dimanche 2 décembre 2018

La nouvelle révolution génétique et ses répercussions

« Nous pensions que notre destin était inscrit dans les étoiles », déclara en 1989 James Watson, l’un des savants à l’origine de la découverte de l’ADN, « nous savons maintenant que, dans une large mesure, notre destin est dans nos gènes. »

Après l’achèvement du projet sur le génome humain, initialement dirigé par Watson, les espoirs de comprendre rapidement la complexité de l’humain grâce au décodage de l’ADN se sont estompés. Les caractéristiques physiques ou mentales des individus et leur vulnérabilité aux maladies s’avèrent, en effet, extrêmement complexes. Petit à petit, les prétentions mégalomaniaques et fanfaronnes avaient disparu du domaine de la génétique. Elles semblent revenir en force et promises à un rôle grandissant.

Dans « Blueprint », Robert Plomin, psychologue et généticien, explique ce nouvel enthousiasme par des avancées récentes. Il est bien placé pour le faire : il étudie depuis plus de 30 ans l’interaction entre les gènes et de l’environnement et leurs effets sur la personnalité. Mais l’enthousiasme de M. Plomin pour son sujet signifie aussi que les conséquences qu’il perçoit ne sont pas explorées de manière impartiale. « Blueprint » est fascinant. Pour ceux plus pessimistes que M. Plomin, cet avenir est alarmant.

Pendant la plus grande partie du XXe siècle, la psychologie était dominée par l’idée que la nature humaine était une page blanche sur laquelle l’éducation et l’environnement s’imprimaient. Le livre « Blueprint » commence par décrire comment M. Plomin et d’autres chercheurs ont démontré que, au contraire, les différences de comportement sont fortement influencées par la génétique.

Des études sur les enfants adoptés indiquent que, par leur disposition, ils ressemblent davantage à leurs parents génétiques qu’à leurs parents adoptifs. Même lorsqu’ils sont élevés séparément, les jumeaux identiques se ressemblent davantage que les « faux » jumeaux dizygotes (qui sont aussi différents sur le plan génétique que n’importe quel frère ou sœur).

De telles recherches montrent qu’en moyenne, l’ADN représente environ la moitié des différences psychologiques entre les individus, le reste étant dû à des facteurs environnementaux. La proportion précise varie avec la caractéristique en question. Plus récemment, des scientifiques ont passé au peigne fin le génome humain pour identifier des milliers de variations génétiques associés à des traits particuliers, allant de la taille au poids, en passant par le niveau d’instruction et le névrosisme. Les tests dont le coût est inférieur à 80 dollars canadiens peuvent, selon Plomin, mesurer la propension génétique à différents traits : être en surpoids ou aller à l’université.

M. Plomin a une mauvaise nouvelle pour ceux qui pensent que ceci laisse aux parents bienveillants ou aux enseignants une marge de manœuvre assez grande pour exercer une forte influence : ces facteurs environnementaux sont eux-mêmes fortement influencés par la génétique. C’est ainsi que ses travaux montrent que les gènes représentent environ un tiers des différences entre le nombre d’heures passées devant la télévision par les enfants. Pire encore, ce qui reste d’influence du milieu sur ces habitudes semblent être principalement attribuable à des événements imprévisibles plutôt qu’à, par exemple, être élevé dans une maison pleine de livres.

Selon M. Plomin, ces résultats signifient que « les parents ne jouent pas un rôle important dans les résultats de leurs enfants au-delà des gènes qu’ils leur lèguent ». L’ADN serait un « diseur de bonne aventure » qui « fait de nous ce que nous sommes ». Les effets environnementaux sont « importants », mais « nous ne pouvons rien y faire grand-chose ».

M. Plomin insiste sur le fait que, munis de leurs résultats de tests polygéniques, les gens peuvent prendre des mesures pour contrer ou améliorer leurs inclinations innées ; mais ils ont peu de chances d’y parvenir si leur psychologie est également déterminée en grande partie par leurs gènes comme Plomin le suggère lui-même. Il existe un scénario moins optimiste que celui de Plomin et sans doute tout aussi plausible : les carences identifiées par ces tests génétiques serviront à stigmatiser les « démunis » génétiques ou à justifier leur exclusion. C’est la pente glissante de l’eugénisme au sujet duquel M. Plomin parle fort peu.

Au lieu de cela, Plomin préconise l’utilisation de tels bilans génétiques quand vient le temps de choisir entre plusieurs candidats pour un poste. Pourtant, une personne avec de résultats génétiques élevés pour les traits associés aux compétences de codage n’est pas nécessairement un bon programmeur — elle a simplement une plus grande probabilité de l’être. Un candidat qui a démontré son aptitude à un poste (grâce à l’étude et à un effort sur lui par exemple) se sentirait à juste titre mécontent de se voir préférer un incompétent au moment des tests, mais qui serait génétiquement doué. De même, bien que les médecins puissent trouver utile de savoir qu’un patient est génétiquement prédisposé à être obèse, le meilleur moyen de déterminer son poids est de lui demander de monter sur la balance.

Les ramifications de ces connaissances génétiques pourraient devenir explosives. En effet, comme le note M. Plomin, la taille de la composante génétique d’un trait particulier — son « héritabilité » — varie selon les populations. L’héritabilité du niveau d’instruction en Norvège s’est accrue depuis la Seconde Guerre mondiale, le pays ayant élargi l’accès aux soins de santé et aux écoles, atténuant ainsi les effets sur l’environnement. En d’autres termes, les étudiants à l’université sont plus sûrement issus de parents universitaires qu’il y a 60 ans. La mobilité sociale ou du moins « académique » semble donc avoir diminué.

Cette tendance semble s’être inversée en Amérique au XXIe siècle. Paradoxalement, l’héritabilité de nombreux traits augmente si les États mettent en œuvre des politiques visant à offrir à tous leurs citoyens des chances égales et des droits égaux.

On pourrait conclure que les politiques visant à réduire l’inégalité des chances permettent à nos gènes de briller à leur plein potentiel. Cette inégalité des résultats renforcée par une égalité des chances n’est pas sans rappeler le paradoxe de l’égalité des chances dans la distribution des emplois en fonction du sexe : plus le pays est féminisme et permet aux femmes de vraiment choisir leur profession, plus ces femmes se concentrent par choix dans certains emplois.

Blueprint: How DNA Makes Us Who We Are.
par Robert Plomin,
paru le 13 novembre 2018
aux presses du MIT
280 pages ;
37 $ canadiens
ISBN-13 : 978-0262039161