mercredi 14 septembre 2022

« La politique d'immigration irresponsable en Suède a contribué au succès inédit des droites »

Bouleversement politique ce mercredi en Suède. La Première ministre suédoise Magdalena Andersson a reconnu la défaite de la gauche et la victoire du bloc droite et de l’extrême droite aux élections législatives, après un comptage quasi complet des voix. En conséquence, la dirigeante sociale-démocrate a annoncé, au cours d’une conférence de presse, sa démission, qui sera officiellement présentée jeudi.

176 pour le bloc de droite, contre 173 pour le bloc de gauche

Billet du 13 septembre

Selon les premières estimations, la droite populiste, alliée avec la droite conservatrice, devrait l’emporter d’un souffle à l’issue des élections législatives en Suède. On ne connaîtra les chiffres définitifs que mercredi. Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, analyse ce résultat. Dominique Reynié est professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

LE FIGARO. — En Suède, une coalition de droite réunissant toutes les droites est sur le point remporter de peu les élections législatives.  Comment lire ce résultat dans un pays de tradition sociale-démocrate ?

Dominique REYNIÉ. — C’est indubitablement le prolongement des conséquences d’une politique irresponsable en matière d’immigration. Si la Suède est connue pour être la patrie de la social-démocratie, d’un État-providence très généreux, elle se caractérise surtout par son histoire migratoire.

De la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1990, ce pays accueillait, de façon modérée, une population immigrée venue de pays européens. Par la suite, la Suède a reçu sur son sol un nombre croissant d’immigrés, notamment issus de pays non européens, jusqu’à déstabiliser sa culture nationale. Et les gouvernements successifs, ainsi qu’une certaine classe médiatique, n’ont pas voulu considérer la réalité de ce problème.

M = droite traditionnelle, SD = droite populiste, S = sociaux-démocrates (gauche)
 
— Pourtant, la classe politique suédoise a opéré un virage à 180° sur la question migratoire ces dernières années. Cela n’a pas suffi ?

— Non, car ce problème a été ignoré pendant trop longtemps. Cette nouvelle population présente sur le territoire qui n’est pas intégrée, ou très mal intégrée fait désormais partie intégrante de la vie du pays. Ces difficultés d’intégration ne sont pas liées à un processus de ségrégation, de stigmatisation, mais elle est liée au faible niveau de diplômes de nombre d’une partie significative de personnes immigrées, principalement originaires de pays pauvres.

En 2005, au moment des émeutes dans diverses banlieues, la Suède ne comprenait pas ce qu’il se passait chez nous. Aujourd’hui, elle doit faire face à des trafics de drogue importants, une délinquance endémique et des guerres entre gangs rivaux. Plus marquants encore, les règlements de compte à coups de grenades sont devenus très courants. Ce pays a, en quelque sorte, a perdu aussi le contrôle de l’ordre public.

Conséquence : de nombreux Suédois adoptent un discours, sincère, de tolérance et louent le multiculturalisme, mais dans les faits, ils ne se mêlent pas aux immigrés extra-européens. Ils ne vivent pas ensemble, ne se marient pas entre eux. Ils vivent côte à côte et non ensemble.

 — La question migratoire est-elle la seule grille de lecture qui vaille pour comprendre le résultat de ce scrutin ?

— Non, la question migratoire et l’insécurité ne sont pas les seules explications à ce vote. La guerre en Ukraine, et la crise énergétique qui en découle, sont des éléments à prendre en compte. Toutefois, la progression des Démocrates de Suède [la droite populiste] dans les urnes est intimement liée à l’immigration. Il y a 20 ans, ce parti pesait 1,4 % des voix. Dimanche, près de 21 % des électeurs ont voté pour ce mouvement.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, à l’instar d’autres pays européens, la droite modérée suédoise est dépassée par une droite plus radicale. Et bien qu’il faille rester prudents, une alliance entre les Démocrates de Suède et la droite modérée n’est pas à exclure.

L’évolution des Démocrates de Suède est intéressante. Ce parti, historiquement constitué de forces d’extrême droite, est entré dans un processus de normalisation depuis quelques années. Désormais, il ne souhaite plus quitter l’Union européenne, il est favorable à l’État-providence, etc. À l’image du Rassemblement national en France.



 — À l’inverse, la gauche a obtenu un résultat historique à Stockholm, alors que la droite traditionnelle y recule nettement. Dans ce pays, y a-t-il une fracture entre les centres-villes, davantage acquis aux sociaux-démocrates, et le reste de la population ?

— Effectivement. Il est tout à fait étonnant de constater que cette géographie, cette sociologie électorale se retrouve dans de nombreux pays occidentaux. On l’a vu avec le Brexit, les électeurs de Trump, les populistes autrichiens, l’Italie, les Pays-Bas dans une certaine mesure. D’ailleurs, même la Turquie n’y échappe pas. On le constate en regardant la sociologie du vote Erdoğan. Ce phénomène ne semble pas près de s’arrêter. Il est en pleine expansion.


Reportage sur la guerre des bandes en Suède (Arte, très politiquement correct)

 

Source : Le Figaro

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