lundi 12 octobre 2020

Interdire « l’école à la maison » pour lutter contre l'islamisme : liberticide et inefficace

Pour Adeline le Gouvello, avocat française à la Cour, la décision d’Emmanuel Macron de limiter au maximum l’école à la maison est tout à la fois en décalage avec la réalité du terrain et contraire au Droit comme aux souhaits des parents. Rappelons que l’immense majorité des terroristes islamistes franco-belges sont passés par l’école publique ou contrôlée par l’État et n’ont pas été instruits à la maison… Il existe aussi désormais en France des lycées musulmans sous-contrat (subventionnés) affiliés à l'Union des organisations islamiques de France devenue Musulmans de France. En outre, la France est déjà un des pays qui contrôlent et limitent donc le plus le droit à une instruction à domicile.

La liberté, érigée au front de tous nos monuments républicains, deviendrait-elle bientôt lettre morte ? 

Avec constance et résignation, les Français ont accepté des réductions radicales de leurs droits et libertés dans le contexte sanitaire actuel. L’exécutif aurait-il pris le pli de régler une question, non en s’attaquant au problème, mais en supprimant les libertés qui s’y rattachent ? C’est ce qui semble être le cas avec les annonces faites par le président de la République vendredi dernier, pointant le « séparatisme islamiste » : « J’ai pris une décision forte, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882. » Le chef de l’État a assuré que l’instruction à domicile sera désormais « strictement limitée » à des « impératifs de santé ». L’annonce a consterné les familles des quelque 50 000 élèves scolarisés à domicile qui ne se reconnaissent nullement dans le tableau d’extrémistes religieux dépeints par le chef de l’État…

De telles affirmations dénotent en effet une profonde méconnaissance du terrain. L’instruction à domicile recouvre des réalités très diverses, des sensibilités multiformes et des raisons variées. De la phobie scolaire au souhait de pédagogies alternatives, en passant par la simple envie de transmettre soi-même à ses enfants, les facteurs de scolarisation à domicile sont multiples. Une chose est certaine en revanche : tous les élèves étant instruits à la maison font l’objet d’une déclaration auprès de la mairie et de l’académie, qu’ils soient rattachés à un cours par correspondance ou instruits selon des méthodes et une progression personnelle. Dès la première année puis tous les deux ans, ces enfants font l’objet d’une enquête administrative faite par le maire. Ils sont aussi soumis à des contrôles obligatoires annuels par les inspecteurs de l’académie dont ils dépendent (art. L 131-10 code de l’éducation). Ces inspecteurs contrôlent le travail qui a été effectué, font faire des tests aux enfants, se rendent au domicile pour s’assurer des conditions de mise en place de l’instruction à domicile. S’ils estiment que l’obligation d’instruction n’est pas remplie, ils peuvent mettre en demeure les responsables d’inscrire l’enfant dans un établissement d’enseignement privé ou public, l’absence de suite donnée à une telle injonction faisant encourir une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (article 227-17-1 du Code pénal). Il n’est donc clairement pas possible que ce mode d’instruction permette à des familles de générer des enfants « hors système ».


 

Au contraire, bien souvent, le niveau atteint par les enfants ainsi instruits est plus que satisfaisant : réaliser avec un enfant le programme d’une journée d’école se fait beaucoup plus rapidement qu’au sein d’une classe d’une trentaine d’élèves, ce qui permet d’avancer plus vite et laisse du temps pour d’autres formes d’apprentissage : sport, nature (jardin, animaux), visites culturelles, etc. Avec le confinement, bon nombre de parents l’ont bien compris. Si certains ont vu avec soulagement leurs enfants retrouver le chemin de l’école, d’autres, ayant assuré de près le suivi du travail scolaire et ayant eu à remplir le rôle de l’instituteur, se sont rendu compte de ce qui était exactement fait à l’école. Aspirant à une autre qualité de vie, plus connectée à la nature et respectueuse de l’environnement (vie à la campagne, sans conduites chronophages), ils ont choisi de transformer l’essai en instruisant leurs enfants à domicile. Ce facteur ne vient qu’accélérer un mouvement déjà amorcé : le nombre d’enfants scolarisés à domicile ne cesse de croître.

Le gouvernement serait bien mal venu de réagir ainsi et de critiquer les familles qui font le choix de l’école à la maison alors qu’il a imposé aux millions de familles françaises de le faire pendant des mois. Cette expérience a d’ailleurs rappelé un élément fondamental : au final, quoiqu’il advienne, quelles que soient les circonstances, ce sont bien les parents, et non pas l’État, qui se retrouvent à assumer leur enfant dans toutes les dimensions de leur vie… Les parents sont donc plus que fondés à choisir librement le mode d’instruction qui convient le mieux à leur enfant et leur famille.

Un projet contraire aux conventions internationales

Les textes fondamentaux de notre Droit ont d’ailleurs conçu les places respectives de l’État et des parents comme telles. L’article 27 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant énonce que « c’est aux parents ou aux autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant », rejoignant ainsi d’autres dispositions internationales, notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (« Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » art. 26,3), le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’État en matière d’éducation » art. 13) et le protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ailleurs jugé que cet article 2 du protocole additionnel implique pour l’État « le droit d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons particulières de qualité ». (CEDH, décision du 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n° 10233/83). La place des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, est donc expressément reconnue. De là, découle la responsabilité de poser les choix pour faire grandir son enfant vers ce qui semble le meilleur pour qu’il puisse « développer sa personnalité » et « sa formation » (art. 1 du code de l’éducation).

