jeudi 21 novembre 2013

Pour de meilleurs enseignants dans les écoles publiques

La qualité de l’éducation dispensée dans les écoles publiques préoccupe indubitablement les parents et les contribuables (Clifton, 2013; Zwaagstra, Clifton et Long, 2010). Les parents comprennent certainement que l’éducation de leurs enfants influe directement sur leur réussite professionnelle et financière future. Pour leur part, les contribuables ont vu augmenter le coût de l’éducation d’année en année apparemment sans amélioration vérifiable de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage.

Avoir d’excellents enseignants est sans doute le meilleur moyen d’assurer l’apprentissage des élèves. En fait, la recherche montre que les enseignants du premier quintile sont trois fois plus efficaces que ceux du quintile inférieur (Hanushek et coll., 2005). Cependant, leur mode de rémunération n’a pas garanti que les meilleurs continuent à exercer la profession et que les pires la quittent. Cela s’explique probablement par le fait que la rémunération des enseignants est fondée sur deux facteurs : leur formation postsecondaire et leur nombre d’années d’enseignement (Conseil des statistiques canadiennes de l’éducation, 2012, p. 89-94). Or aucun de ces deux facteurs ne tient compte de la réussite scolaire des élèves (Clifton, 2013). C’est pourquoi des chercheurs s’intéressant à l’efficacité des enseignants, surtout aux États- Unis, ont lié leur rémunération à la réussite scolaire de leurs élèves (voir Barlevy et Neal, 2012; Belfield et Heywood, 2008; Goldhaber et coll., 2008). La question est de savoir si cette approche promet d’améliorer la réussite des élèves.

L’hypothèse que la performance des enseignants s’améliore avec le nombre d’années de formation postsecondaire et d’enseignement n’a pas été examinée au Canada, mais elle l’a été aux États-Unis. Depuis au moins 1983, année de publication du rapport A Nation at Risk (National Commission on Excellence in Education, 1983), les études et les débats animés se sont multipliés sur les meilleures mesures pour améliorer les résultats scolaires des élèves d’écoles publiques, surtout ceux d’écoles pauvres (Chubb, 2012; Darling- Hammond et Baratz-Snowden, 2005, p. 5-28). Or toutes ces études se sont entendues sur un point : « Nous avons maintenant toutes les preuves nécessaires pour démontrer que le lien supposé entre la formation [des enseignants], leur expérience et leur efficacité n’existe pas » [traduction libre] (Winters, 2012, p. 71).

Un certain nombre d’États américains ont donc expérimenté avec la rémunération des enseignants en fonction de la réussite scolaire des élèves, méthode appelée rémunération au mérite ou reconnaissance de la valeur ajoutée (Barelevy et Neal, 2012; Podgursky, 2004). En général, on évaluait les apprentissages des élèves dans les matières obligatoires – soit l’anglais et les mathématiques – au début puis à la fin de l’année scolaire, notant les progrès réalisés. Seuls les enseignants dont les élèves avaient bien progressé touchaient une rémunération au mérite. Au bout de quelques années, les enseignants inefficaces étaient tenus de suivre des programmes de recyclage pour conserver leur brevet d’enseignement.

Ces expériences ont montré que les résultats scolaires s’améliorent lorsque la rémunération des enseignants dépend de la progression des élèves, mais de peu (Muralidharan et Sundararaman, 2011).

Néanmoins, on a mis fin à la plupart de ces systèmes de rémunération au mérite après la phase expérimentale (Belfield et Heywood, 2008; Winters, 2012, p. 86-90). En effet, contrairement à l’hypothèse des chercheurs, payer les enseignants en fonction des réalisations de leurs élèves pourrait ne pas être le moyen le plus efficace d’améliorer les résultats scolaires dans les écoles publiques, et ce, pour cinq raisons.

Premièrement, les collègues des enseignants récompensés dans le cadre du système concluaient que leur traitement était injuste (Belfield et Heywood, 2008; Winters, 2012, p. 46). L’éducation en milieu scolaire est un effort collectif auquel enseignants, directeurs et de nombreux autres professionnels participent pour aider les élèves à mieux réussir. Or certains systèmes de rémunération au mérite découragent la collaboration qui est nécessaire à l’efficacité des écoles.

Deuxièmement, les syndicats n’ont pas soutenu ces systèmes de rémunération justement à cause des tensions créées entre les enseignants, qui rendent la gestion des conventions collectives difficile (West et Mykerezi, 2011).

Troisièmement, certaines écoles ont de forts taux de roulement des élèves, et il est alors impossible d’attribuer les réussites ou plus probablement les échecs à un enseignant particulier.

