mercredi 1 juillet 2015

Faut-il abolir les frontières ?

Étienne Chouard, dont on peut récuser certains points de vue caricaturaux sur l’économie et les méchants capitalistes, répond à la question de l’abolition des frontières. On voit que, venu de la gauche internationaliste et idéaliste, il a révisé certaines de ses idées simplistes sur les frontières.

On semble retrouver des éléments de l’Éloge des Frontières de Régis Debray et de L’Enracinement de Simone Weil.



« La frontière, c’est la modestie : je ne suis pas partout chez moi. J’accepte qu’il y ait de l’autre et pour faire bon accueil à un étranger, il faut avoir une porte à ouvrir et un seuil où se tenir, sinon ce n’est plus un hôte, mais un intrus. »

« Le réseau à la place de la cité, le flux à la place du site, tout cela finit par déstabiliser, par brutaliser les êtres humains – à qui l’on invente une habitation inhabitable. Du coup, l’envie de murs a progressé, au fur et à mesure que l’on empêchait la régulation par les frontières. L’ultra-local, voire le repli jusque dans la haine, dans la négation de l’altérité, finissent par apparaître obligatoirement, comme contre-pôle au “sans frontière” invivable. Repli sur l’identité raciale, sociale, culturelle, religieuse, idéologique : peu importe. Repli toujours, paniqué, d’un être humain qu’on a prétendu empêcher d’habiter dans un monde humain, donc limité, borné, encadré. »

« L’abolition des frontières produit du régressif, du barricadé, du soupçonneux. »

Régis Debray


Tous les journalistes anticonservateurs au Québec ? L'aveu ?

Selon le journaliste Vincent Marissal :


Il faut dire que le lendemain, Richard Martineau qui passe parfois pour de « droite » se félicitait que cinq personnes non élues (sur 9) décident de redéfinir l’institution immémoriale du mariage :

La Cour suprême américaine a enfin légalisé le mariage gai partout au pays. [...]

Ma nièce, qui est lesbienne et qui vit à Brooklyn, va pouvoir enfin se marier avec sa copine américaine. Bravo, Masha ! Go, girl ! (D’ailleurs, je veux être invité au mariage. Et quand vous allez avoir un enfant, envoyez-moi une photo !)
Aucun journaliste québécois n’oserait écrire l’inverse. Plus par mimétisme au sein d’une petite classe médiatique au Québec dont les membres se connaissent tous que par impossibilité de penser autrement (voir les réactions nombreuses parmi les journalistes aux États-Unis opposés à cette décision dictée par ces nouveaux régents de nos démocraties : les juges). Cette opposition ne se limitait pas aux journalistes américains, le gouverneur de la Louisiane allant jusqu’à suggérer la suppression de la Cour suprême. D’autres, comme Ted Cruz, suggérant de pouvoir renvoyer les juges de la Cour suprême lors d’élections.

Au passage, Martineau n’est pas connu pour sa rigueur : à Brooklyn les homosexuels peuvent « se marier » depuis le 24 juillet 2011... Quant à ce que deux femmes aient un enfant ensemble... L’idéologie aveugle visiblement et refuse de voir la réalité : les enfants se font toujours avec un homme pour l’instant. On prive donc dans ces cas les enfants d’un père et d’une part de leur identité. Au passage des couples lesbiens de Brooklyn pouvaient et avaient déjà « eu des enfants ensemble » (voir article de presse new-yorkais).

Est-il normal que les chrétiens disent « Nous respectons la religion musulmane » ?

L’historien Alain Besançon réagit aux propos du recteur de la mosquée de Paris sur la parenté entre l’islam et le catholicisme et explique ce qui distingue les religions chrétienne, juive et musulmane. Alain Besançon est historien, membre de l’Institut et directeur d’études à l’EHESS. Il est l’auteur d’un essai sur les religions, « Problèmes religieux contemporains », qui vient de paraître aux Éditions de Fallois. Il s’entretient ci-dessous avec un journaliste du Figaro de Paris.

— Dalil Boubakeur a déclaré sur Europe 1 : « Chrétiens et musulmans ont le même Dieu. Ce sont des rites qui sont voisins, fraternels… » Partagez-vous cette vision ?

