dimanche 18 juin 2023

« Élémentaire » le dessin animé sur l'immigration avec le premier personnage non binaire réalise le pire démarrage de Disney/Pixar

« Élémentaire » avec environ 29,5 millions de dollars provenant de 4 035 sites en Amérique du Nord (y compris le Québec donc) — réalise le pire démarrage sur trois jours de Pixar. Avant, ce titre appartenait au Voyage d’Arlo (France) ou Le Bon Dinosaure (Québec) (du même réalisateur Peter Sohn) et « En avant », qui ont tous deux fait leurs débuts à 39 millions de dollars.

Le film familial a recueilli 15 millions de dollars sur seulement 17 marchés internationaux, portant ses recettes mondiales à un désastreux 44,5 millions de dollars. Dans une note à la presse, Disney a mentionné que « Élémentaire » a été lancé dans beaucoup moins de marchés et que seulement trois des pays dans lesquels il a été lancé — la Chine (5,2 millions de dollars), la Corée (3,2 millions de dollars) et l’Australie (1,1 million de dollars) — sont significatifs en termes de recettes. Son réalisateur Peter Sohn est d’origine américano-coréenne. 

« Élémentaire » raconte l’histoire d’amour entre Flam, constituée de feu, et Flack, constitué d’eau. 

Une fable sur l’immigration et le vivre-ensemble

Le film, qui a pris l’affiche vendredi, se déroule dans la ville d’Élément City, où les habitantes et habitants sont constitués soit d’eau, de terre, de feu ou d’air. Chacun des personnages doit apprendre à développer des relations de bon voisinage avec les autres éléments, malgré leurs différences parfois… explosives.

L’histoire suit l’idylle à haut risque entre Flam, l’ardente fille d’un immigré dur à la tâche, et Flack, le fils plus indolent d’une riche famille hydraulique.

Tandis que leur relation est mise à l’épreuve par le leitmotiv de la ville — « Les éléments ne se mélangent pas » — le film se veut une métaphore sur la question du racisme, des préjugés et de l’assimilation.

Pour l’actrice Leah Lewis, qui prête sa voix à Flam dans la version anglaise du film, le fait que « leurs propres vies [soient] en jeu si Flack et Flam se rapprochent, c’est comme Roméo et Juliette ».

« Ce film parle beaucoup de loyauté familiale, d’identité culturelle, et du fait de tomber amoureux pour la première fois », a expliqué l’actrice à l’Agence France-Presse (AFP) lors de l’avant-première du film à Los Angeles.

Un message qui résonne au sein de la distribution anglophone du film, issue de l'immigration

Leah Lewis, comme beaucoup d’autres personnes impliquées dans Élémentaire, a un lien particulier avec l’immigration. L’actrice a été adoptée bébé d’un orphelinat de Chang-haï (Shanghai) par des parents américains.

Mamoudou Athie, la voix de Flack dans la version anglaise, est né en Mauritanie et a obtenu la citoyenneté américaine il y a un peu plus d’un an, tandis que Ronnie del Carmen, qui incarne Brul Lumen, le père de Flam, a émigré des Philippines pour s’installer aux États-Unis.

Plusieurs vedettes d’Élémentaire ont noté à quel point les thèmes du film étaient dans l’air du temps, au moment où l’immigration domine les débats aux États-Unis comme ailleurs.

Le message du film est « très visionnaire pour l’époque dans laquelle nous vivons », estime d’ailleurs la comédienne Wendi McLendon-Covey, qui incarne Gale, un nuage violet.

Wade est l'adelphe (frère/sœur) benjamin·e de Flack, iel y joue un rôle mineur. Dans la version anglaise, iel utilise les pronoms they/them pour parler d’iel…

États-Unis — l'absence des pères noirs n'est pas une simple question de pauvreté

Les garçons noirs s’en sortent particulièrement bien dans les quartiers à faible pauvreté où la proportion de pères à la maison est importante dans les familles noires et où les préjugés raciaux sont peu nombreux chez les Blancs. Cependant, très peu de garçons noirs grandissent dans de telles zones : 4,2 % des enfants noirs grandissent actuellement dans des secteurs de recensement où le taux de pauvreté est inférieur à 10 % et où plus de la moitié des pères noirs sont présents (figure ci-dessous).

