soutien de comités paritaires fonctionnels dans les entreprises de plus de 100 employées et employés, et ainsi faire respecter la prépondérance du français au travail.

Pour éviter que les célébrations de la Semaine de la langue française ne deviennent un jour que des activités folkloriques, le gouvernement se doit de protéger à tout prix le statut du français comme langue officielle de travail partout au Québec.