samedi 17 février 2018

France : contrôle continu et nouveau bac « Un 16 à Grigny vaut un 2 à Henri-IV »

La réforme du bac qui prévoit un contrôle continu et un examen basé sur quatre matières principales, le tout coiffé par un « grand oral ». Le débat oppose ceux qui s’opposent à la sélection, signe d’injustice sociale, et ceux qui veulent récompenser le mérite.

Plusieurs critiques s’élèvent contre l’importance qui sera accordée au contrôle continu. Pour Anne Coffinier qui représentent les écoles libres (non subventionnées) :

Le contrôle continu de même que l’intégration de personnels issus du lycée d’origine du candidat dans le jury de l’examen oral semblent de mauvaises idées. Cela signifie la fin du caractère national du diplôme ainsi que la disparition de la protection de l’anonymat. Avoir le baccalauréat d’un lycée public mal coté situé dans une cité mal cotée n’aura aucun prix aux yeux des recruteurs du supérieur comme de ceux du marché du travail. Si l’on est attaché à la justice sociale, il faut maintenir un standard national et la protection de l’anonymat, en le renforçant à l’oral où le jury n’a à savoir ni le nom du candidat ni son établissement d’origine.

La composition du jury (on parle également d’intégrer le CPE…) risque également de dégrader le niveau académique des épreuves pour en faire une aimable causerie. L’augmentation du contrôle continu conduira finalement aux mêmes effets négatifs que pour le brevet en 3e : cela supprimera pour les élèves l’incitation à travailler, à s’organiser et à se dépasser que représentait un diplôme final de bon niveau académique.

[...]

[Paradocalement, on pourrait assister à] un système d’évaluation à double vitesse où ces lycéens [ceux des écoles libres] continueront à avoir un diplôme acquis exclusivement en contrôle final quand ceux des lycées publics gagneront une partie significative des points en contrôle continu.

On arriverait alors à un résultat assez paradoxal : le baccalauréat des candidats libres vaudrait plus sur le marché que celui de l’Éducation nationale, mais [car] il serait plus difficile à obtenir. Les lycéens les plus faibles quitteraient massivement le privé pour se rabattre sur le public et augmenter ainsi leur chance de décrocher leur bac !

De manière plus lapidaire, Ériz Zemmour déclare « Un 16 à Grigny [banlieue pauvre et immigrée] vaut un 2 à Henri-IV [école très cotée]. t c’est un scandale de comparer les deux. C’est vraiment inéquitable. Les différences de niveau sont abyssales entre les écoles de banlieue et les écoles d’élite du centre parisien. Ils ne parlent plus la même langue. C’est un vrai scandale. » Cette refonte du Baccalauréat entrera en vigueur à partir de 2021, avec la génération d’élèves actuellement en Troisième.



Montréal — Des profs du collège de Maisonneuve se censurent

Le Devoir rapporte des cas d’autocensure de la part des professeurs devant des classes d’« immigration récente ».

Un malaise « très profond » s’empare de la profession d’enseignant : des professeurs pratiquent l’autocensure pour éviter de heurter les croyances religieuses [catholiques ?] ou culturelles [canado-françaises ?] de leurs étudiants. Ils passent sous silence des œuvres traitant de sexualité, de nudité ou de maladie mentale par crainte de déclencher une controverse explosive.

Ce constat troublant fait partie d’un rapport sur le « vivre-ensemble » au collège de Maisonneuve, rendu public vendredi. Ce cégep de l’est de Montréal a été un lieu de radicalisation d’étudiants qui se sont rendus faire le djihad en Syrie depuis trois ans.

Les tensions religieuses se sont calmées dans l’établissement de 7000 étudiants, qui a pris une série de mesures pour faire revenir la paix entre ses murs. [Dans quelle mesure cela est-il lié à la défaite militaire de Daech, à une autocensure grandissante ?] Un projet-pilote sur le vivre-ensemble, qui vient de s’achever, a cependant mis en lumière un réel malaise chez les enseignants du collège.

7000

C’est le nombre d’étudiants qui fréquentent le collège de Maisonneuve, dont la moitié sont issus de l’immigration récente.

