dimanche 20 juillet 2008

Espagne — La Cour supérieure de justice de La Rioja reconnaît également le droit à l’exemption au cours d’Éducation à la citoyenneté


Dans un jugement prononcé le 8 juillet, la Cour supérieure de justice de La Rioja (Nord de l’Espagne) a exempté les enfants des requérants de suivre le cours d’Éducation à la citoyenneté et empêche qu’ils soient évalués en cette discipline. Cette décision a été suivie d’une autre similaire le 16 juillet. Ces deux jugements portent le nombre de parents dont les enfants seront dispensés dans la communauté autonome de La Rioja à quatorze.

Le programme d’Éducation à la citoyenneté contrevient à deux articles de la Constitution

Selon le jugement, le programme d’Éducation à la citoyenneté contrevient aux articles 16 et 27 de la Constitution espagnole.

L'article 16.1 garantit « la liberté idéologique, religieuse et de culte des individus et des communautés, sans autres limitations, quant à ses manifestations, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi. ». Pour sa part, l'article 27.3 établit que « Les pouvoirs publics garantissent le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent la formation religieuse et morale en accord avec leurs propres convictions. »

Dans leur décision, les magistrats invoquent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme :
« C'est en s'acquittant d'un devoir naturel envers leurs enfants, dont il leur incombe en priorité d’« assurer [l']éducation et [l']enseignement », que les parents peuvent exiger de l'État le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Leur droit correspond donc à une responsabilité étroitement liée à la jouissance et à l'exercice du droit à l'instruction. »
[Arrêt Folgerø et autres c. Norvège du 29 juin 2007]

« Par conséquent, le droit fondamental des parents – inscrit à l'article 27.3 de la Constitution qui précise que leurs enfants reçoivent la formation religieuse et morale en accord avec leurs propres convictions – interdit ce type d'intervention de la part de l’État : qu’il s’agisse de l'imposition de critères moraux ou de l'endoctrinement idéologique » poursuit le texte du jugement.

Parents ayant gagné leur procès et obtenu le droit de retirer leurs enfants du programme d'EC

Distinction spécieuse entre l’éthique publique et l’éthique privée

D'autre part, les juges affirment que « la prétendue dualité entre l’éthique publique et l’éthique privée n'a pas le moindre fondement constitutionnel ». Ils ajoutent : « La conduite humaine de chaque personne est régie par les normes d'une seule éthique en fonction de laquelle chaque personne jugera moralement chacune de ses actions ». Et c’est pour s’en assurer que l'article 27.3 de la Constitution espagnole rappelle le droit des parents de décider de la formation morale de leurs enfants, car c’est à ceux-ci que revient la fonction de les éduquer – article 154 du Code civil – afin de développer leur personnalité.

L'article 27.2 de la Constitution dispose que l’« éducation aura pour objet le plein épanouissement de la personnalité humaine, dans le respect des principes démocratiques de vie en commun et des droits et libertés fondamentales. »

La Constitution n’opère pas une distinction entre, d’une part, une « éthique publique » qui serait protégée par l’article 27.2 et, d’autre part, une « éthique privée » qui serait protégée par l'article 27.3. L'article 27.2 autorise l’élaboration d'une éducation à la citoyenneté pour autant qu’elle respecte les principes démocratiques de coexistence et les droits et libertés.

Le tribunal fait donc valoir que « Les cadre (ou la portée) des articles 27.2 et 27.3 de la Constitution espagnole (CE) n'est pas respectivement celui d'une morale publique et une morale privée à mettre en parallèle. Bien, au contraire, l'article 27.2 ne fait référence qu’au respect des principes démocratiques de coexistence et aux droits et libertés fondamentales, mais ces principes, droits et libertés ne sont rien d’autre qu’une partie de ce qu’on nomme la morale publique. Et si on admet ce concept, le cadre de l'article 27.3 de la CE englobe alors la morale publique dans tout ce qui n’est pas compris par ce « dans le respect des principes démocratiques de vie en commun et des droits et libertés fondamentales » et il comprend donc également la morale privée au complet. 

Le programme d’Éducation à la citoyenneté dépasse le cadre constitutionnel

Après avoir cité l'Avis du Conseil d'État 2234/2006, les juges font remarquer que « la diffusion par l'État à l’aide du système éducatif de valeurs qui ne figurent pas dans la Constitution ou qui ne sont pas une condition ou un corollaire indispensable à l'ordre constitutionnel, contrevient à l'article 27.3 qui, en garantissant le droit des parents de choisir l’éducation religieuse ou morale de leurs enfants en accord avec leurs convictions, « délimite un domaine de liberté privée où il est interdit au pouvoir public d’imposer quelle formation idéologique que ce soit. » (Arrêt du Tribunal constitutionnel 276/1983) »

Un des excès par lequel pêche le programme EC est celui de l'apprentissage de la théorie du genre qui affirme que l’on forme sa propre sexualité : on devient homme, femme; on ne naît ni homme, ni femme. Il s’agit donc de l'idéologie de la construction sociale du rôle sexuel, cette théorie sert souvent à légitimer l’homosexualité et la transsexualité. « La diffusion par l'État à travers le système éducatif de l'idéologie dite du genre contrevient à l'article 27. 3 » pour les mêmes raisons exposées au paragraphe ci-dessus.

L'État enfreint la neutralité imposée par la Magna Carta

Pour ce qui est de la neutralité imposée à l'État, le jugement affirme qu’« elle découle également de la non-confessionnalité de l’État (article 16.3 de la Constitution espagnole), qui l'oblige à ne pas endoctriner, c'est-à-dire à ne considérer officielle aucune doctrine morale, éthique, religieuse ou humaniste et qui l’empêche de la transmettre par le système éducatif public lequel doit être objectif et pluriel dans la transmission des connaissances et des savoirs ».

