jeudi 22 janvier 2009

Nouvel informateur catholique : « L’apostasie tranquille, mine de rien ! »

Article tiré du dernier Nouvel informateur catholique.
À l’entrée dans une nouvelle année, l’heure est au bilan. Un examen de conscience — sociétal et ecclésial combiné — est de rigueur. Comment va la foi dans notre société ? La question renvoie à celle que Jésus s’est posée lui-même : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18.8). Si le retour du Seigneur était pour aujourd’hui, dans quel état trouverait-il le Québec ? Bien sûr, il rencontrerait des individus encore très croyants. Parlons plutôt de tendance, du courant qui emporte la foule, de l’orientation collective. Et là, force nous est de constater que durant 2008, notre peuple québécois a fait des pas de géant… non sur le chemin du progrès et de l’évolution authentique mais sur celui de la déstructuration sociale et de l’apostasie de la foi. J’exagère ? Ouvrir les yeux grands pour voir où on se dirige peut faire croire à du charriage. La vérité est là, pourtant, aux antipodes des analyses complaisantes du conformisme ambiant. La politique délétère de l’imposition par le gouvernement du cours d’Éthique et culture religieuse dans les écoles est un bon indicateur du marasme à tout point de vue dans lequel s’enfonce notre société, qu’on aime pourtant qualifier de « progressiste » et d’« avant-gardiste ».

Et le fait qu’une poignée de parents seulement — peu publicisés par les médias si ce n’est pour les dévaloriser en associant leur combat à un conservatisme rétrograde — osent résister aux diktats de l’État est symptomatique de l’enlisement social dans lequel nous sommes. Quant au silence de l’opinion publique, il en dit long sur l’apathie de notre peuple face à l’ingénierie sociale de l’État qui prétend arracher, sans vergogne et du même souffle, nos racines profondes et les précieuses valeurs de notre identité collective. Mais l’inégal combat de David contre Goliath ne fait que commencer. Le bras-de-fer imposé par l’intelligentsia gouvernementale peut encore avoir d’imprévisibles conséquences pouvant aller jusqu’à une « persécution tranquille » dans la foulée de la « révolution tranquille ». Déjà, des élèves ont été suspendus en représailles pour leur absence du cours d’ÉCR. L’on va jusqu’à brandir la menace de l’expulsion et de la prise en charge de l’enfant par la DPJ (Protection de la jeunesse) si les parents s’entêtent à retirer leurs enfants du programme. On croirait se retrouver dans une société totalitaire… ou sur le point de l’être. Et presque personne ne s’en scandalise. La plupart des ténors de la place publique font mine de rien. Lors de la dernière élection, on a fait taire, par la stratégie du ridicule qui tue, la seule voix qui a maladroitement critiqué la politique gouvernementale et réclamé un moratoire sur l’implantation forcée du programme. La chose surviendrait à Tombouctou que tout le monde s’indignerait. On se donnerait bonne conscience en dénonçant l’oppression d’outre-frontières au nom de la liberté démocratique. Mais quand c’est chez nous que ça se passe : rien !

C’est, dit-on, un combat « de droite ». Sous-entendu qu’on ne peut l’entériner quand, pour être bien vu et classé parmi les plus intelligents de la planète, on doive forcément se positionner « à gauche ». Au nom de la liberté de conscience, de la démocratie, de la neutralité de l’État, de l’égalité des citoyens devant la loi, des droits et libertés, etc. Incohérences et hypocrisie, s’il en fut ! Où est la démocratie quand le gouvernement s’arroge le droit de modifier, sans consultation publique, la Chartre québécoise des droits et libertés pour l’adapter à son agenda d’hégémonie sur les consciences afin de les plier aux intérêts de l’État ? Où est la tolérance envers toutes les cultures quand on bannit la sienne propre ? Où est la liberté quand on impose un programme scolaire plus que discutable aux parents [et aux enseignants] qui ne sont pas d’accord avec le relativisme philosophique qui le sous-tend ?

Une approche gravement erronée et déterminante qui, sous prétexte d’objectivité, présente le phénomène religieux sous l’angle d’un polythéisme (la croyance en une pluralité de dieux) absolument incompatible avec le monothéisme (la foi en un Dieu unique). Le programme fait ainsi bon accueil à tous les dieux… sauf au vrai Dieu. Certes, on peut reconnaître la bonne intention de l’État de former des citoyens ouverts aux autres cultures dans une société tolérante, respectueuse de toutes les minorités (sauf la minorité contestataire, bien entendu). Mais « l’enfer est pavé de bonnes intentions », comme l’affirmait sainte Thérèse d’Avila (excusez l’emploi du mot « sainte » qui, semble-t-il, pourrait heurter la sensibilité d’une autre culture — voir l’encadré en page 5 du numéro du 18 janvier 2008 : Mouton un jour, mouton toujours ?). On croit créer un climat social positif en invitant le futur citoyen à un super marché des religions pour favoriser sa liberté de choisir.

