Mathieu Bock-Côté sur l’alliance du gauchisme culturel et du libéralisme moral :
On pourrait définir ainsi la loi fondamentale des 50 dernières années, lorsqu’il est temps de réfléchir à la mutation des mœurs (je m’interdis d’écrire leur évolution, et encore moins leur progrès) : d’abord et avant tout, le gauchisme culturel et libertaire déconstruit une institution gardienne de valeurs traditionnelles parce que cette institution serait culturellement et socialement oppressive, puis le capitalisme récupère et marchandise les désirs et les besoins libérés par cette déconstruction et justifie le tout au nom du libéralisme moral. Le marché banalise et commercialise la transgression d’avant-hier et l’individualisme présente cela comme un progrès des libertés. Autrement dit, le gauchisme culturel et le libéralisme moral travaillent de concert à la déconstruction des institutions et des valeurs traditionnelles, au nom d’un individualisme décomplexé qui soutient que l’homme est seul juge de la valeur de ses actions, la société offrant évidemment un cadre juridique pour les encadrer, mais certainement pas un cadre moral (du moins, dans les questions liées au style de vie). Chacun tolère de moins en moins l’intrusion de la société dans la définition de son mode de vie au nom de sa souveraineté personnelle, même si, paradoxalement, la société, sous la forme du marché, est partout présente, et structure les désirs les plus intimes de chaque individu.
Ainsi, on a voulu abolir la famille, libérer le désir des obligations conjugales. En fait, la famille a été la cible privilégiée des critiques sociales «progressistes», qui n’y virent pas une institution protectrice des enfants, mais plutôt, une institution fondée sur l’aliénation des adultes et la censure des plaisirs sexuels. C’était, disait-on, nécessaire à l’émancipation de l’être humain qui ne devrait jamais refouler ses désirs, un tel refoulement étant apparemment à l’origine de bien des névroses. Résultat : l’individualisme hédoniste triomphe de plus en plus. L’individu ne s’inscrivant plus dans un cadre régulateur qui canalise ses pulsions et ses désirs au service de quelque chose qui le dépasse, il peine souvent à sortir de l’adolescence et ère dans une quête des plaisirs vides pendant une partie de plus en plus grande de son existence. Car ne l’oublions pas : la société de jouissance masque bien mal une société en détresse, où l’hédonisme à rabais provoque une régression affective généralisée et une difficulté de plus en plus grande de créer un lien humain authentique. C’est ce qui arrive quand l’autre n’apparaît plus à l’homme qu’à la manière d’un instrument pour satisfaire un désir circonstanciel. On ne me fera pas croire que nous vivons dans une société heureuse.
On l’aura deviné, à la suite de Sophie Durocher, je parle ici de l’arrivée au Québec d’AshleyMadison.com. Ce site se définit bien simplement : il entend faciliter l’infidélité conjugale tout en diminuant les risques qui y sont associés. Car avec Ashley Madison, on nous promet l’infidélité en toute discrétion. On nous promet l’infidélité sans conséquences et sans problèmes de conscience. La société facilite ainsi la trahison en la dédramatisant, en la déculpabilisant, en la normalisant. AshelyMadison.com, c’est un site qui a transformé l’insatisfaction conjugale en occasion d’affaires, en marché, et qui transforme en marchandise les aventures et les histoires clandestines. Certains diront de ce site qu’il n’est pas répréhensible, qu’il facilite simplement la concrétisation de certains désirs. AshleyMadison.com ne pousserait pas à l’infidélité mais la faciliterait sans se prononcer sur sa valeur morale. C’est évidemment mensonger, car le discours social conditionne les désirs et crée un contexte plus large dans lequel certains désirs s’expriment et d’autres sont refoulés. Et quoi qu’on en pense aujourd’hui, le progrès de l’humanité passe justement très souvent par le refoulement des désirs, surtout des désirs les plus sauvages, qui exigent une satisfaction immédiate, sans limite et brutale, et qui déconditionnent l’homme à accepter l’idée d’une gratification différée de ses actions, qui lui font perdre l’habitude et le culte de la durée.
J’ajoute une chose : on disait autrefois de l’hypocrisie qu’elle était l’hommage du vice à la vertu. L’hypocrisie supposait une conscience intime du bien et du mal (ou du moins, de la chose à faire et de celle à ne pas faire), qui poussait ceux agissaient de mauvaise manière à dissimuler leurs actions. Cela en bonne partie parce qu’ils avaient honte. La honte était civilisatrice. Autrement dit, à certains égards, la honte était un régulateur social qui empêchait l’homme de se comporter comme un chien fou. Évidemment, il y avait de la transgression, et probablement, une secrète jouissance à la transgression. Mais évidemment, la transgression suppose une norme bien établie à transgresser, sans quoi, elle n’a plus vraiment de substance. Lorsque la transgression n’est plus qu’une affaire d’opportunité calculée, elle-même perd sa propre valeur.