En revanche, 62,5 % des enfants blancs grandissent dans des zones à faible pauvreté où plus de la moitié des pères blancs sont présents. Ces disparités dans les environnements dans lesquels les enfants noirs et blancs sont élevés expliquent pourquoi nous observons des écarts significatifs entre les Noirs et les Blancs en matière de mobilité intergénérationnelle dans pratiquement toutes les régions des États-Unis.

Présence du père et taux de pauvreté par secteur pour les enfants noirs et blancs


Cette figure illustre la part des enfants noirs et blancs qui grandissent dans quatre types de secteurs de recensement : forte pauvreté, faible présence du père ; forte pauvreté, forte présence du père ; faible pauvreté, faible présence du père ; et faible pauvreté, forte présence du père. Nous définissons les secteurs de recensement comme « peu pauvres » s’ils ont un taux de pauvreté global inférieur à 10 % lors du recensement de 2000 ; nous définissons les secteurs comme ayant une « forte présence paternelle » si plus de 50 % des pères sont présents dans les familles d’enfants de la même race.

Source

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La flatterie des grandeurs

Voltaire (F.-M. Arouet)
Il tempête. Il éructe. Il tonne. Il menace. Il vocifère. Il agonit les faibles d’injures, mais courbe l’échine devant les puissants. Il reçoit avec faste dans sa demeure de Ferney les riches et les gens titrés, il en chasse les pauvres et les manants. Il se plaint, gémit, se lamente, souffre mille morts, sempiternel moribond hypocondriaque, Volpone de comédie toujours entre la vie et la mort, pour mieux apitoyer et circonvenir.  

On se croit avec Louis de Funès, mais on est avec Voltaire. On croit entendre de Funès : « Les pauvres sont faits pour être très pauvres et les riches très riches » ; mais c’est Voltaire qui dit : « Il faut absolument qu’il y ait des pauvres. Plus il y aura d’hommes qui n’auront que leurs bras pour toute fortune, plus les terres seront en valeur. »

On se croit avec de Funès frappant ses domestiques : « Vous êtes trop grand, baissez-vous, un valet ne doit pas être si grand ! », mais c’est Voltaire qui dit : « Il faut un châtiment qui fasse impression sur ces têtes de buffles… Laissons le peuple recevoir le bât des bâtiers qui le bâtent, mais ne soyons pas bâtés. »

Voltaire ou de Funès ? « Il eut toujours l’air d’être en colère contre ces gens, criant à tue-tête avec une telle force, qu’involontairement j’en ai plusieurs fois tressailli. La salle à manger était très sonore et sa voix de tonnerre y retentissait de la manière la plus effrayante1. »

Voltaire ou de Funès ? « J’ai honte de l’abrutissement et de la soumission basse et servile où j’ai vécu trois ans auprès d’un philosophe, le plus dur et le plus fier des hommes2. » Voltaire ou de Funès ? « En général le respect pour les grands avilit le fait qu’on admire ce qui est bien loin d’être admirable. On loue des actions et des discours qu’on mépriserait dans un particulier3. »  

Voltaire est un de Funès lettré, un de Funès en majesté ; un de Funès en robe de chambre et perruque coiffée d’un bonnet de patriarche. De Funès pouvait tout jouer, industriel ou commerçant, flic ou mafieux, restaurateur ou grand d’Espagne ; Voltaire pouvait tout écrire, poésie, tragédie, roman, conte, essai politique, récit historique ou épopée. Le personnage incarné par Louis de Funès, avec un génie comique incomparable, traduisait l’avènement, dans la France pompidolienne du milieu du XXe siècle, d’une nouvelle bourgeoisie, avide et brutale, amorale et cynique, pressée de faire fortune et de parvenir. Voltaire incarne, avec un génie littéraire incomparable, l’avènement, dans la France de Louis XV du milieu du XVIIIe siècle, d’une nouvelle bourgeoisie, avide et brutale, amorale et cynique, pressée de faire fortune et de parvenir. La même soif de reconnaissance. Le même arrivisme. Le même mépris de classe. Le même darwinisme libéral. La même cruauté sociale. Le même règne de l’argent.

