vendredi 20 décembre 2013

Pourquoi l'université coûte tellement cher aux États-Unis

Une autre année universitaire approche, le président Obama va donc bientôt commencer une autre tournée des campus du pays. « Il adore visiter les universités », explique Richard Vedder qui dirige le Centre d’accessibilité et de productivité universitaires à l’Université de l’Ohio. « Les universités permettent de s’abstraire de la réalité. Croyez-moi, j’y ai vécu pendant un demi-siècle. C'est comme vivre à Disneyland. Il s’agit de petites enclaves isolées d’irréalité. »

Le professeur Vedder, 72 ans, a enseigné l’économie appliquée aux universités depuis 1965. Au cours de la dernière décennie, il s’est forgé aux États-Unis une réputation d’éminent spécialiste dans le domaine de l’économie de l’enseignement supérieur, connaissances qu’il a partagées dans son livre de 2004 « Se ruiner avec un diplôme : Pourquoi l’université coûte trop cher. » Son analyse ne coïncide pas avec celle du président Obama.

Cette semaine, lors de sa tournée de rentrée universitaire en Pennsylvanie et dans l’État de New York, M. Obama a présenté un nouveau plan dont le but serait de rendre l’université plus abordable. « Si le gouvernement fédéral continue à investir de plus en plus d’argent dans le système », a-t-il fait remarquer à l’Université de l’État de New York à Buffalo, il y a deux semaines, et « si le coût augmente de 250 % » et « les recettes fiscales n’augmentent pas de 250 % » à « un moment donné, le gouvernement sera à court d’argent. »

Notons pour notre gouverne que M. Obama a donc admis qu’il existait une limite théorique à ce que le gouvernement fédéral peut dépenser, ce qui n’est pas évident quand on voit à quelle vitesse le déficit budgétaire augmente et à quel point le Trésor américain « pratique des assouplissements quantitatifs » (imprime de l'argent dans le langage des simples mortels).

Sa solution consiste, d’une part, à lier l’aide financière à la performance des universités par l’utilisation des subventions gouvernementales à la façon d’un « catalyseur à l’innovation » et, d’autre part, de faciliter le remboursement des dettes par étudiants. « En toute justice pour le président, certaines de ses idées sont décentes et même raisonnables », déclare le professeur Vedder, notamment quand il s’agit de fournir plus d’informations aux étudiants sur le coût d’une éducation universitaire et le taux d’obtention d’un diplôme dans une faculté donnée. Mais son plan ne fait qu’effleurer le problème et ne s’attaque qu’à « la partie émergée de l’iceberg. Il ne traite pas les causes fondamentales. »

Le coût d’une éducation universitaire n’a fait qu’augmenter malgré 50 ans d’interventions de l’État en apparence bienveillantes, selon M. Vedder, et le nouveau plan du président pourrait très bien exacerber cette tendance. D’après le professeur, le casse-tête que représente les coûts universitaires a commencé avec la Loi sur l’enseignement supérieur de 1965, une partie intégrante de la Grande Société de Johnson qui a distribué des bourses fédérales et des prêts à faible taux d'intérêt dans le but de rendre l’université plus accessible.

En 1964, l’aide fédérale aux étudiants n’était que de 231 millions de dollars. En 1981, le gouvernement fédéral dépensait alors 7 milliards de dollars pour les seuls prêts, un montant qui a doublé au cours des années 1980 et a presque triplé dans chacune des deux décennies suivantes pour atteindre quelque 105 milliards de dollars aujourd’hui. Les contribuables garantissent actuellement près de 1 billion (1000 milliards) de dollars en prêts aux étudiants.

Entretemps, les bourses et subventions (« grants ») sont passées de 6,4 milliards de dollars en 1981 à 49 milliards de dollars. En augmentant le nombre d’étudiants admissibles et en augmentant le montant maximum des bourses Pell (destinées aux étudiants de premier cycle nécessiteux) de 500 $ à 5350 $, le projet de relance de 2009 n’a fait qu’accélérer la transformation de l’éducation supérieure en un droit de la classe moyenne. Moins de 2 % des bénéficiaires de bourses Pell en 2007 provenaient de familles aux revenus entre 60 000 et 80 000 $ par an. Elles en constituent désormais environ 18 %.

M. Vedder fait valoir que cette croissance des subventions et des bourses a alimenté la hausse des prix : « Elle fournit un excellent prétexte aux universités pour augmenter leurs frais. »

De nombreuses universités, ajoute-t-il, utilisent les largesses fédérales pour financer la construction de logements universitaires dignes du Hilton et des infrastructures réminiscentes du Club Med. Stanford offre plus de cours de yoga que de Shakespeare. Fait que les parents dont les enfants inscrits à une « Formation de base » devraient garder à l’esprit : il est fort probable que le programme n’implique pas tant une étude rigoureuse des classiques, mais comporte plutôt de vigoureux exercices pour renforcer les fessiers et les abdominaux.

