samedi 24 juin 2017

L'école québécoise et son malaise face au passé

Extraits de la chronique d’Antoine Robitaille de ce samedi dans le Journal de Montréal :

Il y a de beaux mots dans la politique sur la réussite éducative du gouvernement Couillard. Mais on y perçoit encore trop de craintes à l’égard du rôle indispensable du passé dans l’éducation.

[...]

Le verbe « transmettre » et le terme « connaissances » reprennent du service. Dans une section sur la mission de l’école, on peut même lire que celle-ci doit « transmettre le patrimoine des savoirs communs ».

Voilà qui tranche avec la réforme de l’éducation du début du millénaire, développée sous Pauline Marois et implantée sous François Legault, Jean-Marc Fournier et Michelle Courchesne. Dans le « renouveau pédagogique », l’acquisition de connaissances devait toujours ou presque se faire par la bande, au cours d’une activité pédagogique, d’un projet.

La novlangue socioconstructiviste avait transformé l’« élève » en « apprenant » voire — encore plus délirant — en « s’éduquant ».

Cette révolution, certifiait le ministre Legault, allait pratiquement mettre fin au décrochage, surtout chez les garçons.

Le moins qu’on puisse dire est que, sur ce plan comme sur d’autres, ce ne fut pas un grand succès. D’où la nécessité, quelque 15 ans plus tard, d’une autre politique contre le décrochage ou, pour le dire de manière « positive », pour la « réussite ».


Le gouvernement Couillard a bien fait cette fois de fonder sa démarche par une consultation publique. Il n’y a pas que les experts en science de l’éducation, les syndicats ou le patronat qui ont le droit de s’exprimer sur l’éducation.

[Note du carnet : il vaudrait encore mieux laisser les écoles nettement plus libres et éviter une nouvelle solution miracle uniformément imposée d’en haut, même après consultations. Si on l’avait fait plus tôt : on aurait évité ces 15 ans de constructivismes...]


Malaise face au passé

Même si elle évoque le principe de la transmission, la politique est malheureusement empreinte d’un malaise très contemporain face au passé.

[C’] est contradictoire avec la nature même de l’éducation. « Le monde dans lequel les enfants sont introduits est un monde ancien », notait la philosophe Hannah Arendt. Et une des tâches fondamentales des adultes responsables de l’éducation — enseignants, professeurs, parents — est précisément de présenter, d’expliquer ce monde « déjà vieux ».

Or, les missions essentielles de faire connaître le passé de l’humanité, le passé national, le passé des sciences, les grandes œuvres littéraires du passé heurtent de plus en plus le sentiment de supériorité de nos contemporains face aux temps anciens.

Fascinés par les nouveaux outils, ils en sont venus à croire que l’humanité change dans son essence et qu’il faut accélérer cette mutation.

Ainsi, nous promet-on, la politique du gouvernement « contribuera à faire du Québec une véritable société numérique ». Il faudrait foncer vers le numérique, même si, comme l’a conclu une étude de l’OCDE en 2015, « les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences ».

À certains moments, il serait bon de déconnecter l’école : des bébelles qu’on prend pour l’avenir, mais aussi du présent. De prendre du recul. Voyager, pas seulement à « l’international », mais dans le passé.

L’attrait des élèves pour l’école — et par conséquent la réussite — passe aussi par ce type de dépaysement.