Un confident de Voltaire évoque ses « 150 000 livres de rentes dont une grande partie gagnée sur les vaisseaux ». La traite des Noirs « n’est pas sans doute un vrai bien », reconnaît Voltaire dans une formule alambiquée, avant d’écrire à son homme d’affaires : « J’attends avec toute l’impatience d’un mangeur de compote votre énorme cargaison bordelaise. » En octobre 1760, Voltaire sable le champagne avec quelques amis pour fêter la défaite au Québec des Français dans une guerre « pour quelques arpents de neige ». L’humiliation patriotique et le déclassement géostratégique lui paraissent de peu d’importance eu égard à l’enjeu commercial : sauvegarder en échange les possessions françaises aux Antilles et leurs exploitations sucrières, très abondantes et très rémunératrices, même si elles utilisent une main-d’œuvre d’esclaves alimentée par la traite des Noirs.

Notre humaniste détourne le regard. Business is business. Le travail est le souverain bien. Surtout le travail des pauvres. « Forcez les gens au travail, vous les rendrez honnêtes gens. » Il vante les déportations en Sibérie comme les forçats dans les colonies anglaises condamnés « à un travail continuel ». Il pense comme Quesnay, le chef de file des économistes physiocrates, « qu’il est important que le petit peuple soit pressé par le besoin de gagner » ; et n’a aucune compassion pour les « deux cent mille fainéants qui gueusent d’un bout du pays à l’autre, et qui soutiennent leur détestable vie aux dépens des riches ».…

Le grand importateur des « idées anglaises »

Notre grand homme habille son insensibilité sociale et sa cupidité insatiable des oripeaux savants de la liberté. Il a rapporté d’Angleterre ce mariage de libéralisme économique et de libéralisme politique et philosophique. Il est le grand importateur de ces « idées anglaises » que nos armées vont bientôt répandre dans toute l’Europe, après avoir bouleversé la France, pour le meilleur, mais aussi pour le pire : « Les Français ne furent que les singes et les comédiens de ces idées, leurs meilleurs soldats aussi, en même temps, malheureusement, que leurs premières et plus complètes victimes, car la pernicieuse anglomanie des “idées modernes” par étioler si bien l’âme française qu’on ne se rappelle plus, aujourd’hui, qu’avec une surprise presque incrédule son XVIe et son XVIIe siècle, sa force profonde et passionnée de jadis, son pouvoir créateur, sa noblesse… La noblesse européenne — noblesse du sentiment, du goût, des mœurs, bref, la noblesse de tous les sens élevés du mot — est l’œuvre et l’invention de la France ; la vulgarité européenne, la bassesse plébéienne des idées modernes est l’œuvre de l’Angleterre4. »  

L’attrait était trop grand. Le goût du changement. La fascination des grands mots et des grands principes. La liberté de penser, d’écrire, de parler ; la liberté de commercer aussi. La liberté de croire ou de ne pas croire. Les droits de l’homme. La tolérance qu’il défend urbi et orbi, pour la réhabilitation de Calas ou du chevalier de La Barre, et qu’il pratique si peu : « La tolérance ? Prêchez-la d’exemple », lui lance Madame du Deffand. Ses proches seuls ont deviné que la tolérance voltairienne reposait non tant sur le respect de chacun que sur le mépris de tous. 

Même mépris de la « populace » catholique qui a persécuté les Calas et de ces « imbéciles » de Calas. « Nous ne valons pas grand-chose, mais les huguenots sont pires que nous. » Mépris des Juifs : ces « ennemis du genre humain » ; cette « horde vagabonde des Arabes appelés Juifs ».

