jeudi 29 février 2024

La loi sur les préjudices en ligne menace la liberté d'expression au Canada

Le 26 février, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, Arif Virani, a présenté le projet de loi C-63, la Loi sur les préjudices en ligne, à la Chambre des communes. Cette loi est présentée par le gouvernement comme un dispositif visant à promouvoir la sécurité en ligne des personnes au Canada et à réduire les contenus préjudiciables en ligne. La loi sur les préjudices en ligne imposerait des peines sévères pour les discours haineux en ligne et hors ligne, y compris l’emprisonnement à vie, qui est la peine criminelle la plus sévère au Canada. Cette nouvelle législation établirait une nouvelle Commission de la sécurité numérique ayant le pouvoir d’appliquer les nouvelles réglementations créées par le cabinet fédéral. La Commission canadienne des droits de l’homme serait dotée de nouveaux pouvoirs lui permettant de poursuivre et de punir les discours haineux non criminels.

Il faut saluer les bons points

Bien que la loi sur les préjudices en ligne menace sérieusement la liberté d’expression au Canada, certaines de ses dispositions reposent sur de bonnes intentions. Il est louable d’obliger les plateformes en ligne à supprimer le porno vengeur et tout autre partage non consensuel d’images intimes, les contenus qui intimident les enfants, les contenus qui victimisent sexuellement les enfants, les contenus qui encouragent les enfants à se faire du mal, et les contenus qui incitent à la violence, au terrorisme ou à la haine.

Redondance inutile avec le Code pénal

Cependant, les bonnes intentions ne justifient pas l’adoption de lois supplémentaires qui font double emploi avec ce qui est déjà interdit par le Code pénal canadien. Les lois supplémentaires qui font double emploi avec les lois existantes sont un mauvais substitut à une bonne application de la loi.

L’article 162.1 (1) du Code pénal canadien interdit déjà la publication en ligne et hors ligne d’une image intime sans consentement. L’article 163 interdit déjà la publication de matériel obscène et de pornographie enfantine. Il est donc déjà illégal de publier en ligne du contenu qui victimise sexuellement un enfant ou revictimise un survivant.

L’article 264, paragraphe 1, interdit déjà le harcèlement criminel. L’article 319 (1) interdit déjà l’incitation publique à la haine envers un groupe identifiable par la race, l’ethnie, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et d’autres caractéristiques personnelles. L’article 59 (1) criminalise la sédition, c’est-à-dire le fait de préconiser le recours à la force pour obtenir un changement de gouvernement au Canada. Les articles 83.21 et 83.22 criminalisent le fait de donner des instructions en vue d’une activité terroriste ; tout contenu en ligne incitant au terrorisme est déjà illégal.

Le célèbre psychologue et essayiste Jordan Peterson s’insurge contre la nature rétroactive de la Loi qui pourra punir pour des propos tenus avant l’entrée en vigueur de la Loi si l’on est capable de les supprimer et qu’on ne le fait pas…

En outre, l’article 22 du Code pénal canadien interdit de conseiller, de procurer, de solliciter ou d’inciter une autre personne « à participer à une infraction ». Toute personne qui conseille, procure, sollicite ou incite une autre personne à participer à une infraction sera reconnue coupable si la personne qui reçoit ces conseils commet l’infraction en question. Cela s’applique au terrorisme et à d’autres crimes violents, et même à des délits mineurs comme le vol à l’étalage. En outre, l’article 464 du Code pénal criminalise le fait de conseiller à une autre personne de commettre une infraction, même si cette infraction n’est pas commise.

Les partisans de la loi sur les préjudices en ligne devraient expliquer pourquoi ils estiment que la législation existante est insuffisante pour lutter contre l’expression en ligne « préjudiciable ».

De nouveaux organes gouvernementaux pour censurer le discours en ligne

Si elle est adoptée, la Loi sur les préjudices en ligne créera une nouvelle Commission de la sécurité numérique chargée de veiller au respect des nouvelles réglementations créées par le cabinet fédéral. Cette Commission de la sécurité numérique aura le pouvoir de réglementer pratiquement toute personne ou entité opérant en tant que « service de médias sociaux » au Canada. Toute personne ou tout service de médias sociaux ayant permis un « contenu préjudiciable » se verra infliger des sanctions. La sévérité des sanctions sera fixée par le cabinet fédéral. Les créateurs et les utilisateurs de contenus en ligne s’autocensureront pour ne pas risquer de se heurter à la nouvelle réglementation et à la censure imposée par le gouvernement. La loi sur les préjudices en ligne prévoit qu’une ordonnance de la Commission pour la sécurité numérique peut être convertie en ordonnance de la Cour fédérale et appliquée comme une ordonnance judiciaire. Les responsables des services de médias sociaux pourraient ainsi être condamnés à des amendes et à des peines de prison pour outrage au tribunal s’ils refusent de censurer la parole des Canadiens.

