samedi 2 octobre 2021

Les cégeps anglais, les étudiants internationaux et le manque de courage politique de Québec

Le chercheur Frédéric Lacroix vient de publier un nouvel essai intitulé Un libre choix ? Cégeps anglais et étudiants internationaux : détournement, anglicisation et fraude
 
Commentant cet ouvrage dans Le Devoir du 23 septembre, Marco Fortier résume ainsi la thèse de Frédéric Lacroix : le Québec a pu demeurer largement francophone grâce à une série de facteurs, y compris [d'abord la natalité importante des francophones pendant des siècles mais on n'aime plus rappeler ces réalités...] la sélection d’immigrants qui ont une bonne connaissance de la langue française. 
 
Mais au cours de la dernière décennie, Ottawa a ouvert les vannes de l’immigration temporaire — sur laquelle le Québec n’a pas de prise — pour attirer des travailleurs dont le pays a bien besoin. La vaste majorité des immigrants arrivent désormais au Canada grâce à des permis temporaires d’études et de travail qui mènent par la suite à une résidence permanente. […] Les universités et les cégeps orientent ainsi une part importante de l’immigration en fonction de leurs propres intérêts […] La solution serait d’exiger que les candidats à la résidence permanente aient suivi un programme d’études en français.

Le consentement du Québec

Je ne conteste pas ce diagnostic de Frédéric Lacroix, comme résumé par Marco Fortier, sauf quand il affirme que l’immigration temporaire est une réalité sur laquelle Québec n’a pas de prise. Dans l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, signé en 1991 et mieux connu sous l’appellation « entente Gagnon-Tremblay–McDougall », il est écrit en toutes lettres, à l’article 22 : « Le consentement du Québec est requis avant l’admission dans la province :

  • de tout étudiant étranger qui n’est pas choisi dans le cadre d’un programme du gouvernement canadien d’assistance aux pays en voie de développement ;
  • de tout travailleur temporaire étranger dont l’admission est régie par les exigences du Canada touchant la disponibilité de travailleurs canadiens ;
  • de tout visiteur étranger venant recevoir des soins médicaux. »

Concrètement, le consentement du Québec est donc requis pour la presque totalité des étudiants étrangers, pour une forte proportion de travailleurs temporaires et pour tout étranger venant recevoir des soins médicaux. Ce consentement obligatoire du Québec date en fait de l’entente Cullen-Couture conclue entre les gouvernements Lévesque et Trudeau en 1978. Et il constitue une forme de veto qui vient limiter le pouvoir d’Ottawa en matière d’immigration temporaire.

Les raisons du Québec de donner ou non son consentement à l’admission de ces visiteurs étrangers sur son territoire ne sont mentionnées nulle part dans l’entente, mais l’un des considérants de l’accord Canada-Québec de 1991 proclame la volonté du gouvernement du Canada et du gouvernement du Québec de conclure une nouvelle entente, inspirée de l’entente Cullen-Couture, pour fournir au Québec de nouveaux moyens de préserver son poids démographique au sein du Canada et d’assurer dans la province une intégration des immigrants respectueuse du caractère distinct de la société québécoise.

Selon cette logique, je vois mal ce qui empêcherait le Québec de s’attaquer, en amont, aux problèmes dénoncés par M. Lacroix en limitant très sérieusement le nombre d’étudiants recrutés à l’étranger pour des programmes d’études non offerts en français ou, en aval, d’exiger des étudiants déjà sur place qu’ils aient suivi « un programme d’études en français » pour être sélectionnés par le Québec en vue d’obtenir le statut de résident permanent, comme le suggère Frédéric Lacroix.

Le [manque de] courage politique

Il suffirait à nos gouvernants d’avoir le courage politique de poser pareil geste. Car, comme le souligne à juste titre M. Lacroix, c’est sur l’échiquier québécois que les universités et les cégeps, sous-financés et en mal de clientèles payantes, orientent une part importante de l’immigration temporaire en fonction de leurs propres intérêts. Et il en va de même des entreprises, pour qui le recrutement des travailleurs dont elles ont besoin devrait obéir, selon elles, aux seules lois aveugles du marché.

Le Québec ne cesse de réclamer de nouveaux pouvoirs en matière d’immigration. Peut-être devrait-il se servir des pouvoirs qu’il possède déjà pour faire contrepoids à ses propres groupes de pression et faire valoir les droits légitimes du français au sein d’un continent où l’anglais règne en maître et impose de plus en plus son empire à l’échelle de la planète.

À ceux et celles qui désirent connaître plus en profondeur l’entente Gagnon-Tremblay–McDougall, je conseille la lecture en ligne du bulletin de recherche publié sur le sujet par la Bibliothèque du Parlement canadien.