Il est fort à parier qu’il les rejettera toutes, soit qu’elles se présentent sous la forme de mythes dépassés et souvent risibles d’un point de vue scientifique, soit qu’elles sont trop exigeantes pour l’hédonisme contextuel. Par cette stratégie, on voudrait préparer le lit de l’athéisme et d’un néo-paganisme qu’on ne procéderait pas autrement. Ce n’est pas en faisant un inventaire objectif des rituels et des cultes des diverses religions qu’on parviendra à modeler le citoyen québécois idéal. On devrait plutôt favoriser la croissance de sa propre vie religieuse chrétienne, qui est à la racine de toutes les valeurs de citoyenneté chères à la laïcité. D’autre part, en regard du phénomène religieux, l’objectivité réclame de reconnaître que toutes les religions n’ont pas une égale valeur, même si ce fait entre en conflit avec la prétendue neutralité de l’État. Il y a dans la pensée religieuse de l’humanité une évolution comparable et parallèle au progrès des sciences positives. Sur une échelle comparative, c’est un fait objectivement démontrable que le christianisme se positionne au sommet et à la fine pointe de la démarche spirituelle de l’humanité, comme en témoigne dans tous les domaines les œuvres considérables et universelles qui découlent de la naissance de l’Église, il y a deux mille ans. La clef de cette fécondité provient principalement de ce que la religion du Christ présente un Dieu qui prend l’initiative de se révéler à l’humanité en s’incarnant dans une forme humaine. Ce n’est plus l’homme en quête de la divinité, comme dans le paganisme, mais, à l’inverse, Dieu qui vient à la recherche de l’homme pour le sauver du mal, de la souffrance et de la mort. Cette Révélation ne peut donc pas être présentée sur le même plan que les représentations folkloriques de divinités mythiques créées par l’imaginaire humain sans trahir radicalement son essence-même.

Comme peuple, nous avons eu la chance d’être formés par une religion surnaturelle. Pourquoi faudrait-il y renoncer sous le fallacieux prétexte de s’ouvrir aux mythes et superstitions des autres traditions ? Pour enseigner la tolérance ? Le christianisme n’est-il pas déjà exemplaire en regard du respect, de l’ouverture, de l’accueil du frère humain, quels que soient sa couleur, ses coutumes, sa religion, sa race, son ethnie, ses différences ? Et l’Église n’est-elle pas merveilleusement efficace dans son rôle d’éducatrice du genre humain ? N’est-elle pas la seule institution mondiale à détenir depuis deux millénaires une maîtrise en humanité ? Mais j’entends d’ici le rappel éculé de l’Inquisition.

Ne leur en déplaise, les laïcistes, qui camouflent leur apostasie sous la bonne conscience de l’ouverture aux autres, n’ont aucune leçon à donner à l’Épouse du Christ. Car c’est bien au nom d’une laïcité athée, dans les dernières décennies, que des guerres fratricides ont été enclenchées, des génocides perpétrés et des régimes totalitaires maintenus au prix de millions de vies humaines innocentes dans des goulags de la mort à petit feu, l’oppression des libertés civiles et le viol des consciences. Et ça continue encore de plus bel aujourd’hui !

Du monde à l’Église

L’affligeante cécité de nos élites actuelles, toutefois, n’est pas l’apanage du monde politique. L’aveuglement a aussi gagné nos leaders religieux. Les conséquences en sont d’autant plus dramatiques que c’est la mission de l’Église de jeter un éclairage évangélique sur les véritables enjeux en cours. Quand les pasteurs délaissent ou négligent cette responsabilité, les ténèbres gagnent en puissance dans la société. En entérinant complaisamment et sans trop sourciller le programme d’Éthique et de culture religieuse du gouvernement, notre vénérable assemblée épiscopale se fait hara-kiri. L’Assemblée des évêques catholiques du Québec n’a pas vu que la bureaucratie de l’État vise subrepticement le bâillonnement de l’Église dans le monde éducatif pour amener éventuellement sa disparition dans les nouvelles générations. On tue l’arbre en coupant ses racines. Il ne reste guère d’alternative aux parents qui voient clairs dans la stratégie des fonctionnaires gouvernementaux hostiles à l’Église. Abandonnés à eux-mêmes par leurs pasteurs, ils devront se marginaliser ou se résigner à la descente de notre peuple dans les obscurs dédales et impasses de la déstructuration sociale, de la décadence endémique et, finalement, de l’extinction. Tout de même, on ne devrait pas trop se laisser abattre par la trahison larvée de nos leaders religieux (sauf exception). Le flirt avec l’apostasie explicite de la foi qu’elle constitue résulte d’un mouvement de pensée dissidente qui n’aura pas le dernier mot mais gagne pour l’heure de plus en plus de terrain depuis quelques décennies dans les hautes sphères de notre Église nationale. Précisément depuis que le Concile Vatican II a été interprété par une faction très active et décidée, non comme un renouveau dans le prolongement de la spiritualité millénaire de l’Église mais comme une volte-face, une sorte de « reconversion » à l’esprit du monde. Ainsi, plutôt que d’enraciner l’aggiornamento (l’ouverture) dans la révélation fondamentale du Dieu incarné, certains érudits ont prétendu que le Concile visait non pas l’adaptation mais la conversion de l’Église au monde moderne. Si bien qu’ils en sont venus, en toute logique, à se « garocher » à plat-ventre devant l’idole du monde. Ils ont ainsi inversé les rapports. Ce ne serait plus le rôle de l’Église d’évangéliser le monde mais le monde devrait fournir à l’Église l’éclairage nécessaire à son évolution. La position adoptée par l’AÉCQ en regard de l’imposition comme matière obligatoire du programme d’ÉCR du gouvernement tient de cette vision des choses. L’analyse superficielle qu’en fait son document officiel ne relève pas d’une prise de position évangélique. On ne devrait pas trop s’en surprendre si l’on considère à quelle école appartiennent ses consultants. Ce sont pour la plupart des universitaires déjà vendus aux idées de la laïcité athée. Souvent des catholiques pratiquants, des religieux et des religieuses, des érudits compétents et imbus de savoir. On dit que le poisson commence à pourrir par la tête. Mais voilà un autre abcès qu’il faudra vider à une prochaine.