Alain BESANÇON. — Ce propos est très flou. Beaucoup de religions ont théoriquement le même Dieu. Mais on trouve dans le Coran des malédictions contre les chrétiens, les juifs qui montrent que s’il s’agit du même Dieu, les chrétiens et les musulmans n’ont pas le même rapport avec ce Dieu. Je n’ai rien contre la religion musulmane. Il faut respecter les musulmans dont personne n’a jamais dit qu’ils étaient moins vertueux que des chrétiens, mais il faut savoir qu’ils appartiennent à une religion qui est incompatible avec le christianisme. Ce sont des religions différentes.

Pourquoi ?

— La religion chrétienne a des dogmes qui définissent ce qu’un chrétien doit croire : la trinité, l’incarnation, la rédemption. Dans l’islam ces trois dogmes fondamentaux sont niés. Et c’est à Jésus qui figure dans le Coran, à un Jésus musulman, qu’est confié le soin de proclamer qu’il n’est pas Dieu, qu’il n’est pas incarné et qu’il n’est pas mort sur la croix. Ce Jésus musulman dont la mission est de nier les dogmes du christianisme n’empêche pas certains catholiques de se féliciter qu’il figure dans le Coran !

Les juifs aussi ne reconnaissent pas la divinité de Jésus…

— Les liens entre la religion juive et la religion chrétienne sont différents des liens avec l’islam. Pour les chrétiens, il y a une continuité entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Le christianisme naît d’une annonce juive (le messie) et les titres de créances de la religion catholique sont tous dans l’Ancien Testament. En outre, il y a une matrice de compréhension commune au christianisme et au judaïsme. Cette matrice est la notion d’alliance entre Dieu et son peuple. Cette notion d’alliance n’existe pas dans l’islam. Il n’y a pas l’équivalent dans cette religion de l’alliance passée avec Abraham, Moïse et le Christ. Enfin la prière du christianisme est fondamentalement celle des juifs, c’est-à-dire les psaumes. Il faut rappeler que les écritures juives et chrétiennes sont considérées, dans l’islam, comme des écritures falsifiées. Dans le monde musulman, la Bible n’est pas éditée. Elle est interdite parce qu’elle est considérée comme fausse. Ce qui reste valable dans la Bible se trouve dans le Coran, pas dans la Bible.

On parle pourtant des trois religions du livre…

— C’est un contresens complet. Il s’agit d’une expression du droit musulman. Les musulmans considèrent qu’il y a des religions fondées sur des livres : le christianisme, le judaïsme, les sabéens (il en subsiste encore au Moyen-Orient) et les zoroastriens. Voilà le sens de cette expression « religion du livre ». Elle distingue les gens du livre de ceux qui n’en ont pas. Ceux qui n’en ont pas sont des kafirs (mécréants) qui peuvent être tués ou réduits en esclavage. Ceux « du livre » peuvent garder leur vie et leurs biens moyennant des discriminations. C’est ce qu’on appelle le statut de dhimmi dont jouissent les juifs et des chrétiens en pays d’islam. C’est un statut de droit défini.
« Un Dieu, trois religions
Il y a trois grandes religions monothéistes: le judaïsme, le christianisme et l'islam. Ces trois religions se réfèrent en effet au même Dieu unique et universel. Qu'il soit appelé Yahvé en hébreu, Dieu en français ou Allah en arabe, il s'agit du même Tout-Puissant, créateur du monde. C'est pour cette raison que le premier être humain à le reconnaître, Abram ou Abraham ou Ibrahim, est qualifié de « Père des croyants ».

On trouve ainsi la Parole de Dieu dans les textes sacrés de ces religions, entre autres dans la Torah (judaïsme), dans la Bible (christianisme) et dans le Coran (Islam). »

(Livre d'Éthique et culture religieuse (ECR) du Québec, Vivre ensemble 2, p. 176 [étrangement marqué Vivre ensemble 1 dans la marge], éditions ERPI destiné aux élèves de secondaire II)


Faut-il donner au culte musulman les églises désaffectées ?

