dimanche 15 juin 2014

Éthique : les riches s'enrichissent-ils de plus en plus aux États-Unis ?

Par Martin Feldstein, professeur à Harvard

Thomas Piketty a récemment créé un large écho en soutenant que le capitalisme conduirait désormais inexorablement à un accroissement des inégalités de revenus et de richesse, à moins que ne soient introduites des réformes fiscales radicales.

Bien que son livre, « Le capital au XXIe siècle », ait été encensé par les partisans de la redistribution des revenus, sa thèse s’appuie sur une prémisse erronée concernant l’évolution de la richesse dans une économie de marché, sur une mauvaise interprétation des données de l’impôt sur le revenu aux États-Unis et sur une incompréhension de la nature actuelle de la richesse des ménages.

L’analyse théorique de M. Piketty pose comme point de départ le fait, avéré, que le taux de rendement du capital — c’est-à-dire le revenu engendré par l’investissement d’un dollar supplémentaire en usines et en matériel — dépasse le taux de croissance de l’économie. Il en tire cependant une conclusion erronée en arguant que cette différence entre le taux de rendement et le taux de croissance mène, au fil du temps, à une hausse croissante des inégalités de richesse et de revenus si le processus n’est pas interrompu par des périodes de dépression économique, de guerre ou par un système d’imposition confiscatoire.

Il préconise l’introduction d’un taux marginal d’imposition allant jusqu’à 80 % sur les plus hauts salaires, ainsi que la création d’un impôt mondial sur la fortune avec des taux pouvant aller jusqu’à 2 % ou plus.

Ses conclusions sur la hausse inexorable des inégalités pourraient être correctes si les gens vivaient éternellement. Mais ce n’est pas le cas. Les individus épargnent durant leurs années de vie active et dépensent pendant leur retraite la majeure partie de leurs actifs accumulés. Ils transmettent une partie de leur richesse à la génération suivante. L’effet cumulé de tels legs est cependant dilué par les droits de succession et par le fait que ces dons sont répartis entre un certain nombre d’enfants et de petits-enfants. Résultat : avec le temps, la richesse totale croît à peu près au même rythme que le total des revenus. Depuis 1960, les données compilées par la Réserve fédérale américaine sur les flux de fonds montrent que la richesse totale des ménages aux Etats-Unis a progressé à un rythme de 3,2 % par an, tandis que, sur la même période, le revenu réel des particuliers calculé par le département du Commerce affichait un taux de croissance annuel de 3,3 %. [Note du carnet : Il semble qu'il s'agisse là d'une moyenne, est-ce la bonne mesure en l'occurrence ?]

Le deuxième problème concernant les conclusions tirées par M. Piketty au sujet de l’accroissement des inégalités porte sur son utilisation des déclarations de revenus, qui ne prend pas en compte l’importance des changements intervenus dans la législation fiscale américaine. Selon lui, les données produites par l’IRS [les autorités fiscales américaines] montrent que les revenus déclarés par les 10 % de contribuables aux revenus les plus élevés ont constitué une part relativement constante du revenu national entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1980, mais que ce taux a, depuis, fortement augmenté. Le revenu indiqué dans les déclarations d’impôt ne représente cependant pas le revenu réel total des particuliers. Les changements dans la législation fiscale depuis 1980 créent une fausse impression de hausse des inégalités.

En 1981, le taux maximal d’imposition sur les intérêts, les dividendes et autres revenus de placements était passé de 70 % à 50 %, ce qui s’est traduit par un quasi-doublement de la part après impôt que les personnes ayant réalisé des gains en capital imposable pouvaient conserver. Cette réduction a incité les individus à transférer leurs actifs d’investissements exonérés d’impôt mais peu productifs vers des placements imposables à rendement plus élevé. Les données fiscales ont donc dénoté une augmentation des indicateurs d’inégalités de revenus, alors qu’aucun changement ne s’était produit.

La loi de réforme fiscale américaine de 1986 a abaissé de 50 % à 28 % le taux maximal d’imposition sur toutes les catégories de revenus. Cela a fourni une incitation pour augmenter le rendement imposable sur les investissements de portefeuille. Cette mesure s’est par ailleurs traduite par une hausse des autres formes de revenus imposables en encourageant l’emploi, en faisant en sorte qu’une part accrue des revenus soit payée sous la forme de salaires imposables, au lieu d’avantages sociaux et de rémunérations différées, et en réduisant le recours à des déductions et dérogations fiscales.

La loi de réforme fiscale de 1986 a par ailleurs abrogé la General Utilities Doctrine, une disposition qui avait jusqu’alors encouragé les particuliers à revenus élevés à enregistrer leurs activités commerciales et professionnelles sous la forme de sociétés du « sous-chapitre C », qui étaient soumises à un taux d’imposition inférieur à celui sur leur revenu personnel.

