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mercredi 4 mars 2020

« Ce n'est pas beau, c'est symétrique »

Dans un débat enlevé sur l’art (voir la vidéo ci-dessous), le philosophe et critique d’art Yves Michaud déclare que « Versailles n’est pas beau, mais symétrique »...




Si l’art ne se résume pas à la beauté (l’émotion et l’inventivité en font aussi partie), il nous semble que M. Michaud évacue un peu vite la beauté de l’art. Plus grave, selon nous, ce philosophe oppose symétrie et beauté alors qu’il semble que ces deux notions soient fortement liées, peut-être même programmées, câblées au plus profond de nous.

Grâce à de nombreuses expériences astucieuses, les chercheurs ont confirmé plus un visage est symétrique plus il nous est attrayant. C’est une constante à travers toutes les cultures et les époques historiques.

Comme tous les vertébrés, l’homme se développe selon une symétrie bilatérale. Pour la plupart, notre côté droit se développe comme une image miroir de notre côté gauche. Depuis le stade embryonnaire et pendant toute notre croissance et maturité, les mêmes gènes de développement doivent être activés dans les mêmes cellules au même moment et avec la même dose. Dans la situation idéale, tout cela se déroule à l’identique des côtés gauche et droit de nos visages; ce qui aboutit à une parfaite symétrie entre les deux moitiés.


Bien sûr, dans le monde réel, la moindre fluctuation de l’expression des gènes et de l’activité cellulaire conduit à de petites différences entre les deux moitiés de notre visage. Regardez attentivement votre visage dans le miroir (ou le visage d’un ami...). En général, un œil est légèrement plus grand que l’autre. L’œil plus grand est également généralement un peu plus haut que l’autre. Les narines présentent généralement également une asymétrie dans leur taille et leur forme. La hauteur et la taille des oreilles peuvent également être étonnamment asymétriques. Toutes ces microasymétries se traduisent par une note de symétrie générale pour chaque visage humain. Et ces notes de symétrie influencent fortement la façon dont nous évaluons l’attrait d’un visage. En utilisant l’informatique, les chercheurs peuvent transformer un visage que la plupart des gens jugent très attrayant en une image très mal notée, simplement en en modifiant la symétrie. Voir les deux visages ci-dessous.



Mais pourquoi trouvons-nous les visages symétriques plus attrayants ? L’explication scientifique dominante veut que la symétrie indique un développement harmonieux et l’absence de mutations, de faiblesses ou de maladies délétères chez le sujet observé. En effet, si la grande chorégraphie de l’expression des gènes de développement est parfaitement exécutée, le résultat est une symétrie parfaite. En conséquence, la moindre imperfection, la moindre asymétrie indique une sorte de dysfonctionnement, même minime. Si, d’un côté du visage, un gène s’exprime trop ou trop peu, au mauvais endroit, ou un peu tôt ou tard, le tissu prendra une forme légèrement différente de celle de l’autre côté du visage. La plupart de ces petites fluctuations entraînent ce qu’on appelle des microasymétries que nous ne pouvons pas détecter à l’œil nu, mais dont nous pouvons parfois saisir l’effet dans son ensemble.

De plus grandes asymétries peuvent indiquer des problèmes qui se sont produits (ou sont en cours) dans la croissance et le développement de la personne en question. Certains facteurs connus pour affecter la symétrie faciale sont les infections, les inflammations, les réactions allergiques, les blessures, les mutations, le stress chronique, la malnutrition, les dégâts subis par l’ADN, les parasites et les maladies génétiques ou métaboliques. Chacun de ces facteurs peut représenter un désavantage pour la personne et sa progéniture.

L'idée admise en science veut donc que l'homme a appris à valoriser les visages symétriques, car la symétrie serait gage d'une bonne santé du propriétaire. Nous aurions donc une répugnance instinctive pour la laideur, pour les difformités qui trahiraient des défauts de développement, un patrimoine génétique affaibli ou une santé moindre. Valorisation de la symétrie qui s'étend à l'ensemble du corps (qui est bilatéral) chez l'homme et même au-delà en architecture où la symétrique est également gage d'équilibre et de solidité.




Source : Facial attractiveness, Philosophical Transactions of the Royal Society


Notons que par ailleurs, Yves Michaud, vient de faire publier un court essai (Ceci n’est pas une fleur) intéressant sur la commercialisation de l’art et la touristification de Paris. En voici une recension de Charles Jaigu.

samedi 21 décembre 2019

Divergences au sommet de l'Église catholique

Extraits d’un article de Constance Colonna-Cesari dans Marianne, magazine en rien de droite, avec quelques corrections éditoriales et des remarques supplémentaires.

À quelques jours des fêtes et de son traditionnel discours de Noël, le premier pape issu du continent américain doit faire face à une vague d’attaques sans précédent.

[Alors que la fréquentation du culte est demeurée constante dans les églises protestantes, celle de la messe s'est effondrée sous le pape argentin. Pour plus de détails, voir Religion — baisse de la fréquentation de la messe sous le pape François, stabilité chez les protestants.


]


Alors que les finances du Vatican sont en berne, ses positions en faveur des migrants, sa volonté de dialogue avec l’islam et son discours antilibéral lui valent la haine tenace d’une partie de l’épiscopat.

Jorge Mario Bergoglio, qui a soufflé ses 83 bougies le 17 décembre 2019, subit des attaques comme jamais aucun pape avant lui. Et la fatigue commence à se lire sur son visage. Triste Noël, que rien n’évoque à Rome, mis à part le sapin et la crèche récemment installés sur le parvis de Saint-Pierre. Au moins n’ont-ils pas été facturés 300 000 €, comme il y a quelques années !

C’est ce qu’avait révélé un certain Mgr Vigano, alors un inconnu. Il ne l’est plus depuis que, au mois d’août 2018, cet ancien nonce apostolique aux États-Unis a fait paraître une lettre ouverte, véritable bombe contre le pontife élu concernant sa campagne de « tolérance zéro » anticorruption et antipédophilie. Carlo Maria Viganò y dénonçait la responsabilité supposée du pape dans la protection du cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington, en affirmant l’avoir informé, en personne, des innombrables abus et harcèlements commis par ce prélat sur de jeunes séminaristes ainsi que sur deux mineurs.

Selon Jean-Pierre Dickès, « Le 4 octobre au Vatican, le pape a fait organiser un raout avec des Indiens de l’Amazonie ; il y fit une déclaration à la fois syncrétiste (toutes les religions méritent d’exister : air connu depuis la réunion à la mosquée du Caire) et panthéiste (Dieu est dans tout, c’est le culte à Gaïa). Après que François ait planté un chêne, les cardinaux se sont regroupés pour faire leurs dévotions d’adoration à la déesse Pachamama avec les Indiens, quelques Blancs et un moine ».

Voix hostiles

Conclusion de son « J’accuse ! » : une demande de démission de François, démarche sans précédent ! McCarrick sera réduit à l’état laïque, mais trop tard. Les fonds de Legatus, de la Fondation Centesimus annus, de la Papal Foundation, richissimes organismes caritatifs américains, n’arrivent plus au Saint-Siège : un déficit de plusieurs centaines de millions d’euros, soit 50 % de recettes en moins, avec pour conséquence la soudaine paralysie de certains secteurs clés de l’activité de l’Église.

Quant à l’affaire de détournement des dons des fidèles ayant débouché, début octobre, sur l’arrestation, à la secrétairerie d’État du Vatican (la plus haute instance du gouvernement central de l’Église), de cinq personnes soupçonnées d’opaques placements spéculatifs, elle tombe mal elle aussi. Quoi que le pape en dise, notamment lorsqu’il précise que, pour la première fois, cela ne vient pas de l’extérieur, mais que l’enquête a été diligentée de l’intérieur : cette unique ligne de défense ne peut suffire à redorer ni son blason ni les finances de son État…

L’argent est le nerf de cette guerre anti-François, mais pas seulement. Frondes doctrinales, menaces de schisme, accusations d’hérésie, voire d’apostasie, instrumentalisation effrénée des scandales de pédophilie, tout est désormais bon pour tirer sur le pape argentin. Ainsi, sur la scène politique italienne, Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, l’attaque sans relâche, un chapelet à la main, ou revêtu d’un tee-shirt au slogan clair comme de l’eau bénite : « Mon pape, c’est Benoît ! »

Pour Matteo Salvini, chef de file de la droite italienne, son pape est Benoît.



Difficile de ne pas entendre toutes ces voix hostiles. Elles portent loin et font mal. Même le cardinal Parolin, le secrétaire d’État du Vatican, l’a reconnu implicitement, en le déplorant, lors d’une audience à une délégation de chefs d’entreprise français, fin novembre. On dénaturerait le message du pontife, s’est-il désolé. C’est ce que répète aussi Mgr Duffé, le secrétaire du dicastère (l’équivalent d’un ministère) pour le Développement humain intégral, officieusement le nouveau centre de gravité du pontificat, puisque c’est là que se déploie cette double priorité de l’accueil des migrants et de l’écologie. 

Priorité du pape François : les immigrants, en grande partie musulmans



[...]