Je ne suis pas naïf : l’homme a toujours trompé sa femme qui a toujours trompé son homme. La bête humaine n’est pas parfaite et il arrive souvent que le désir déborde finalement les cadres où on cherchait à l’encadrer. Et bien évidemment, selon les contextes et selon les situations, la chose peut-être compréhensible et même légitime (et il serait hasardeux d’absolutiser la fidélité sans tenir compte de la diversité des contextes, l’être humain n’ayant pas pour vocation de s’enfermer durablement dans une relation malheureuse simplement pour ne pas trahir une certaine idée de la famille). Il faut évidemment éviter de ranger toutes les infidélités sous une même catégorie homogène. Mais jusqu’à tout récemment, la fidélité se présentait comme la norme, et l’infidélité, l’exception. Autrement dit, l’infidélité était moralement proscrite et socialement condamnée. La morale logée dans la conscience des individus était la suivante : oui, oui, tu désires la belle femme à tes côtés, mais ne sens-tu pas que tu trahiras la tienne si tu te lances? Et si tu le fais néanmoins et qu’elle le découvre, ne risques-tu pas de perdre ta famille? Et si elle t’a déjà pardonné une fois, te pardonnera-t-elle une seconde fois? Cela ne veut pas dire que cela n’arrivait pas, mais que la société ne facilitait pas la tâche de ceux qui veulent se dérober aux exigences de l’honneur ou qui trompent la confiance de leurs proches. On aura compris que je n’entends pas ici faire la morale aux gens mais simplement examiner de quelle manière nous assistons à un renversement des valeurs.
J’en reviens ainsi à mon point de départ : la rencontre entre la gauche libertaire, qui dénonce partout l’oppression culturelle et sociale associée aux valeurs traditionnelles, et le capitalisme qui marchandise les désirs libérés par l’effondrement des tabous. On nous invite toujours à célébrer la société neuve qui prend forme et qui émerge. L’individu ne serait-il pas finalement plus libre dans ce monde où les balises morales se défont, et où l’individu n’évolue qu’en se fiant à son désir comme boussole? Et bien non. Car si la liberté est une valeur fondamentale, il est indispensable de l’éduquer, de la civiliser, ce qui veut dire, bien pratiquement, qu’on ne saurait assimiler la liberté au simple assouvissement des désirs qui nous gagnent, comme si l’homme devait se soumettre à son désir du moment pour se délivrer des vieilles tutelles sociales. Nous devrons tôt ou tard transcender le libéralisme hédoniste et renouveler une vieille question, de plus en plus impérieuse : celle de la morale. Non, il ne s’agira heureusement pas de la morale des curés. Mais il ne peut s’agir non plus de celle d’AshleyMadison.com.
On pourrait définir ainsi la loi fondamentale des 50 dernières années, lorsqu’il est temps de réfléchir à la mutation des mœurs (je m’interdis d’écrire leur évolution, et encore moins leur progrès) : d’abord et avant tout, le gauchisme culturel et libertaire déconstruit une institution gardienne de valeurs traditionnelles parce que cette institution serait culturellement et socialement oppressive, puis le capitalisme récupère et marchandise les désirs et les besoins libérés par cette déconstruction et justifie le tout au nom du libéralisme moral. Le marché banalise et commercialise la transgression d’avant-hier et l’individualisme présente cela comme un progrès des libertés. Autrement dit, le gauchisme culturel et le libéralisme moral travaillent de concert à la déconstruction des institutions et des valeurs traditionnelles, au nom d’un individualisme décomplexé qui soutient que l’homme est seul juge de la valeur de ses actions, la société offrant évidemment un cadre juridique pour les encadrer, mais certainement pas un cadre moral (du moins, dans les questions liées au style de vie). Chacun tolère de moins en moins l’intrusion de la société dans la définition de son mode de vie au nom de sa souveraineté personnelle, même si, paradoxalement, la société, sous la forme du marché, est partout présente, et structure les désirs les plus intimes de chaque individu.
Ainsi, on a voulu abolir la famille, libérer le désir des obligations conjugales. En fait, la famille a été la cible privilégiée des critiques sociales «progressistes», qui n’y virent pas une institution protectrice des enfants, mais plutôt, une institution fondée sur l’aliénation des adultes et la censure des plaisirs sexuels. C’était, disait-on, nécessaire à l’émancipation de l’être humain qui ne devrait jamais refouler ses désirs, un tel refoulement étant apparemment à l’origine de bien des névroses. Résultat : l’individualisme hédoniste triomphe de plus en plus. L’individu ne s’inscrivant plus dans un cadre régulateur qui canalise ses pulsions et ses désirs au service de quelque chose qui le dépasse, il peine souvent à sortir de l’adolescence et ère dans une quête des plaisirs vides pendant une partie de plus en plus grande de son existence. Car ne l’oublions pas : la société de jouissance masque bien mal une société en détresse, où l’hédonisme à rabais provoque une régression affective généralisée et une difficulté de plus en plus grande de créer un lien humain authentique. C’est ce qui arrive quand l’autre n’apparaît plus à l’homme qu’à la manière d’un instrument pour satisfaire un désir circonstanciel. On ne me fera pas croire que nous vivons dans une société heureuse.
