dimanche 5 janvier 2020

Le nouveau projet collectif des Occidentaux: disparaître sans laisser de trace

Sous couvert de vouloir diminuer notre empreinte carbone, l’idée même de laisser une trace de sa vie se trouve dévaluée dans les pays occidentaux, s’inquiète l’essayiste, Olivier Babeau dans le Figaro (extrait) :


La préoccupation environnementale prend aujourd’hui la forme du souci constant de minimiser son « empreinte ». Au-delà du carbone, ce sont plus généralement toutes les traces du passage des êtres humains sur terre qui sont vouées à disparaître, y compris celles qui ne sont pas une menace pour l’écosystème. C’est une nouveauté frappante de notre temps.

Dans l’Antiquité, il était essentiel pour chacun de laisser derrière soi des gens capables d’évoquer votre souvenir. On pensait que le mort conservait une forme d’existence aussi longtemps que quelqu’un se souvenait de lui. La recherche de la gloire était moins une vaine quête dictée par l’orgueil que le moyen très commode de devenir immortel. Tous les grands dirigeants, des pharaons aux présidents de notre République en passant par les rois, n’étaient préoccupés que de laisser les traces les plus éclatantes possible de leur règne ou de leur mandat. Le simple citoyen lui-même, autrefois, se rêvait bâtisseur. Il souhaitait, comme l’avait écrit le jeune Berlioz, « laisser sur la terre quelques traces de son existence ». Édifier une œuvre artistique en était le moyen. Proust aura écrit la sienne, on le sait, comme une « cathédrale de mots ». Les cathédrales, d’ailleurs, ne sont-elles pas aussi le produit du désir de leurs bâtisseurs d’envoyer à travers les siècles le témoignage de leur foi ? Laisser une trace, en bref, était la grande affaire des âges antérieurs. Il n’y avait rien de plus beau ni de plus enviable que de marquer son temps et la terre de son passage.

Le nouveau grand projet, c’est de ne pas en avoir. On revendique l’insignifiance. On « design » le rien. On organise le vide. À l’image, finalement, d’une époque qui ne croit plus depuis longtemps dans l’une de nos religions révélées, et qui a récemment perdu sa foi dans le bien-être matériel. Notre ferveur s’est réfugiée dans le culte de Gaïa. Un culte particulièrement naïf qui fantasme une dichotomie parfaite entre la nature et la culture. Il ignore que tant de choses dans notre environnement ont déjà été façonnées par des milliers d’années d’efforts humains : les paysages, les fruits (qui n’existaient pas à l’état naturel sous leur forme actuelle), les animaux (les chiens sont des loups sélectionnés)… Le culte de Mère Nature veut aussi ignorer tout ce que notre bien-être actuel doit à des milliers d’années d’effort pour contrecarrer la nature et s’abstraire de ses nécessités.

Le projet écologique est fondé sur une forme extrême de conception rousseauiste du monde : la société ne pervertit pas seulement l’homme, naturellement bon ; c’est l’homme lui-même qui pervertit la nature par sa seule existence. L’homme serait une sorte de virus sur terre, et toute trace humaine une forme de dépravation de la nature. Même les traces de pas sur la neige d’une montagne sont ainsi vécues comme une forme d’agression. Il s’agit d’ensauvager à présent ce monde que l’être humain a eu tant de mal à civiliser.

Le citoyen bien-pensant du XXIe siècle ne souhaite plus être conquérant de rien. Quand ils n’étaient pas des colonisateurs, les grands conquérants d’hier, pense-t-il, n’étaient après tout que des briseurs de l’harmonie originelle. Il culpabilise de tout ce qu’ont fait ses prédécesseurs et voudrait, presque littéralement, rentrer sous terre. Un bon citoyen, à la limite, est un citoyen mort qui n’encombre plus l’atmosphère avec sa respiration. La crémation ne suffit d’ailleurs plus : la dernière trouvaille est de proposer de transformer notre corps en compost. Une façon de s’excuser des nuisances de notre vie pour au moins gagner une utilité post mortem.

Que peut-il advenir d’une civilisation qui ne voit aucun objectif plus digne que de s’abolir ? Quelle force peut-il rester à une société qui rêve de s’éteindre en silence ? La volonté de supprimer l’empreinte n’est que le prolongement logique d’une volonté de nier l’héritage, ce générateur d’inégalités impossibles à compenser. Habités du fantasme puéril — et dangereux quand nous en avons les moyens technologiques d’omnipotence, nous ne voyons pas de paradoxe à vénérer la nature tout en affirmant que tout n’est que culture. Nous sommes entrés dans l’ère de la fluidité, qui prétend que tout se choisit. À l’individu sans racines ni attaches correspond une existence qui ne veut laisser nulle trace. Un individu interchangeable est jetable et recyclable. Une ride éphémère à la surface d’un lac. Un accident de l’Histoire réduit à l’état de note de bas de page dans le grand livre de la vie. Cette conception, notons-le néanmoins, semble circonscrite à un Occident las de trop de paix et de prospérité.



Le 6 janvier 1643, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, plante une croix sur le Mont-Royal


Noël 1642. Le fort de Ville-Marie, érigé en mai, risque l’inondation. Vu la proximité du fleuve Saint-Laurent, une forte crue des eaux menace d’anéantir la fragile construction. Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, prie la très Sainte Vierge d’épargner sa nouvelle colonie. Il promet alors de planter une croix au sommet du Mont-Royal. Son vœu exaucé, le jour des Rois, 6 janvier 1643, le gouverneur porte solennellement la croix promise et l’érige sur la cime de la montagne. Une verrière de l’église Notre-Dame illustre cette ascension sur le Mont-Royal.