vendredi 4 juin 2021

Suède — Immigration et guerre des gangs

Une vague de réfugiés a contribué à faire de la Suède un pays où 20 % de la population, aujourd’hui, est née à l’étranger. En 2020, on y a compté 366 fusillades, en moyenne une par jour, soit une croissance annuelle de 10 %.

En 2015, 163 000 réfugiés demandèrent l’asile au royaume nordique, soit pour une population de 10 millions d’habitants la plus forte proportion en Europe.

Jeune garçon suédois accueille des réfugiés en gare de Stockholm en 2015
 
Le moment a été historique, mais cinq ans plus tard, le souvenir de cette Suède si généreuse n’est guère célébré ni commenté. « C’est vrai qu’on ne voit pas grand-chose dans les médias, remarque Joakim Palme, président de la Délégation aux études sur la migration. Peut-être parce que nous sommes accaparés par la question migratoire, et l’approbation ou non d’une nouvelle loi. » Car le retour aux réalités, en Suède, s’est fait dans la douleur. Dès novembre 2015, la vice-première ministre, Asa Romson, annonçait les larmes aux yeux un durcissement sans précédent de la politique d’asile, avec la fin des clauses humanitaires, la généralisation des permis de résidences temporaires, des réunifications familiales plus difficiles, des allocations réduites. « Nous avons été débordés par la vague, et surtout l’arrivée de 33 000 mineurs non accompagnés, sur les 80 000 qui sont entrés en Europe cette année-là, justifie Joakim Palme. La pression sur le système social, et surtout l’école, a été énorme. Ce resserrement des conditions mis en place en 2016 nous a fait revenir au standard européen. »

Cette vague de réfugiés a en tout cas contribué à faire de la Suède un pays où 20 % de la population, aujourd’hui, est née à l’étranger. Les réfugiés sont visibles, jusque dans les coins les plus reculés du pays, où ils conduisent les bus, servent à la cantine, s’occupent des personnes âgées. D’après les études faites sur une longue période, cependant, la moitié de ces nouveaux venus n’a pas encore d’emploi après huit ans passés en Suède. Leurs revenus, aussi, sont presque deux fois inférieurs à la moyenne. « Cette différence s’explique principalement par le temps d’apprentissage de la langue suédoise, et le niveau scolaire, explique Karin Lundström, qui étudie les questions d’intégration pour Statistic Sweden. Ces réfugiés sans éducation ont souvent du mal à s’adapter à un marché du travail où les qualifications demandées sont très élevées. »

Aujourd’hui, le nombre de réfugiés qui arrivent chaque année en Suède oscille entre 22 000 et 25 000, mais cela n’empêche pas cette question d’être omniprésente dans le débat politique. Elle explique le surgissement des Démocrates de Suède, parti de droite, qui a réuni 17,5 % des électeurs aux dernières législatives, en accusant notamment les étrangers de détourner l’État-providence et d’attiser les violences. Elle pourrait aussi faire vaciller le gouvernement, qui n’a pas réussi à trouver un consensus sur une nouvelle loi migratoire.

Le 3 mars, la ville de Vetlanda, dans le sud de la Suède, a été le théâtre d’une attaque au couteau faisant 7 victimes.

Bilal, un Irakien à la retraite, contemple la tache de sang qui sèche sur le stationnement, devant son immeuble : « J’ai entendu trois coups de feu, hier, un peu avant minuit, puis j’ai vu ce jeune Érythréen au sol. Le soir je ne sors plus, c’est trop dangereux, c’est la mafia ! » Le vieil homme, qui en a vu d’autres dans son pays natal, est le seul à vouloir parler. Malgré l’arrivée très rapide de la police dans ce faubourg de Hjustla, tout au bout d’une ligne de métro, et en dépit d’une vaste opération de recherche avec un hélicoptère et des chiens, aucun suspect n’a été arrêté. Mais les enquêteurs soupçonnent déjà des liens avec un autre assassinat qui a eu lieu quelques heures plus tôt. Cette fois les balles ont sifflé en plein après-midi, au milieu des passants qui s’affairaient dans le centre de Husby, à seulement trois kilomètres de là.

