lundi 24 juillet 2023

24 juillet 1967, le Gal de Gaulle remonte la Chemin du Roy et prononce « Vive le Québec libre ! »

Il y a 50 ans aujourd’hui, lundi le 24 juillet 1967 décrété jour férié, le Président de la République française, le général Charles de Gaulle parcourrait le « Chemin du Roy » de Québec à Montréal en compagnie du Premier Ministre Daniel Johnson, père, et d’un long cortège. À 19 h 42, le président français apparaît au balcon de l’hôtel de ville de Montréal devant 15.000 Québécois. C'est là qu'il prononcera son célèbre « Vive le Québec libre ! »

Le général de Gaulle à Trois-Rivières le 24 juillet 1967

Extraits de l’article de Christian Rioux à cette occasion dans le Devoir :

C’était il y a 50 ans à peine. Le 23 juillet 1967, le général de Gaulle débarquait à l’Anse-au-Foulon pour une visite de trois jours qui allait changer la face du Québec. Entre Paris et Montréal, Le Devoir retrace la genèse de ce moment aujourd’hui inscrit dans tous les livres d’histoire. Premier article d’une série de trois.

Ce matin-là, Jean-Paul Bled était à Saint-Malo. On n’imagine pas un lieu plus symbolique pour apprendre que, la veille, le général de Gaulle a provoqué tout un branle-bas de combat diplomatique en lançant « Vive le Québec libre ! » du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967. « En plus, c’était le jour de mon mariage ! dit l’historien. Le moment resta gravé à jamais dans ma mémoire. »

Mais au fond, dit-il, ce geste n’avait rien de si étonnant. Il était dans le prolongement direct de ce qu’avait été le général de Gaulle depuis qu’il avait pris la direction de Londres et lancé l’appel du 18 juin 1940, devenant ainsi le symbole vivant de la Résistance française.

[...]

L’homme qui débarque au Québec en 1967 pour payer la dette de Louis XV n’est pas seulement le libérateur de la France. Il n’est pas seulement le président revenu au pouvoir en 1958 pour sortir le pays de la guerre d’Algérie. À cette date, il est devenu un véritable symbole de la lutte anticoloniale.




[...]


À partir de 1958, les événements vont se précipiter. Avant même la fin de la guerre d’Algérie, la France se dote de l’arme nucléaire, ce qui assure son indépendance militaire des États-Unis. En 1964, elle reconnaît la Chine populaire. La même année, de Gaulle enfreint la doctrine Monroe qui veut que, du nord au sud, l’Amérique demeure une chasse gardée des États-Unis. Le général fait un voyage triomphal en Amérique latine, où il est reçu et acclamé en « Libertador ». Un an seulement avant de fouler le sol québécois, la France se retire du commandement intégré de l’OTAN sans pour autant condamner l’alliance atlantique. Mais ce que de Gaulle rejette, c’est la domination militaire américaine. La même année, il prononce son célèbre discours de Phnom Penh contre la guerre du Vietnam. Un mois avant d’arriver à Québec, il condamne l’attaque israélienne en Palestine. Toujours au nom de l’autodétermination des peuples.




[...]


Car, chez les De Gaulle, on n’a pas oublié cette époque. Fils d’un professeur d’histoire, de Gaulle baigne depuis toujours dans l’histoire de son pays. « C’est quelqu’un qui assume toute l’histoire de France, celle de la monarchie comme celle de la Révolution », dit le professeur d’histoire Gaël Nofri, aujourd’hui conseiller municipal de la Ville de Nice. La preuve : en 1913, lorsqu’à 23 ans il prononce une conférence sur le patriotisme devant le 33e régiment d’infanterie, il l’illustre par les exemples de Jeanne d’Arc, Du Guesclin et… Montcalm ! La fin du XIXe siècle a d’ailleurs été marquée par la publication de nombreux ouvrages sur le malheureux combattant des plaines d’Abraham.

On sait par le témoignage de son fils, Philippe, que de Gaulle avait lu Maria Chapdelaine, le roman fétiche de Louis Hémon paru en 1921 qui raconte l’histoire malheureuse de ce peuple poussé à l’exil après avoir été abandonné par la France. Nofri est convaincu que la vision qu’a de Gaulle du Canada est marquée par l’œuvre de l’historien Jacques Bainville. Ce catholique monarchiste, mais qui n’était guère nationaliste, déplore que, « malgré une glorieuse résistance », la France n’ait plus manifesté d’intérêt pour le Canada après la Conquête. Avant de partir, le général confie d’ailleurs à son ministre Alain Peyrefitte que son voyage « est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France ».