Benjamin Harnwell est l’associé anglais de Steve Bannon (ex-conseiller de Trump et figure de la droite américaine), pour lequel François est l’ennemi juré. À deux pas de Rome, il a fondé Dignitatis Humanae, un réseau pensant conservateur dans lequel gravitait jusqu’à peu le cardinal américain Raymond Burke, l’opposant numéro un du pape à la curie. À cet institut est adossé le projet de fondation d’une école de formation des élites populistes européennes dans la chartreuse médiévale de Trisulti, à une centaine de kilomètres à l’est de Rome, dans le Latium, où réside Harnwell. Ce dernier, tout comme Bannon, est en croisade pour la défense de la vie et de la famille, et la sauvegarde des fondements de l’Occident judéo-chrétien. « Salvini a raison : l’Italie aux Italiens », tonne cet Anglais qui a voté pour le Brexit. Parmi ses pires griefs : le combat pontifical en faveur des migrants, son dialogue avec l’islam ou ses préoccupations écologiques, mais aussi les attaques de François contre « l’économie qui tue », un discours antilibéral irrecevable pour les Anglo-Saxons. « L’Église doit s’occuper de sauver les âmes, pas se mêler de politique, dit-il. Le pape se trompe sur le capitalisme, sur le climat et sur l’islam, qu’il continue de regarder comme s’il s’agissait d’une religion pacifique ! » Autre voix largement relayée, celle de Roberto de Mattei, l’historien à la tête de la Fondation Lepante, un mouvement de reconquête catholique abrité dans une église des premiers siècles sur le mont Aventin. Pour ce leader d’opinion de la galaxie traditionaliste, François menace depuis le début de son règne l’avenir de l’Église et celui de l’Europe. [Europe que le pape François n'aime pas selon Odon Vallet, voir vidéo ci-dessous.]





Menace de schisme

[...  Le] dernier acte [du pape], le Document sur la fraternité, un engagement signé en février 2019 aux Émirats arabes unis entre le pape et le recteur de l’université Al-Azhar du Caire, plaidoyer pour un dialogue islamo-chrétien plus ouvert que jamais, engagerait l’Église trop loin. « Moi, catholique militant romain, je ne veux pas d’un schisme, mais je le vois pourtant venir », avertit le professeur, dont les voyages aux États-Unis se multiplient. À l’unisson des évêques de ce pays, ou de l’archevêque d’Astana, au Kazakhstan, Roberto de Mattei égrène la longue série d’hérésies pontificales, dont celle contenue dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia de 2016 consacrée à l’amour dans la famille : selon lui, un premier coup de canif au magistère de l’Église et aux sacrements du mariage. C’est à sa suite que quatre cardinaux de la curie, dont Burke, avaient émis des dubia (« doutes »), puis des correctio, soit, en d’autres termes, une menace de schisme.

Le récent synode sur l’Amazonie a réactivé toutes les inquiétudes dans ce camp de l’Église. Ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, remercié en 2017, le cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller en parle avec d’autant plus de réticence que ce sont les fonds de l’Église allemande qui ont financé l’événement, en mettant à son agenda la question de l’ordination possible dans cette région d’hommes mariés (viri probati) comme celle de femmes diacres. Cela, afin d’ouvrir une brèche visant à introduire ces sujets sensibles dans le propre synode de l’Église allemande, prévu pour débuter en janvier. Une Église allemande décidément bien trop audacieuse et progressiste pour Müller, ancien gardien du dogme.

Les statuettes de la Pachamama, installées dans une église de Rome pour les représentants amazoniens du synode, puis dans les jardins du Vatican, et enfin dans la basilique Saint-Pierre, avant d’être volées par un jeune et fervent catholique autrichien, qui s’est filmé en les jetant dans le Tibre, ont créé un ramdam sur Internet. Pour Roberto de Mattei, intervenant dans une vidéo défendant l’acte de l’Autrichien, cette adoration idolâtre d’un autre culte admise sous la coupole de Saint-Pierre relève de l’apostasie… [plus de détails ici].

La fin de règne de François pourrait être agitée alors que le prochain conclave se fomente déjà et que de puissants lobbys médiatico-financiers américains y travaillent avec beaucoup de moyens. Baptisé « Red Hat report », leur projet promet une campagne à l’américaine, avec investigations et révélations des moindres éventuelles « casseroles » de tout cardinal de la ligne « bergoglienne » ayant un profil de papabile. Pour cette Amérique [...] la plus va-t-en-guerre contre François, le pape péroniste, sinon même marxiste, il serait bon que son successeur soit ouvertement pro-vie, moins pro-homo, qu’il ne se mêle ni des questions migratoires ni du réchauffement climatique et qu’il arrête de dialoguer avec l’islam. [...]

Voir aussi

Confondre hospitalité légitime temporaire et droit à l’immigration définitive

Rémi Brague : « Non, la parabole du bon samaritain ne s’applique pas aux États ! »

Vatican II, « déclencheur » de l’effondrement de la pratique catholique ? (M-à-j vidéos)

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L’Église catholique — pour qui sonne le glas ? (M-à-j)

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Rémi Brague : Y a-t-il un islam des Lumières ?

Houellebecq et Lejeune sur l’histoire, la religion, Zemmour, le catholicisme

L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien…

Le pape Benoît XVI : révolution sexuelle, relativisme moral, absence de Dieu et rejet de la Tradition à l’origine de la crise des abus sexuels

vendredi 1 novembre 2019

Table ronde sur la crise de la foi, de la famille et de l'Église catholique

Table ronde tenue le 28 octobre 2019*sur la décadence dans le monde et dans l'Église catholique, et comment en sortir. En compagnie de :



* La date incrustée dans le bandeau inférieur de la vidéo (28 octobre 2010) est une erreur.

samedi 7 septembre 2019

Correctivisme — La criminalisation des pensées non conformes

Les opinions non alignées sur la vulgate progressiste dominante se voient clouées au pilori, dénonce Laurent Fidès dans un livre publié récemment. Dans le cadre de la sortie en poche de son ouvrage Face au discours intimidant à L’Artilleur, il a accordé un entretien à Anne-Laure Debaeker.

Lorsqu’on nous impose de penser d’une certaine façon, c’est la pensée qui est supprimée, car on ne pense que librement, explique Laurent Fidès en préambule de son ouvrage dédié au formatage des esprits qui sévit de nos jours. Normalien, agrégé de philosophie et enseignant, il explore les rouages qui ont permis la mise en place d’une police de la pensée, condamnant tout point de vue qui va à l’encontre de la doxa prônant un monde décloisonné, sans frontières et sans peuples. Un ouvrage instructif qui met en lumière l’absence de débat contradictoire dont souffre notre société contemporaine.


— Le 9 juillet dernier, la loi Avia, « 'contre la haine » sur Internet, a été adoptée à une écrasante majorité en première lecture à l’Assemblée nationale [française]. Que cela vous inspire-t-il ?

Laurent Fidès — Les réseaux sociaux sont devenus des déversoirs d’insanités, il faut pouvoir lutter contre le harcèlement. L’objectif de cette loi est toutefois plus ambigu si j’en juge par le rapport de la commission, qui débute par une longue analyse sur la montée du racisme et propose de s’attaquer aussi à l’islamophobie.

On devine quel usage sera fait de cette loi, notamment si les contenus dits « haineux » sont détectés par mots-clés. Au fil des lois, on voit se restreindre le domaine de la liberté d’expression. Je suis d’accord pour qu’on lutte contre la diffamation, mais certainement pas pour qu’on s’en prenne à des idées générales sur lesquelles la discussion doit être possible.

Je pense que cette loi, comme d’autres, sera détournée de son objectif supposé pour censurer toute critique du métissage culturel. Par ailleurs, l’idée selon laquelle on pourrait utiliser le droit pour combattre la haine ou quelque autre mauvais penchant humain est une idée puérile et dangereuse, qui ignore totalement la signification du droit. Pour en revenir aux réseaux sociaux, on pourrait aussi bien remarquer que la sauvagerie qui s’y manifeste reflète l’ensauvagement de notre société et la perte des valeurs de notre civilisation. Dans une société de gens éduqués, cultivés, rompus à la conversation et à l’échange des idées, les choses se passent autrement. Le problème est que cette culture formatrice pour l’esprit n’est plus transmise par l’école, qui n’est plus qu’une machine à formater.

— Cela risque-t-il d’alimenter le discours intimidant » que vous dénoncez depuis plusieurs années ?

— Le discours intimidant est une phraséologie visant à criminaliser toute pensée non conforme au système des idées dominantes, dans le but d’échapper à une argumentation construite et rationnelle. Si je devais résumer le système des idées dominantes, je distinguerais un mouvement de long terme en faveur de l’extension des libertés individuelles au détriment des liens organiques, qui mène à l’égalitarisme, et un mouvement plus récent de destruction de toutes les identités, hostile aux limites, aux frontières, aux genres, et favorable au métissage, au brassage, à « l’ouverture ».

