dimanche 9 février 2020

« Les féministes détruisent un patriarcat blanc qui est mort »



Chronique d’Éric Zemmour dans le Figaro Magazine du 7 février 2020 sur le même sujet.

Il y aura un avant et un après Mila. Cette jeune fille [16 ans] ne mérite sans doute pas cet excès d’honneur ou d’indignité. Elle n’est qu’une adolescente de son époque. Son expression est plus près des éructations de rappeur que de la prose de Chateaubriand. Mais, pour son malheur, et pour notre éclairage, elle n’a pas, elle, insulté la France, la police ou le catholicisme, mais l’islam. On connaît la suite. À partir de là, les réactions et les camps se sont ordonnés et séparés. Ceux qui n’ont retenu que les insultes grossières de la jeune fille ont oublié qu’elles répondaient à un harcèlement grossier et insultant de jeunes Maghrébins et qu’elles avaient provoqué des menaces de mort et la fuite de la jeune Mila de son lycée. Ces propos venaient surtout de femmes de gauche et féministes, telles Nicole Belloubet ou Ségolène Royal, qui ont expliqué que la dignité des musulmans était froissée et qu’il fallait la respecter. L’ironie est qu’elles reprenaient ainsi, sans le savoir, l’argumentaire de publicistes catholiques qui, au XIXe siècle, tentèrent de restaurer l’interdiction du blasphème, abolie par la Révolution française.

Les autres, les professionnelles du féminisme médiatique, de la réaction à chaud, de la défense des femmes éternelles victimes et, surtout, de toutes les orientations LGBT (la jeune Mila affiche un lesbianisme décomplexé), toutes les Clémentine Autain et toutes les Caroline De Haas, toutes les contemptrices de la violence patriarcale ont brillé par leur silence.

À l’inverse, lors des agressions de Cologne, lors du Nouvel An 2016, d’innombrables femmes allemandes par des demandeurs d’asile, Caroline De Haas avait traité de « merde raciste » ceux qui osaient établir un lien entre le comportement de ces hommes et leur origine. La même expliquait qu’il fallait « élargir les trottoirs » dans le quartier de la Porte de la Chapelle pour protéger les femmes insultées et harcelées par les mêmes Maghrébins et Africains.

Pour nos féministes nouvelle vague, le patriarcat honni est seulement celui du mâle blanc occidental de culture chrétienne – d’autant plus une cible qu’il est déjà à terre. En revanche, elles ont la plus grande mansuétude pour le patriarcat arabomusulman, exotique et associé à des populations qui sont, aux yeux de nos nouvelles dames de charité, d’éternels prolétaires victimes. Peur ? Fascination ? Attirance ? On ne sait. Pas un jour, pas un média sans sa dénonciation de harceleurs ou violeurs dans le monde du cinéma, de la littérature ou du sport. Pas un jour, pas un média, pas un film, pas une publicité, sans l’hommage rendu aux homosexuels ou aux transsexuels. Mais les mêmes regardent leurs chaussures ou appellent au respect et à la dignité des religions quand des musulmans insultent ou menacent femmes et homosexuels.

Le féminisme contemporain poursuit de sa vindicte un patriarcat qui se cache pour mourir ; et regarde avec les yeux de Chimène un patriarcat d’une violence jamais vue dans nos contrées. Il ajoute l’incohérence intellectuelle à la lâcheté morale.



Les anciens camarades de Mila : « Elle n’aurait jamais pu revenir au lycée, elle se serait fait tuer, il y a 70% de musulmans ici, ça ne pouvait pas bien se passer »

Tout le monde s’accorde à dire, en tout cas, que Mila « est allée trop loin », que «ça ne se fait pas», d’insulter une religion comme elle l’a fait. « Je ne comprends pas, elle traînait avec des musulmans, des Noirs, des Arabes, elle n’était pas raciste », raconte une élève de seconde. « Moi, je suis neutre », avance une autre – et l’on comprend qu’être « neutre », c’est déjà beaucoup. « Elle a eu ce qu’elle a cherché, elle devait s’y attendre, lâche un petit blond en reniflant. Il y a 70 % de musulmans ici, ça ne pouvait pas bien se passer ». « Le pire, c’est que les gens qui la menacent finissent en un sens par lui donner raison », se désole une jeune fille, qui se dit elle-même musulmane. « Il y a ceux qui ont été choqués, blessés par ce qu’elle a dit. Ceux qui ont peur d’être associés à elle, et de payer les frais. Et quelques-uns qui pensent pareil mais ne l’avoueront jamais », résume un autre élève. Qui ajoute, un peu froidement : « Pour le soutien, maintenant, elle a #JeSuis Mila. Qu’elle ne compte pas sur nous.»

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Le Point

Le déclin des blancs : rejeter, réprimer, fuir ou métisser ?

En 2042, selon les projections, la population blanche non hispanique deviendra minoritaire aux États-Unis. En Europe, c’est dans la première partie du XXIIe siècle qu’une population métissée devrait surpasser les Blancs. Pour Eric Kaufmann (ci-contre), professeur à l’université londonienne Birkbeck College, ces bouleversements démographiques seront le fait majeur du XXIe siècle et ont déjà des conséquences politiques turbulentes. Dans Whiteshift (Allen Lane), il aborde frontalement ce sujet controversé. Le chercheur assure que le premier facteur de l’essor des populismes est l’immigration et non pas l’économie.