Ce revenu sur les sociétés généré par des professionnels et des petites entreprises n’apparaissait pas sur les données fiscales sur le revenu étudiées par M. Piketty. L’abrogation de la General Utilities Doctrine et l’abaissement du taux maximal d’imposition des particuliers sous le taux de l’impôt sur les sociétés ont encouragé les contribuables à revenus élevés à déclarer leur revenu d’entreprise non plus via leur société, mais via leur déclaration de revenus personnelle.

Ils ont notamment procédé à ce changement en se versant, via leurs sociétés, des intérêts, des loyers ou des salaires. Une autre solution consistait à convertir leur entreprise en « société du sous-chapitre S », dont les bénéfices pouvaient être ajoutés à leurs autres revenus personnels imposables.

Ces modifications du comportement des contribuables se sont traduites par une hausse significative des revenus indiqués sur les déclarations d’impôt des particuliers à hauts revenus. Cela a créé la fausse impression d’une forte augmentation des revenus des contribuables des tranches supérieures, alors que c’est uniquement la forme juridique de ces revenus qui avait changé. Cette évolution s’est faite graduellement sur de nombreuses années, au fur et à mesure que les contribuables modifiaient leur comportement et leurs pratiques comptables en réaction à la nouvelle législation fiscale.

Le revenu des sociétés du sous-chapitre S à lui seul a grimpé de 500 milliards de dollars en 1986 à 1 800 milliards de dollars en 1992.

Le fait que M. Piketty compare les revenus des particuliers à revenus élevés au revenu total national présente un autre défaut majeur. Le revenu national ne prend en effet pas en compte la valeur des paiements de transfert gouvernementaux, tels les avantages de sécurité sociale, les prestations de santé et les coupons alimentaires, qui constituent une part importante et croissante des revenus personnels des ménages à faibles et moyens revenus. Comparer les revenus du décile supérieur des contribuables aux revenus personnels totaux du reste de la population refléterait une augmentation bien plus modeste de la part relative des hauts salaires.

Dernier point : l’utilisation par M. Piketty de données sur les droits de succession afin d’explorer ce qu’il considère comme une inégalité croissante entre les riches et les pauvres pose problème. Cela tient en partie aux changements intervenus dans la législation sur l’imposition de la succession et de la donation, mais, plus fondamentalement, au fait que les actifs qu’il est possible de léguer ne représentent qu’une modeste partie de la richesse dont la plupart des individus disposent pour leur retraite. Cette richesse inclut par ailleurs la valeur actuarielle actualisée des prestations de sécurité sociale et des prestations de santé des retraités, ainsi que le revenu qui découlera des régimes de retraite. Si cette richesse était prise en compte, la mesure de la concentration de richesse serait bien
inférieure à celle suggérée par les chiffres de M. Piketty.

Le problème de la distribution des revenus aux Etats-Unis n’est pas que certains individus touchent des salaires élevés en raison de leurs compétences ou de leur formation. Le problème tient à la persistance de la pauvreté. Pour réduire cette pauvreté, nous avons besoin d’une croissance plus solide et d’une approche différente des questions d’éducation et de formation, et certainement pas des taxes spoliatrices sur les revenus et la richesse préconisées par M. Piketty.

Source : Wall Street Journal.

Par ailleurs, le Financial Times (FT) a relevé certaines erreurs dans les calculs de Piketty : « Les données sous-tendant les 577 pages de la somme du professeur Piketty, contiennent une série d'erreurs qui ont faussé ses conclusions », peut-on lire dans le texte du journal.

« Les données qu'on a sur les patrimoines sont imparfaites mais d'autres comme les déclarations de succession sont plus fiables. Je fais cela en toute transparence, je mets tout en ligne, a répliqué Thomas Piketty. Là où le Financial Times est malhonnête, c'est qu'il laisse entendre cela change des choses aux conclusions alors que cela ne change rien. Des études plus récentes ne font que conforter mes conclusions, en utilisant des sources différentes », a-t-il ajouté, selon une entrevue de l'AFP rapportée par Le Monde.

« Dans ses feuilles de calcul, il y a des erreurs de transcription à partir des sources originales et des formules incorrectes. Il apparaît également que certaines données sont sélectionnées ou construites sans source originale », note le FT.

Le journal rappelle le cas des deux économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, contraints l'an passé de publier une correction à leur étude controversée sur l'impact de la dette publique sur la croissance, après la mise au jour d'erreurs.

Notons que certaines éléments semblent bien montrer une hausse importante de la pauvreté récemment dans des pays comme la Grande-Bretagne, toutefois celle-ci n'est pas nécessairement liée au manque d'État-providence. Certains auteurs comme Charles Murray et Theodore Dalrymple, le résultat d'une culture d'assistanat et de la perte de valeurs conservatrices et familiales. Pour ne rien dire d'une immigration souvent peu qualifiée ou fortement frappée par le chômage.