Depuis quelques semaines, Snabba Cash, une série de Netflix, offre un portrait glaçant du trafic de drogue et de la guerre des gangs à Stockholm, avec ses règlements de compte à l’arme automatique dans les centres commerciaux. Mais est-ce si loin de la réalité que vivent les habitants de Hjustla, ou Husby, deux banlieues du nord-ouest de Stockholm ? Dans son dernier rapport, commandé par le gouvernement du social-démocrate Stefan Löfven, le Conseil suédois pour la prévention du crime vient en effet de comparer la Suède à vingt-deux autres pays européens. Depuis 2000, alors que la violence par armes à feu serait dans l’ensemble en baisse sur tout le continent, la Suède est le seul pays où elle augmente. Et la tendance n’est pas près de s’inverser.

 

« Le Chicago de l’Europe »

En 2020, on y a compté 366 fusillades, en moyenne une par jour, soit une croissance annuelle de 10 %. Le bilan s’élève à 47 morts, et 117 blessés, avec une surreprésentation des 20-29 ans parmi les victimes. « L’augmentation en Suède est tout à fait claire, assène Klara Hradilova-Selin, auteur de l’étude. Elle ne peut être observée nulle part ailleurs. »

Le trafic de drogue et les conflits entre groupes criminels sont présentés comme les causes principales de cette évolution. Parmi les fusillades mortelles, 8 sur 10 ont lieu au sein des gangs. Stockholm, comme dans Snabba Cash, a aussi tendance à supplanter Malmö dans ce palmarès de la violence. À Stockholm, la violence a explosé, avec une augmentation de 79 % pour la seule année 2020. Et la capitale suédoise n’est pas la seule à être touchée : la veille des drames qui ont frappé Hjustla et Husby, c’est l’une des banlieues de Göteborg, la grande ville de la côte ouest, qui s’enflammait, avec un week-end d’émeutes et un autre mort par balles.

Avec presque cinq fusillades mortelles par million d’habitants, un taux 2,5 fois plus élevé que la moyenne européenne, le royaume nordique détient un triste record qui inquiète les Suédois, stupéfaits de dépasser des pays comme la France ou l’Italie. Alors que l’insécurité a longtemps été absente de leurs préoccupations, elle apparaît aujourd’hui en troisième position dans les sondages. Comme l’écrit le quotidien Dagens Nyheter, il est aujourd’hui « plus pertinent de comparer la Suède à certaines régions des États-Unis ou d’Amérique du Sud qu’avec, notamment, un pays comme l’Allemagne ». Centre-droite et droite, qui ont déjà scellé un accord sur la politique d’immigration, pourraient d’ailleurs profiter du fiasco. Pour le leader des Démocrates de Suède, Jimmie Akesson, qui a en ligne de mire les élections de 2022, la Suède est devenue « le Chicago de l’Europe ». « Le gouvernement a capitulé et a totalement perdu son emprise, poursuit-il. Toutes les mesures et les prétendus investissements qui sont présentés sont inutiles. »

La solution n’est pas que policière

À Hjustla, l’inspecteur Frank Carlsson, présent sur la scène de crime, n’est pas loin d’exprimer la même chose. « On a trop de fusillades et à chaque fois c’est une tragédie, commence ce spécialiste de la prévention et du travail communautaire, on ne peut pas s’habituer. La plupart des habitants voudraient plus de policiers, mais ce n’est qu’un seul des très nombreux problèmes économiques et sociaux de ces quartiers qu’il faudrait régler. Vous avez des chanteurs de rap qui trempent dans ces trafics — un procès est en cours à Stockholm — et des séries comme Snabba Cash qui vous feraient presque croire que c’est cool d’être un trafiquant. » Et avec plus d’uniformes dans les rues, encore faut-il que la justice suive : en Suède, seulement 23 % des affaires criminelles au sein des gangs sont résolues.

Si la Suède reste un pays où le taux d’homicides toutes causes confondues reste bas, cette violence spectaculaire électrise le débat, et plombe le bilan des sociaux-démocrates, progressistes de gauche. Devant ces très mauvais chiffres, le ministre de l’Intérieur n’a pu que promettre « un revirement possible » cette année, grâce notamment au renforcement des effectifs de police, qui sera de 38 000 en 2024, soit 10 000 de plus qu’en 2016.

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