Le site de l’association SOS Éducation. L’Éducation nationale ouvre ses portes aux associations LGBT et intégrationnistes, mais fait tout pour faire disparaître celles qui militent contre le déclassement scolaire ?
Dans le viseur de l’administration fiscale depuis cinq ans, SOS Éducation, une association militant pour l’amélioration du système éducatif français, a écopé d’une amende de près de 1,6 million d’euros.
Un cas d’école de mise à mort politique par étranglement financier.
Mieux vaut ne pas contester la doctrine de l’Éducation nationale : c’est la leçon que retiendra SOS Éducation. Si toutefois elle survit aux sanctions du fisc. Fondée en 2001 par des professeurs et parents d’élèves alarmés par les premières chutes françaises dans le classement PISA, l’association à but non lucratif paie aujourd’hui un lourd tribut à son engagement.
À l’origine de la pétition contre l’écriture inclusive qui donnera naissance à la circulaire Blanquer, SOS Éducation nage à contre-courant, et défend depuis vingt ans « une école loin de toute idéologie, qui respecte les choix des parents en matière d’instruction et l’autorité des professeurs, et qui permette notamment aux enfants issus de milieux défavorisés d’avoir accès à une instruction de qualité ». Un combat qui n’a pas l’air de plaire à tout le monde.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente de mettre des bâtons dans les roues de SOS Éducation. Au bas mot. Menaces téléphoniques, mobilisation d’huissier pour freiner son action, les sapeurs ont déjà tout tenté. Jusqu’à la falsification de documents pour enrayer le conseil d’administration. « Le projet était d’infiltrer l’association pour y prendre le pouvoir et la vider de sa substance », témoigne Sylvain Marbach auprès de Valeurs actuelles. L’actuel président de l’association était en première ligne : il avait alors dû démissionner de son poste de trésorier, du fait de pressions et manipulations internes. « Nous essayons d’améliorer le système éducatif, pour des millions d’élèves, pour tous les Français… Mais une bonne action ne reste jamais impunie », sourit-il.
À terme, l’entreprise de sabotage interne s’avère être un échec. Alors ses détracteurs tentent de faire condamner l’association. Après le dépôt d’une plainte auprès du procureur de la République vient une dénonciation calomnieuse à la Cour des comptes. La première est classée sans suite. La seconde entraîne trois contrôles sur une durée totale de plus de trois ans. S’engagent alors des fouilles à répétition — jusqu’à trois fois par semaine. « C’était absurde : dans les locaux, il y avait plus de contrôleurs que de salariés », soupire Sophie Audugé. Tout juste nommée, la nouvelle déléguée générale de l’association subit un accueil on ne peut plus rude. « Nous recevions des courriels très lourds, détaille Sylvain Marbach : des milliers de documents, des avalanches de questions dès six heures du matin, jusqu’à 22 heures trente, et durant les vacances, et la veille de Noël… C’était tout simplement du harcèlement. ».
Malgré tout, SOS Éducation coopère, espérant que la transparence leur permettra de tourner cette page au plus vite. Pour contrôler la modeste association de sept salariés, on mobilise jusqu’à la brigade d’intervention rapide de la direction générale des enquêtes fiscales. Un spécialiste des systèmes d’information et d’analyses de données, en détachement de l’armée pour l’occasion, est missionné.
Si l’équipe de contrôle ne trouve rien, on en change dans l’espoir de trouver quelque chose. Tout est passé et repassé au peigne fin. On finit par dénicher un compte bancaire à l’étranger non déclaré… « Un compte PayPal, pour collecter les dons en ligne », soupire Sylvain. La montagne accouche d’une souris.