« C’est cette dette que veut payer de Gaulle, dit Nofri. Pour lui, c’est la France qui a fondé le Canada. C’est pourquoi d’ailleurs il ne saurait être question d’aller fêter le centenaire de la Confédération. Dans sa vision, les Québécois sont une branche de l’arbre français. C’est pourquoi il parle toujours des Français du Canada. Il n’y a là aucune volonté hégémonique. Seulement une vision de la France comme une civilisation qui s’inscrit dans le temps long de l’Histoire. Comme quelque chose qui a existé, qui existe et qui a vocation à exister. »

Un combat culturel

De Gaulle ne cache pas que son combat contre l’hégémonie américaine est aussi un combat culturel contre l’hégémonie anglo-saxonne. C’est le message qu’il a livré à Phnom Penh et à Mexico, dit Nofri. « Au Québec, il cible évidemment les Anglo-Saxons. Pour lui, c’est un combat de civilisation. Il perçoit déjà le danger de cette hégémonie anglo-américaine et la menace qu’elle fait peser sur la culture et la langue. Et donc sur les libertés ! »

Car la liberté pour De Gaulle, précise l’historien, n’est pas celle des existentialistes ou de l’épanouissement personnel. « C’est la liberté des Classiques. Celle qui est donnée à chacun pour remplir son devoir. Celui de donner sens à ce qu’il a été, à ce qu’il est et ce qu’il devrait être. C’est un combat pour la civilisation. »

Pour Gaël Nofri, le message que livre de Gaulle à Montréal, à Mexico et à Phnom Penh demeure éminemment moderne et actuel. « Certes, le monde a beaucoup changé depuis, dit-il. Mais ce qu’il dit de la nation et des rapports entre les nations est d’une extrême modernité à l’époque de la lutte contre la mondialisation. »




Recension du roman La Traversée du Colbert par Mario Girard :

Quatre mots. C’est tout ce qu’il a fallu pour créer l’une des plus grandes commotions de l’histoire moderne du Québec. Ces quatre mots ont secoué, ont nourri le rêve, ont ravivé l’espoir. Mais ils ont aussi divisé, déçu et mis à mal le sacrosaint jeu diplomatique.

Quand, le 24 juillet 1967, à 19 h 42, le président français Charles de Gaulle apparaît sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal, la foule présente d’environ 15 000 personnes est en liesse. Toute la journée, de Québec jusqu’à la métropole, le général a reçu un accueil digne de la Libération (ce sont ses mots) tout au long de son parcours sur le chemin du Roy.

Quand, quelques minutes plus tard, il couronne son discours par le mythique et retentissant « Vive le Québec libre », la même foule ne se contrôle plus. Elle exulte de joie, de fierté. Elle attendait ses paroles, elle les espérait. Elle les a eues.

Autour du général, c’est la consternation. On croit halluciner. Du côté français, déjà on pense à la manière de limiter les dégâts. Dans le clan des fédéralistes, on encaisse durement le coup. Chez les nationalistes, l’émotion étreint tout.

Depuis maintenant 50 ans, on ne cesse d’analyser la nature et la portée de ces quatre mots. Ont-ils été improvisés, comme certains continuent de le croire ? Pour mon collègue André Duchesne, auteur de l’essai La traversée du Colbert, il ne fait aucun doute que de Gaulle savait exactement ce qu’il faisait et que tout dans ce discours avait été prémédité.

Le vieux général n’avait-il pas dit à son entourage, juste avant son départ, que, s’il venait au Québec, il allait faire des « vagues » ?

Et n’avait-il pas confié à son chef d’état-major, Jean Philippon, lors de sa traversée, qu’une fois rendu au Québec, il ferait un grand coup d’éclat ?

