mardi 23 mai 2023

Ukraine — Les ravages de la « guerre d’usure »

Le bilan des pertes russes et ukrainiennes est l’un des secrets les mieux gardés de cette guerre, dont c’est un paramètre majeur. La question de leur « acceptabilité » dans les deux sociétés l’est tout autant. 
 
Cimetière en Ukraine, chaque tombe de soldat tombé est ornée d’un drapeau

Entre 40 et 60 % des premiers militaires ukrainiens que nous avons formés sur le sol français en 2022 ne répondent plus, lâche une bonne source. « Nous pensons que la plupart se taisent parce qu’ils sont déjà morts au combat. » Les formateurs français ayant noué des liens avec leurs élèves ukrainiens en sont réduits à des supputations. Car interroger les autorités militaires de Kiev à ce sujet déclenche leur colère, racontent ceux qui s’y sont risqués. Le bilan des pertes ukrainiennes reste le secret le mieux gardé du président Volodymyr Zelensky, même si, d’après tous les indicateurs périphériques disponibles, il ne fait aucun doute que le nombre des morts et des blessés a explosé depuis la fin de l’été. On vient, par exemple, d’apprendre que le nombre des étudiants avait bondi de 82 % en quelques mois, car ce statut permet d’échapper aux mobilisations qui s’enchaînent.

Au fil de la dizaine d’appels à servir le drapeau bleu et jaune réalisés depuis le début de la guerre, les résultats ont beaucoup baissé. Malgré les renforts, les rangs des unités se sont éclaircis. Les neuf brigades reconstituées avec l’aide de l’OTAN en vue de la future offensive du printemps alignent entre 2 500 et 3 000 hommes, quand les standards otaniens oscillent entre 5 000 et 8 000. Lorsqu’ils sont loin des journalistes et des communicants, les opérationnels ukrainiens dressent pour leurs interlocuteurs étrangers un tableau militaire plus conforme aux informations brutes qui proviennent du front qu’aux éléments de langage colportés sans nuance par les chaînes d’info occidentales. Dans le Donbass, pendant tout l’hiver, confirment-ils, leurs hommes ont subi la pression russe. Les unités au contact étaient en permanence dans la position « du faible au fort » en raison de la « supériorité absolue de leurs feux ».
 
 
Trois fois plus d’artillerie russe

Ces témoignages recoupent les calculs des rapports de force effectués par les militaires français. Selon eux, au Donbass, les Russes disposeraient d’environ trois fois plus de tubes d’artillerie que les Ukrainiens. Qui, de surcroît, pâtissent d’un autre handicap, de notoriété publique : les stocks de leurs alliés ont fondu et leur capacité industrielle est lente à remonter en puissance. Actuellement, quand les attaquants russes tirent en moyenne 15 000 coups par jour, les défenseurs ukrainiens répliquent par 5 000 coups. Comme la majorité des morts et des blessés de cette guerre est causée par l’artillerie, certains spécialistes contestent que les pertes soient équivalentes dans les deux camps comme l’affirment les officiels américains. Qui viennent de réviser leurs estimations. En janvier, ils annonçaient environ 100 000 morts et blessés de part et d’autre. Début mai, ils évoquent « au moins 200 000 et peut-être 250 000 morts et tués ». C’est une confirmation que la guerre des tranchées est particulièrement meurtrière. À Bakhmout, chaque camp assure étriller l’autre.

« Oui, les Ukrainiens ont moins de canons, mais leurs modèles sont beaucoup plus performants et leurs servants les utilisent mieux », rétorquent les partisans du bilan « équilibré », en référence aux Caesar français et aux Himars américains livrés à Kiev. Ceux qui minimisent les effets de ces armes (« trop peu nombreuses ») avancent que les Ukrainiens auraient perdu au cours des huit derniers mois a minima deux fois plus d’hommes que les Russes. Les ratios se seraient donc inversés par rapport au début de la guerre, où les attaquants, en position d’infériorité tactique et numérique, ont eu beaucoup plus de tués et de blessés, notamment parmi leurs forces spéciales et leurs officiers, habitués à commander au feu.