Pionnier de l’accompagnement et du conseil des associations non lucratives, Me Xavier Delsol n’en revient pas : « En quarante ans de spécialisation en droit fiscal, je n’ai jamais vu ça. Un cumul de contrôles aussi sévères, dans une telle ambiance de suspicion et de haine, pour une si petite association, c’est inédit. » La pression n’est pas sans effet. « Il est certain que l’acharnement administratif subi par SOS Éducation a eu raison de ma stabilité émotionnelle », confie Sylvain. À bout, n’en dormant plus, il a été contraint de mettre son activité professionnelle entre parenthèses, se privant de deux ans et demi de salaire. « Pour vivre, j’ai vidé l’épargne prévue pour les études de mes enfants », souffle-t-il. Et d’ajouter : « Cette affaire m’a volé cinq ans de vie, personnelle, familiale et professionnelle. »
Pour comprendre les dessous de l’affaire, il faut remonter vingt ans en arrière. En 2002, la jeune association met un point d’honneur à refuser toute subvention, pour demeurer indépendante. Ne lui reste qu’à espérer être éligible au mécénat, afin que les dons défiscalisés puissent nourrir son travail. SOS Éducation s’en enquiert auprès de l’administration fiscale : cette dernière lui renvoie un rescrit positif, entérinant sa capacité à émettre des reçus fiscaux. Quelques mois se passent, et l’association a grandi. Elle en tient informée l’administration fiscale, et veut s’assurer que le rescrit vaut toujours. Trop bonne élève, elle ne sait pas encore que ce zèle précipitera sa perte.
Le dossier, intégralement reconstitué pour l’occasion, est perdu dans les méandres de l’administration. À deux reprises. Puis, silence radio durant quatre ans, malgré les relances de l’association. Or, les lois en vigueur à l’époque sont claires : l’absence de réponse administrative en six mois vaut approbation. SOS Éducation peut dès lors se satisfaire de cette validation tacite et poursuivre son activité, sans craindre aucun redressement. C’est sans compter la cabale politique qui ne fait que commencer.
Une enveloppe parvient aux locaux de SOS Éducation. Elle renferme une correspondance entre Luc Chatel et Éric Woerth, qui s’y opposent fermement à la demande de l’association. Peut-être le ministre de l’Éducation n’appréciait-il pas les vives critiques formulées par l’intéressée à l’encontre de sa réforme scolaire. « Qu’importe, n’en tenez pas compte », tranche Me Delsol, conseiller de l’association. Et pour cause : le texte, simple échange interministériel, ne présente aucune valeur juridique, et ne peut assurément pas faire office de réponse administrative, d’autant qu’il ne peut faire l’objet d’aucun recours puisqu’il n’est pas adressé à l’association elle-même.
Et pourtant. Les contrôleurs fiscaux ressortent la poussiéreuse lettre du placard. Malgré ses airs d’intimidation politique, l’administration y voit une réponse officielle de sa part, dix-neuf ans après le dépôt du premier dossier. Et de remettre en cause tant d’années de perception de dons. Un fait du prince qui n’inspire qu’ironie à Me Delsol : « Si un ministre dit à sa concierge que les Restos du cœur ne sont pas une association à mission sociale, faut-il sanctionner Coluche ? »
Rien n’y fait : le couperet tombe. SOS Éducation perd son droit au mécénat et écope d’une amende exorbitante — l’équivalent de trois ans de recettes. « Tout au long de cette affaire, Bercy avait la possibilité d’être de bonne foi, de reconnaître son erreur et de clarifier la situation », s’exaspère Me Delsol. « S’ils ne voulaient pas tuer la structure, ils auraient négocié. Ce dossier n’est rien d’autre qu’une affaire politique : quand on ne peut pas vous parasiter de l’intérieur, ni vous dissoudre, on vous coupe les vivres », ajoute-t-il.
Soudain, le nœud de l’affaire se resserre. Contraint de reconnaître le travail d’intérêt général de SOS Éducation, l’État nie sa dimension éducative. Les inspecteurs des impôts sont formels : pour être considéré « éducatif », il faut produire de l’enseignement. Une interprétation très restrictive de la loi, absolument inédite : « Le Bofip (Bulletin officiel des finances publiques, NDLR) reconnaît bien les associations de parents d’élèves, qui n’ont pourtant elles-mêmes aucune activité éducative, mais protègent l’intérêt des enfants, tout comme SOS Éducation », rétorque Me Delsol. « Faudrait-il trouver des baleines dans le bureau du WWF pour lui reconnaître sa mission de protection des espèces animales ? », renchérit Sophie Audugé.