Ce qui me gêne dans le discours des intellectuels qui se disent progressistes, ce n’est bien sûr pas l’idée de progrès, c’est l’oubli des réalités anthropologiques : on oublie que l’homme est un animal sociable qui a besoin d’un territoire, d’un ancrage, qui a un certain rapport au temps et à l’espace, on oublie que l’homme est un être culturel, et que la culture est un fait collectif, on oublie le temps long de la civilisation et les phénomènes d’appartenance, d’héritage, de filiation. En fait, ces idéologues parlent d’un homme qui n’existe pas ; ou alors qui existe à l’état individuel, mais de l’individuel on ne peut pas conclure au social par simple transposition. J’avais publié cet ouvrage en 2015. Le diagnostic est toujours valable. Ce qui a changé, c’est que ce discours intimide de moins en moins. Les gens comprennent que ceux qui veulent les intimider sont les bénéficiaires de ce système pour lequel ils prêchent. La promesse d’une société multiculturaliste dans laquelle il ferait bon vivre n’a pas été tenue, et les bénéfices de la mondialisation n’ont profité qu’aux couches les plus aisées de la population. Par ailleurs, de plus en plus d’essayistes, de chroniqueurs, d’intellectuels s’affrontent maintenant au « camp du bien », donnant ainsi l’exemple d’un combat loyal, argument contre argument.

Dans cette résistance à la désintégration identitaire, je remarque la prépondérance des femmes et des jeunes.

— Quel est l’exemple qui vous a le plus interpellé au cours de ces six derniers mois ?

— C’est l’instrumentalisation cynique de la loi, dont se rend coupable l’institution judiciaire. Un exemple parmi d’autres : Marine Le Pen renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir diffusé des images de Dae'ch sur Twitter. Elle qui voulait dénoncer la barbarie du groupe islamique se trouve accusée d’en faire l’apologie. Pour aller jusqu’au bout du ridicule, elle est convoquée à une expertise psychiatrique dans le cadre de l’information judiciaire.

On se demande si ce ne sont pas ces magistrats qui devraient se soumettre à l’examen psychiatrique.

Bref, la politisation de la fonction judiciaire s’affiche désormais au grand jour, de façon provocante, comme pour montrer de quel côté est la force.

La criminalisation des idées passe aujourd’hui par tous les appareils idéologiques d’État : l’école, la justice, les médias. On sait que ces appareils, en particulier la presse, ont joué un rôle non négligeable dans l’élection du président Macron.

— Vous évoquez la fausse incontestabilité en bioéthique, notamment au sujet de l’avortement...

— Les lois bioéthiques sont toujours intéressantes, parce qu’elles reflètent un état de la société. L’avortement est un sujet tabou.

Certains considèrent que c’est un droit fondamental qu’il faudrait sanctuariser. Il y a bien un droit fondamental, incontestable, qui est le droit de la femme à disposer de son corps, mais celui-ci concerne essentiellement la conception. Quand la femme est enceinte, la relation à son corps se complique d’une relation à autrui, autrui étant ce petit être qui est dans son corps, mais qui n’y est pas comme une partie corporelle.

Le droit, qui devrait être fait pour protéger les êtres les plus vulnérables, ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes, sert ici à justifier leur élimination, et leur état de dépendance devient un critère pour les écarter du genre humain. On a affaire à un renversement des normes.

Et tout cela dans une société soi-disant animée par des valeurs humanistes, qui se soucie d’abolir la peine de mort. Étonnante contradiction. Mais ce n’est pas si surprenant, car le droit à l’avortement n’a rien à voir avec l’éthique, c’est un choix de société qui correspond au mode de vie contemporain de la classe moyenne éduquée, urbaine, dans lequel la femme travaille, exerce des responsabilités, aspire à faire carrière, etc. On peut concevoir que la société ne soit pas prête à faire un autre choix mais, de là à se cacher derrière un « droit fondamental », c’est vraiment donner dans la sophistique. Je pense que ce n’est pas sain. Les gens devraient être au clair sur des questions aussi essentielles.

— Selon vous, « la politique moderne est technocratique, non démocratique ». Comment l’expliquez-vous ?


— C’est une évolution que le philosophe Henri de Saint-Simon avait annoncée au début du XIXe siècle. Il avait compris qu’une société fondée sur le progrès des sciences et de l’industrie exigeait des compétences spécifiques pour la direction plus encore que pour l’exécution. Notre époque confirme cela avec le rôle des experts, des gestionnaires et même, aujourd’hui, de l’intelligence artificielle.

Cela ne veut pas dire que la démocratie est morte, mais il faut entièrement repenser le rôle des citoyens et l’articulation des instances de décision et de contrôle. Le monde contemporain est complexe et le citoyen ne peut pas être compétent dans tous les domaines, mais il y a des choix cruciaux qui ne relèvent d’aucune compétence technique. L’existence d’une technostructure est nécessaire ; le problème est qu’elle a tout absorbé. On comprend pourquoi les populistes sont acclamés dans un certain nombre de pays européens : c’est que les électeurs voient en eux une chance de restaurer la fonction politique, de se réapproprier leur destin. Les pays dans lesquels ce besoin se fait le plus sentir sont ceux où le sens de l’identité collective est resté puissant à travers les vicissitudes de la mondialisation. Je ne crois pas à la citoyenneté abstraite dont parle Habermas, qui participe d’un modèle constructiviste. Je pense que les hommes ne se construisent qu’à partir d’une certaine représentation de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont reçu de leurs prédécesseurs et de ce qu’ils veulent transmettre à leurs successeurs. Il n’y a là aucune volonté de rétrogradation ou d’isolement. Ni les Israéliens ni les Japonais, qui ont une forte idée de leur particularité culturelle, ne vivent dans le repli.


– « La prétention à l’universalité [...] repose sur une vision très artificielle de la “vérité” des idées universalistes. » Pourquoi ?

— L’universalisme : ce mot est devenu un totem pour la plupart de nos intellectuels, qui en général se gardent bien d’en donner une définition. On dit des vérités mathématiques qu’elles sont universelles parce que, dans quelque endroit du monde que vous habitiez, vous trouverez toujours que deux et deux font quatre. Quand on aborde le domaine des valeurs et des symboles, en revanche, il n’y a plus que des systèmes particuliers. Ce qui est universel, c’est la production symbolique en tant que telle.

Pourtant, on a voulu voir dans les droits de l’homme et dans les valeurs libérales de l’Occident un modèle « universalisable ». Mais en quel sens l’est-il ? Non dans le sens où il pourrait s’appliquer à tous les types de société, mais certainement au sens où il convient à une société qui valorise l’individu par rapport au groupe. On constate que les individus qui se sont émancipés des sociétés traditionnelles ritualistes n’aspirent quasiment jamais à un retour en arrière et ont tendance à considérer les normes des sociétés démocratiques libérales comme universelles et absolues. Mais ce jugement qu’ils prennent pour une vérité n’est qu’une interprétation, comme dirait Nietzsche.

Je ne tombe pas dans le relativisme en vous disant cela, puisque j’explique au contraire que l’évolution est à sens unique. Ce que je dis, c’est qu’il ne faut pas être dupe de ces effets de perspective et qu’il faut penser chaque système culturel dans sa configuration d’ensemble. Les intellectuels dits universalistes font le contraire : ils travaillent hors-sol, isolent les systèmes et les comparent, mais la comparaison ne peut plus s’opérer qu’en étant centrée sur leur point de vue, et ils se retrouvent comme ces inquisiteurs qui niaient le mouvement de la Terre, mais ne pouvaient s’empêcher de tourner avec elle.

— Quels liens entre les « gilets jaunes » et le discours intimidant ?

— Je distingue les vrais « gilets jaunes » des opportunistes d’extrême gauche qui ont rejoint le mouvement avec des revendications anarchistes. Les vrais « gilets jaunes » illustrent la fusion de la gauche du travail et de la droite des valeurs, qui se reflète à présent dans la sociologie électorale. Ils s’opposent aux oligarchies mondialisées, qui les exploitent, et à la gauche diversitaire, qui les trahit. Dans une interview à RFI en 2015, je faisais allusion à ce vivier de résistance qui vit dans nos provinces et « ne s’en laisse pas conter ». La suite m’a donné raison, semble-t-il.


Face au discours intimidant :
du formatage des esprits à l'ère du mondialisme

de Laurent Fidès
à L'Artilleur
à Paris
220 pages
ISBN 9782810008445
19,95 $ canadien / 12,00 €



Écoutez l'entrevue sur RFI avec Laurent Fidès (46 minutes)




jeudi 11 avril 2019

Le pape Benoît XVI : révolution sexuelle, relativisme moral, absence de Dieu et rejet de la Tradition à l'origine de la crise des abus sexuels

Résumé de Laurent Dandrieu de Valeurs actuelles. Bien que n’ayant plus de responsabilités dans le gouvernement de l’Église, le pape émérite Benoît XVI a tenu à apporter sa pierre à la réflexion sur la crise actuelle, en un long texte inédit diffusé ce 10 avril.