[Notons aussi que « ces derniers mois, les systèmes [Himars] ont été rendus de moins en moins efficaces par le blocage intensif des Russes, ont indiqué à CNN cinq sources américaines, britanniques et ukrainiennes » et « Ces derniers mois, la Russie a contrecarré plus fréquemment les systèmes de roquettes mobiles de fabrication américaine en Ukraine, en utilisant des brouilleurs électroniques pour désactiver le système de ciblage guidé par GPS et faire en sorte que les roquettes manquent leur cible, ont déclaré à CNN plusieurs personnes informées de la question.» Asia Times de Hong Kong qui cite Forbes et le Royal United Services Institute de Londres : « La Russie gagne la guerre électronique en Ukraine. Les capacités de guerre électronique de la Russie ont décimé les drones ukrainiens »]


Les derniers chiffres des pertes communiqués par Moscou, en septembre 2022, étaient à l’évidence sous-évalués : 5 900 morts, 3 800 blessés. Cependant, les autorités ne cherchent pas vraiment à dissimuler le coût humain de leur guerre. Elles incitent d’ailleurs la population à rendre hommage à ses « héros ». L’antenne russe de la BBC, en partenariat avec un média indépendant, a pu éplucher les listes nécrologiques publiques et visiter les cimetières pour s’en faire une idée plus précise. À la fin février, ses journalistes ont confirmé la mort certaine d’environ 15 500 soldats et en ont déduit une fourchette de 45 000 à 60 000 blessés (selon le ratio militaire : un mort pour trois ou quatre blessés). Le total recoupe la première estimation américaine.
 


Profondeur stratégique…


Dans cette « guerre d’attrition » (d’épuisement du potentiel humain et matériel ennemi, en langage militaire [simplement  « guerre d'usure » en français, attrition est le terme anglais]), la Russie dispose d’un avantage majeur sur l’Ukraine. Son réservoir de population est trois fois et demie plus important (143 millions d’habitants [146 selon Rosstat] contre 41 millions [en 2021, probablement proches de 30 millions en 2023]). Toutefois, la question de l’« acceptabilité » de morts est sans doute plus sensible chez les Russes, qui ne se battent pas directement pour défendre leurs frontières et leurs terres et ne sont pas dos au mur, comme les Ukrainiens. Tant que l’appel au volontariat, à des conditions financièrement très attractives, suffira pour combler les rangs, Vladimir Poutine s’en contentera sûrement et les généraux devront adapter leur stratégie en conséquence. Devant le Congrès des États-Unis, début mai, le général Christopher Cavoli, qui commande les troupes américaines en Europe et est, à ce titre, chef militaire de l’OTAN, a douché l’enthousiasme d’un élu se félicitant de la dernière estimation des pertes russes communiquée par le Pentagone : « Une grande partie de l’armée russe n’a pas été affectée par ce conflit. »

Source : Valeurs actuelles
Voir aussi
 
 
Soldat de Kiev : « Il sort son téléphone et parcourt une série de photos : "Tué... tué... tué... tué... tué... tué... blessé. . . . Maintenant, je dois m'habituer à d'autres personnes. C'est comme si je repartais à zéro." » [Reportage dans les tranchées kiéviennes par le New Yorker (en anglais)]

L'Ukraine a envoyé des hommes pauvres et peu entraînés dans le hachoir à viande de Bakhmout afin de conserver ses meilleures forces pour la contre-offensive promise. Un homme a déclaré au Wall Street Journal qu'il n'avait jamais tenu une arme avant d'être envoyé au combat. 
 

France — Catholicisme en forte perte de vitesse, les sans religion, protestants évangéliques et musulmans augmentent

L’enquête Trajectoires et origines de l’Insee rendue publique en avril est une précieuse source d’informations sur l’évolution des religions en France. La Croix résume : « L’historien Guillaume Cuchet en liste quelques-unes : chute du catholicisme, montée des évangéliques et de l’identitarisme juif. »  Étrangement ce résumé omet l’augmentation rapide du nombre de musulmans (de 2 % à 9 % en 12 ans…).
 

Selon la nouvelle étude Trajectoire et origines de l’Insee, les catholiques déclarés en France sont passés de 43 % à 25 % en douze ans.
 
Une information chassant l’autre, on ne s’est guère attardé sur les enseignements religieux de l’enquête Trajectoires et origines de l’Insee, dite TEO 2, qui portent sur des données datant de 2019-2020 et qui a été rendue publique en avril. La comparaison avec les données issues de TEO 1 de 2007-2008 est pourtant instructive.