Mépris des pauvres : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants… Le vulgaire ne mérite pas qu’on pense à l’éclairer… Les frères de la doctrine chrétienne sont survenus pour achever de tout perdre:  ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier le rabot et la lime, mais qui ne veulent plus le faire. »

Mépris du peuple : « C’est une très grande question de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes. »

Mépris des Français : « La chiasse du genre humain… les premiers singes de l’univers… une race de singes dans laquelle il y a eu quelques hommes… Au-dessous des Juifs et des Hottentots. » 

Mépris de l’humanité : « Regardons le reste des hommes comme les loups, les renards, et les cerfs qui habitent nos forêts. »

C’est à ce point d’intersection que se rejoignent le tempérament et l’idéologie. Son humanisme est perverti par son sentiment de supériorité. Voltaire s’approprie le mot célèbre de Terence : « Je suis homme ; rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ; mais il décide qui est homme et qui ne l’est pas. Il y a les « honnêtes gens » et la « canaille ». Pour cette « canaille », un Dieu est indispensable pour les « empêcher de me voler ». Voltaire animalise à tour de bras ses ennemis : « Il est juste d’écarter à coups de fouet les chiens qui aboient sur notre passage », autant que la populace, les « sauvages », les Noirs, les Hottentots, les Juifs : « animaux calculants », les « bêtes puantes de jésuites ».

C’est le cœur de son désaccord avec Rousseau : « Il n’y a que lui qui soit assez fou pour dire que tous les hommes sont égaux. » C’est surtout le cœur de son conflit avec l’Église catholique. Dans son combat inexpiable contre le catholicisme, on ne sait qui est la poule et qui est l’œuf ; on ne sait si Voltaire récuse l’égale dignité de tous les hommes parce que c’est un credo catholique ou s’il vomit le catholicisme parce qu’il défend l’égale dignité de tous les fils d’Adam : « Notre aumônier prétend que les Hottentots, les nègres et les Portugais descendent du même père. Cette idée est bien ridicule... voilà bien une plaisante image de l’être éternel qu’un nez noir épaté avec pas ou point d’intelligence. »

Dans son livre Naissance du sous-homme au cœur des Lumières, Xavier Martin montre comment la remise en cause par Voltaire du message universaliste chrétien le conduit irrémédiablement à une hiérarchisation entre les hommes, mère de toutes les dérives ; comment sa haine du christianisme l’amène naturellement à celle du peuple qui l’a inspiré. Jésus : « Un Juif de la populace, né dans un village juif, d’une race de voleurs et de prostituées… un ignorant de la lie du peuple, prêchant surtout l’égalité qui flatte tant la canaille… » Saint Paul : « menteur et méchante bête », qui « parviendrait à ruiner l’Empire romain en faisant triompher le principe d’égalité de tous les hommes devant un seul Dieu ». Sans oublier la Genèse, ce « roman asiatique », un texte alourdi de « toutes les dégoûtantes rêveries dont la grossièreté juive a farci cette fable ».

Notre historien iconoclaste note que Drumont dans La France juive comme Fourier ou Proudhon, dans leurs diatribes antisémites, citent copieusement Voltaire. Chamberlain, célèbre antisémite anglais du XIXe siècle, fonde lui aussi « sa récusation de l’unité de l’espèce humaine sous l’autorité des Lumières ». Le coup de grâce est donné par le plus grand historien de l’antisémitisme en Europe, Léon Poliakov : « L’écrasement de l’infâme préludera (à travers autant de médiations qu’on voudra) à des égorgements autrement vastes. » Le peuple vendéen sera le premier à subir dans sa chair ce déni d’humanité. D’autres ne tarderont pas à être qualifiés de « sous-hommes » et d’animaux. « Le christianisme avait fait prévaloir l’unité du genre humain. Le règne de la raison va paradoxalement battre en brèche cette conception adamique de l’humanité en minant l’idée même de l’unité de l’espèce », souligne Georges Bensoussan, historien de la Shoah.

La division de l’humanité en races distinctes, et bientôt inégalitaires, sortira au XIXe siècle de cette remise en cause voltairienne de l’unité chrétienne de l’espèce humaine. Les Chamberlain, Gobineau, Rosenberg ne sont pas les produits odieux des anti-Lumières, mais les fils des Lumières. Pas les rebelles contre Voltaire, mais ses enfants dégénérés. Les bâtards de Voltaire !