« Oui, je suis maintenant persuadé qu’il avait cela en tête avant son départ, dit André Duchesne. Et je crois que malgré la tempête que cela a causée, il n’a jamais regretté son geste. Son entourage, par contre, a dû faire des prouesses pour rattraper tout cela. »

Une traversée dans l’histoire

André Duchesne a décidé de faire graviter le récit de son livre, auquel il a travaillé pendant plus de trois ans, autour du navire Le Colbert, ce croiseur antiaérien de 11 300 tonnes qui amena de Gaulle et son épouse, Yvonne, en « Nouvelle-France ». « Cette traversée de l’Atlantique est aussi une traversée dans l’histoire, dit l’auteur. Et cette traversée représente la montée en puissance de toute une organisation. »

Le Colbert est en effet le symbole de ce périple. Le choix d’une arrivée par bateau, plutôt que par avion, témoigne de la ténacité du général de Gaulle à ne pas vouloir se plier aux volontés d’Ottawa. De Paris, le président français avait compris l’incroyable bras de fer que se livraient Québec et Ottawa afin de s’emparer du contrôle de sa visite dans le cadre d’Expo 67.

Si de Gaulle était venu par avion, il aurait dû d’abord atterrir à Ottawa, ce dont il n’avait pas du tout envie. La proposition du bateau l’a donc séduit. De plus, elle lui permettait de faire un arrêt, le premier d’un président de la République, dans l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon.

« Je savais qu’il y avait une terrible guerre entre les deux capitales, mais pas à ce point », ajoute André Duchesne. C’est en prenant connaissance des résumés des réunions que Lester B. Pearson a eues à deux reprises avec son cabinet dans les heures qui ont suivi la fracassante déclaration du général de Gaulle que l’auteur a saisi l’ampleur de ce gâchis diplomatique.

Mais revenons à l’arrivée du président français à Québec. Ottawa s’arrangea pour déléguer le gouverneur général Roland Michener afin d’accueillir le général de Gaulle. Ce dernier fut de glace avec cet hôte symbolisant la conquête des Anglais et a été au contraire très chaleureux avec le Premier ministre québécois Daniel Johnson, avec qui il a passé le plus clair de son voyage. Il fera notamment avec lui la fameuse balade sur le chemin du Roy, car de Gaulle avait fait part à ses conseillers de son envie de « voir des gens ».

Un véritable roman à sensation

L’essai d’André Duchesne, qui se lit comme un véritable suspense, fourmille de détails et d’anecdotes savoureuses. Cela nous permet de voir à quel point un grand stress régnait sur l’organisation de cette visite. On y apprend que la première voiture qui fut soumise aux organisateurs était une Cadillac bleu poudre dotée d’un intérieur blanc.

Devant ce véhicule jugé « quétaine » pour un chef d’État, on opta pour une Lincoln noire que Jean O’Keefe, un logisticien dans l’entourage de Daniel Johnson, surnommé Monsieur Urgence, dénicha à Oakville. Cela fait écrire à André Duchesne : « Donc, le président de la France, en voyage au Québec, se déplacera dans une voiture américaine dénichée en Ontario. C’est ça, le Canada. »

Pour tous les organisateurs, cette visite revêtait une importance grandiose. « Au fil de mes recherches, j’ai compris l’importance du rôle de la Société Saint-Jean-Baptiste dans cette opération », explique André Duchesne.

C’est en effet cette organisation qui s’est assurée que, partout sur le passage de Charles de Gaulle, de Donnacona à Montréal, en passant par Trois-Rivières, des Québécois puissent exprimer leur admiration au général et à la France en agitant des drapeaux québécois et français.

Le fameux micro

Quant à savoir si le fameux discours du président français sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal avait été prévu ou pas, un flou continue de persister. Un micro avait été installé, en tous les cas. Dans l’après-midi, Jean Drapeau, voyant aux derniers détails, avait demandé qu’on le retire, précisant que de Gaulle allait parler aux dignitaires sur la terrasse arrière de l’hôtel de ville, mais pas à la foule.

Le responsable se contenta de le débrancher tout simplement. Si bien que, lorsque le général monta sur le balcon et vit le micro, il demanda de s’en servir. Un technicien de Radio-Canada, également organisateur politique du député libéral Jean-Paul Lefebvre, qui était sur place, s’empressa de s’acquitter de cette tâche.

« Il n’y avait pas seulement un micro, il y avait des enceintes acoustiques, explique André Duchesne. Que faisaient-elles là ? Il est très difficile de faire le tri dans les notes provenant de la Ville de Montréal, du gouvernement du Québec et de celui de la France. Certaines font allusion à une allocution et d’autres pas. »

Quoi qu’il en soit, de Gaulle avait un but précis en venant ici. Nous n’avons qu’à écouter le discours qu’il a fait à Québec, au Château Frontenac, lors de son arrivée, et celui qu’il a prononcé lors du déjeuner à l’hôtel de ville de Montréal, le jour de son départ. Il voit dans le Québec un peuple qui doit devenir « maître de lui » et aller « au fond des choses ». Et il passe ce message clairement.

