vendredi 8 juillet 2022

France — L’inquiétant niveau de français des bacheliers

Alors que les résultats du baccalauréat étaient publiés mardi en France, enseignants et linguistes alertent sur les lacunes des bacheliers à l’écrit. Une défaillance qui prend racine dès la maternelle.

Avec 86 % de réussite au bac, la promotion 2022 fait un peu moins bien que la précédente. Mais c’est surtout le niveau des candidats à l’écrit qui a frappé les enseignants. Textes — pourtant accessibles — jugés incompréhensibles, copies indigentes, références « philosophiques » empruntées à des influenceurs du web… En plus d’une capacité d’attention affaiblie par le temps passé sur les écrans, leurs carences résultent d’un système éducatif qui, dès l’école, a réduit son niveau d’exigence.

« Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. » Début de l’extrait du roman de Sylvie Germain, Jours de colère, prix Femina 1989, proposé au bac de français 2022.

Le commentaire de texte visait à interroger les élèves sur la façon dont neufs [sic, lire neuf] frères, hommes des bois élevés le Morvan, avaient été façonnés par leur environnement. Texte emprunt [resic, lire empreint !] de poésie, au vocabulaire accessible pour des élèves de la voie générale. Les mots « venelles » et « séculaires », d’ailleurs, étaient expliqués en note. Un extrait pourtant jugé incompréhensible par certains candidats qui, sur les réseaux sociaux, se sont répandus en commentaires insultants. Que dit cette polémique du rapport de la jeune génération à la langue française ?

« Il faut se méfier de l’effet grossissant des réseaux sociaux », commence Olivier Barbarant, inspecteur général du groupe Lettres à l’éducation nationale. Des réseaux sociaux où les influenceurs les plus en vue ne débordent pas de références littéraires. « Les lycéens à qui cette épreuve a donné envie de lire le roman de Sylvie Germain ne le diront pas sur Tiktok, poursuit Olivier Barbarant. Il faut cependant s’interroger sur cette minorité et sur ce que l’on a construit avec elle autour de la littérature. »

« Les élèves n’apprennent plus rien à l’école », assène René Chiche, professeur de philosophie à Marseille, vice-président du syndicat Action & Démocratie CFE-CGC. Très actif sur les réseaux sociaux, l’enseignant a publié début juin les extraits d’une copie du bac de philo, à laquelle il a attribué un 5 [sur 20]

« L’etat ne devrait pas decider car l’etat ne conait pas le passer de chacun, elle ne c’est pourquoi cela et arrive », écrit ce candidat au bac général, qui avait choisi le sujet « Revient-il à l’état de décider ce qui est juste ? ». 

« L’une des pires copies parmi les 110 que j’ai corrigées cette année, reconnaît le professeur. Mais il y en avait beaucoup d’autres pas très loin de cela. Une vingtaine était écrite correctement. Seules deux copies faisaient, dans ce sujet lié à l’état, la nécessaire distinction entre droit naturel et droit positif. » Il décrit, en terminale, des élèves qui « ne savent pas tenir un stylo », qui « enchaînent les phrases sans pensée construite » et disent n’avoir jamais fait de dissertation avant. Selon lui, les pratiques d’évaluation poursuivent, en parallèle, une longue fuite en avant, avec un contrôle continu « qui ne permet plus de noter comme par le passé, en vue d’un examen final qui serait le juge de paix » et une harmonisation des notes « à la hausse » qui « prive le professeur de ses prérogatives ». « Autant que je passe le balai dans la cour du lycée », s’emballe-t-il. Il s’insurge contre cette mouvance bienveillante qui va à l’encontre de l’exigence. « On explique que les élèves lisent plus, mais différemment, ou encore qu’ils ne savent pas faire de dissertation, mais parlent anglais et savent naviguer sur internet », ajoute-t-il, dénonçant un « pédagogisme » à l’œuvre depuis les années 1970.