L’auteur de Candide a de la chance : la postérité progressiste et humaniste refuse cette leçon pourtant implacable. Et se bouche les oreilles lorsque Poliakov retourne l’ironie voltairienne contre le maître : « On continuera donc à combattre le racisme au nom de ces apôtres des Lumières qui en furent les inventeurs de fait. »

Voltaire est encore plus grand mort que vivant

Ces efforts démythificateurs sont vains. Voltaire est encore plus grand mort que vivant. Son talent littéraire souverain intimide jusqu’aux plus hostiles. Même Joseph de Maistre prend des précautions avant d’abattre l’idole : « Il ne faut louer Voltaire qu’avec une certaine retenue, j’ai presque dit à contrecœur. L’admiration effrénée dont trop de gens l’entourent est le signe infaillible d’une âme corrompue. »

Pourtant de Maistre voit juste avec deux siècles d’avance. La postérité n’a pas conservé grand-chose de son œuvre protéiforme : quelques contes où sa légèreté ironique fait merveille, comme Candide ; mais rien de ses tragédies, encore moins de ses poésies ou épopées (La Henriade !) ne subsiste dans les mémoires. Ses textes politiques n’ont pas la profondeur de ceux de Montesquieu ou de Rousseau. Il est un pamphlétaire de talent, un activiste de génie. La profondeur allemande du XIXe siècle fait de Voltaire un usurpateur de la « philosophie ».

En dépit de tout, François-Marie Arouet, dit Voltaire, incarne, à nos yeux qui refusent de se dessiller, la liberté et la modernité, la fin de l’obscurantisme religieux et de la superstition, l’ère de la raison souveraine et de l’individu qui s’émancipe des corsets holistes de la société traditionnelle. « Voltaire, c’est la fin du Moyen Âge », s’inclinera encore Lamartine.   Mais pourquoi lui ? Ses thuriféraires évoquent les persécutions qu’il aurait subies, ses séjours à la Bastille, les bastonnades des grands pour son irrévérence, son mot célèbre et insolemment prophétique : « Votre nom finit où le mien commence. » En 1717, il a 23 ans ; il est emprisonné pour avoir écrit des vers injurieux contre le Régent ; mais il sort de la Bastille onze mois plus tard après avoir envoyé un poème au Régent… qui lui verse une pension. En 1726, après la volée que lui inflige le chevalier de Rohan-Chabot, tout Paris se presse pour le visiter. L’appartement qui lui sert de prison s’avère trop petit pour recevoir la foule qui se bouscule ; il faut le libérer.

On a connu persécutions plus cruelles. Celles que connaissent notamment les Polonais envahis en 1768 par Catherine II. Voltaire la défend pourtant : « L’impératrice de Russie non seulement établit la tolérance universelle dans ses vastes États, mais elle envoie une armée en Pologne, la première de cette espèce depuis que la terre existe, une armée de paix qui ne sert qu’à protéger les droits des citoyens et à faire trembler ses persécuteurs. »

Voltaire invente à cette occasion la guerre humanitaire, la guerre pour la paix, la guerre pour la liberté des peuples qu’on occupe. Il est prêt à tout pour protéger ses amis souverains. Il qualifiera même le meurtre de son mari par l’impératrice de « bagatelle ».

En revanche, il ne passe rien au roi de France, ce « despote ». Louis XV a un irrémédiable défaut : il ne le reçoit pas, ne dîne pas avec lui en tête à tête, n’entretient pas de conversation épistolaire. Ne lui demande pas son avis sur la politique à mener ; ne recherche pas son aval avant de déclarer la guerre. En dépit des pressions, des supplications de la Pompadour, Louis XV ne goûte pas la compagnie de Voltaire, le trouve pédant, fat. Louis XV est de l’ancienne roche, il a un confesseur de l’Église catholique. Ces Capétiens sont désuets ; ils n’ont pas compris les temps nouveaux : ils ne traitent pas Voltaire (et les autres philosophes) en directeur de conscience : « Aucun prince ne commencera la guerre, disait Frédéric II, avant d’en avoir obtenu l’indulgence plénière des philosophes. Désormais ces messieurs vont gouverner l’Europe comme les papes l’assujettissaient autrefois. » L’impératrice russe Catherine II ne dira pas autre chose à propos de son long compagnonnage avec Diderot : « Tout au long de ces années, j’ai fait semblant d’être l’élève et lui le maître sévère. »