Dans nombre de grandes villes américaines, les Blancs sont désormais en minorité. Selon des projections démographiques, les Blancs seront en 2050 une « majorité minorité » aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et au Canada.

Ce professeur de politique parle froidement du sujet le plus controversé de l’heure : l’immigration. Kaufmann, né à Hong Kong, élevé à Vancouver, un quart chinois, un quart latino, avec un père de descendance juive et une mère catholique, sait donc de quoi il parle.



Immigration

Tous ceux qui expliquent la montée du populisme occidental par l’économie font fausse route à ses yeux. L’immigration est la première explication de la révolte des classes défavorisées, celles qui, justement, appuient Trump.­­­ D’ailleurs, cela éclaire la politique actuelle­­­ du président américain quant aux immigrants.

Eric Kaufmann ne traite pas de racistes tous les Blancs qui se préoc­cupent de leur identité. « L’identité blanche, déclare-t-il au Point, doit être considérée comme une identité comme les autres et non une fabrication destinée à garder le pouvoir. C’est un ensemble de mythes et de symboles auxquels les Blancs sont attachés ».­­­

La vision de Kaufmann n’a rien d’apocalyptique. Il croit même qu’à l’avenir, la population blanche va favoriser l’essor du métissage des populations. Mais il n’écarte pas les tourmentes sociales de cette transformation de nos sociétés.

Le multiculturalisme de Trudeau ne le séduit guère. L’auteur considère le Canada actuel comme un cas. Car Justin Trudeau incarne une utopie raciale où le métissage sera complet. Kaufmann affirme que le Canada est un des rares pays qui a perdu son identité avec l’effondrement de l’Empire britannique.

Le Canada postnational

Cela explique pourquoi le Canada est devenu un paradis pour les communautés ethnoculturelles et racisées. C’est la raison pour laquelle Justin Trudeau a lancé un jour, les yeux dans l’eau et le cœur battant, la nouvelle appellation du pays. Le Canada est un pays postnational­­­ où les citoyens revendiquent des droits individuels, fers de lance d’accommodements religieux, raciaux et sexuels.

Eric Kaufmann note cependant qu’au Québec, la CAQ a été le premier parti à faire campagne ouvertement pour une réduction de l’immigration. L’auteur qualifie la CAQ de parti populiste à cause de ses revendications identitaires. Mais selon sa vision, cette politique ne peut être associée à du racisme.

Ce qui est troublant, c’est que ceux qui dénoncent les Blancs en refusant d’admettre leurs inquiétudes identitaires sont ceux-là mêmes qui affirment leur identité noire ou jaune, qui se qualifient de racisés, d’autres qui proclament leur identité autochtone ou religieuse, mais en faisant toujours référence aux Blancs colonisateurs, esclavagistes, racistes, islamophobes et autres épithètes injurieuses.

La notion d’un camp des bons et des méchants, cette construction indigente et ignorante des cultures et de la nature humaine, est inadéquate pour comprendre la profonde révolution spirituelle, culturelle et politique qui s’annonce.

Kaufmann pour moins d’immigrants afin de lutter contre le populisme

Ignorer, ridiculiser ou mépriser les appréhensions et les revendications des conservateurs blancs, comme le font les élites politiques, intellectuelles et médiatiques, ne fera qu’attiser davantage les braises du populisme, prévient le politologue. Mieux vaut écouter les doléances de cette frange non négligeable de la population et proposer des compromis. Les solutions suggérées par l’auteur : réduire l’immigration et légitimer la fierté d’être blanc.

Certains pourraient être tentés de taxer Eric Kaufmann de racisme. Ce serait toutefois mal comprendre les nuances de cet auteur né à Hong Kong, qui a grandi à Vancouver et à Tokyo avant de s’installer au Royaume-Uni.

L’Actualité, périodique très progressiste québécois, l’a joint à sa maison de Londres, d’où l’auteur suit activement la politique canadienne. Il croit d’ailleurs que le Québec est sur la bonne voie pour éviter la montée de l’extrême droite. À l’inverse, il affirme que toutes les conditions sont présentes pour que le Canada bascule vers le populisme.

L’Actualité — Bon nombre expliquent le Brexit et l’élection de Trump par les inégalités économiques croissantes, particulièrement entre les grands centres urbains et les régions. Vous n’embrassez pas cette théorie des « laissés-pour-compte ». Pourquoi ?

Éric Kaufmann — L’explication économique est attirante, car elle conforte les élites politiques dans leurs positions. La gauche dit que la solution à ce problème est une meilleure redistribution de la richesse. La droite affirme qu’il faut plutôt réduire le fardeau fiscal. Même les populistes aiment cette théorie, car ils y jouent le rôle de défenseurs du « monde ordinaire ». Mais lorsqu’on analyse les données, cela ne tient pas la route. Si on compare le revenu des électeurs lors du Brexit, on constate que les pauvres étaient certes plus enclins à voter pour quitter l’Union européenne que les riches, mais que cet effet était minime. Dans le cas de l’élection de Trump, la question du revenu n’a eu à peu près aucun effet sur le vote.