Sanctions préventives pour des crimes non commis

La loi sur les préjudices en ligne, si elle est adoptée, ajoutera l’article 810 012 au Code pénal, qui autorisera des violations préventives de la liberté individuelle alors qu’aucun crime n’a été commis. Cette disposition renie des siècles de tradition juridique qui réservait à juste titre la punition à ce qu’une personne avait fait, et non à ce qu’elle pourrait faire. En vertu de cette nouvelle disposition, un plaignant peut affirmer devant un tribunal provincial qu’il « craint » qu’une personne ne promeuve le génocide, la haine ou l’antisémitisme. Si le juge estime qu’il existe des « motifs raisonnables » pour justifier cette crainte, il peut porter atteinte à la liberté du citoyen accusé en lui imposant l’une ou l’autre ou l’ensemble des mesures suivantes :
  • porter un bracelet de cheville (dispositif de surveillance électronique)
  • respecter un couvre-feu et rester à la maison, comme déterminé par le juge
  • s’abstenir de consommer de l’alcool, des drogues ou les deux
  • fournir des substances corporelles (par exemple, du sang, de l’urine) pour confirmer l’abstinence de drogues ou d’alcool
  • ne pas communiquer avec certaines personnes désignées
  • ne pas se rendre dans certains lieux déterminés par le juge
  • remettre les armes à feu qu’il possède légalement et dont il a besoin légalement.
En d’autres termes, un citoyen qui n’a commis aucun crime peut être soumis à une ou plusieurs (ou toutes) des conditions susmentionnées simplement parce que quelqu’un craint que cette personne ne commette un crime de parole à l’avenir. En outre, si la personne qui n’a commis aucun crime n’accepte pas ces violations de sa liberté personnelle ordonnées par le tribunal, elle peut être condamnée à une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Le système de justice pénale canadien n’est pas censé fonctionner de cette manière. Porter atteinte à la liberté des citoyens par des sanctions préventives, alors qu’aucun délit n’a été commis (et très probablement qu’aucun délit ne sera commis), constitue une rupture radicale avec des siècles de tradition de la common law. Le respect de notre système juridique pour les droits et libertés individuels signifie qu’une personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée dans le cadre d’un procès équitable, tenu devant un tribunal indépendant et impartial. Nous ne punissons pas les innocents et nous ne restreignons pas leur liberté en fonction de ce qu’ils pourraient faire. La simple crainte d’une expression préjudiciable n’est pas un motif légitime d’emprisonnement ordonné par un tribunal ou d’autres conditions qui portent atteinte à la liberté individuelle.

Emprisonnement à vie pour des propos tenus


En ce qui concerne l’infraction prévue par le Code pénal pour l’apologie du génocide, la loi sur les préjudices en ligne porterait la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité. Les sociétés libres reconnaissent la distinction entre les discours et les actes. La loi sur les préjudices en ligne brouille cette distinction.

Compte tenu de la difficulté inhérente à déterminer si une personne a réellement « prôné le génocide », la peine de cinq ans d’emprisonnement est déjà un moyen de dissuasion suffisant pour les mots seuls.

Le cabinet fédéral pourra censurer des discours sans l’avis du Parlement


La loi sur les préjudices en ligne, si elle est adoptée, donnera de nouveaux pouvoirs au cabinet fédéral lui permettant d’adopter des règlements (qui ont la même force de loi que les lois adoptées par le Parlement) qui imposent des interdictions ou des obligations aux services de médias sociaux. Cela comprend l’adoption de règlements qui imposent des amendes ou d’autres conséquences (par exemple, le retrait d’une licence ou la fermeture d’un site web) en cas de non-respect. De nouvelles réglementations peuvent être créées par le cabinet fédéral à sa seule discrétion et ne doivent pas être débattues, votées ou approuvées par le Parlement. Les procédures parlementaires sont publiques. Tout parti politique, ou même un seul député, peut sensibiliser le public à un projet de loi avec lequel il n’est pas d’accord, et peut mobiliser l’opposition du public à ce projet de loi. Il n’en va pas de même pour les règlements, qui sont décidés à huis clos par le cabinet fédéral et qui entrent en vigueur sans consultation ni débat public.