Voilà plus de vingt ans que SOS Éducation se donne pour mission de défendre « une école qui instruit, où il n’y a pas la place pour l’idéologie, qui respecte le choix du mode d’instruction des parents et l’autorité de ses professeurs ». En d’autres termes, SOS Éducation défend l’instruction ; seulement, pas celle que vante l’Éducation nationale. C’est là que le bât blesse. Pour son président, le sort réservé à l’association est de mauvais augure : « Ce qui est en jeu ici, c’est bien entendu et avant tout la liberté d’association et la liberté d’expression. C’est une jurisprudence dangereuse, la porte ouverte à la mise à mort arbitraire d’autres associations indépendantes. » De quoi craindre que l’État verrouille sa doctrine éducative, loin de toute contradiction citoyenne.
Ambitionnant un rôle de garde-fou de l’école publique, SOS Éducation se revendique « non partisane, non confessionnelle et à l’écart des syndicats ». Bercy, pour sa part, lui prête un esprit « inspiré ». Comprenez « militant ». Un argument qui laisse perplexe, quand on sait que les associations LGBT ont, elles, pignon sur rue. « Elles sont subventionnées, présentent comme faits scientifiques des théories idéologiques, et interviennent dans les écoles avec le blanc-seing de l’Éducation nationale », déplore Sophie Audugé. Mais SOS Éducation communie à la mauvaise chapelle. Il faut tuer le chien. Alors, le rapport provisoire de la Cour des comptes l’accuse d’avoir la rage, et insinue que l’association jouirait d’un soutien du Rassemblement national. « Effectivement, Marine Le Pen nous a écrit une fois », se souvient Sylvain Marbach… « via son avocat, qui menaçait de nous attaquer pour diffamation ».
L’association, qui dénonce un traitement inédit et une rupture d’équité entre contribuables vis-à-vis de l’impôt, n’est pas seule à avoir soulevé ce lièvre. Dans un référé de décembre 2020, la Cour des comptes elle-même épinglait des pratiques de l’administration fiscale non déclarées au Bofip. Son président, Pierre Moscovici, dénonçait alors cette doctrine d’appréciation des associations dites « à contenu idéologique ». « Elle repose sur des bases juridiques fragiles, laissant une large part à l’appréciation, parfois subjective, de l’administration », avertit le référé. Qu’à cela ne tienne : « les observations de la Cour […] me laissent perplexe », répond Jean Castex.
« Malgré nos désaccords, on a longtemps pu continuer à discuter avec l’Éducation nationale, se souvient Sylvain Marbach. À partir de 2017, c’est autre chose… » SOS Éducation est loin d’être la seule association constatant une rupture du dialogue avec les différents gouvernements de l’ère Macron. « Ils ne s’attaquent pas à SOS Éducation, assure Sophie Audugé, mais à sa clairvoyance évidente depuis vingt ans. » L’effondrement du niveau de l’école publique, nié par ses seuls responsables, lui a donné raison.
Exclue du champ du mécénat depuis août 2020, SOS Éducation a perdu près de 50 % de ses dons en trois ans. Ajoutez à cela 1,6 million d’euros de redressement et d’amende, et c’est la « mise à mort par asphyxie financière », assure Sophie. L’association a été contrainte de fermer ses locaux et de licencier deux tiers de ses effectifs. « On a envisagé de mettre la clé sous la porte, et de léguer ce qui nous reste à une association qui mène le même combat que nous, défendre l’école de Jules Ferry, souffle la déléguée générale… Avant de réaliser qu’il n’y en avait pas. »
Ils ne sont aujourd’hui plus que deux salariés à tenter de défendre ce qu’il reste de la seule association soucieuse de l’enseignement public français. « Si on avait cru en la Justice, on serait morts aujourd’hui, conclut gravement Sylvain Marbach. À moins d’une mobilisation citoyenne, nous ne tiendrons encore qu’un an, maximum ».