Les exigences littéraires restent pourtant élevées au lycée, où la réforme des programmes, menée sous l’ère Blanquer, a remis en place une approche chronologique et inscrit des œuvres imposées, de Rabelais à Victor Hugo, en passant par Olympe de Gouges et Jean-Luc Lagarce, auteur de Juste la fin du monde. Des programmes qui ont suscité, du reste, une pluie de critiques dans le camp dit « progressiste », qui dénonce une approche très « dix-neuvièmiste ». « Un reproche erroné, même si nous refusons de nous limiter à des textes contemporains », rétorque l’inspecteur général Olivier Barbarant. « Le fait d’imposer des œuvres permet de maintenir une culture commune, poursuit-il. On a parfois l’impression que le français du XIXe siècle est, pour certains élèves, une langue étrangère, comme l’était le français de la Renaissance pour les générations passées. Mais on ne peut accepter l’idée que Balzac ne soit plus lisible. » En parallèle, l’agrégé de lettres relève qu’au collège, les exigences sont « un peu faibles ». Là où le programme préconise d’étudier un récit du XIXe siècle, les enseignants se contentent bien souvent d’une courte nouvelle de Maupassant. La marche vers le lycée est ensuite difficile à franchir.

Mais c’est bien en amont, à l’école primaire, où se forge le lexique et se posent les bases de la syntaxe et de l’orthographe, que se joue la maîtrise de la langue. « La pénurie de vocabulaire programme 10 à 15 % des élèves à l’échec scolaire et l’illettrisme dès la fin de l’école maternelle ! », explique le linguiste Alain Bentolila. Alors que le lexique minimum nécessaire en début de CP [à 6 ans] est estimé à 2000 mots, 20 % des écoliers y arrivent avec moins de 400 mots.  

[Avec la réduction du temps scolaire (de 1338 heures par an au début du XXe siècle à 864 heures aujourd’hui) et la diversification des matières enseignées dont certaines sont de plus en plus idéologiques, le niveau a régulièrement baissé.]

« On n’apprend donc pas à lire de la même manière, et ce quelles que soient les méthodes de lecture », résume le chercheur. Il fait une analogie avec l’analphabétisme programmé des enfants sénégalais, qui apprennent à lire en français à l’école, mais dont la langue maternelle est le wolof. « C’est oublier qu’apprendre à lire, c’est apprendre à lire une langue que l’on connaît déjà », insiste-t-il. Pour le linguiste, la solution est simple. Il faut « changer la maternelle ». « La maîtrise de la langue repose sur le lexique et la syntaxe, ajoute-t-il. Mais l’on a abandonné ces enjeux, sous prétexte que c’est trop difficile pour certains élèves ou trop ennuyeux. » Et l’on arrive à une épreuve de bac français 2022, où des lycéens professionnels ne connaissent pas le sens du mot « ludique », contenu dans l’énoncé.

« C’est en écrivant que l’on apprend à écrire. Et cela, le système français semble l’ignorer », estime Viviane Youx, présidente l’association française pour l’enseignement du français (AFEF), qui pointe une formation des enseignants insuffisante. En CM1 [9-10 ans] et CM2 [10-11 ans], une enquête de l’inspection générale a calculé que sur les 8 heures hebdomadaires de français, seules 48 minutes sont réservées à l’écriture.

Désamour pour la littérature, niveau de maîtrise de la langue fléchissant, difficulté à organiser sa pensée… « Tout cela n’est pas nouveau. Ce qui nous inquiète davantage, c’est que ce constat s’étend à l’université, où les éléments de syntaxe ne sont pas intégrés », ajoute Viviane Youx. La massification de l’enseignement, entamée dans les années 1970, a désormais poussé la porte des universités et des grandes écoles, obligeant ces dernières à instaurer des cours de remise à niveau en français. De 4,4 % en 1947, la part de bacheliers dans une génération est passée à 82,8 % en 2021 ! Entre-temps, ont été créés, aux côtés du baccalauréat général, le bac technologique en 1968, puis le bac professionnel en 1985.

La démocratisation de l’enseignement explique en partie la baisse de niveau. Mais la situation des élèves français est préoccupante, au regard des comparaisons internationales, comme le montrent les études Pisa 2019 ou Pirls 2016. La première montre que la France est championne en matière de déterminisme social. La seconde constate qu’un écolier français lit moins bien que ses camarades européens, exception faite de la Belgique francophone.

Source : Le Figaro

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