Le premier constat est que les choses évoluent très rapidement depuis douze ans. C’est d’autant plus sensible que l’enquête porte sur les 18-59 ans et pas sur la totalité de la population, c’est-à-dire des personnes nées après 1960, ligne de partage des eaux désormais bien repérée par les historiens. On a affaire à des générations sans grand passé religieux ou issues de l’immigration disponibles pour de profondes réorganisations.

Déclin du catholicisme
 
Les grandes tendances déjà perceptibles dans TEO 1 s’accentuent. La seule vraie nouveauté est la croissance spectaculaire des protestants évangéliques. On peut en distinguer cinq principales. La première est la hausse des sans-religion déclarés qui passent de 45 à 53 %. Avec eux, on est dans un processus classique de « sortie de la religion » tel que le décrivent depuis le XIXe les théoriciens de la sécularisation, d’Auguste Comte à Marcel Gauchet.

La deuxième est le déclin du catholicisme, qui passe de 43 à 25 %, soit une quasi-division par deux en douze ans. La « crise des abus sexuels dans l’Église » a amplifié la tendance mais ne l’a pas créée. Ce n’est plus de déclin qu’il faut parler mais d’effondrement, et nul ne peut dire à quel niveau se fera la stabilisation.

Anciens catholiques : pourquoi quittent-ils l’Église ?
 
La troisième est la forte montée des « autres chrétiens », de 2,5 à 9 %, surtout des protestants évangéliques. C’est la plus forte progression depuis TEO 1. La quatrième est la progression des musulmans, qui passent de 8 à 11 %, moins par conversions d’éléments extérieurs que par reproduction de l’identité et de la ferveur à l’intérieur du monde musulman. 26 % des femmes portent le voile.

Le judaïsme, la religion la plus identitaire
 
La cinquième tendance est le caractère de plus en plus identitaire et fervent du judaïsme. C’est même, à bien des égards, la religion la plus « identitaire » de France, si l’on en croit l’enquête. Les succès de librairies spirituels de la rabbin libérale Delphine Horvilleur ne doivent pas donner le change de ce point de vue sur les tendances dominantes du groupe. 
 
Le bouddhisme enfin reste stable, à 0,5 % des Français.

L’enquête délivre par ailleurs des enseignements instructifs sur les moteurs du changement religieux en France. L’immigration joue un rôle croissant, à la fois parce qu’elle reste massive (plus de 10 % d’immigrés) et parce que le groupe central de la société française sans ascendance migratoire, souvent d’origine catholique, est de plus en plus sécularisé. Elle recompose puissamment la religion qui reste. Le point n’est pas sans importance pour comprendre les impressions collectives qui accompagnent le processus : un grand nombre de Français regardent d’assez loin ces recompositions qui leur paraissent secondaires, liées à l’immigration et ne modifiant pas le sens de leur histoire qui continue de se ramener, bien souvent, à la sortie du catholicisme.

Transmission

Deuxième facteur important, le taux de reproduction spirituelle des groupes, c’est-à-dire leur capacité à transmettre leurs convictions à la génération suivante. Il est lié à la dimension identitaire de la religion et à la ferveur. Le meilleur est celui de l’islam (91 %), le moins bon celui du catholicisme (67 %), mais celui des évangéliques (69 %) est plus près des seconds que des premiers. Les Églises évangéliques sont aussi des Églises dont on sort, ce qui rend d’autant plus spectaculaire leur progression.

Le troisième facteur est l’efficacité du prosélytisme, c’est-à-dire la capacité à faire des convertis. Elle est surtout évangélique, l’islam ayant tendance à se spécialiser dans la reconversion identitaire de populations d’origine musulmane. La croissance des évangéliques est aussi liée à l’immigration parce que les zones de départ, en Afrique par exemple, ont été touchées par la révolution évangélique de ces dernières décennies et que les migrants arrivent déjà convertis. Le dernier facteur est l’inégale dynamique démographique des groupes, notamment à la deuxième génération, avant l’alignement tendanciel de la troisième sur les standards hexagonaux.