Princeton a récemment construit une resplendissante résidence étudiante au prix de 136 millions de dollars avec des fenêtres ornées de vitraux et une caverneuse salle à manger de chêne (payée en partie par un don déductible d’impôt de 30 M$ par la directrice de Hewlett-Packard Meg Whitman). Chaque chambre de la résidence universitaire revient à près de 300 000 $.

Les universités, ajoute le professeur Vedder, « sont dans le secteur du logement, l’industrie du divertissement, elles sont dans le secteur de l’hébergement, le secteur alimentaire. Diable, mon université dirige une agence de voyage que l’homme de la rue peut utiliser ! »

Pendant ce temps, les fonds de dotations universitaires sont exempts d’impôt sur leur revenu. Le fonds de dotations de 31 milliards de dollars de Harvard, qui a été financé par des dons déductibles d’impôts, est probablement le plus grand abri fiscal des États-Unis.

Certains dirigeants d’université sont également mieux payés que des P.D.G. Depuis 2000, l’Université de New York a prêté 90 millions de dollars, beaucoup d’entre eux à taux zéro et non remboursables, aux administrateurs et aux enseignants pour qu’ils s’achètent des maisons et des résidences secondaires dans la région huppée des Hamptons ou sur l’île Fire.

Les collèges ont également utilisé les torrents de dollars du contribuable pour embaucher plus de gestionnaires pour gérer leurs bureaucraties hypertrophiées et la prolifération de programmes multiculturels. L’Université de Californie compte 2.358 employés administratifs attachés au seul bureau de son président.

« Quasiment toutes les universités aujourd’hui ont un “secrétaire d’État”, un “vice-recteur aux études internationales” et un tas de spécialistes des relations publiques », ajoute M. Vedder. « Mon université dispose d’un coordonnateur au développement durable dont le message principal, pour autant que je sache, est d’aller dire aux gens d’acheter des aliments cultivés localement... Pourquoi ? Qu’est-ce qui cloche avec les tomates en provenance de Pennsylvanie par rapport à celles de l’Ohio ? »

« L’administration Obama s’est attaquée avec force aux universités à but lucratif depuis deux ou trois années », déclare M. Vedder. « Il est vrai que les taux d’abandon sont disproportionnellement élevés dans les établissements à but lucratif, mais il est également vrai que ces entreprises à but lucratif s’adressent précisément à la clientèle que M. Obama veut atteindre » : les minorités ethniques à faible revenu, dont beaucoup sont les premiers de leur famille à fréquenter un collège.

Aujourd’hui, seuls 7 % des diplômés des universités sont issus du quartile des plus bas revenus alors qu’ils étaient 12 % en 1970, lorsque l’aide fédérale était rare. Toutes les subventions gouvernementales destinées à rendre l’université plus accessible n’ont pas fait grand-chose pour cette population, affirme le professeur Vedder. Ces subventions n’ont pas non plus réellement amélioré les résultats des élèves ou les taux d’obtention de diplôme, qui sont d'environ 55 % dans la plupart des universités (taux favorable calculé avec une diplomation en six ans plutôt que les quatre ans habituels).

M. Vedder émet également des réserves quant à la proposition du président Obama de lier l’aide fédérale aux taux de diplomation, une des mesures de performance. « Je peux vous garantir dès maintenant, après avoir enseigné dans des universités pendant une éternité, que les universités feront tout leur possible pour amener les élèves à obtenir leur diplôme », dit-il en riant. « Si vous pensez qu’on assiste actuellement à une inflation des notes [voir étude sur le sujet], imaginez ce qui va se passer. Si vous laissez encore la moindre trace de buée sur un miroir, vous aurez un A. » [une distinction].

Il vaudrait mieux, indique M. Vedder, mettre en œuvre un examen national comme le GRE (Graduate Record Examination) pour mesurer ce que les élèves apprennent à l’université. Ce n’est pas à l’ordre du jour de M. Obama. Pour notre part, nous pensons que ces examens n’ont pas besoin d’être nationaux (le risque de mainmise de l’État et d’une homogénéisation étant trop grands), mais qu’il pourrait exister de tels examens organisés par différents organismes indépendants spécialisés.

Le président Obama ne cherche pas plus à s’attaquer à ce que M. Vedder croit être un problème fondamental : trop de jeunes vont à l’université. « Trente pour cent de la population adulte possède au moins un diplôme universitaire », fait-il remarquer. « Le ministère du Travail nous dit que seuls environ 20 % des emplois exigent un diplôme universitaire. Nous avons 115 520 concierges aux États-Unis avec une licence ou plus. Pourquoi encourager plus d’enfants à fréquenter l’université ? » « Douze pour cent des facteurs aux États-Unis ont désormais un diplôme universitaire. Faut-il un diplôme pour distribuer le courrier ? En 1970, seuls 3 % des facteurs étaient diplômés. » Est-ce que la distribution du courrier est devenue tellement plus complexe depuis qu'elle nécessiterait cette éducation universitaire ?