Comme on le sait, la visite de Charles de Gaulle s’est terminée plus tôt que prévu, car Ottawa a pris la décision de ne pas l’accueillir comme cela devait se faire. Le président est donc reparti le 26 juillet à bord d’un avion.

Sur le tarmac, pendant qu’une fanfare jouait Vive la Canadienne, un conseiller du Quai d’Orsay glissa à l’oreille du président : « Mon général, vous avez payé la dette de Louis XV. »

Quant au Colbert, il s’engagea dans le Saint-Laurent le 30 juillet pour regagner la mer et retourner à Brest avec son équipage. Après avoir été transformé en musée maritime à Bordeaux pendant une quinzaine d’années à partir du milieu des années 90, il a été remorqué au cimetière des navires de Landévennec.

Le Colbert vit actuellement ses derniers jours. Il repose à Bassens en attendant d’être découpé en morceaux (si j’étais le Musée de la civilisation ou celui de Pointe-à-Callière, je m’empresserais de faire une demande à la France afin d’obtenir un fragment de ce bateau).

Le Colbert n’a pas eu la même chance que ce discours, celle de passer à la postérité. Mais il a eu le privilège de transporter le rêve qui était également du voyage.


La traversée du Colbert
par André Duchesne,
paru chez Boréal,
en juin 2017,
320 pages
ISBN Papier 9782764624807
ISBN PDF 9782764634806

Extrait en ligne

Hélas, les critiques deviennent moins cruelles. Bonne nouvelle pour les écrivains, mauvaise pour les lecteurs



Il est délicieux de savoir qu’un critique a qualifié les poèmes de John Keats d’« idioties débiles ». Il est encore plus agréable de savoir que Virginia Woolf considérait les écrits de James Joyce comme des « conneries ». Et personne ne peut rester insensible au fait que lorsque la critique Dorothy Parker a lu « Winnie l’ourson », elle l’a trouvé si plein de fantaisies innocentes et enfantines qu’elle a — avec, à son tour, une orthographe fantaisiste - « womi ».

Pour le lecteur, la vie offre peu de plaisirs plus vrais qu’une très bonne ou très mauvaise critique. Pour l’écrivain, la vie offre peu de douleurs plus vives. Après Parker, A.A. Milne n’a plus jamais écrit un autre « Fantaisiste » l’ourson, le simple mot « fantaisiste » lui étant devenu « détestable ». Après le commentaire « idiotie débile », Keats est tombé raide mort. « Anéanti », a écrit Lord Byron, « par un article ».

Aujourd’hui, la vie littéraire offre rarement des spectacles aussi somptueux. Ouvrez les pages de critiques de livres et vous aurez plus de chances de voir les écrivains se décrire les uns les autres et décrire leurs œuvres avec des mots tels que « lyrique », « brillant » et « perspicace » plutôt que, comme autrefois, « ennuyeux », « idiot » et « tas de fumier ». Dans les pages littéraires, on assiste désormais à ce qu’un écrivain a appelé une inflation « endémique » des notes. Un rédacteur de BuzzFeed, un site d’information, a même annoncé que sa section livres ne ferait plus du tout de critiques négatives. C’était une excellente nouvelle pour les écrivains (et leurs mères) du monde entier. La nouvelle est beaucoup moins bonne pour les lecteurs. Le monde littéraire ne devra peut-être plus pleurer les poètes éconduits, mais il devra pleurer la mort du démolissage en règle des critiques négatives.

Rares sont ceux qui le déploreront à haute voix. La critique n’est pas une noble vocation : comme le dit le vieil adage, aucune ville n’a jamais érigé de statue en l’honneur d’un critique. Mais peu de villes ont également érigé des statues en l’honneur d’ingénieurs en assainissement ou de chirurgiens de la prostate. Mais ils sont utiles, tout comme les critiques. Une personne bien informée peut lire une vingtaine de livres par an. En revanche, 153 000 livres ont été publiés l’année dernière rien qu’en Grande-Bretagne, selon Nielsen BookData. Cela représente une moyenne de 420 livres par jour. Parmi les livres publiés l’année dernière, on peut citer les titres suivants (traduits de l’anglais) : « Penser les larmes, les pleurs et les sanglots dans la France du XVIIIe siècle », « Votre chat est-il un psychopathe ? » et « Trouvez les chiottes avant de faire votre crotte ».  Il se peut que ces livres méritent tous des qualificatifs tels que « judidieux » et « pénétrants ». Cela semble peu probable.