Ayant présidé aux destinées de l’Église au moment où la crise des abus sexuels a explosé publiquement, « je devais m’interroger sur ma possible contribution à un renouveau » : c’est ainsi que, dans l’introduction de cet article destiné à une revue allemande, Klerusblatt, repris en allemand ici et diffusé ce jeudi 11 avril en italien par ACIStampa, Benoît XVI justifie la parution de ce texte, lui qui n’a pas pour habitude d’intervenir dans l’actualité de l’Église depuis sa renonciation. Le pape émérite prend d’ailleurs soin de préciser qu’il a informé le pape François et son secrétaire d’État de sa démarche, et conclut son texte en remerciant « le pape François pour tout ce qu’il fait pour nous montrer, encore et encore, la lumière de Dieu, qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. » Autant de précisions qui visent, semble-t-il, à écarter la tentation de considérer le texte de Benoît XVI comme une prise de position sur la politique de son successeur.

Le texte de Benoît XVI se divise en trois parties. La première traite de la révolution sexuelle et de ses conséquences : effondrement de toutes les normes en la matière, omniprésence de la sexualité dans la société, y compris dans les écoles sous couvert d’information, complaisance envers la pédophilie, « alors décrite comme permise et bénéfique ».

Effondrement…

Pour l’Église, cette sexualisation de la société a contribué à l’effondrement des vocations et au départ de nombreux prêtres. Parallèlement et indépendamment à ce phénomène, « la théologie morale catholique a subi un effondrement qui a rendu l’Église sans défense contre ces changements dans la société ». Abandon de loi naturelle, relativisme moral selon lequel « il n’y avait plus rien qui puisse être considéré comme un bien absolu, non plus que comme un mal absolu », ont produit une crise « qui a atteint des proportions dramatiques à la fin des années 1980 et dans les années 1990 ». Alors que l’encyclique de Jean-Paul II Veritatis Splendor (1993) et le Catéchisme de l’Église catholique (1992) tentèrent de dresser des barrages contre ce relativisme, ils ne purent empêcher la progression de l’idée (fausse, selon Benoît XVI) selon laquelle l’Église n’aurait pas de compétence particulière en matière de morale.

La seconde partie du texte décrit les conséquences concrètes de ce relativisme dans l’Église : « Dans divers séminaires, écrit le pape émérite, s’établirent des clans homosexuels qui œuvrèrent plus moins ouvertement et changèrent significativement le climat dans les séminaires. » Le critère de nomination des évêques devint souvent « une ouverture radicale au monde ». Le pape cite le cas d’un évêque qui organisait des projections pornographiques pour les séminaristes, sous couvert de formation…

Le rejet de la Tradition, en certains endroits, était tel que « dans plus d’un séminaire, les étudiants pris en flagrant délit de lire mes livres étaient considérés comme inaptes à la prêtrise », écrit le pape avec un soupçon d’ironie : « Mes livres étaient dissimulés, comme de la littérature malsaine, et lus seulement en cachette ».

Benoît XVI décrit ensuite la trop lente prise de conscience par l’Église du problème posé par la pédophilie, et des réponses appropriées. Il rappelle que pour contrer l’attitude trop répandue de protéger avant tout les droits de l’accusé, en minorant ceux des victimes, il s’est accordé avec Jean-Paul II pour transférer la compétence de ces affaires à la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce qui permettait des sanctions allant jusqu’à l’exclusion de l’état clérical, au lieu des simples suspensions qui prévalaient auparavant. Plusieurs milliers de prêtres furent ainsi réduits à l’état laïc sous son pontificat.

Dans un troisième temps, Benoît XVI écarte la tentation de ceux qui, pour répondre à cette crise, se bercent de l’illusion de bâtir « une nouvelle Église », en quelque sorte désacralisée. Au contraire, seule la lumière de l’amour de Dieu « peut constituer un réel contrepoids contre le mal ». Tandis qu’« une société sans Dieu […] est une société qui perd sa mesure […] En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de la liberté, car ce qui meurt est le but qui fournit la direction. Et parce que le compas qui nous fournit la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal a disparu. […] C’est le cas avec la pédophilie. […] Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En dernier ressort, la raison en est l’absence de Dieu. Nous autres chrétiens, prêtres y compris, préférons ne pas parler de Dieu. »

Si Benoît XVI inscrit ainsi la crise traversée par l’Église dans le contexte plus large de la montée du relativisme moral dans le monde en général et de l’hypersexualisation de la société, ce n’est certes pas pour dédouaner l’Église de ses responsabilités. Conséquence de cet oubli de Dieu au sein même de l’Église qui a pour mission de le communiquer : la façon dont beaucoup oublient la Présence réelle du Dieu vivant dans l’Eucharistie, dévaluée comme un simple rite social de communion ecclésiale : « La façon dont les gens reçoivent le Saint-Sacrement en communion comme si c’était une chose banale montre que beaucoup voient la communion comme un geste purement cérémoniel. […] Il est évident que ce n’est pas d’une refonte de l’Église selon nos propres idées que nous avons besoin, mais d’abord et avant tout le renouvellement de notre foi en la Réalité de Jésus qui s’offre à nous dans le Saint-Sacrement. »

Benoît XVI révèle à ce propos une anecdote terrible qui l’a marqué dans ses rencontres avec les victimes de pédophilie : une femme, servante d’autel, régulièrement abusée par un prêtre qui commençait toujours les abus qu’il commettait sur elle par les mots mêmes de la consécration : « Ceci est mon corps… »

Pour finir, le pape émérite invite ses lecteurs à ne pas voir l’Église d’aujourd’hui ni comme une simple institution cléricale qu’il conviendrait de réformer de main d’homme (« Une Église qui se construit elle-même ne peut pas constituer un espoir »), ni comme entièrement soumise à Satan : « Certes, il y a du péché et du mal au sein de l’Église. Mais encore aujourd’hui, il y a la Sainte Église, qui est indestructible. » Et Benoît XVI de nous inviter à reconnaître les pasteurs qui, malgré tout « témoignent de Dieu par leur vie et leur souffrance ».

Pour le pape émérite, si des mesures humaines sont indéniablement nécessaires pour lutter contre le fléau des abus sexuels dans l’Église, c’est d’abord dans la lumière de Dieu que celle-ci retrouvera l’élan pour reprendre sa tâche d’évangélisation.

 Rétrospectivement, à la lumière de cette crise terrible que traverse l’Église aujourd’hui pour s’être trop coupée de cette lumière, on comprend mieux pourquoi le pontificat de Benoît XVI se donna la mission d’être avant tout une longue et lumineuse catéchèse, tant était grande l’urgence de remettre le Christ au centre de son Église.



(Traduction non officielle)

Du 21 au 24 février 2019, à l’invitation du pape François, les présidents de toutes les conférences épiscopales du monde se sont réunis au Vatican pour discuter de l’actuelle crise de la foi et de l’Église ; une crise ressentie dans le monde entier à la suite de la diffusion de révélations choquantes sur les abus commis par des religieux sur des mineurs.

vendredi 10 février 2017

Église catholique et l'immigration — le grand malaise

Laurent Dandrieu est le rédacteur en chef des pages « Culture » de Valeurs actuelles pour lequel il suit également l’actualité religieuse. Il vient de publier un ouvrage qui suscite la polémique et le débat.

Laurent Dandrieu dénonce le grand malaise de nombreux catholiques qui n’arrivent plus à suivre l’Église sur des questions aussi complexes que l’immigration, l’Islam et l’identité. Pendant que l’Europe, qui n’a déjà pas réussi à intégrer les précédentes générations d’immigrés, est soumise à un afflux de migrants sans précédent. L’Église catholique, plus que jamais, martèle l’unique impératif de l’accueil, donnant l’impression de se faire complice de ce que le pape a lui-même qualifié « d’invasion ».

Pour l’auteur, cette incompréhension n’est pas une fatalité. On peut réconcilier les impératifs de la charité authentique et la défense de la civilisation européenne.



Extrait du livre (pp. 90-93)

Quelques lignes plus loin [La Croix le 16/V/2016], interrogé sur le fait que le rejet des migrants par une partie de l’opinion se nourrit d’une crainte de l’islam, François se livrait à un bel exercice de déni : « Je ne crois qu’il y ait aujourd’hui une peur de l’islam, en tant que tel, mais de Daech et de sa guerre de conquête, tirée en partie de l’islam. »

Pour récuser l’idée que cette conception violente de l’islam pourrait très largement déborder le cas particulier de Daech, le pape se livre ensuite à une parallèle pour le moins douteux entre celui-ci et le christianisme : « L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter, avec la même idée de conquête, la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations. »

Étrange parallèle entre un Dieu qui commande à ses disciples : « Allez, donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. » (Matthieu 28, 19-20) et un Dieu qui dit, selon le Coran : « Et tuez-les où que vous les rencontriez ; et chassez-les d’où qu’ils vous ont chassés : l’association1 [ou la sédition, selon les traductions] est plus grave que le meurtre » (sourate 2, [« La Vache », versets] 190-193) ; un Dieu qui veut « exterminer les incrédules jusqu’au dernier » (sourate 8, [« Le Butin », verset 7]), et dont le Prophète déclare « J’ai reçu l’ordre de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils attestent “Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mahomet est l’envoyé d’Allah”, accomplissent la prière et versent l’aumône2. » Dans son livre Penser l’islam3, Michel Onfray a pu remplir trois pages de ces commandements violents ou intolérants, en se contentant de les citer.