Bonne Fête des pères

Les hommes mariés, les pères de famille, ces grands aventuriers du monde moderne

Charles Péguy


« Il n’y a qu’un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c’est le père de famille. Les autres, les pires aventuriers ne sont rien, ne le sont aucunement en comparaison de lui. » 

Cette assertion est délibérément et doublement provocatrice, puisqu’en guise de sainteté elle fait l’éloge de l’aventure et qu’en guise d’aventurier elle semble choisir M. Prudhomme. Péguy le sait : nul n’est, en apparence, plus pantoufflard, plus (petit-)bourgeois que le père de famille. 

Il sait aussi que les libertins, les bambocheurs, les explorateurs, les brûleurs de chandelles par les deux bouts, tous ceux qui revendiquent pour eux l’aura de l’aventure, daubent à l’infini sur ce lourdaud engoncé et pusillanime. Mais il connaît également, pour en avoir lui-même fait l’épreuve, l’étrange particularité, la désappropriante propriété dont est pourvu le père de famille : « Les autres ne souffrent qu’eux-mêmes. Ipsi. Au premier degré. Lui seul souffre d’autres. Alii patitur. Lui seul, autrement dit, déjoue les contraintes de la finitude : son être déborde son moi. Et que lui vaut cette prouesse ontologique, ce n’est pas un pouvoir accru, c’est une vulnérabilité plus grande. Il souffre d’autres, qu’on appelle à tort les siens, car ils ne sont pas à lui, mais lui à eux : il n’est pas leur possesseur, il est leur possession, il leur appartient, il leur est livré, il est, risque même Péguy, leur « otage ». Pour le dire d’une autre métaphore, ce chef de famille n’est pas un pater familias, mais un roi déchu qui a fait, en fondant un foyer, le sacrifice de sa liberté souveraine. Avant d’avoir charge d’âmes et de corps, il était seul maître de sa vie; le voici désormais assujetti, dépendant, privé de la possibilité de trouver refuge en lui-même : le confort du quant à soi lui est définitivement interdit.

Ainsi le bourgeois n’est pas celui qu’on pense : littéralement et constamment hors de lui, le père de famille mène l’existence à la fois la plus aventurière et la plus engagée qui se puisse concevoir. D’une part, il est exposé à tout et le destin, pour l’atteindre, n’a pas besoin de tireurs d’élite, il lui suffit de frapper au hasard dans l’un quelconque de ses membres : « C’est lui, mon ami, qui les a, et lui seul, les liaisons dangereuses ». D’autre part, il est responsable de tout, et même de l’avenir, même du monde où il n’entrera pas : « Il est assailli de scrupules, bourrelé de remords, d’avance, (de savoir) dans quelle cité de demain, dans quelle société ultérieure, dans quelle dissolution de toute une société, dans quelle misérable cité, dans quelle décadence, dans quelle déchéance de tout un peuple ils laisseront [sic], ils livreront, demain, ils vont laisser, dans quelques années, le jour de la mort, ces enfants dont ils sont, dont ils se sentent si pleinement, si absolument responsables, dont ils sont temporellement les pleins auteurs. Ainsi rien ne leur est indifférent. Rien de ce qui se passe, rien d’historique ne leur est indifférent. »

Tiré du « Mécontemporain » par Alain Finkielkraut


Doux avec l'islamisme, dur contre les chrétiens

La chronique de Mathieu Bock-côté dans le Figaro du 17 juin 2023.