Hormis les élections fédérales qui ont lieu tous les quatre ans, il n’existe aucun moyen véritable de contraindre le gouvernement à rendre compte pour la censure draconienne des services de médias sociaux qu’il pourra imposer par le biais de réglementations et de sanctions sévères qui peuvent être imposées pour l’hébergement de « contenus préjudiciables ». Le cabinet fédéral peut également décider du nombre d’« utilisateurs » qu’un « service de médias sociaux » doit avoir pour déclencher une réglementation fédérale du contenu, ou le cabinet fédéral peut simplement désigner un service de médias sociaux comme étant réglementé, quel que soit le nombre de ses utilisateurs.


Nouveaux pouvoirs de censure pour la Commission canadienne des droits de l’homme


La loi sur les préjudices en ligne, si elle est adoptée, donnera à la Commission canadienne des droits de la personne de nouveaux pouvoirs pour poursuivre et punir les propos offensants, mais non criminels tenus par des Canadiens si, de l’avis subjectif de bureaucrates non élus et non tenus de rendre des comptes, ils jugent que les propos d’une personne sont « haineux ». La loi sur les préjudices en ligne permettra aux Canadiens qui se disent offensés par des propos non criminels de porter plainte contre leurs concitoyens.

Les personnes poursuivies par la Commission des droits de l’homme ne pourront pas se défendre en établissant que leur déclaration prétendument « haineuse » est vraie, ou qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire que leur déclaration était vraie.

 
Les personnes reconnues coupables par le (soi-disant) Tribunal canadien des droits de l’homme peuvent être tenues de verser jusqu’à 50 000 dollars au gouvernement, et jusqu’à 20 000 dollars à la ou aux personnes désignées comme « victimes » par le Tribunal canadien des droits de l’homme. Ces sanctions financières importantes décourageront ou élimineront les discussions nécessaires sur des questions controversées, mais importantes dans notre société. [Voir Mark Steyn sur la nature de cet organisme qui ne mérite pas le nom de Tribunal].

Les partisans de la censure insistent souvent sur le fait que les poursuites en matière de droits de l’homme ne sont pas pénales. Il est vrai que les personnes reconnues coupables d’avoir violé de vagues codes d’expression par le Tribunal canadien des droits de la personne ne subissent pas les conséquences d’un casier judiciaire. Cependant, les personnes poursuivies pour avoir exprimé leurs convictions sont confrontées au choix difficile de devoir dépenser des dizaines de milliers de dollars en frais juridiques ou de devoir présenter des excuses abjectes. Qu’elles choisissent ou non de se défendre contre la plainte, elles peuvent être condamnées à verser jusqu’à 20 000 dollars à la partie offensée, jusqu’à 50 000 dollars au gouvernement ou jusqu’à 70 000 dollars aux deux.

De nombreux Canadiens continueront à exercer leur liberté d’expression protégée par la Charte, mais beaucoup s’autocensureront pour éviter le risque d’être poursuivis par la Commission canadienne des droits de l’homme.
 
Plaintes anonymes : aucun droit de confronter son accusateur

La loi sur les préjudices en ligne, si elle est adoptée, permettra que des plaintes soient déposées contre des Canadiens en secret, de sorte que le citoyen poursuivi par la Commission canadienne des droits de l’homme perdra le droit ancien et fondé de faire face à son accusateur et de l’interroger. Cela va à l’encontre de siècles de tradition juridique qui exige que la procédure judiciaire soit publique et transparente.

Le prétexte invoqué pour éliminer cette protection juridique nécessaire et ancienne est que certains plaignants pourraient être soumis à des « menaces, intimidations ou discriminations ». Cela ne tient pas compte du fait que les menaces et l’intimidation sont déjà des infractions au Code pénal, et que toute discrimination illégale peut faire l’objet d’une nouvelle plainte distincte. Les personnes qui déposent des plaintes concernant l’expression doivent être responsables de leur décision ; il s’agit d’une composante inhérente et nécessaire des procédures judiciaires civiles et pénales. 

Nul besoin d’établir qu’une personne a été lésée

Si la loi sur les préjudices en ligne est adoptée, la Commission canadienne des droits de l’homme n’aura même pas besoin d’une victime pour poursuivre un citoyen pour les propos qu’il a tenus. Par exemple, un homme de Vancouver pourra déposer une plainte anonyme contre une femme de Nouvelle-Écosse qui a fait des remarques désobligeantes en ligne au sujet d’une mosquée de Toronto, que les membres de cette mosquée aient ou non été lésés ou même offensés par le message. La Commission canadienne des droits de l’homme n’a pas besoin de victimes réelles pour conclure à la culpabilité ou imposer des sanctions. Une personne qui se dit victime n’a pas non plus besoin de prouver qu’elle a subi des pertes ou des dommages ; il suffit qu’elle se sente offensée (plus précisément qu’elle prétende qu’elle se sent offensée) par la prétendue « haine » pour avoir droit à une compensation financière.

