jeudi 5 décembre 2019

Allemagne — les élèves issus de l'immigration ont des résultats « nettement inférieurs »

ALLEMAGNE – Classement PISA 2019 : les résultats des élèves allemands de 15 ans ont à nouveau baissé.

Les résultats PISA des écoliers allemands se sont améliorés pendant plusieurs années, voilà que leur performance est à nouveau en baisse à nouveau. (Lire aussi Après deux décennies de tests PISA pourquoi les résultats n’augmentent-ils pas plus ?) Die Zeit a interrogé deux chercheurs en éducation sur la situation allemande. Kristina Reiss est un professeur de mathématiques et doyenne de l’École d’éducation à l’Université technique de Munich. Elle dirige la partie allemande de l’étude PISA. Olaf Köller est professeur de sciences de l’éducation et directeur scientifique de l’Institut Leibnitz pour la pédagogie des sciences naturelles et des mathématiques (IPN).


Kristina Reiss — J’ai été vraiment surprise que la joie de lire diminue dans le monde entier, y compris en Allemagne. Je ne m’attendais pas à cela et ça me déprime.

Olaf Köller — J’ai été surpris de voir à quel point la performance des étudiants allemands a diminué de façon générale. Depuis le choc PISA [en 2000], les résultats s’étaient constamment améliorés, il y a trois ans, ils ont stagné, maintenant les résultats sont redevenus inconfortables.

Reiss — Je vois pas les choses de manière aussi négative. En 2000, les jeunes Allemands de 15 ans étaient inférieurs à la moyenne de l’OCDE en lecture, en mathématiques et en sciences. Ils sont de nouveau au-dessus de la moyenne dans tous les domaines. Considérant que la proportion d’étudiants issus de l’immigration a considérablement augmenté, passant de 22 % 2000 à 36 % aujourd’hui, le résultat peut être considéré comme un succès.

Die Zeit — Quel rapport entre les deux ?

Reis — Les jeunes issus de l’immigration ont plus de difficultés en raison de leur origine sociale et linguistique et obtiennent en moyenne des résultats nettement inférieurs aux élèves sans origine immigrée. Compte tenu de cette évolution démographique, il fallait s’attendre à ce que le système scolaire subisse des pressions. Je suis satisfaite des résultats.

Köller — Je vois d’autres raisons de s’alarmer. Le groupe dit à risque, c’est-à-dire les jeunes de 15 ans qui ne savent ni écrire ni calculer correctement, représente 21 % des élèves, un nombre quasiment aussi important qu’en l’an 2000. Dans certaines écoles, leur part peut atteindre 30, 40, voire 50 pour cent, selon les États fédéraux (Länder). Cela signifie qu’un élève sur deux n’a même pas les compétences de base pour un apprentissage scolaire. C’est dramatique.

Reis — Mais il ne s’agit pas d’un problème purement allemand ; nos voisins, la Suisse, les pays du Benelux et même la Finlande, l’ancien pays phare, sont également sous pression.


Die Zeit — L’effet des nombreux réfugiés est-il discernable dans ces résultats ?

Reis — Non, les réfugiés ne représentent qu’une très petite partie des immigrants. La baisse dans l’étude ne leur est pas imputable.

Köller — Le groupe le plus important correspond aux enfants des migrants éduqués et diplômés en Allemagne, ce qu’on nomme la deuxième génération. Les familles d’immigrants ont plus d’enfants que les familles allemandes de souche. Par conséquent, la proportion d’élèves issus de l’immigration augmente. Leurs résultats n’ont pas empiré, mais ils sont de plus en plus nombreux [et la moyenne baisse donc].

Reis — En outre, la proportion de familles immigrantes qui parlent allemand à la maison s’est réduite [les immigrants issus de l’Europe de l’Est et de Russie adoptaient rapidement l’allemand, cette source a fortement diminué]. Cela a également un effet négatif sur les résultats.

Die Zeit — L’espoir que les migrants s’assimilent petit à petit est-il donc déçu ?

Reis — On ne peut pas parler des migrants en général. Pour l’instant, ce groupe est incroyablement hétérogène. Dans le passé, les enfants provenaient principalement de familles d’immigrants originaires de Turquie, de Pologne et de l’ancienne Union soviétique. Ces étudiants sont toujours fortement représentés, mais d’autres pays d’origine s’y sont désormais adjoints, un mélange bigarré [sic] d’enfants originaires de Syrie, du Kosovo, de Roumanie, de Croatie et de nombreux autres pays. Autre chose à retenir : comparée aux autres pays européens, l’Allemagne est plus susceptible d’avoir des immigrés socioéconomiquement faibles. Cela a également également un impact sur les résultats.


Évolution des résultats des élèves de 15 ans allemands aux études PISA (2000-2018)


[...]

Köller — Après le choc PISA [en 2000], les gouvernements ont beaucoup pour promouvoir la lecture. Il y a aussi eu une certaine amélioration dans les leçons de mathématiques. Après cela, les États fédéraux se sont essoufflés.

Reis — Les Länder et les écoles ont toujours en tête le soutien linguistique [auprès des enfants non germanophones]. Nous nous sommes penchés sur le sujet pour la présente étude. En 2009, un peu moins de 30 % des étudiants non germanophones avaient suivi des cours de soutien de langue alors que cette proportion était de 67 % en 2018. C’est encourageant.

Köller — Formellement, c’est vrai. Cependant, les enseignants de soutien sont souvent des enseignants suppléants, en partie à cause de la pénurie d’enseignants [...]. En outre, le soutien linguistique est plutôt aléatoire dans de nombreux endroits. À ce jour, il n’existe pas de programme national et systématique de soutien linguistique. Au lieu de cela, les écoles bricolent leurs propres concepts. Ensuite, il est question de renforcer la confiance en soi des élèves ou d’encadrer les enseignants. Seule la chose la plus importante est souvent négligée : la pratique régulière de la lecture, par exemple, en lisant à haute voix. Cela peut sembler démodé à certains enseignants, mais être capable de lire couramment est la base de tout.

Die Zeit — Si on parle moins l’allemand à la maison, alors peut-être on devrait agir sur le fait que la langue est parlée uniformément à l’école. Avons-nous besoin d’obliger à parler allemand dans nos cours d’école ?

Reiss — Obliger ou interdire est de peu d’utilité, selon l’expérience. Mais pour que les enfants apprennent à lire et à écrire correctement, ils doivent avoir de nombreuses occasions de parler allemand dans la vie de tous les jours. Par exemple, en l’offrant de manière solide et à temps plein.

Die Zeit — Mais les effets sur le plan des apprentissages scolaires ont été jusqu’à présent décevants.

Köller — Parce que la journée n’est pas utilisée correctement. Ainsi si Ali et Samira — ou même Tom et Marie — ont des problèmes en classe le matin, l’enseignant doit les remettre à l’enseignant de soutien dans l’après-midi [après les heures de classe obligatoire]. Dans de nombreuses écoles ouvertes toute la journée, on ne fait que surveiller les enfants l’après-midi et ils n’apprennent rien.

Reis — Tout aussi important : la promotion systématique de la langue [allemande] doit commencer à l’école maternelle.

Köller — Il faut insister sur le systématique. Dans de nombreuses garderies ou écoles maternelles, le soutien linguistique n’occupe que 40 minutes par semaine pour des groupes de 20 enfants d’âges variés. C’est absurde. Les enfants qui ne parlent peu l’allemand ont besoin d’un soutien linguistique quotidien bien plus long. [...]


Source Die Zeit