— J’ai lu une phrase extraordinaire de Mgr Dubost, évêque d’Évry. Il a dit : « Dans le principe, je préférerais que des églises désaffectées soient transformées en mosquée plutôt qu’en restaurants. » Cet évêque catholique considère donc qu’il n’est pas bon que les gens puissent se réjouir en se retrouvant ensemble au restaurant. Il trouve plus beau, plus sublime et plus digne que des personnes rendent un culte à une religion qu’en principe, comme évêque catholique, il considère comme fausse. Cette phrase gomme l’incompatibilité entre islam et catholicisme. Elle témoigne d’une sorte de malveillance à l’encontre d’une population qui choisirait de transformer son ancien lieu de culte pour se réjouir innocemment au restaurant plutôt que de le confier aux musulmans. Cette phrase est prodigieuse.

Les catholiques sont naïfs sur l’islam ?

— Il est normal que les catholiques aient le plus grand respect pour les musulmans comme ils doivent en avoir pour tout un chacun. Vis-à-vis de l’islam comme religion, il y a des formulations un peu étranges. « Nous respectons la religion musulmane », entend-on souvent. Qu’on respecte les hommes oui, c’est normal, mais autre chose est de respecter une religion qui nie le christianisme et qui le fait très franchement et qui a le droit de le faire. C’est le droit des musulmans de penser que l’Église nous trompe et se trompe, mais que l’Église loue et respecte l’islam pour cela c’est un peu déroutant. Cela ne date pas d’hier. Durant le concile Vatican II la déclaration Nostra Ætate semble déjà donner une préférence à l’islam par rapport aux autres religions non chrétiennes et aux agnostiques de notre monde. Cela est paradoxal parce que les autres religions non chrétiennes ont une chance de devenir chrétiennes un jour. C’est ce qu’on appelle la praeparatio evangelica.

La religion gréco-romaine est devenue chrétienne. Les religions germaniques et certaines religions asiatiques sont dans ce cas. Mais l’islam n’est pas une praeparatio evangelica. Au contraire, l’expérience de quinze siècles montre que les conversions de l’islam vers le christianisme n’ont pas été faciles. On a vu d’innombrables conversions du christianisme vers l’islam, mais l’inverse est très rare. Ce qu’on a surtout vu c’étaient des affrontements très violents où les musulmans chassaient de chez eux les chrétiens et où les chrétiens expulsaient les musulmans. On a expulsé les musulmans d’Espagne, de Malte, des Balkans, et de leur côté les musulmans ont converti l’Afrique du Nord et aujourd’hui ils expulsent les chrétiens des régions qui sont les plus vieilles de la chrétienté.

Comment organiser l’islam en France ?


— La France laïque est d’origine catholique. Elle a eu affaire à un catholicisme dur avec lequel elle a trouvé un accord et elle pense qu’elle peut trouver ce même accord avec les musulmans. Preuve une fois encore du refus de la société française de considérer que l’islam ne peut pas être traité comme on a traité la religion catholique. Avec les catholiques, il y a eu les concordats, puis la séparation de l’Église et de l’État. On a satisfait par ces dispositions les juifs et les chrétiens. Mais il n’est pas du tout certain que les musulmans acceptent ces dispositions.

Prenons un exemple : on passe notre temps à demander une réciprocité. Sous le prétexte que de nombreuses mosquées s’élèvent en France, on voudrait que les pays musulmans fassent de même avec les églises. Mais on ne peut pas demander à ces sociétés d’accepter une religion qu’ils considèrent comme fausse et qu’ils veulent résolument convertir. Cette demande de réciprocité est un signe de l’ignorance de l’islam par nos autorités laïques ou chrétiennes. Souvenons-nous que la liberté religieuse n’a été consentie par les chrétiens que récemment. Il a fallu attendre Napoléon. Souvenons-nous que l’Église catholique n’a accepté en principe la liberté religieuse que depuis Vatican II, il y a seulement un demi-siècle. La France est une société laïque. Il serait avantageux pour elle de bien connaître l’islam et de le faire connaître aux Français. Qu’elle explique que l’analogie avec le catholicisme n’est pas opérante. Nous devons apprendre à connaître cette religion. Il est souhaitable que les catholiques connaissent aussi la leur, car c’est seulement en connaissant la leur qu’ils prendront conscience de ce qu’est l’islam. Il faut nous entendre sur les vertus communes : l’honneur, le mérite, la famille, l’honnêteté, la bonté, la bravoure… Qui existent autant chez tous les hommes, chez les chrétiens, les laïcs et les musulmans. Il faut collaborer sur la base de vertus communes, et non pas sur la base de religion commune parce que les deux religions ne sont pas communes. C’est la même humanité, ce n’est pas la même religion.