« Le principal problème réside dans le fait que plusieurs enseignants déclarent avoir adopté au fil du temps (surtout depuis une dizaine d’années) une forme d’autocensure et avoir évité de la sorte d’être indisposés par des affrontements d’ordre culturel ou religieux. Par exemple, des contenus particuliers peuvent être survolés, des œuvres significatives non abordées, des remarques humoristiques mises au rancart, etc. », indique le bilan du projet-pilote sur le vivre-ensemble.

« On ne peut s’empêcher de remarquer ici que, dans la plupart des cas, ces modifications sont effectuées par anticipation, et pas nécessairement à la suite d’un incident de nature interculturelle. L’expression “j’achète la paix” est, à cet égard, symptomatique. Si la menace n’est pas toujours réelle, le malaise, quant à lui, est très profond et rappelle à certains enseignants des périodes où la censure et la mise à l’index avaient pignon sur rue. L’enjeu est loin d’être dérisoire », poursuit le document.

La diversité culturelle et religieuse est en partie à l’origine du malaise. Environ la moitié des étudiants du collège de Maisonneuve sont des immigrants de première ou deuxième génération. Les étudiants ou leurs parents sont nés à l’étranger.


Le rapport note que les jeunes sont à l’aise avec la diversité. C’est la réalité de Montréal : ils ont grandi en côtoyant des amis de toutes les origines. Ce sont les relations avec des adultes (notamment les professeurs) qui donnent lieu à des tensions, explique le document de 98 pages.

Une forme de bien-pensance qui gagne les campus du Canada suscite aussi la méfiance des professeurs. Le Devoir rappelait cette semaine le chemin de croix d’une chargée de cours de l’université ontarienne Wilfrid-Laurier qui a eu le malheur de projeter en classe une émission d’affaires publiques mettant en vedette Jordan Peterson, professeur et auteur très controversé. Elle a été sermonnée par trois supérieurs qui l’avaient convoquée. Elle a finalement eu droit à des excuses, après avoir été crucifiée sur la place publique. [Note du carnet : Aucun « jeune » ne s’est plaint de cette chargée de cours, Lindsay Sheperd. C’était une initiative de la hiérarchie très diversitaire, très politiquement correcte, très « vivre ensemble » qui croyait appliqué les derniers textes de loi. Nous pensons que c’est un incident très différent.]

Rectitude politique

Guy Gibeau, directeur des études au collège (et l’un des trois auteurs du rapport), avoue avoir été surpris par l’autocensure des enseignants. « C’est quelque chose qu’on n’avait pas vu. Il va falloir qu’on y réfléchisse. Les professeurs disent : “Ça ne me tente pas de lancer des débats interminables. J’achète la paix à l’avance” », explique-t-il.

[Note du carnet : gageons que « les jeunes sont à l’aise avec la diversité » parce qu’ils ne se lancent pas dans des débats interminables et qu’ils ne défendent pas la culture occidentale qui n’est d’ailleurs pas nécessairement la leur.]

« On encourage les professeurs à ne pas se censurer, ajoute-t-il. On vient de se rendre compte du problème. On va certainement en parler et essayer de trouver des solutions. »

Le danger est d’aseptiser l’enseignement, d’omettre des œuvres qui dérangent, de sombrer dans la rectitude politique. « Si le patrimoine intellectuel occidental existe pour soutenir l’école québécoise dans la formation des prochaines générations, générations dont on souhaite l’épanouissement de la pensée critique, il serait inopportun de sélectionner les références-clés de façon à acheter la paix », indique le rapport.

Le collège de Maisonneuve a mis au jour le phénomène de l’autocensure tout simplement parce qu’il a pris la peine de consulter toute la communauté de l’établissement, soutient Guy Gibeau. Il est convaincu que les leçons du projet-pilote sur le vivre-ensemble peuvent s’appliquer à tous les cégeps et universités. « Les gens ont parlé parce qu’on leur a posé des questions en toute candeur. »

La place de l’islam

Contrairement à la croyance populaire, le hidjab donne lieu à peu de tensions au collège de Maisonneuve. Des professeurs d’éducation physique disent craindre que le port du hidjab entraîne des blessures, pour la jeune femme ou pour la classe. Des professeurs ont craint que le hidjab puisse cacher des écouteurs durant un examen. Les profs peuvent faire toutes les vérifications nécessaires, indique le rapport.