Le professeur Vedder voit des similitudes entre les politiques universitaire et immobilière du gouvernement qui a créé une bulle spéculative et causé la dernière crise financière. « En matière d’immobilier, le gouvernement a maintenu des taux d’intérêt artificiellement bas. Le gouvernement a poussé les gens peu qualifiés à s’acheter une maison. Aujourd’hui, on a de faibles taux d’intérêt sur les prêts étudiants. Le gouvernement encourage les enfants à aller à l’université alors qu’ils n’ont pas le niveau, comme il a encouragé les gens qui n’en avaient pas les moyens à acheter une maison. »



L'université, une arnaque ? (en anglais)
Naomi Schaefer Riley et Richard Vedder à l'émission de John Stossel

 

La bulle universitaire, précise-t-il, est « déjà en train d’éclater ». Elle se traduit par un nombre important de « diplômés chômeurs ou sous-employés fortement endettés ». La somme moyenne des prêts étudiants encore à rembourser est de 26 000 dollars, mais pour de nombreux diplômés, en particulier ceux qui ont suivi une formation de profession libérale, elle s’élève à plus de 100 000 $.

M. Obama veut permettre à davantage d’étudiants de s’acquitter de leurs dettes en plafonnant leurs paiements mensuels à 10 % de leur revenu discrétionnaire et en effaçant le solde impayé 20 ans après l’obtention de leur diplôme. Les diplômés à l’emploi du gouvernement ou d’une association à but non lucratif peuvent déjà se libérer de leur dette après une décennie.

« Faut-il comprendre que travailler pour le secteur privé est mauvais alors qu’être fonctionnaire est une bonne chose ? Je ne vois pas ce qui permet de pratiquer cette discrimination&nbsp:», dit M. Vedder. « Si je devais émettre une suggestion, je ferais exactement l’inverse. » Rappelons que le gouvernement est un des principaux employeurs des diplômés universitaires et qu'ils y sont bien payés.


Joseph Epstein et Andrew Ferguson discutent de l'état de l'éducation universitaire en sciences humaines et en lettres (en anglais)


Il ajoute que la méthode préconisée par le président Obama « crée un risque moral ». Quel signal envoie-t-il aux emprunteurs de prêts en cours et à venir si ce n’est qu’ils ne doivent pas prendre trop au sérieux leur obligation de rembourser leur emprunt ? Qu’il n’est pas trop important de chercher un boulot bien rémunéré pour rembourser son prêt ? Il subventionne « les diplômes en sociologie et en anthropologie plutôt que ceux en mathématiques ou en génie. »

L’éducation en ligne, qui est expérimentée dans certaines disciplines scientifiques, permet-elle de réduire considérablement les coûts ? « Pour l'économiste Vedder, c’est possible, mais le gouvernement n’innovera pas. Rappelons que l’histoire des ministères de l’Éducation, notamment au primaire et au secondaire, est jonchée de projets d’expérimentations, de projets d’innovation et de multiples propositions pour réinventer la manière d’enseigner depuis des décennies. Et qu’est-ce que cela a donné ? Les élèves américains apprennent-ils plus aujourd’hui qu’il y a une génération ? Apprennent-ils à un moindre coût qu’il y a une génération ? La réponse est non. »

« L’Innovation, déclare-t-il, est alimentée par des entrepreneurs comme Stanford Computer Science professeur Sebastian Thrun, qui a fondé l’entreprise commerciale Udacity qui offre des CLOM (pour cours en ligne ouverts et massifs). [Voir aussi article sur Salman Khan]. M. Thrun a commencé à enseigner l’intelligence artificielle, d’abord à Stanford puis à Udacity. M. Vedder note que 200 000 personnes se sont rapidement inscrites à ces cours. C’est un merveilleux programme et les gens apprennent énormément. »

Le gouvernement peut se rendre utile, ajoute M. Vedder, en ne gênant plus et en encourageant les organismes d’accréditation qui traînent les pieds. En fin de compte, la manière de rendre l’université plus abordable est pour le gouvernement de se retirer du financement des études universitaires et de sevrer les étudiants des subventions gouvernementales.

M. Obama est fermement opposé à cela. « Il veut conserver ce monde » irréel où la demande est insensible aux coûts, de soupirer M. Vedder. « Ce monde doit changer. »

Source

Voir aussi

La bulle universitaire aux États-Unis va-t-elle crever ?

Mark Steyn et l'université américaine

Recension de Economic Facts and Fallacies de Thomas Sowell

États-Unis — Diplômés et surendettés







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