C’est un secret de polichinelle dans le monde littéraire : la plupart des livres sont vraiment très mauvais. C’est le travail des critiques de les dépecer, d’abord physiquement (si vous travaillez dans un bureau de livres, votre première tâche, profondément décourageante, sera de passer en revue les sacs de livres livrés chaque semaine), puis littérairement, par le biais de critiques. George Orwell, critique chevronné, savait que les critiques devaient être brutales. Il a écrit : « Dans plus de neuf cas sur dix, la seule critique objectivement honnête serait “Ce livre ne vaut rien”, tandis que la seule recension honnête dirait : “Ce livre ne m’intéresse en aucune façon, et je n’écrirais rien à son sujet à moins d’être payé pour le faire”. »

Les recensions sont rarement aussi percutantes. Certaines publications maintiennent la tradition d’une critique énergique, mais trop souvent, les critiques donnent l’impression de se complaire dans la facilité des initiés. Les journaux littéraires y sont particulièrement enclins. Ils ont tendance à être truffés de chroniqueurs appelés « Ferdinand », de mots comme « insipides » ou « fades » et de titres qui ressemblent moins à une promesse qu’à une menace : « Où s’en va la Somalie ? », » Le structuralisme domestiqué » ou (la question sur toutes les lèvres) « Qui a peur de la lecture attentive ? ». Les « démolissages », en revanche, optent généralement pour un style moins relevé. Dans une critique célèbre, le critique Philip Hensher a écrit qu’un auteur était si mauvais « qu’il ne pourrait pas écrire “cul” sur un mur ».

Il fut un temps où ce genre de saillies était monnaie courante dans les pages littéraires. À l’époque victorienne, « les critiques étaient considérées comme une sorte d’hygiène culturelle, et les normes étaient donc exigeantes », explique Robert Douglas-Fairhurst, professeur d’anglais à l’université d’Oxford. Les critiques ne se contentaient pas de s’en prendre à un ennemi, ils assainissaient les sanctuaires de la littérature. Ce qui ne les empêchait pas de faire preuve de légèreté. Par exemple, un critique a qualifié l’œuvre d’un confrère d’« ordure féculente » ; le solide Alfred Tennyson a dit d’un autre qu’il était « un pou sur les serrures de la littérature » ; tandis que John Milton (ayant apparemment momentanément à nouveau perdu le paradis) a décrit un aspirant confrère comme étant une « tête de porc fangeuse ».

Brandissez vos armes

Aussi amusants que soient ces excès, les critiques les plus meurtrières tendent à être plus délicates. Les meilleures critiques assassines ne démolissent pas à coups de hache, mais de scalpel, observe l’écrivain et critique britannique Adam Mars-Jones, « parce que si ce n’est pas précis, ça ne marchera pas ». Les victoriens brandissaient eux aussi des bistouris. L’un des plus beaux a été manié par George Eliot sur « Jane Eyre » de Charlotte Brontë. « J’aimerais », écrivait Eliot, « que les personnages parlent un peu moins comme les héros et les héroïnes des rapports de police ».

Les critiques modernes atteignent rarement une telle beauté fatale. Trop souvent, les critiques sont bourrées de mots de remplissage : « sombrement drôle », « saisissant », « méditation profonde ». Nombre d’entre eux — que le lecteur soit averti — sont des euphémismes pour le mot « ennuyeux », qui est en fait interdit dans les pages littéraires. On trouve ainsi « détaillé » (« ennuyeux ») ; « exhaustif » (« vraiment ennuyeux ») ; « magistral » (« ennuyeux, mais écrit par un professeur, et je ne l’ai pas terminé, donc je ne peux pas le critiquer »). Et ainsi de suite.