Cela fait quelques mois, déjà, que l’abaya est devenue le symbole de l’offensive islamiste à l’école et, plus encore, de la sécession culturelle d’une partie de la jeune génération issue de l’immigration, qui entend marquer visiblement une forme de différence conquérante. Certains veulent voir dans sa présence une « atteinte à la laïcité ». Cela nous rappelle à quel point le discours public français n’envisage le commun que sous le signe de la laïcité, comme s’il s’agissait de la seule identité collective autorisée. Mieux vaudrait, si ce vocabulaire était autorisé, parler d’une atteinte à l’identité française, d’une agression symbolique explicite contre le peuple français ou, plus exactement, de l’effet inévitable d’un changement démographique qui ne peut s’accompagner que d’un changement culturel. Un pays ne change pas de peuple sans changer d’identité. La laïcité ne survivra jamais à la mutation démographique française. Chose certaine, qui porte l’abaya veut faire comprendre très clairement qu’il ne se sent pas français : pire encore, qu’il refuse l’identité française en France.

Il en va de même des récents événements à Nice. Christian Estrosi s’est alerté de la multiplication des prières musulmanes dans certaines écoles. Il dénonce ainsi des « tentatives d’intrusion du religieux au sein des sanctuaires de la République ». Mieux vaudrait parler moins pudiquement.

Ce n’est pas la religion qui revient, c’est l’islam qui arrive. Ceux qui parlent indistinctement du « phénomène religieux » sous prétexte de ne pas cibler une religion en particulier et de ne pas discriminer oublient que toutes les religions ne sont pas interchangeables et n’entretiennent pas la même relation avec l’histoire de France et l’espace public. Surtout, ils empruntent un appareil conceptuel qui brouille leur vision du réel, au point même de le rendre méconnaissable, en laissant croire que se rejouerait en France la bataille mythique entre les « Lumières » et l’« obscurantisme » alors qu’il s’agit en fait de l’empiètement d’une civilisation sur le territoire d’une autre, qui aura transformé profondément la physionomie culturelle du pays d’ici la fin du siècle.

Mais, sans surprise, l’appel à la restauration de la laïcité à l’école se détourne de sa finalité déclarée. Pap Ndiaye, en ce moment, ne cache pas son hostilité envers l’école privée et, encore, moins, envers l’école privée hors contrat. Il veut limiter considérablement leur autonomie, les standardiser idéologiquement, les mater. Elles sont accusées, clairement ou à demi-mot, de soustraire les enfants aux « valeurs de la République » - ce reproche n’est pas nouveau, et traverse l’histoire française depuis la Révolution, qui s’est donné pour mission de reconditionner le peuple français pour le délivrer de ses préjugés, de le régénérer dans la matrice de la modernité. La mystique républicaine n’est pas étrangère à celle de l’homme nouveau, qui fonctionne à la purge culturelle. Étrangement, depuis quelques mois, l’adhésion aux valeurs républicaines semble se confondre avec une conception nouvelle de l’éducation à la sexualité, centrée sur la déconstruction des stéréotypes de genre. Qui n’embrasse pas la théorie du genre sera tôt ou tard jugé antirépublicain.

Autrement dit, les instruments juridiques mis en place pour contenir l’islamisme se retournent contre le catholicisme. Plus encore, la lutte contre le séparatisme se transforme en entreprise de persécution à bas bruit des porteurs de la continuité historique française. On reproche à l’école privée de se faire conservatrice d’une anthropologie [censément] désuète, d’un rapport à l’autorité contradictoire avec la psychologie démocratique, de transmettre une culture que l’époque a décrétée morte – à moins qu’elle ne souhaite tout simplement la voir mourir. L’école privée est accusée, en quelque sorte, d’incarner une autre idée de la France. Les esprits plus cyniques diront que l’éducation nationale ne tolère pas l’existence d’un contre-modèle, d’une pédagogie qui réussit là où elle échoue, et qui, par effet de contraste, démontre chaque jour ses propres limites. Mais les cyniques ne voient pas assez loin : c’est vraiment l’intolérance philosophique qui commande l’hostilité à l’école privée et à la conception de la culture qu’elle défend. Et c’est un vice profond inscrit dans une certaine conception du logiciel « républicain » qui se dévoile. L’universalisme désincarné veut gagner sa dernière bataille contre l’école libre, mais se montre complaisant comme jamais avec la civilisation islamique, qui progresse en France. La lutte contre l’islamisme se retourne en lutte contre la liberté scolaire et l’enracinement culturel – ce qui nous rappelle que le combat pour les libertés et le combat pour l’identité, loin de s’opposer, se fécondent mutuellement.
 