Une mesure qui porte atteinte aux droits des enfants

En outre et surtout, cette mesure porterait atteinte aux droits des premiers intéressés : les enfants puisque, comme il l’a été rappelé, c’est la convention internationale des droits de l’enfant, signée et ratifiée par la France, qui prévoit la place première des parents, la liberté de création d’établissements d’enseignement, et qui définit le contenu du droit à l’éducation comme étant le fait de « favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités », ce qui suppose une offre pédagogique diverse, les enfants devant être considérés dans leur diversité et pluralité.

Un projet contraire aux principes à valeur constitutionnelle

Le statut de l’enseignement en France s’est conformé à ces dispositions. Dès la loi du 28 mars 1882 (rendant l’école primaire obligatoire), la possibilité de remplir l’obligation scolaire en faisant donner l’instruction à l’école publique, privée ou dans la famille était prévue (mesure aujourd’hui codifiée à l’art. 131-5 du code de l’éducation). La loi Debré de 1959 a distingué trois types d’établissements : les établissements privés hors contrat, les établissements privés sous contrat simple ou sous contrat d’association avec l’État, et les établissements publics. Par la suite, la France a érigé la liberté de l’enseignement en principe à valeur constitutionnelle : le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 novembre 1977 a établi « que le principe de liberté de l’enseignement, qui a notamment été rappelé à l’article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931, constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réarmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ». Le Conseil d’État quant à lui a rappelé le « droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 19 juillet 2017, association les enfants d’abord, n° 406150 et avis du 29 novembre 2018).

Une attaque à une liberté à laquelle les Français sont attachés

Si le principe de la liberté de l’enseignement est fermement ancré dans notre ordonnancement juridique, à son plus haut sommet, il n’en reste pas moins que certains renâclent à le considérer comme tel et que, régulièrement, des tentatives sont mises en œuvre pour y faire échec. On se souvient encore de celle des années 80 ayant pour but de créer un « grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale ». Le projet de loi en 1982, qui visait la constitution d’« établissements d’intérêt public » (EIP) devant absorber les écoles privées, fut finalement présenté à l’Assemblée nationale dans une forme atténuée, mais ce n’est qu’à l’issue de manifestations massives que le gouvernement a reculé, alors que le principe de liberté de l’enseignement avait pourtant d’ores et déjà valeur constitutionnelle.

Aussi, l’exécutif aura beau jeu de prétendre qu’il entend respecter la liberté de l’enseignement en permettant aux parents de choisir entre l’enseignement public et l’enseignement privé. Il ne s’agit en réalité, ni plus, ni moins, d’une énième tentative de faire échec à la liberté constitutionnellement garantie : la restriction des libertés, qui fait passer de trois modes d’instruction possibles, à deux, n’est pas le respect de la liberté. La « liberté » suppose la possibilité d’un vrai choix (tant que les solutions choisies respectent l’instruction obligatoire). Placer les personnes face à deux solutions imposées n’implique pas une liberté véritable et, au surplus, on ne peut miser sur la certitude du maintien de ce pseudo-choix dans l’avenir, puisque, comme on le constate, les tentatives de suppression d’un enseignement au sein d’établissements autres que ceux des pouvoirs publics ont été observées au cours de ces dernières décennies.

Une mesure inefficace

En tout état de cause, la suppression pure et simple de l’instruction en famille paraît profondément injuste à bon nombre de parents qui respectent les lois et sont félicités par les inspecteurs de l’académie pour leur travail. Elle semble disproportionnée dans la mesure où, à cause d’un petit nombre qui ne respecte pas la loi, la liberté de tous est supprimée. À cet égard, il s’agit bien d’une mesure liberticide.

Elle le serait d’autant plus que, non seulement irrespectueuse de nos principes, elle serait inefficace : la loi offre déjà les moyens nécessaires pour lutter contre les dérives sectaires ou l’absence d’instruction adéquate. Il conviendrait ainsi avant toute chose de les mettre en œuvre. En effet, les personnes « hors système » visées par cette mesure ne se préoccupent pas de la loi : elles ne la respectent pas. Si l’État, aujourd’hui, ne réussit pas à faire respecter les règles existantes, comment le réussirait-il mieux demain ? Ce n’est pas d’un changement de règles, mais d’autorité dont il a besoin. Reconquérir cette autorité ne passe pas par un durcissement de la règle à l’égard de tous, mais par un contrôle et des sanctions à l’égard de ceux qui ne les respectent pas.

Le vrai problème semble donc se situer dans l’incapacité du gouvernement à faire respecter les lois par un petit nombre d’individus qui sont, semble-t-il, loin de constituer la majorité des familles ayant choisi l’IEF (Instruction en Famille). Sous couvert de lutter contre les excès de vitesse commis par certains, aurait-on l’idée d’interdire à tous de prendre sa voiture ? Il semble que dans un contexte « d’urgence sanitaire » ayant succédé à l’« État d’urgence », cette logique de suppression de la liberté, pour résoudre les problèmes, fasse son chemin… Il appartient aux parents d’exiger le respect de leurs droits et de ceux de leurs enfants, surtout lorsque, comme en l’espèce, « respect » rime avec « liberté »… Et il appartient à l’État de mettre les moyens nécessaires pour contrôler et faire exécuter la loi.