Parallèle objectivement scandaleux, et insultant pour la religion que le pape a pour mission d’incarner, entre une religion, l’islam qui s’est objectivement propagée par les armes, et un christianisme qui s’est répandu à vive allure à travers le monde par le seul témoignage, poussé jusqu’au sacrifice de leur vie, des disciples de Jésus. Entre une religion musulmane dont la conception du martyre est de gagner le paradis en répandant le sang des autres et une religion chrétienne où il consiste à témoigner de la miséricorde de Dieu en acceptant de donner sa propre vie pour l’amour des autres...


Notes

1 — Le texte vise les associationnistes, c’est-à-dire ceux qui associent Dieu à d’autres divinités, dont font partie les chrétiens en vertu de leur foi trinitaire.

2 — Cité dans Rémi Brague dans « Les religions et la violence : ne pas renvoyer dos à dos islam et christianisme », Le Figaro, 24 mai 2016. Sur la question de l’islam et de la violence, voir Anne-Marie Delcambre, L’Islam des interdits, Desclée de Brouwer, 2003.

3 — Michel Onfray, Penser l’islam, Grasset, 2016, pp. 80-82.




Voir aussi

L’entretien de Laurent Dandrieu avec le site Le Rouge et le Noir.

L’Église catholique — pour qui sonne le glas ? (M-à-j)

Manuel d’histoire (1) — chrétiens intolérants, Saint-Louis précurseur des nazis, pas de critique de l’islam tolérant pour sa part

Manuel d’histoire — Chrétiens tuent les hérétiques, musulmans apportent culture raffinée, pacifique et prospère en Espagne

L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien…

« Un Dieu, trois religions »

Islam et christianisme : les impasses du dialogue interreligieux

Les jeunes apprennent vite grâce au cours d'ECR : toutes les religions sont bonnes

Rémi Brague : Y a-t-il un islam des Lumières ?

« L’arrivée de Muhammad [Mahomet], au VIIe siècle, améliore la situation de la femme », mais « Les femmes [dans le catholicisme] ont une place importante, mais ne peuvent devenir prêtres. » in Le rôle des femmes dans les religions selon le livre ECR d’ERPI pour la 2e secondaire

mercredi 9 novembre 2016

Le cours ECR: au croisement de deux critiques

M. Bock-Côté reçoit P. Andries et D.Baril pour une émission qui se penche sur la critique du programme d’Éthique et de culture religieuse (ECR). L’émission dure 56 minutes.

dimanche 30 octobre 2016

La défense par Georges Leroux du programme ECR : relativiste, jacobine et utopique

Selon Guy Béliveau professeur et docteur de philosophie qui enseignait au Cégep de Trois-Rivières jusqu'à 2014, l'argumentaire de Georges Leroux dans son ouvrage apologétique sur le programme d'éthique et de culture religion « se heurte à trois objections dirimantes : son concept d’une éducation laïque entraîne le relativisme, sa philosophie politique verse dans le jacobinisme, et sa vision des fins de l’éducation relève de l’utopie. »

Voir son carnet.

(L'accès y étant intermittent, nous nous permettons de reproduire ce texte ci-dessous. Les intertitres sont de nous.)

Depuis la fondation de la Nouvelle-France, ab urbe condita, les parents avaient le droit de faire éduquer leurs enfants dans la foi catholique. Depuis le mois de septembre 2008, ils ont perdu ce droit. L’État a décidé péremptoirement que tous les élèves du primaire et du secondaire, sans exception, devaient obligatoirement suivre un nouveau programme intitulé Éthique et culture religieuse. « L’honnête homme », qui n’a pas suivi de près les débats qui ont roulé sur la question de l’enseignement confessionnel à l’école, reste perplexe et se demande pour quelles raisons l’État prive les parents d’un droit acquis ancestral, voire d’un droit naturel. Heureusement pour lui, M. Georges Leroux, professeur à l’UQAM, présente dans son ouvrage Éthique, culture religieuse, dialogue (Montréal, Fides, 2007), une « défense et illustration » de ce programme. Malheureusement, l’argumentaire de l’auteur se heurte à trois objections dirimantes : son concept d’une éducation laïque entraîne le relativisme, sa philosophie politique verse dans le jacobinisme, et sa vision des fins de l’éducation relève de l’utopie.

Laïcité à l'école et relativisme

Pour saisir la teneur de ce programme, son import réel, il faut d’abord comprendre ce qu’entend l’auteur par laïcité à l’école. Le concept signifie la déconfessionnalisation et implique le « respect réciproque des valeurs et des croyances », respect qui « ne va pas sans la connaissance de l’autre et sans valoriser la différence » (p. 12). Mais, pour peu qu’on y réfléchisse, on verra aussitôt que cette définition irénique de la laïcité entraîne un relativisme radical. Quand M. Leroux écrit : « il existe, comme un milieu complexe de pensées et de croyances, des opinions de toute nature sur le monde et l’existence humaine » (p. 94, c’est moi qui souligne), il affirme très clairement une thèse fondamentale très contestable : les pensées rationnelles en éthique et les croyances religieuses forment un ensemble d’opinions. Or, si les diverses religions ne contiennent que des opinions inaptes à la vérité et à l’universalité, alors, effectivement, dans le royaume de la doxa tous les sujets sont égaux, chacun méritant le respect et la reconnaissance passionnée de sa différence. Et quand on lit : « laïcité signifie non pas un refus du religieux ou de convictions, mais accueil de la différence dans un monde de respect et de droits » (p. 14), le droit auquel il se réfère, peut-être à son insu, c’est celui que proclame obsessivement la doxa ambiante : chacun a droit à son opinion. Qu’il est difficile d’enseigner la philosophie à des élèves qui adhérent si fermement à ce principe. L’auteur fait allusion à l’objection du relativisme (pp. 55, 88, 104 et seq.), mais il ne semble pas en comprendre le sens véritable.

Il ne s'agit pas d'empêcher de connaître les autres religions pour les opposants

Contrairement à ce qu’il laisse entendre, il ne s’agit pas d’empêcher les élèves de connaître d’autres religions, mais de s’opposer, en ce qui concerne les catholiques, à la réduction de leur foi à une doxa. Réclamer le maintien du droit à un enseignement confessionnel ne relève pas non plus d’un communautarisme qui pourrait entraîner « une forme d’ignorance d’autrui » (p. 107) Il y va en fait de la liberté de choisir. Les parents, qui s’opposent à ce programme, ont donc raison de voir dans ce relativisme une religion d’État.

Dogme : plus une société serait moderne, plus elle se séculariserait

Une autre thèse de l’auteur qui mérite une vigoureuse réfutation : plus une société serait moderne, plus elle se séculariserait. Le procès de la modernité se caractériserait par une sortie hors de la religion ; c’est la délibération citoyenne, et non pas les appels à la tradition, qui incarnerait l’instance suprême de l’autorité et du pouvoir de légitimation. Cette équation entre modernité et laïcisation se vérifie peut-être en Europe ; mais qui sait si la révolution contre-culturelle des quarante dernières années n’est pas qu’une simple parenthèse dans l’histoire destinée à se refermer bientôt ? Quoi qu’il en soit, les États-Unis représentent une réfutation péremptoire de cette thèse : depuis 1945 au moins, cette société définit ce qu’est la modernité tout en étant la plus religieuse en Occident. [Elle est aussi plus religieuse aujourd'hui qu'aux temps de la Guerre d'indépendance des États-Unis!] L’influence de la religion sur la vie politique est si grande qu’il suffit de suivre un peu l’actuelle campagne présidentielle pour s’en convaincre.


M. Leroux aveugle aux faits qui contredisent ses convictions

Mais M. Leroux ne voit pas que les faits contredisent ses convictions ; il s’écrie : « Comment aurait-on pu maintenir encore longtemps des privilèges confessionnels alors que toute la société est engagée dans un pluralisme croissant qui va de pair avec sa modernisation politique ? » (p. 36)


Abolir le droit ancestral à l'éducation confessionnelle par principe d'égalité !?

En clair, le droit acquis ancestral à l’éducation confessionnelle est un privilège qu’il faut abolir au nom de l’égalité. On croit rêver en voyant un jacobinisme professé si ingénument. Et dans la logique de cette philosophie politique, l’État doit poursuivre les finalités de ce programme malgré les protestations des parents récalcitrants, fussent-ils majoritaires, car ce projet radical résulte du « principe fondamental de l’égalité ». (p. 37) M. Leroux combat d’ailleurs tous les privilèges, en particulier ceux sur lesquels reposent l’humanisme classique, réservé selon lui à une élite (voir pp. 63, 81 et 83). D’où provient ce jacobinisme ? Sans doute, d’une adhésion à la philosophie des Lumières. Les enjeux moraux de la société actuelle ressortissent au « travail de la raison, travail d’abord mis en œuvre dans le débat public » (p. 47). La société forme ainsi un groupe de discussion sans contraintes où s’échangent de manière réflexive des raisons.