Des restrictions alimentaires — pas de porc ou d’alcool — ont causé des tensions au département de diététique. « Cela dit, il convient de le préciser, ces défis d’accommodement ne sont pas nécessairement plus nombreux ou plus aigus que ceux générés par des allergies alimentaires ou des convictions végétariennes », indique le rapport.

Malgré le peu d’incidents récents, « de nombreux enseignants issus de divers départements considèrent que l’islam est beaucoup trop visible au collège », précise le rapport. Il est vrai que des tensions sont survenues au cours des dernières années : le collège a rompu ses liens avec le prédicateur Adil Charkaoui. La transformation d’une cage d’escalier en un lieu de prière a soulevé la controverse. Des tensions sont survenues à la bibliothèque.

Le projet-pilote de 400 000 $ sur le vivre-ensemble, financé par Québec, a permis d’embaucher trois travailleurs de corridor (le contrat d’un de ces travailleurs a été prolongé) et un psychothérapeute en relation interculturelle, dans le but de soutenir les étudiants qui éprouvent des difficultés de nature identitaire. Le collège a organisé une série d’événements pour aider les gens de différentes cultures à se rapprocher et pour inciter les professeurs et étudiants à prendre la parole. La ministre Hélène David a annoncé vendredi un financement supplémentaire de 300 000 $ pour aider les autres cégeps et universités à s’inspirer des recommandations du collège de Maisonneuve sur le vivre-ensemble.

[Ce projet-pilote coûteux qui s’ajoute aux coûts indirects liés à la « diversité » toujours bénéfique comprenait plusieurs ateliers, voici un extrait du bilan du « Projet islam » tiré du rapport :

Bilan
Aux dires de l’enseignant initiateur du Projet islam, la session de l’automne 2016 a été l’une des plus belles expériences de sa vie professionnelle. Une vingtaine d’étudiants et d’étudiantes (17 filles et 3 garçons) [sur 7 000 collégiens !] ont suivi de manière assidue les activités hebdomadaires du projet. Le groupe était très stable et, les personnalités aidant, les discussions furent parfois très intimes, puisque les thèmes de la foi, du rapport à Dieu et des pratiques personnelles de chacun y furent abordés de manière très respectueuse, avec énormément d’ouverture et avec une volonté claire de partager et d’écouter l’autre. La majorité des participantes était de culture ou de foi musulmane et, parmi celles-ci, une faible majorité portait le hijab. Il n’y avait pas de sujets tabous ; une des conférencières a même abordé la sexualité du point de vue de l’islam de manière franche et ouverte.

 Toujours selon le promoteur du projet, l’exposition présentée dans le foyer du Collège peut être considérée comme un moment fort du projet plus large Vivre-ensemble. D’un grand esthétisme, les contenus des affiches étaient très développés et rigoureux. Le professeur mentionne aussi que les étudiants au cœur du projet, même ceux issus de familles musulmanes, ont cherché à mieux connaître ce sujet complexe souvent déformé par des préjugés simplificateurs, en particulier par les médias sociaux et de masse.

[...]
Expo du Projet Islam

Toutefois, le Projet islam n’a pas été reçu ou perçu de manière homogène au sein de la communauté du Collège. Toujours aux dires du promoteur : Plusieurs ont trouvé déplacé (« vous devriez avoir honte », me suis-je fait dire lors de l’exposition du Projet islam) ou carrément inopportun d’aborder de façon frontale le thème de l’islam comme religion dans le cadre d’une activité qui se tient dans les murs d’une institution publique. Mais chaque fois que je pouvais présenter le projet aux personnes réticentes ou même hostiles, les objections s’amenuisaient ou disparaissaient quand on comprenait que l’approche offerte était large, privilégiait une lecture de l’islam et de ses divers courants par le prisme des sciences sociales, et abordait sans censure les dérives idéologisées, anticitoyennes et violentes de l’islamisme.

]

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