« De même, le devoir de neutralité de l'État », poursuit le texte, « l’empêche de chercher à connaître l’idéologie, la religion ou les croyances des élèves (article 16.2 de la Constitution espagnole) » alors que le programme d’EC rappelle sans cesse que l’élève doit « montrer », « manifester » et « expliquer » qu’il sait écouter, résoudre les différends pacifiquement, éprouver de l’empathie et du respect pour les différences de tous et n’exhibe pas de stéréotypes sexistes.

La CSJR considère que, par le biais du programme d’Éducation à la citoyenneté (précisés par les arrêtés royaux sur le régime pédagogique pour l’école primaire, l’école secondaire et le CEGEP, l'État enfreint ce principe de neutralité, car au travers de ce qu’il nomme l’« éthique civique », ce programme ne s’intéresse pas uniquement à la conduite publique, mais qu’il aborde également des questions comme l'« éducation affective émotionnelle », « la reconnaissance des sentiments propres et étrangers », « les questions de l'être humain », « l'intelligence, les sentiments et les émotions », « les relations interpersonnelles », « les préjugés », etc., en imposant des normes morales comme « valeurs universelles ».

La volonté d’endoctrinement de l’EC

Selon le tribunal, le développement réglementaire de la Loi organique sur l’éducation (arrêtés royaux 1513/2006, 1631/2006 et 1467/2007) « démontre que le programme d’EC contient une formation morale et sa volonté délibérée de produire chez l’élève une conscience morale concrète, nommée « conscience morale civique », laquelle serait un type de morale publique, en leur imposant comme normes morales une série de valeurs concrètes choisies par l'État à un moment historique donné, a pour effet d’endoctriner « tous les citoyens dans des valeurs et des vertus civiques », puisqu’il essaie d’enseigner et d’imposer des comportements liés à une morale concrète, non « neutre », qui sous-entend une éthique civique ou publique différente de l’éthique personnelle ».

Pour la Cour, les arrêtés royaux qui précisent et rendent obligatoires le programme d'Éducation à la citoyenneté sont contraires au Droit, bien que cette illégalité ne puisse être déclarée que par la Cour suprême, puisque ces arrêtés émanent du Conseil des ministres.

Opinion minoritaire contre la résolution de la Cour de La Rioja

Seuls deux des trois magistrats de la Cour ont signé le jugement. Le troisième magistrat a émis une opinion dissidente estimant que le recours des parents aurait dû être rejeté, car, même si le programme a une dimension morale, il n’y existe pas de volonté d'« endoctrinement ».

Le juge minoritaire poursuit : « L'état ne prétend imposer aucun type de morale concrète contrairement à ce qu’affirme le jugement, ces contenus font partie de l'éthique civique comprise comme un ensemble de valeurs et de principes moraux partagés par toute société pluraliste au niveau moral. »

« Il s’agit d’une éthique minimale. Il ne s'agit pas d'imposer une idéologie commune à tous les citoyens », c’est pourquoi « le tribunal aurait dû rejeter le recours », soutient le juge dissident.

Kjeldsen et autres c. Danemark en 1976

Les juges de La Rioja ont cité à plusieurs reprises l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Folgerø et autres c. Norvège du 29 juin 2007. Celui-ci se réfère à une autre affaire Kjeldsen et autres c. Danemark en 1976. Les familles danoises requérantes de l’époque s’opposaient pour des raisons religieuses à l’éducation sexuelle obligatoire que le Danemark avait imposée dès l’école primaire publique. La Cour européenne avait à l’époque débouté les parents argüant que le programme d’éducation sexuelle était scientifique, exempt d’endoctrinement et fondé sur une volonté de santé publique à savoir limiter les grossesses précoces.

Citons les extraits repris par les juges de La Rioja :
« En particulier, la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 n'empêche pas les États de diffuser par l'enseignement ou l'éducation des informations ou connaissances ayant, directement ou non, un caractère religieux ou philosophique. Elle n'autorise pas même les parents à s'opposer à l'intégration de pareil enseignement ou éducation dans le programme scolaire, sans quoi tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, p. 26, § 53).

h) La seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 implique en revanche que l'État, en s'acquittant des fonctions assumées par lui en matière d'éducation et d'enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d'endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents. Là se place la limite à ne pas dépasser (ibidem). »

[…]

« Au demeurant, l’État danois réserve une importante ressource aux parents qui, au nom de leur foi ou de leurs opinions, désirent soustraire leurs enfants à l’éducation sexuelle intégrée : il les laisse libres soit de les confier à des écoles privées astreintes à des obligations moins strictes et, du reste, fortement subventionnées par lui (paragraphes 15, 18 et 34 ci-dessus), soit de les instruire ou faire instruire à domicile, sauf à subir les sacrifices et inconvénients indéniables qu’entraîne le recours à l’une de ces solutions de rechange. »
Le juge dissident Verdross s’opposera en 1976 à cette décision qui ne répondait pas, selon lui, à l’accusation de discrimination pour raisons religieuses en ces termes :
« D’autre part, on ne peut pas méconnaître que l’instruction dans une école privée, même subventionnée par l’État, et l’enseignement à domicile entraînent toujours pour les parents des sacrifices matériels. Si donc les requérants n’avaient pas la faculté de faire dispenser leurs enfants de suivre les cours en question [à l’école publique], il existerait à leur détriment une discrimination non justifiée, interdite par l’article 14 de la Convention [européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales], par rapport aux parents dont les convictions religieuses et morales sont conformes à celles du législateur danois. »


Jugement complet de la CSJR rendu à Logroño le 8 juin 2008, en castillan (31 pages)