Source : Le Devoir

Un «libre choix» ? : Cégeps anglais et étudiants internationaux
par Frédéric Lacroix
paru octobre 2021,
aux éditions du Mouvement Québec français
à Montréal
174 pages,
ISBN : 9782981924223
14,95 $

Les Québécois, un peuple trahi par ses élites

Un texte de Joseph Facal dans le Journal de Montréal.

La situation des Québécois francophones au Canada et en Amérique du Nord fait irrésistiblement penser au village gaulois d’Astérix.

La double différence est que nous n’avons ni sa potion magique ni sa formidable solidarité.

Pour dire les choses crûment, une partie de notre élite travaille activement contre nous.

Les uns le font par inconscience, les autres le font parce qu’ils ont compris qu’on peut faire de belles carrières en couchant avec le plus fort.

Comédie

Je vous donne trois exemples.

Prenons d’abord notre patronat.

Il se plaint continuellement de la pénurie de main-d’œuvre.

Le sujet est complexe et on pourrait en discuter longtemps.

Mais nos patrons n’ont rien à cirer de la complexité. Ils n’ont qu’une solution à la bouche : immigration, immigration, immigration.

Toujours plus, toujours plus, toujours plus.

Pas un mot sur les salaires, les conditions de travail, l’automatisation, la formation, le type d’immigration, etc.

C’est exactement la même cassette à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), chez les Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) et au Conseil du patronat (CPQ).

Une cassette alimentée par des statistiques souvent tronquées sur les supposées aptitudes linguistiques des nouveaux arrivants.

Le Conseil du patronat est dirigé par un ex-député libéral, mais c’est sans doute sans rapport. Je dois m’imaginer des affaires.

Prenons maintenant, deuxième exemple, la CAQ.

Devant le miroir, elle [la CAQ] gonfle ses beaux muscles nationalistes.

Quand il s’agit de monter sur le ring, elle est nettement moins virile : voyez les dossiers Dawson, Royal Vic et la question de l’imposition de la loi 101 au cégep.

On a l’impression que les députés de la CAQ ne comprennent rien à rien de la réalité montréalaise.

Je me reprends tout de suite : ce n’est pas une impression, ils ne comprennent vraiment rien à la réalité montréalaise puisqu’ils sont élus à l’extérieur de celle-ci.

Autre possibilité : ils la comprennent tellement qu’ils se sentent vaincus d’avance et ont choisi de ne pas livrer les batailles qui comptent vraiment.

Dans leur cas, pour revenir à ma distinction initiale entre ceux qui nous nuisent inconsciemment et ceux qui nous nuisent consciemment, je pencherais pour l’inconscience.

Prenons enfin, troisième exemple, le PLQ.

Dominique Anglade a compris que, pour se redresser dans le Québec francophone, le PLQ doit redevenir plus nationaliste.

Mais un des principaux députés libéraux, André Fortin, conseille Justin Trudeau en cachette, et un autre, Gregory Kelley, qui nous fait le coup de l’anglophone gentil et ouvert, a été surpris en train d’associer la défense du français... à Joyce Echaquan et au racisme systémique.

De kessé ?

Quant aux positions officielles du PLQ en matière linguistique, elles rappellent la barbe à papa des parcs d’attractions : colorée, fondante et dépourvue de la moindre protéine.

Intérêts

Ne blâmons pas les immigrants ou les anglophones butés de Montréal.

Ils savent où est leur intérêt et le défendent. Tout simplement.

Quand une partie importante du Québec français agit comme elle le fait, nous n’avons même plus besoin d’ennemis.


La Boétie et la servitude volontaire

Statue de la Boétie
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Pareillement les tyrans, plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur baille [donne], plus on les sert, de tant plus ils se fortifient et deviennent toujours plus forts et plus frais pour anéantir et détruire tout ; et si on ne leur baille rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien, sinon que comme la racine, n’ayant plus d’humeur ou aliment, la branche devient sèche et morte.

Discours de la servitude volontaire
Étienne de la Boétie mort à 32 ans probablement de la tuberculose

L’originalité de la thèse soutenue par La Boétie est de nous démontrer que, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent quand ils pensent que la servitude est forcée, elle est en vérité toute volontaire. 

Combien, sous les apparences trompeuses, croient que cette obéissance est obligatoirement imposée. Pourtant, comment concevoir autrement qu’un petit nombre contraint l’ensemble des autres citoyens à obéir aussi servilement ? En fait, tout pouvoir, même quand il s’impose d’abord par la force des armes, ne peut dominer et exploiter durablement une société sans la collaboration, active ou résignée, d’une partie notable de ses membres.