Raisons du ramollissement

 L’internet est l’une des raisons de ce ramollissement. Il a modifié à la fois l’économie de la critique (les journaux de plus en plus minces ont moins de pages consacrées aux livres, et les rédacteurs ont donc tendance à les remplir avec les livres que vous devriez lire, et non ceux que vous ne devriez pas lire) et l’opportunité de la critique (les insultes qui semblaient amusantes lorsqu’elles étaient prononcées sur le moment perdent de leur pertinence lorsqu’elles sont répercutées en ligne pour l’éternité). La tendance à recruter des critiques spécialisés n’a rien arrangé non plus. Si vous êtes l’un des deux experts mondiaux en cunéiforme sumérien ancien et que vous donnez une mauvaise critique à l’autre expert mondial, cela peut être amusant pendant 20 minutes, mais regrettable pendant 20 ans.

L’internet a également contribué à réduire l’anonymat. Autrefois, la plupart des critiques n’étaient pas signées, ce qui leur permettait d’être aussi anonymes qu’un obscur troll de Twitter. Aujourd’hui, la plupart des critiques sont non seulement connues, mais aussi facilement repérables, et insultables à leur tour. Alors qu’il y a 30 ans, les critiques étaient « tacitement encouragés à s’en prendre aux gens », les gens sont aujourd’hui « terrifiés à l’idée de vexer », de peur d’être victimes d’une meute de trolls sur Twitter, déclare l’écrivain et critique D.J. Taylor.

Il y a eu des tentatives pour relancer la critique acerbe. En 2012, un prix appelé « Démolissage de l’année » a été lancé par deux critiques (dont l’un travaille aujourd’hui pour The Economist) comme une « croisade contre la fadeur, la déférence et la pensée paresseuse ». Il a été décerné pendant trois ans. Fleur Macdonald, l’une de ses cofondatrices, pense que « la vie littéraire en a probablement plus que jamais besoin aujourd’hui », mais qu’elle aurait du mal à le relancer et à le faire financer, car « les mauvaises critiques de livres sont controversées ».

Les démolissages ont encore lieu de temps en temps, non pas pour les premiers livres ou ceux d’auteurs inconnus (c’est considéré comme inutile et cruel), mais pour des écrivains suffisamment célèbres pour être attaqués. Le livre « Le Suppléant » du prince Harry a été presque universellement éreinté. Cette situation peut être éprouvante pour les écrivains. Le romancier Anthony Powell pensait que les lecteurs pouvaient se diviser entre « fans » et « merdes », tandis que l’un des poèmes les plus célèbres de l’écrivain romain Catulle est une riposte aux critiques qui l’accusaient d’être efféminé. « Pedicabo ego vos et irrumabo », écrit Catulle, ce qui signifie (en gros) : « Je vous b*serai par la bouche et par le cul ». Ce n’est pas le genre de choses que l’on trouve dans le Times Literary Supplement de nos jours.

 Les lames reluisent donc moins. Mais elles devraient encore briller de temps en temps. Ce que l’on oublie parfois, c’est que le véritable marché des critiques n’est ni l’auteur ni le critique. C’est le lecteur. Et celui-ci veut toujours savoir, dit M. Taylor, « s’il doit dépenser 15,99 livres sterling pour un livre ». Le critique a « le devoir » de dire la vérité. En outre, si l’écrivain n’aime pas la critique publiée, il est, après tout, un écrivain. Il peut, comme l’a fait Catulle, répondre. Même s’il peut décider de mettre la pédale douce sur les grossièretés s’il veut être publié dans BuzzFeed.

Source : The Economist


« Crise climatique » — La production céréalière mondiale en passe d’atteindre un niveau inégalé

Cette année, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le monde produira probablement plus de céréales (blé, maïs, riz, etc.) que jamais.

Pourtant, de manière irresponsable, les alarmistes climatiques clament que l’effondrement imminent du système alimentaire.
 
 
 
Les nouvelles prévisions de la FAO concernant la production mondiale de céréales en 2023 ont été relevées de 5,9 millions de tonnes (0,2 pour cent) en juillet par rapport au mois précédent et s’établissent désormais à 2 819 millions de tonnes, soit une hausse de 1,1 pour cent en glissement annuel, atteignant ainsi un niveau inégalé. 