Limiter avec rigueur les domaines où l'Église et les philosophes peuvent exercer leurs désaccords

L’auteur reconnaît aux individus le droit de se référer plutôt à une autorité transcendante, mais il ajoute : « elle [la société] doit par conséquent délimiter avec rigueur et justice les domaines où cette autorité peut s’exercer sans entrer en conflit avec le bien commun établi publiquement » (p. 48). Dans cette conception, l’Église aura-t-elle encore le droit de dénoncer publiquement des lois qu’elle estime injustes ? Un philosophe pourra-t-il exprimer dans la discussion qu’à son avis telle ou telle loi positive déroge au droit naturel ? Ces questions se posent en toute légitimité quand on lit ceci : « Le progrès des lois peut [...] entrer en conflit avec les convictions morales et religieuses de groupes sociaux particuliers » (p. 49) Privilèges, raison, progrès, égalité : voilà des mots d’ordre que s’échangeaient les révolutionnaires du XVIIIe siècle et qui sont repris tels quels au XXIe siècle.

Droit à l'utopie : élèves du primaire discourant sur les principes du savoir moral et l'autonomie !?

Quand on regarde ce que l’auteur entend par éthique et par culture religieuse, on comprend que sa philosophie politique le conduit droit à l’utopie. L’éthique, « c’est un discours normatif qui s’élabore en se fondant sur le travail de la raison » (p. 51) ; elle est « une réflexion sur les principes, sur l’effort d’une rationalité pratique engagée dans la justification des décisions » (p. 51). L’élève du primaire et du secondaire aura donc pour tâche d’examiner de manière critique les principes qui gouvernent le savoir moral ! Encore une fois, on croit rêver : cette conception, tributaire des Lumières, est une pure utopie qui confortera l’un des traits les plus délétères de la mentalité actuelle : un individualisme effréné conjugué avec la revendication d’une autonomie absolue. Quel type d’éducation morale est le mieux adapté aux enfants : celui qui vise à en faire de petits philosophes des Lumières discourant sur les fondements des diverses normes morales ou celui qui, par l’imitation de personnages illustres, cherche à faire acquérir aux élèves, les vertus, les traits de caractère favorisant le développement de tout leur potentiel ? Les enseignants dans les collèges savent que la plupart de leurs élèves, même après trois cours de philosophie, demeurent incapables de prendre du recul par rapport au relativisme ambiant. Comment penser que des enfants se montreront plus rationnels que de jeunes adultes ?

Petits kantiens promus également en petits comparatistes des religions.

En ce qui concerne la culture religieuse, les affirmations de l’auteur étonnent beaucoup : « Derrière la riche appellation de “culture” se tient en effet la totalité du phénomène religieux, dans tous ses aspects historiques, esthétiques et spirituels. » (p. 55) Or, le programme a pour fin de transmettre une connaissance de cette culture. En quoi consiste-t-elle au juste ? « elle consiste à pouvoir articuler les liens entre diverses expressions du religieux et de la culture, en vue de saisir le système dans lequel tous ces éléments prennent sens » (p. 90). Encore et encore, on croit rêver. Nos petits kantiens en éthique deviendront aussi de petits structuralistes en étude comparative des religions. Montrez aux enfants que toutes les croyances, toutes les fêtes, toutes les cérémonies, toutes les interdictions entrent dans des rapports analogiques, bref que tous ces faits sociaux se correspondent, et ils auront compris qu’en matière de religion, tout est relatif ; ils auront enfin « saisi le système » !!! Peut-on aller plus loin dans l’utopie ?

Le principe structurant est d'ordre politique

Selon l’auteur, le principe structurant de ce programme est d’ordre politique : sa fin se définit par « l’apprentissage dialogué de la vie juste dans une société pluraliste » (p. 85). Les élèves sont donc conviés à exercer leur raison pratique sur « une diversité de conceptions du bien et du sacré » (p. 85), et cet exercice prendra la forme de « l’expérience de la discussion, du dialogue producteur de respect et de reconnaissance » (p. 86). Qui osera s’ériger contre la vertu ? Le respect, le pluralisme, le dialogue, ne sont-ce pas là des choses fort estimables ? Pourtant, derrière ces beaux mots, se cache la réalité effective du relativisme, du jacobinisme et de l’utopie. La conclusion de « la discussion de tous avec tous » aboutira toujours à la rengaine : chacun a droit à son opinion. On ne peut croire que ce relativisme servira de remède à « la guerre de tous contre tous » telle qu’on la voit se profiler sur le fond des luttes culturelles et identitaires.

Hier après-midi, dans les rues de Montréal, plus d’un millier de parents catholiques ont participé à une manifestation contre la perte d’un droit naturel.

L’État reste froid comme du marbre.

jeudi 14 avril 2016

Ruwen Ogien — L'éthique minimaliste ou le relativisme total ?

Ruwen Ogien, spécialiste de philosophie morale, a récemment publié un « journal philosophique » Mon dîner chez les cannibales qui suscite des critiques parfois sévères.

D’abord, la recension « gentillette » du magazine Lire :

Dans son journal philosophique, écrit en parallèle de l’actualité, l’auteur refuse tout moralisme, lui préférant une éthique minimale.

Au fil d’une cinquantaine de textes inspirés par l’actualité et consacrés aux sujets les plus divers — tels que les incivilités, les migrants, le droit de mourir, la tolérance religieuse, la pornographie, la liberté d’offenser, la prostitution, le mariage pour tous ou la gestation pour autrui —, Ruwen Ogien (ci-contre) poursuit son plaidoyer pour un minimalisme moral, fondé sur le seul principe qui nous enjoint de ne pas nuire délibérément à autrui et de ne pas commettre d’injustice. Selon une telle conception, nos modes de vie et ce que nous faisons de nous ne peuvent, quant à eux, être l’objet d’aucun jugement moral. Il n’est certes pas interdit de donner des conseils aux autres ou d’attirer leur attention sur les conséquences fâcheuses pour eux de tel ou tel comportement, mais cela ne saurait être au nom d’un paternalisme moral qui déclare savoir mieux qu’eux ce qui est bon pour eux.

Là où une conception maximaliste de la morale, qui prétend avoir son mot à dire sur nombre de nos faits et gestes, se heurtera nécessairement à la diversité et à la relativité des croyances et des mœurs, l’éthique minimale a d’autant plus de chances d’avoir une portée universelle, observe Ruwen Ogien, que les domaines de notre existence qu’elle inclut sont peu nombreux.

Autrement dit, constater avec Montaigne — lequel a inspiré à l’auteur ce Dîner chez les cannibales qui donne son titre au recueil — que « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » n’implique aucun relativisme moral.

Puis la critique sévère de Maulin Olivier :

Le philosophe continue son œuvre de déconstruction dans un petit livre indigent qui pourrait être comique si ses idées délirantes n’étaient partagées par une partie de nos élites. Plongée dans les eaux troubles d’une pensée soixante-huitarde agonisante qui a définitivement perdu pied avec le réel.

Même Libé est un peu effrayé. Rendant compte de Mon dîner chez les cannibales, le dernier livre de Ruwen Ogien, le 10 mars dernier, Robert Maggiori reconnaissait que l’on pouvait « s’effaroucher des conclusions radicales » auxquelles le philosophe aboutissait. S’effaroucher ? Allons bon. Après tout, l’essayiste ne fait que tirer jusqu’à l’absurde toutes les « libérations » entreprises depuis quarante ans et systématiquement soutenues par le journal. Pourquoi s’effrayer de sa légitimation morale de la pornographie, des drogues, de l’inceste et du parricide ? Du nerf, camarades ! Ne vous embourgeoisez pas ! Vous la vouliez, la table rase de vos rêves ? La voici.

Ces chroniques au style relâché, pompeusement sous-titrées « journal philosophique », se fixent en effet pour but de saper ce qui restait encore à saper, de mettre à bas ce qui avait échappé à la furie destructrice des prédécesseurs de l’essayiste : la morale la plus élémentaire. Directeur de recherche au CNRS, ce rescapé de Mai 68 est régulièrement invité sur les plateaux télé et a même été auditionné par le Sénat, il y a quelques années, sur la laïcité. Il est l’égérie de Libération où il anime un blogue dans lequel il donne son avis sur tout à longueur de colonnes. Ce sont ces articles prétentieux qui forment la matière principale de son livre.

Le philosophe se réclame d’une « éthique minimaliste » qui est un relativisme total. Il veut débarrasser la philosophie morale « de tout ce qui l’encombre ». Selon lui, les hommes n’ont aucun devoir moral vis-à-vis d’eux-mêmes, et ceux qu’ils s’imaginent avoir vis-à-vis des autres ne sont que des « obligations purement sociales ». Faire preuve de bienveillance, de charité, ou tout simplement aider quelqu’un qui ne l’a pas demandé est donc un acte « paternaliste ». Même la tolérance ne trouve pas grâce à ses yeux : on ne tolère en effet que ce qui nous paraît faux, or qui est-on pour juger du vrai et du faux ? Dans cette optique, la seule et unique morale acceptable consiste à « ne pas nuire aux autres ». Résultat concret : tout est permis, la GPA [mères porteuses], la PMA [fécondation in vitro] et l’euthanasie bien sûr, mais l’auteur ne s’arrête pas là. Si un adulte conscient accepte d’être mangé par son ami, de se détruire par la drogue, de coucher avec sa mère consentante ou de tuer son père à sa demande, Ruwen Ogien ne voit pas qui pourrait l’en empêcher, et surtout au nom de quoi, à moins évidemment d’être un « conservateur », espèce nuisible que le philosophe ne porte pas dans son cœur.