Quatrièmement, l’administration des systèmes de rémunération au mérite a été très coûteuse. Ces systèmes coûtent de cinq à six pour cent de plus en raison des primes au mérite et des frais administratifs supplémentaires, et les réalisations des élèves dans leur cadre ont été assez modestes (Belfield et Heywood, 2008; Muralidharan et Sundararaman, 2011).

Enfin, certains enseignants et administrateurs ont trouvé des moyens de toucher une prime au mérite sans qu’il y ait eu amélioration des résultats scolaires de leurs élèves. Ces « professionnels » ont pu contourner le système à leur profit, aux dépens des élèves, des parents et des contribuables (Belfield et Heywood, 2008).

Ces difficultés expliquent en partie pourquoi les décideurs ont perdu de leur enthousiasme initial à l’égard des systèmes de rémunération au mérite dans l’enseignement public. Néanmoins, les études spécialisées laissent entendre qu’il existe des moyens d’améliorer les résultats scolaires des élèves en modifiant la responsabilité des commissions scolaires et les exigences de qualification des enseignants.

Il y a près de 15 ans, James Heckman, lauréat du Prix Nobel et professeur d’économie à l’Université de Chicago, a fait observer que les écoles publiques sont des monopoles locaux. Selon lui, le problème de l’enseignement public réside surtout dans le manque d’incitations, et non pas dans le manque de ressources (Heckman, 1999, p. 100 et 107). Récemment, un chercheur de la Friedman Foundation for Educational Choice a affirmé que ces monopoles permettent à un groupe mû par ses seuls intérêts (essentiellement composé des syndicats d’enseignants, des commissions scolaires et des facultés d’éducation) de résister à tous efforts d’amélioration des écoles (Forster, 2013, p. 28). Par conséquent, pour améliorer l’instruction dans les écoles publiques, il faut modifier la manière de recruter, de former, de certifier, d’embaucher et de retenir les enseignants.

L’étude, intitulée Obtaining Better Teachers for Canadian Public Schools (Clifton, 2013, [les tableaux sur les bons salaires des enseignants sont instructifs!]), propose un certain nombre de politiques qui permettront d’améliorer la réussite dans les écoles publiques. L’auteur recommande notamment d’éliminer certains pouvoirs décisionnels des syndicats d’enseignants, des facultés d’éducation, voire des ministères de l’Éducation des provinces, qui sont mus par l’intérêt personnel.

Il ressort de nombreuses données disponibles que les directeurs et directeurs adjoints savent très bien identifier les meilleurs enseignants (Chubb, 2012, p. 115; Podgursky, 2004, p. 260). C’est pourquoi ils devraient être autorisés à embaucher et à licencier les enseignants et les autres membres du personnel pour créer des équipes-écoles qui collaborent à l’amélioration des résultats scolaires des élèves. En conséquence, le contrat initial des nouveaux enseignants serait d’une durée d’environ trois ans. Après cela, les directeurs devraient avoir la possibilité de garder les enseignants efficaces en leur offrant des contrats à long terme, ce qui permettrait aux administrateurs d’écoles de former des équipes qui travaillent efficacement à l’amélioration de l’apprentissage des élèves.

La mise en œuvre de cette stratégie passe par la modification des responsabilités des directeurs, surtout dans les provinces et territoires comme le Manitoba où les directeurs sont membres du syndicat des enseignants. Pour embaucher, retenir et promouvoir des enseignants le plus efficacement possible, ils doivent clairement faire partie d’une équipe de direction, éventuellement dotée de sa propre association professionnelle. En outre, dans les provinces et territoires comme l’Ontario où les directeurs doivent engager les enseignants selon leur classement sur une « liste de suppléance », ils doivent être libres d’embaucher les plus efficaces au lieu d’être tenus d’embaucher ceux qui comptent le plus grand nombre d’années de suppléance.

La mise en œuvre de ces recommandations mettrait en place des incitations et la responsabilité nécessaires à l’amélioration des résultats scolaires dans les écoles publiques. Plus particulièrement, elle donnerait aux administrateurs d’écoles, aux enseignants et aux autres membres du personnel suffisamment de temps ainsi que les moyens d’améliorer les résultats de leurs élèves. Par ailleurs, elle permettrait, ce qui est tout aussi important, de veiller à ce que les personnes ayant intérêt à maintenir le statu quo rendent davantage compte de leur activité professionnelle aux parents et aux contribuables. Cela se traduirait sans doute par une meilleure instruction des élèves, ce qui calmerait certaines préoccupations des parents et des contribuables au sujet de la qualité de l’éducation dans les écoles publiques canadiennes.

Pour de meilleurs enseignants dans les écoles publiques [PDF en français, 12 pages]





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