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Une philosophie de l’éducation qui n’en finit plus de transformer l’école québécoise en champ de ruines


Article de Mathieu Bock-Côté sur l'état de l'éducation au Québec :

« Début juin, Le Devoir nous apprenait que le ministère de l’Éducation a décidé de faire recorriger les examens ministériels des élèves de la quatrième année de primaire. Pourquoi? Parce que le taux de réussite ne correspondait pas aux attentes. Il fallait donc relever globalement les notes. Une consigne aux enseignants: dans cette révision, personne ne devra voir sa note ramenée à la baisse. Si la crise de l’éducation au Québec avait besoin d’un symbole, celui-là est malheureusement parfait. Le ministère fixe des objectifs: il ne les atteint pas. Plutôt que de se demander pourquoi les élèves ne sont pas au niveau, il décide de diminuer ses standards. Les élèves doivent passer le test coûte que coûte, même si, pour cela, leur évaluation ne voudra plus rien dire. C’est le choix de la réussite artificielle. Cela devrait conduire le ministère à quelques inquiétudes. Pourquoi les élèves échouent-ils? Est-ce vraiment parce que l’évaluation était mal faite? N’est-ce pas plutôt parce qu’au fil de l’année, on les a habitués à une réussite facile, presque obligatoire? Lorsque la réalité frappe, lorsqu’il faut évaluer le plus objectivement possible leurs connaissances, ils découvrent qu’ils ne sont pas aussi bons que ne le disaient ceux qui les flattaient.

À quoi sert l’école ?

Mais le ministère préfère ne pas savoir et distribuer ses diplômes à peu de frais. C’est une question de philosophie. À quoi sert l’école? Traditionnellement, elle devait transmettre une culture et un savoir. Elle devait inscrire l’individu dans la durée en lui apprenant que le monde ne commence pas avec lui. L’école apprenait à l’enfant l’histoire de la civilisation dont il provenait. Elle était exigeante envers lui et n’hésitait pas à distinguer la réussite de l’échec. Mais notre école se veut hypermoderne. Elle a cédé au culte de l’individualisme extrême. C’est qu’elle veut flatter les élèves. L’élève ne doit pas échouer sans quoi il abîmera son estime de soi. La réussite ne correspond plus à une norme objective à laquelle on parvient à se conformer ou non. Elle devient purement psychologique. Il s’agit de se dépasser soi-même sans égards aux normes sociales. L’individu est poussé au repli nombriliste et à faire fi de la société.

Culture en lambeau

C’est un leitmotiv des idéologues qui dominent le ministère de l’Éducation depuis des années: le niveau monte. Tout irait bien. Ils ont imposé une philosophie de l’éducation qui n’en finit plus de transformer l’école québécoise en champ de ruines. La culture générale est en lambeau. Notre maîtrise de la langue française est catastrophique. Quant à la connaissance de l’histoire, elle fait honte. N’est-ce pas finalement le signe d’une immense crise morale? Nos institutions produisent des rapports pour laisser croire que tout va bien. Elles entretiennent une illusion: nous allons globalement dans la bonne direction. Cette illusion nous réconforte. La classe politique peut continuer de plastronner. Elle nous rassure. Nous n’aurons pas à faire d’immenses efforts pour nous relever. Nous vivons sous la chape du mensonge. »
Mathieu Bock-Côté se demande à quoi sert l'école, il n'identifie ici que l'individualisme et l'hypermodernité. Il ressort des thèmes (peu polémiques) chers à Finkielkraut. Il semble oublier que l'école québécoise a bien des missions : celui de transformer les élèves en citoyen du monde (voir les cours d'histoire), multiculturel déraciné avec un vague respect pour toutes les religions pour autant qu'on ne les prenne pas trop au sérieux (voir le cours d'éthique et de culture religieuse), écologiste (on y célèbrera jour et heure de la Terre et le rapport de l'autochtone mythifié à la Terre), hédoniste et ouvert sur toutes les sexualités et orientations sexuelles (voir les campagnes dans ce sens) et s'il est francophone, il doit être bilingue le plus tôt possible. Exit la volonté d'imposer le français comme langue commune à l'école et dans les entreprises.

Voir aussi

Québec — Les examens recorrigés pour cause de taux d’échec trop élevé

Manuel d'histoire (1) — chrétiens intolérants, Saint-Louis précurseur des nazis, pas de critique de l'islam tolérant pour sa part

George Leroux : L’État doit viser à déstabiliser les systèmes absolutistes de croyance (des parents grâce à l'école)

Spiritualité autochtone, écologie et norme universelle moderne


Roman sadomaso à lire en secondaire IV pour 20 % de la note finale en français renforcé

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Joëlle Quérin sur VTélé et sur LCN au sujet du cours ECR

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