Ruwen Ogien défend l'inceste au nom de l'éthique minimale

Ce sophiste pourrait prétendre au titre de général en chef de la phalange tout entière engagée au service de l’Autre, le plus souvent au détriment des siens, que Jean Raspail a baptisé « Big Other ». Il est intarissable sur le « droit des migrants » à quitter leur pays, mais n’a jamais un mot sur le droit des autochtones à demeurer ce qu’ils sont.

Dans la grande lignée post-soixante-huitarde, il ne s’intéresse qu’aux marges, à ces « micropeuples de substitution » dont parle Michel Onfray : immigrés, transsexuels, délinquants, drogués, à qui il trouve tous les talents. Quant aux Français « ordinaires », ils se caractérisent par « l’arrogance culturelle, le passé colonial, le conservatisme moral, la xénophobie latente, le culte de la rente [et] l’alcoolisme ». Qu’ils osent réclamer aux nouveaux arrivants de se conformer à leur mode de vie, c’est-à-dire de s’assimiler, lui fait horreur. « Un immigré devrait-il devenir culturellement arrogant, fier du passé colonial, moralement conservateur et alcoolique sur les bords pour être un “bon Français” ? », interroge ce faux « cool » qui a le plus grand mal à cacher la répugnance que lui inspirent ces Français qu’il essentialise allègrement. On l’a compris, ce n’est pas la générosité vis-à-vis des damnés de la terre qui pousse Ruwen Ogien à réclamer toujours plus d’immigration, c’est le meilleur moyen qu’il a trouvé d’en finir avec un peuple déchu à ses yeux, le nôtre.

Le philosophe a certes le droit de penser ce qu’il veut des Français. Il ne nous enlèvera cependant pas le nôtre qui est d’estimer que l’homme crache dans la soupe avec assez peu d’élégance. Né dans un camp de personnes déplacées quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale au sein d’une famille éprouvée par l’horreur de la Choah, apatride, il a été accueilli par ce pays « xénophobe » qui l’a fait profiter de l’excellence de son système d’éducation et lui a permis de s’accomplir intellectuellement et socialement, notamment en devenant directeur de recherche au CNRS en 1981. D’autres que lui auraient pu en éprouver une forme de gratitude.

La pensée de ce philosophe poussif est une pensée d’enfant gâté qui casse un à un ses jouets. Il veut en finir avec l’école de la « ségrégation » et de « l’humiliation », l’autorité des pères, le mariage traditionnel et globalement toute forme d’enracinement. Si une telle pensée a pu faire illusion durant les Trente Glorieuses, elle paraît aujourd’hui pour ce qu’elle est : ringarde et dépassée. À l’heure d’Internet, on éprouve de la peine pour l’auteur quand il considère encore l’industrie pornographique comme « moderne et subversive ». À l’heure où la France se couvre de mosquées, on sourit tristement quand il affirme que la principale caractéristique de l’islam est sa sécularisation. À l’heure où la mondialisation réveille les identités et où le multiculturalisme dévoile son caractère multiconflictuel, on baisse les yeux de gêne quand il nous vante la généralisation du métissage, la fin des frontières et l’émergence un peu partout sur la planète « d’entrepreneurs nomades qui circulent sans problèmes entre les “cultures” du monde entier ».

À croire que notre observateur s’est réfugié dans le pays enchanté des Bisounours, et que c’est de là, à travers une paire de jumelles mal réglée, qu’il observe péniblement la réalité. Quelques semaines après les attentats du 13 novembre, il publiait deux pages dans Libération pour réclamer des toilettes publiques « transgenres » à côté de celles pour les hommes et les femmes. Gageons que l’histoire en train de se réveiller ne fera bientôt qu’une bouchée d’une pensée hors sol qui a contribué à nous mener dans l’impasse où nous sommes.


Mon dîner chez les cannibales
de Ruwen Ogien,
publié le 2 mars 2016,
chez Grasset,
à Paris,
320 pages
ISBN-13 : 978-2246802297


Voir aussi

Cours de rhétorique et de décryptage des médias à l'école plutôt que d'éthique et d'instruction civique

L'école doit-elle enseigner le bien et le mal ? La morale laïque ? Laquelle ? (vidéo)

samedi 12 mars 2016

Mahomet et l'ange Gabriel à l'indicatif, la résurrection du Christ au conditionnel

Comparons le traitement de deux récits cruciaux dans le manuel d’ECR Mélodie publié par Modulo et destiné à tous les enfants québécois de 7 ans.

D’abord l’histoire de la révélation du Coran à Mahomet[1] :


(Illustration du manuel d’ECR Mélodie, publié par Modulo, destiné au 1er cycle du primaire, manuel B, p. 27)

Tous les temps sont à l’indicatif ou à l’impératif. C’est une constante adoptée dans les récits, voir par exemple ce récit amérindien sur la création du monde (en fin de billet).

(On notera, une nouvelle fois, dans la question posée en bas de page la volonté de renforcer auprès des enfants le fait que tous les récits religieux se ressemblent alors que ce qui est bien sûr plus intéressant, c’est ce qui les distingue).

Affirmer la résurrection était-il vraiment trop dur pour les éditeurs ?

Comparons maintenant avec le traitement de l’élément central de la foi des chrétiens : la résurrection.


(Illustration du manuel d’ECR Mélodie, publié par Modulo, destiné au 1er cycle du primaire, manuel B, p. 46)

Ici, on trouve un verbe au conditionnel ; celui qui prouve la résurrection du Christ : la rencontre des disciples avec le Christ ressuscité. Après on revient à l’indicatif pour affirmer plus sûrement que ces personnes dont on ne sait s’il faut croire les dires ont prétendu avoir vu le Christ ressuscité des morts.

On remarque la même chose avec Bouddha : « Il fut illuminé » (et non « il aurait été illuminé » ou « ses disciples disent qu’il a été illuminé ») et « il comprit le sens de toute chose » (et non « les bouddhistes croient qu’il comprit le sens de toute chose »). Aucun conditionnel, aucun verbe modal ou d’introduction, tout est à l’indicatif.



Alors que, lorsqu’on parle ailleurs du christianisme, on prendra soit de mettre force verbes introducteurs (« Les chrétiens reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu »…, « les disciples de Jésus annoncèrent que Dieu l’avait ressuscité »… « Les chrétiens croient que Jésus a ainsi vaincu la mort »). Notons aussi le choix d’Antioche comme ville emblématique pour le christianisme dans ce livre (chaque religion à une capitale), Jérusalem étant déjà prise par le judaïsme.






[1] Mahomet dans les dictionnaires français depuis des siècles, Muhammad dans sa graphie pédante adoptée par le Monopole de l’éducation du Québec pour les enfants de 7 ans et, par la suite, par tous les éditeurs, conformistes et « suiveux », dans les livres d’éthique et de culture religieuse que nous avons pu consulter. Si on veut faire malin, pourquoi ne pas indiquer que le « h » est un ha' (ح) et non un hé' (ه) et écrire Muḥammad (h avec un point souscrit), c'est plus exact si on aime faire pédant.

Voir aussi

Cours d’éthique et de culture religieuse — Réponse du théologien Guy Durand à l’abbé Gravel

Spiritualité autochtone, écologie et norme universelle moderne (notamment dans manuels ECR)

L'harmonie dans le tipi (l'amérindien fantasmé et le faux sang indien des Québécois)

Étude de trois manuels du primaire d'ECR



mercredi 30 septembre 2015

Régis Debray fait son deuil du progressisme et des illusions de la gauche

Extraits d’un article de l’hebdomadaire Le Point où l’intellectuel français Régis Debray livre en quelque sorte son testament politique : l’humanité sans dessein, la gauche socialiste sans idées, le deuil de l’Histoire...


Le Point — Mais de quel deuil exactement parlez-vous ?

Régis Debray. — De l’Histoire comme accomplissement d’un grand dessein, comme émancipation de l’humanité en marche vers son salut. Cette idée messianique, nous la tenons, tout libre-penseur qu’on soit, du judéo-christianisme. Elle a longtemps fait de nous, les progressistes, des descendants d’Abraham et d’Isaïe sans le savoir. Or le bureau des Affaires eschatologiques a fermé. Plus aucune grande promesse n’est crédible. Avez-vous noté le raccourcissement des cycles d’espérance en Occident ? Le christianisme ? Vingt siècles. Le scientisme ? Deux siècles. Le socialisme ? Moins d’un siècle. L’européisme ? Un demi-siècle. Résultat, une première historique : la peur sans l’espoir. L’homme, ce petit mammifère prématuré à la naissance, plus malin, mais plus faiblard que les autres, a toujours eu peur, non sans raison : des rhinocéros, de l’enfer, de la peste, des Barbares, des intrus, des kalachnikovs. La peur, c’est son destin, mais l’antidestin qu’il a inventé pour tenir le coup — la résurrection des morts, la société sans classes, l’éternité par l’art ou autres tranquillisants —, a disparu. Pour la première fois, [pour l’homme occidental moderne] il n’y a plus d’après. Ni au ciel ni sur terre.