Déclassement annoncé

De toutes ces tendances, il ressort que le paysage religieux français au sens de répartition des cultes déclarés, qui n’avait guère bougé dans ses grandes lignes depuis le XVIIe siècle et qui avait résisté à la Révolution française, à la révolution industrielle, aux deux guerres mondiales, à l’effondrement de la pratique depuis les années 1960, est en train de changer profondément sous nos yeux. En 1872, dans le dernier recensement public à avoir comporté officiellement une rubrique religieuse, plus de 97 % des Français avaient répondu qu’ils étaient catholiques romains et on en était encore pratiquement là au début des années 1960.

Dans TEO 2, ils ne sont plus que 25 % à le dire, et la réduction n’est pas terminée. Dans ces conditions, il n’est pas sûr que le catholicisme reste encore longtemps la première religion du pays. À terme, il pourrait passer au deuxième, voire au troisième rang des religions en France. Un déclassement annoncé qui, étrangement, suscite peu de commentaires dans l’Église, comme si les évêques, sonnés par la crise des abus sexuels, ne savaient plus qu’assister, muets et impuissants, à l’effondrement.
 
Voir aussi
 

Vatican II, « déclencheur » de l’effondrement de la pratique catholique ? (M-à-j vidéos) 

L’Église anglicane au Québec se meurt, elle soutient fortement le cours ECR  

L’Église catholique — pour qui sonne le glas ? (M-à-j)

Les plus religieux hériteront-ils de la Terre ? (sur la fécondité des conservateurs religieux par le professeur Eric Kaufmann).

Éric Zemmour : « Quand Joe Biden et le pape François jouent contre les évêques américains »

 
 
Le Pape François a donné quitus à une éradication du christianisme dans sa Terre natale
 

 

 

Norvège rejoint Suède, Finlande, Royaume-Uni, Kentucky, Texas et Floride en interdisant la stérilisation, la castration et les mastectomies sur les mineurs

La semaine dernière, le Comité norvégien d’enquête sur les soins de santé a annoncé qu’il allait réviser ses lignes directrices actuelles concernant les soins dits « d’affirmation du genre » pour les mineurs, car il ne les considère plus comme fondées sur des preuves. Le conseil a également reconnu que le nombre croissant d’adolescentes qui s’identifient comme des hommes après la puberté reste sous-étudié.

Selon les lignes directrices actualisées proposées, l’utilisation de bloqueurs de puberté, d’hormones de sexe opposé et de chirurgie liée à la transition serait limitée aux contextes de recherche et ne serait plus proposée dans des contextes cliniques. La Norvège rejoint la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni dans l’introduction d’une plus grande protection des enfants. Aux États-Unis, huit États ont jusqu’à présent interdit les soins affirmatifs aux personnes de moins de 18 ans, le Tennessee étant le dernier à avoir adopté une telle législation.

Il est bon que davantage d’organisations professionnelles reconnaissent la nature expérimentale de cette approche chez les enfants. Un certain nombre d’études montrent que la plupart des enfants souffrant de dysphorie de genre se sentent à l’aise dans leur corps à la puberté et que ceux qui souhaitent effectuer une transition soudaine après la puberté peuvent être victimes d’une contagion sociale. Ces études ont été rejetées parce qu’elles ne correspondent pas au discours militant préféré.

Selon la Dr Debra Soh, ce discours militant, cependant, va continuer à s’effondrer. Un article récent publié dans la revue universitaire Archives of Sexual Behavior explique comment l’effet placebo n’a pas été suffisamment pris en compte dans l’interprétation des nouvelles découvertes en faveur de la transition chez les enfants. Bien que le terme « effet placebo » fasse généralement référence à la réaction d’un patient à une intervention inefficace, il peut également décrire les effets psychologiques et physiques bénéfiques associés à un traitement, par opposition au traitement lui-même.

Par exemple, la participation à une étude permet souvent d’accorder une attention particulière à un patient et de s’attendre à ce que son état (par exemple, la dysphorie de genre) s’améliore. Si cela peut être positif dans un contexte thérapeutique, les chercheurs ne devraient pas souhaiter que les résultats de l’étude soient confondus, car l’objectif de la recherche est de déterminer objectivement si un traitement est efficace ou non. Cela est particulièrement important lorsqu’il s’agit d’évaluer des interventions qui peuvent avoir des conséquences sur la fertilité, le fonctionnement sexuel futur et la santé à long terme d’une jeune personne.