Voir aussi

« Un Dieu, trois religions »

Le dialogue, au sens strict, entre les religions est impossible

L'Église catholique comprend-elle l'islam ?



L'Église catholique comprend-elle l'islam ?

Étudiant communiste, Alain Besançon avait démissionné du PCF, en 1956, après le choc du rapport Khrouchtchev. Devenu historien, aujourd’hui membre de l’Institut, il aura été un analyste lucide du système soviétique à l’époque où tant de ses pairs regardaient Moscou avec les yeux de Chimène. Ce qui distinguait ses travaux, toutefois, était la place qu’il accordait à la dimension quasiment métaphysique et théologique du marxisme. Car le matérialisme dialectique, selon ce soviétologue, était dans la pratique une foi : « Lénine croit qu’il sait, mais il ne sait pas qu’il croit », a écrit Besançon. Cette sensibilité au fait religieux a guidé l’historien dans ses recherches ultérieures sur l’iconoclasme, le nazisme ou le protestantisme américain. Elle l’a incité à réunir des articles parus dans la revue Commentaire avec trois textes inédits pour former un volume consacré aux « problèmes religieux contemporains ». Le thème est à soi seul iconoclaste dans la mesure où l’hyperlaïcisme actuel refuse de voir que le facteur religieux est un élément d’analyse sociale et culturelle que l’on ne peut occulter.

Mais Alain Besançon n’est pas du genre à se laisser intimider par la doxa dominante. Après avoir par exemple étudié, dans cet ouvrage, la tentation communiste éprouvée, des années 1950 aux années 1980, par certains catholiques, il se demande si l’Église contemporaine a compris l’islam. En 1965, la déclaration Nostra Ætate de Vatican II exprimait une volonté de dialogue interreligieux s’adressant aussi aux musulmans. Or le nombre de catholiques s’est effondré depuis en Europe, et l’islam s’y est implanté par le jeu de l’immigration, tandis qu’au Moyen-Orient les chrétiens disparaissaient par l’émigration et la conversion. « Nulle part la réciprocité n’est acquise », observe Alain Besançon. Et pourtant, en 2013 encore, l’Exhortation apostolique Evangelium gaudium du pape (argentin, ce qui explique sans doute son manque de compréhension vis-à-vis de l’immigration musulmane et africaine) François contenait un long passage sur le dialogue avec l’islam qui paraissait tiré de Nostra Ætate. Au regard des faits survenus en cinquante ans, estime par conséquent l’auteur, l’Église devrait changer de « matrice de compréhension »... Ce propos irrévérencieux n’est qu’un aperçu de ce livre bien peu politiquement correct, et donc précieux.

Quatrième de couverture

« On signale partout la résurgence des préoccupations religieuses. Cela est indiscutable du judaïsme et de l’islam qui s’affirment en France chaque année plus nettement. Le christianisme, aux termes du Concordat signé par Napoléon Bonaparte, était “la religion de la majorité des Français”. Vu de l’extérieur, il est en chute libre. Ces religions savent-elles encore ce qu’elles sont ? Quel sens donnent-elles à leur orthodoxie ? J’entends par ce mot le point central, garanti par les textes sacrés et l’opinion des docteurs, où chaque religion se manifeste à elle-même dans sa cohérence et sa particulière originalité. Mon intention est de ne pas m’écarter de l’orthodoxie, même quand je suis le plus critique. Les religions ont-elles gardé la capacité d’appréhender le réel ? Dans d’autres livres, j’ai traité de l’orthodoxie russe et du protestantisme. Dans celui-ci j’aborde le catholicisme. Comment a-t-il compris les grands événements contemporains, le communisme, l’islam ? Aux porches des cathédrales, la Synagogue est représentée par une femme ayant un bandeau sur les yeux. On verra que l’Église s’est souvent mise sur les yeux le même bandeau, ou un autre. Ces questions sont parmi les plus sérieuses, les plus honorables, les plus indispensables que l’homme contemporain puisse et doive se poser. J’ai essayé de les traiter en historien. »

Problèmes religieux contemporains,
d’Alain Besançon,
chez Fallois,
paru le 19 juin 2015
278 p.,
31,46 $
ISBN-10 : 2 877 068 994
ISBN-13 : 978-2877068994