Voir aussi
 
 
 
 
 
 

France — L’enseignement privé catholique (subventionné) reste également étroitement surveillé par l'État macronien

Tandis que les atteintes à la laïcité se multiplient (euphémisme : présence d'élèves islamistes) dans l’enseignement public, l’éducation nationale ne relâche pas pour autant sa surveillance méticuleuse de l’enseignement privé, et en particulier des écoles catholiques. Ces dernières semaines, le déclenchement de deux inspections générales, visant des établissements catholiques sous contrat avec l’État [c'est-à-dire subventionnés], a rappelé aux écoles privées qu’elles sont scrutées de près.

La première concernait le lycée Jean-Paul II de Compiègne. Le 11 avril dernier, cinq inspecteurs pédagogiques de l’académie d’Amiens avaient été saisis par le recteur suite à des plaintes d’enseignants, qui dénonçaient une «culture de la censure » et des « dérives graves ». En cause, le refus par la direction de diffuser deux films : un biopic sur Simone Veil [la pro-avortement pas la philosophe] et Rafiki, qui raconte une histoire d’amour entre deux lycéennes kényanes. Le directeur de l’établissement, Étienne Ancelin, s’est réjoui à la suite de l’inspection d’une conclusion jugée « favorable » : des recommandations ont bien été faites à l’établissement, mais sans remettre en cause le contrat d’association avec l’État, précise la direction de l’enseignement catholique en France.

Procédures d’inspection

Plus tôt dans l’année, c’est le prestigieux lycée Stanislas (ci-contre), à Paris, qui est arrivé dans le viseur de l’inspection générale du ministère, cette fois à la suite de deux articles de Mediapart [média d'extrême gauche] dénonçant «l’univers sexiste, homophobe et autoritaire» de l’établissement. Son directeur, Frédéric Gautier, reste convaincu néanmoins que l’inspection ne remettra pas en cause le lien de confiance qui lie son établissement à l’État : «Le ministre a sûrement voulu montrer qu’il n’avait pas de complaisance particulière vis-à-vis de nous : Mediapart a publié un premier article, il n’a pas réagi, alors ils ont insisté en écrivant qu’il ne faisait rien et à ce moment une inspection a été décidée », résume-t-il avec flegme. «Mais l’inspection se passe dans de bonnes conditions, je ne crois pas du tout qu’il y ait une cabale contre nous ou contre les écoles catholiques », ajoute-t-il.

Une conviction partagée par le secrétaire général de l’enseignement catholique, Philippe Delorme, qui n’a pas connaissance d’inspections visant d’autres établissements privés catholiques. «Le but de ces inspections est d’abord d’apaiser les choses dans des établissements qui ont fait l’objet de critiques », estime-t-il.

Un optimisme que ne partagent pas, en revanche, les associations de soutien aux écoles hors contrat, qui s’estiment plus facilement victimes d’un véritable renforcement des contrôles. «C’était prévisible depuis le vote de la loi confortant les principes républicains, qui a été dévoyée par rapport à son objectif original et sert parfois pour le gouvernement à restreindre la liberté éducative des parents », estime Sophie Audugé, porte-parole de SOS Éducation. Si elle ne détecte pas une augmentation significative du nombre de contrôles (déjà très élevé), la présidente de Créer son école, Anne Coffinier, regrette un ton de plus en plus accusatoire dans les procédures d’inspection. «L’État tente parfois de briser le lien de confiance entre les élèves et leur école », juge-t-elle. Au point, estime-t-elle, de « décourager » ceux qui entendent se lancer dans la création d’une école hors contrat.

Source : Le Figaro

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