On l’aura deviné, à la suite de Sophie Durocher, je parle ici de l’arrivée au Québec d’AshleyMadison.com. Ce site se définit bien simplement : il entend faciliter l’infidélité conjugale tout en diminuant les risques qui y sont associés. Car avec Ashley Madison, on nous promet l’infidélité en toute discrétion. On nous promet l’infidélité sans conséquences et sans problèmes de conscience. La société facilite ainsi la trahison en la dédramatisant, en la déculpabilisant, en la normalisant. AshelyMadison.com, c’est un site qui a transformé l’insatisfaction conjugale en occasion d’affaires, en marché, et qui transforme en marchandise les aventures et les histoires clandestines. Certains diront de ce site qu’il n’est pas répréhensible, qu’il facilite simplement la concrétisation de certains désirs. AshleyMadison.com ne pousserait pas à l’infidélité mais la faciliterait sans se prononcer sur sa valeur morale. C’est évidemment mensonger, car le discours social conditionne les désirs et crée un contexte plus large dans lequel certains désirs s’expriment et d’autres sont refoulés. Et quoi qu’on en pense aujourd’hui, le progrès de l’humanité passe justement très souvent par le refoulement des désirs, surtout des désirs les plus sauvages, qui exigent une satisfaction immédiate, sans limite et brutale, et qui déconditionnent l’homme à accepter l’idée d’une gratification différée de ses actions, qui lui font perdre l’habitude et le culte de la durée.
J’ajoute une chose : on disait autrefois de l’hypocrisie qu’elle était l’hommage du vice à la vertu. L’hypocrisie supposait une conscience intime du bien et du mal (ou du moins, de la chose à faire et de celle à ne pas faire), qui poussait ceux agissaient de mauvaise manière à dissimuler leurs actions. Cela en bonne partie parce qu’ils avaient honte. La honte était civilisatrice. Autrement dit, à certains égards, la honte était un régulateur social qui empêchait l’homme de se comporter comme un chien fou. Évidemment, il y avait de la transgression, et probablement, une secrète jouissance à la transgression. Mais évidemment, la transgression suppose une norme bien établie à transgresser, sans quoi, elle n’a plus vraiment de substance. Lorsque la transgression n’est plus qu’une affaire d’opportunité calculée, elle-même perd sa propre valeur.
Je ne suis pas naïf : l’homme a toujours trompé sa femme qui a toujours trompé son homme. La bête humaine n’est pas parfaite et il arrive souvent que le désir déborde finalement les cadres où on cherchait à l’encadrer. Et bien évidemment, selon les contextes et selon les situations, la chose peut-être compréhensible et même légitime (et il serait hasardeux d’absolutiser la fidélité sans tenir compte de la diversité des contextes, l’être humain n’ayant pas pour vocation de s’enfermer durablement dans une relation malheureuse simplement pour ne pas trahir une certaine idée de la famille). Il faut évidemment éviter de ranger toutes les infidélités sous une même catégorie homogène. Mais jusqu’à tout récemment, la fidélité se présentait comme la norme, et l’infidélité, l’exception. Autrement dit, l’infidélité était moralement proscrite et socialement condamnée. La morale logée dans la conscience des individus était la suivante : oui, oui, tu désires la belle femme à tes côtés, mais ne sens-tu pas que tu trahiras la tienne si tu te lances? Et si tu le fais néanmoins et qu’elle le découvre, ne risques-tu pas de perdre ta famille? Et si elle t’a déjà pardonné une fois, te pardonnera-t-elle une seconde fois? Cela ne veut pas dire que cela n’arrivait pas, mais que la société ne facilitait pas la tâche de ceux qui veulent se dérober aux exigences de l’honneur ou qui trompent la confiance de leurs proches. On aura compris que je n’entends pas ici faire la morale aux gens mais simplement examiner de quelle manière nous assistons à un renversement des valeurs.
J’en reviens ainsi à mon point de départ : la rencontre entre la gauche libertaire, qui dénonce partout l’oppression culturelle et sociale associée aux valeurs traditionnelles, et le capitalisme qui marchandise les désirs libérés par l’effondrement des tabous. On nous invite toujours à célébrer la société neuve qui prend forme et qui émerge. L’individu ne serait-il pas finalement plus libre dans ce monde où les balises morales se défont, et où l’individu n’évolue qu’en se fiant à son désir comme boussole? Et bien non. Car si la liberté est une valeur fondamentale, il est indispensable de l’éduquer, de la civiliser, ce qui veut dire, bien pratiquement, qu’on ne saurait assimiler la liberté au simple assouvissement des désirs qui nous gagnent, comme si l’homme devait se soumettre à son désir du moment pour se délivrer des vieilles tutelles sociales. Nous devrons tôt ou tard transcender le libéralisme hédoniste et renouveler une vieille question, de plus en plus impérieuse : celle de la morale. Non, il ne s’agira heureusement pas de la morale des curés. Mais il ne peut s’agir non plus de celle d’AshleyMadison.com.
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