Conclusion


Pour les raisons exposées ci-dessus, la loi sur les préjudices en ligne nuira à la liberté d’expression au Canada si elle est adoptée. De nombreux Canadiens s’autocensureront pour éviter d’être poursuivis par la Commission canadienne des droits de l’homme. Les Canadiens qui ne s’autocensurent pas, en faisant preuve de courage et en continuant à exercer leur liberté d’expression protégée par la Charte, verront tout de même leur opinion en ligne retirée d’Internet (y compris celles prononcées avant le passage de cette loi !) par les exploitants de sites et de plateformes de médias sociaux. Ces fournisseurs de services chercheront à éviter de se mettre en porte-à-faux avec les nouvelles réglementations de M. Trudeau. Tout le monde vivra dans la crainte de la Commission de la sécurité numérique.
 

L’analyse ci-dessus est de John Carpay
 
Voir aussi
 
 
 
 
Les commissions des droits de la personne : un simulacre de justice

Non seulement les critères de sélection des commissions des droits de l’homme sont-ils à géométrie variable selon le groupe de plaignants et le groupe visé, mais les règles de procédure et la structure des commissions pour les droits de la personne ne respectent pas les règles traditionnelles de procédure équitable :
  1. des tiers étrangers aux présumés délits peuvent malgré tout se joindre à la requête et se plaindre.
  2. Les commissions ont parfois permis aux plaignants d’accéder aux dossiers de celles-ci et de diriger les travaux d’enquête.
  3. La vérité n’est pas une défense.
  4. Les accusés ne peuvent pas toujours confronter leurs accusateurs.
  5. Les normes habituelles pour s’assurer de la validité d’une preuve n’ont pas cours.
  6. La preuve par ouï-dire est permise.
  7. Le gouvernement finance les accusateurs, l’accusé doit se défendre à ses propres frais.
  8. Les accusateurs ne peuvent être condamnés aux dépens s’ils perdent.
(Critiques exposées par le National Post dans l’article « A bit late for introspection » le 19 juin 2008.) 

Les « Kebs » et l’accent arabe (Qui assimile qui dans les écoles ?)

Rémi Villemure, suppléant à l’école secondaire secondaire Daniel Johnson (dans le nord de la ville) m’écrit avoir assisté à des scènes qui confirment l’esprit de la chronique. Notamment, « Des jeunes garçons et filles blancs qui adoptent tous (presque sans exception) l’accent arabe devenu la norme désormais. […] L’emphase [anglicisme, l’accent tonique] sur les A (prononcés Â) mêlée à des expressions comme Wesh, la hess, wallah. Ex : wallah je le jure mâdâme. »

Cette autre grand-mère, Francine Lagacé, de Laval, parle de son petit-fils de 16 ans aujourd’hui en secondaire 4. « Vous savez quoi ? Il parle avec un accent arabe ! Eh oui, il n’y a pas assez de Québécois à l’école pour que les enfants prennent notre accent, c’est le contraire qui se produit. Il me dit que s’il parle [avec l’accent] québécois, il se fait niaiser [charier] ! »

Le glissement identitaire des francophones est relevé aussi par Simon Brodeur, enseignant et père : « Depuis le début du secondaire, j’ai vu mes garçons changer d’accent et de vocabulaire et s’identifier progressivement en tant qu’hybride plutôt que comme Québécois pour survivre à leur environnement social : pour s’intégrer dans leur nouveau milieu. J’ai dû travailler fort pour leur faire prendre conscience de la force civique, culturelle, professionnelle et industrielle des Québécois. »

Sur les tensions entre élèves issus de l’immigration et les natifs, Brodeur écrit « ce que vous mentionnez comme type d’interactions à l’école secondaire est tout à fait véridique et je l’ai observé moi-même. J’ai enseigné dans des écoles montréalaises et je travaille maintenant au cégep comme conseiller pédagogique depuis presque dix ans, au centre-ville (cégep du Vieux Montréal). Les tensions et les intolérances sont présentes, mais ce qu’il y a de nouveau est que les “Kebs” sont considérés comme un sous-groupe parmi les autres, un sous-groupe qui émane d’une majorité dominante, mais qui est stigmatisé par les minorités en situation de majorité par quartier, dans la métropole. »

        Source

(Notons que Kebs sonne à notre oreille comme un terme trop proche de clebs, terme issu de l’arabe كَلْب kleb signifiant chien).


Voir aussi

Réaction hostile de la part des élèves immigrés à l'arrivée d'élèves « de souche »

Écoles du Québec — « Si je me ferme les yeux, je pourrais croire que je suis à Toronto »