— Quel impact sur notre époque cette disparition aurait-elle ?

— C’est un peu tôt pour le savoir. Le XXe siècle a vécu du futur plus qu’aucun autre, et jusqu’au XVIIIe notre civilisation vivait du passé, sur l’imitation de Jésus-Christ, des saints ou des héros. Le présent à l’état brut, sans rien devant ni derrière, c’est de l’expérimental. Je pressens du bipolaire : hystérie et sursauts de colère d’un côté, morosité et je-m’en-foutisme de l’autre. Le déprimé survolté par dix flashs quotidiens. Les psys vont avoir du pain sur la planche.

— La mondialisation ne pourrait-elle pas faire office de nouvelle espérance ?

Je ne vois pas trop en quoi. Les marchandises circulent mieux, les signes et les images aussi, vivent la Toile et le conteneur. Mais, du même coup, les traditions, les cultures et les religions se côtoient bien davantage, se frottent l’une contre l’autre, et cela fait de l’irritation et de l’inflammation aux jointures. Des réactions allergiques, et donc des replis, des paniques identitaires çà et là. La mondialisation techno-économique fomente une balkanisation politico-culturelle — 193 États à l’ONU quand il n’y en avait pas 50 en 1946. Et plus les outillages progressent, plus les imaginaires régressent. Le passé revient en force, avec les fantasmes d’origine. Voyez le Moyen-Orient : les frontières modernes s’effacent, on remonte de l’État à l’ethnie. Le plus récent est le plus fragile. Quand il y a crise économique ou politique, ce sont les couches les plus anciennes qui affleurent : le clanique, le tribal, l’ethnique, le religieux. L’archaïsme, ce n’est pas le révolu, c’est le refoulé. Et la postmodernité, en ce sens, sera criblée d’archaïsmes. Pourquoi ? Parce que le nivellement crée un déficit d’appartenance, un désarroi existentiel, d’où le besoin d’un réenracinement traditionaliste, d’un affichage de singularité. On croyait jusqu’à hier que l’évolution du niveau de vie nous débarrasserait du religieux — une école qui s’ouvre, c’est un temple qui ferme. Erreur. Les informaticiens sont plus fondamentalistes que les littéraires, en Inde comme en islam. L’utopie libérale espérait que la Carte bleue gomme les cartes d’identité, en réalité, elle les fait sortir au grand jour. En somme, la pacification par le doux commerce, l’OMC comme solution de l’énigme enfin trouvée, ça a beau être bardé de statistiques, cela reste le doigt dans l’œil. Le technocrate domine à Bruxelles, mais il est à côté de la plaque. Disons qu’il n’a que la moitié du programme.

— Mais l’Europe, face à Daech, face au problème des migrants, pourrait très bien retrouver une nouvelle identité ?

Oui, bien sûr, rien n’est plus précieux qu’un bon et vrai ennemi. Et Staline a autant fait pour l’Union européenne que Jean Monnet. Mais souvenez-vous : on a construit l’Europe à l’Ouest pour ne plus avoir à faire la guerre. Pour ne plus avoir même à y penser. Et en remettant sa défense entre les mains de l’Amérique, laquelle espionne sans vergogne ses protégés, qui ne protestent même plus. Le projet était viable tant qu’il y avait juste en face un ennemi mortel, ou jugé tel. Daech, c’est écœurant, épouvantable, mais 20 000 hommes dans un désert, sans aviation, sans drone, sans labos et sans usines, ce n’est pas le IIIe Reich ni l’Armée rouge. L’antiterrorisme, ça ne fait pas une identité, la chose est d’ailleurs préemptée et dirigée par Washington. Le mot d’Europe comme entité politique et non géographique apparaît dans les grimoires après Poitiers, puis après Lépante, face au Turc. L’affrontement, ça réveille. L’Iran, c’était loin. La Chine aussi.

[...]

— Depuis votre Éloge des frontières, votre position a-t-elle évolué ?

Nullement. Une frontière, c’est une ligne consentie, faite pour être franchie, à certaines conditions légales mutuellement agréées. La frontière est une conquête de la civilisation, et quand il n’y en a pas, c’est la loi du plus fort, qui dresse un mur, sans rien demander à personne. Une frontière peut mal tourner, mais l’absence de frontières, c’est la jungle assurée, tôt ou tard.

— Revenu de toutes vos illusions, c’est aussi un adieu à la politique que vous rédigez ?

En un sens, oui. Mais si c’était la politique au sens fort du terme qui nous disait adieu ? Et si c’était la fin d’un cycle ouvert chez nous par la Révolution et qui mettait une vision du monde au cœur des luttes pour le pouvoir, et non l’autodéfense d’une province, d’une dynastie, d’un groupe d’intérêts ou d’un taux de croissance ? La division gauche-droite, ça naît en 1789, avec pour ligne de partage une idée de l’avenir et de l’être humain. On s’en était bien passé pendant des siècles. Et tout ce qui est né mérite de périr. En tout cas, je ne dis pas adieu, mais bonjour à la laïcité, sur laquelle nous préparons avec un ami un petit guide pratique, très précis et utilitaire. Pour sortir du blabla cotonneux des valeurs et des bons sentiments. Le laïque, c’est du dur et du droit. Cela ne donne pas une raison de vivre, ce n’est pas la religion des sans-religion, mais ça permet, c’est déjà beaucoup, de respirer côte à côte sans s’entre-tuer.

dimanche 8 septembre 2013

France — Relativisme en cours d'« éducation civique »

 Dix questions portant sur le cours, classe de 5e (secondaire II), programme officiel français (éditions Hatier). Les instituts Marie-de-France et Stanislas à Montréal enseignent ce programme.


Passez l'épreuve (ne fonctionnera peut-être pas si vous avez un bloqueur de fenêtres surgissantes).

Site général de l'éditeur.





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vendredi 10 mai 2013

France — La morale laïque de Peillon, un ultra-moralisme obligatoire

Ruwen Ogien est un éthicien non chrétien que certains pourraient cataloguer comme un relativiste, non kantien ; il se dit « minimaliste ».

Il est intéressant de voir ce « moderne » chouchou des plateaux critiquer la « morale laïque » que le ministre socialiste français de l'Éducation, Vincent Peillon, veut imposer à l'école. Il lui reproche d’imposer une liste de commandements et de choses à faire ou ne pas faire.



Le projet de faire revenir la morale à l’école part du postulat que la morale peut s’enseigner au moyen de cours et d’examens, comme si c’était une connaissance théorique du même genre que la physique – chimie ou l’histoire – géographie.

Il ne tient pas compte du fait que ce postulat n’a rien d’une vérité d’évidence, et qu’il est disputé depuis l’antiquité. La morale peut-elle s’enseigner ? Et si son enseignement est possible, doit-il se faire de façon magistrale au moyen de cours et d’examens ? Ne consiste-t-il pas plutôt à montrer l’exemple, et à donner l’envie de le suivre ? Les examens de morale devront-ils vérifier, la connaissance de l’histoire des idées morales, celle des principes de la morale, ou la moralité des conduites de l’élève ? L’élève devra-t-il seulement montrer qu’il sait ce qu’est la vertu, ou devra-t-il prouver qu’il est devenu vertueux grâce au programme ?

Toutes ces questions philosophiques se ramènent en fait à une seule plus terre-à-terre : l’enseignement de la morale laïque devra-il ressembler à celui des sciences naturelles ou de la natation ? Savoir nager ne consiste évidemment pas à être capable de décrire les mouvements de la brasse sur une copie d’examen ! Et si apprendre la morale laïque, c’est comme apprendre à nager, si c’est la transformation des conduites de l’élève qui est visée, comment sera-elle évaluée ? En soumettant l’élève à des tentations (tricher, voler, mentir, tromper, etc.) pour voir s’il y résiste ? En instaurant une surveillance permanente des élèves en dehors de l’école par des agents spécialisés ? En construisant des confessionnaux « laïques » où l’élève devra avouer au professeur de morale ses péchés contre le « vivre ensemble » ou le « bien commun » ?


Extrait d'un film mettant en scène l'expérience de Milgram que Ruwen Ogien évoque

On peut retrouver chez Peillon la morale des devoirs chère au XIXe siècle.

Celle ci s’oppose à la morale aristotélicienne, qui subordonne le jugement sur les actes humains au fait qu’ils favorisent ou détruisent les bonnes relations entre les hommes et à la morale évangélique où le secours de la grâce divine permet de répondre aux exigences de la Loi divine.

Ruwen Ogien critique aussi dans la morale laïque à la sauce Peillon un moyen de « guerre contre les pauvres », de stigmatisation des banlieues et d’imposition d’un autoritarisme républicain.

Voir aussi

L'école doit-elle enseigner le bien et le mal ? La morale laïque ? Laquelle ? (vidéo)

Ministre socialiste français veut museler l'école dite catholique : elle doit être « neutre »

Pour le ministre de l'Éducation français, le socialisme est une religion




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