L’ajustement à la hausse de ce mois-ci s’explique presque entièrement par de meilleures perspectives pour la production mondiale de blé, les prévisions ayant été rehaussées de 0,9 pour cent pour s’établir à 783,3 millions de tonnes, tout en restant inférieures de 18,4 millions de tonnes au record enregistré en 2022. Les prévisions relatives à la production de blé dans l’Union européenne ont été révisées à la hausse, les conditions météorologiques ayant été globalement favorables, ce qui a engendré des rendements légèrement meilleurs que prévu, en dépit des répercussions qu’ont eues les déficits pluviométriques dans la péninsule ibérique. Pour le Canada et le Kazakhstan, où l’on cultive principalement du blé de printemps, les prévisions ont également connu un léger relèvement en raison de semis plus importants que prévu, tandis que les estimations officielles récemment publiées placent la récolte de blé de la Turquie à un niveau supérieur à celui des premières prévisions. Cette progression a largement contrebalancé la forte contraction des prévisions concernant la production en Australie, les rendements attendus ayant été compromis par des conditions météorologiques plus sèches que la normale.
 
Les prévisions de 2023 concernant la production mondiale de céréales secondaires ont été légèrement revues à la baisse ce mois-ci, mais établies à 1 512 millions de tonnes, elles demeurent supérieures de 2,9 pour cent à celles de 2022. Cet ajustement à la baisse tient compte de celui des prévisions relatives à la production de maïs dans les pays d’Afrique de l’Est, la répartition inégale des précipitations ayant nui aux rendements escomptés. Ces révisions à la baisse l’emportent nettement sur les prévisions à la hausse de la production mondiale d’orge, lesquelles s’expliquent principalement par les estimations officielles de la Turquie, qui annoncent une récolte plus abondante que celle prévue au départ. Compte tenu de meilleures prévisions relatives aux rendements pour le Bangladesh et des petits ajustements apportés aux chiffres de la production dans les pays situés le long et au sud de l’équateur, où la récolte des principales cultures est désormais terminée, la FAO a légèrement relevé ses prévisions concernant la production mondiale de riz pour 2023-2024, les portant à 523,7 millions de tonnes (en équivalent riz usiné), alors que les chiffres révisés pour la récolte mondiale de 2022-2023 s’établissaient à 517,6 millions de tonnes. 

Record mondial malgré la guerre en Ukraine, important exportateur céréalier

En Ukraine, la production de blé pour 2023 devrait atteindre 18,5 millions de tonnes, soit 30 % de moins que la moyenne quinquennale. Cette forte baisse résulte de l’impact de la guerre qui, parmi de nombreux autres facteurs, a entravé l’accès physique aux champs, ce qui se traduit par une baisse de près de 30 %, en glissement annuel, des semis de blé d’hiver pour 2023. Le manque de liquidités et, dans certaines régions, les perturbations des marchés des intrants ont également fortement limité la capacité des agriculteurs à se procurer des intrants, ce qui a réduit les perspectives de rendement pour 2023 malgré des conditions météorologiques généralement favorables. Pour des raisons analogues, la production de maïs de 2023, qui sera récoltée à partir de septembre, devrait atteindre 22,5 millions de tonnes, soit près de 35 % de moins que la moyenne. Au total, la production céréalière nationale de 2023 devrait se situer à un niveau nettement inférieur à la moyenne, soit 46,2 millions de tonnes.

Dans la Fédération de Russie, la production totale de blé en 2023 devrait tomber à un niveau proche de la moyenne de 82,8 millions de tonnes, après le record historique de 2022, en raison d’une contraction des superficies ensemencées en blé due à un excès d’humidité à la fin de 2022 et à une baisse des prix des cultures. La production céréalière totale de la Fédération de Russie, y compris les prévisions supérieures à la moyenne pour le maïs et l’orge, est estimée à environ 125 millions de tonnes en 2023, ce qui est comparable à la moyenne quinquennale.

Notons que l'agence turque de presse Anadolu rapporte que le président Poutine a précisé que son pays prévoit une récolte record cette année et affirme que la Russie peut fournir des céréales russes tant à travers sa commercialisation que gracieusement. Le dirigeant russe a rappelé, en outre, que son pays avait envoyé 11,5 millions de tonnes de céréales en Afrique en 2022 et 10 millions de tonnes au cours du premier semestre de 2023.

En Moldavie, les prévisions préliminaires pour la production de 2023 s’établissent à un niveau proche de la moyenne de 3 millions de tonnes. Bien que les conditions météorologiques aient été mitigées au cours de la saison de croissance, les images satellite montraient début juin des conditions de végétation généralement bonnes dans les principales zones de culture du blé et, par conséquent, la production de blé devrait se situer à un niveau proche de la moyenne de 1,1 million de tonnes.

En Biélorussie, la production céréalière totale pour 2023 devrait s’élever à 7,6 millions de tonnes, ce qui est proche de la moyenne quinquennale.