jeudi 20 juillet 2023

« Les lycéens sont mauvais en orthographe parce qu’on ne leur a jamais appris »

Quelques jours après la publication des résultats au bac 2023, l’histoire se répète : les enseignants déplorent des copies truffées de fautes d’orthographe. Un constat sur lequel le ministère de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, est rapidement revenu. « À partir d’un certain niveau de langue trop problématique », des points pourraient désormais être retirés aux copies mal orthographiées, a-t-il indiqué samedi 8 juillet au micro de Radio J. Une déclaration qui n’a pas manqué de faire réagir les syndicats et qui interroge les spécialistes comme Jean-Paul Brighelli, auteur du succès en librairie La fabrique du crétin , qui alarmait dès 2005 sur la faillite de l’école.  Entretien publié par le Figaro Étudiant.

Que pensez-vous de la proposition de Pap Ndiaye ?

Jean-Paul BRIGHELLI. -- Elle me semble complètement inutile. Les élèves qui sont aujourd’hui au lycée sont mauvais en orthographe pour la bonne et simple raison que l’école ne leur a jamais appris l’orthographe avant. Sanctionner les copies mal orthographiées au lycée reviendrait à punir quelqu’un qui ne sait pas courir alors qu’on ne lui a pas appris à marcher. Je n’y vois que de la communication politique.

— Il est donc inutile d’agir pour faire progresser les lycéens ?

Disons que ce sont des générations malheureusement perdues. Même une réforme du collège n’y changerait rien : il a été prouvé qu’il est très difficile d’apprendre un mécanisme, une structure, après ses 12 ans. Si le ministre souhaite malgré tout imposer une sévérité face aux fautes d’orthographe, il faut en tout cas qu’il transmette un vrai barème aux enseignants puisqu’aujourd’hui les professeurs peuvent retirer seulement deux points aux élèves qui font des fautes d’orthographe.

Quelle serait la réforme idéale selon vous ?

La priorité doit être l’entrée des élèves en primaire : c’est là que tout se joue et que les bases de la langue française peuvent être intégrées. Ces années clés doivent être l’occasion d’insister sur l’orthographe, mais en utilisant les bonnes méthodes, c’est-à-dire l’inverse de celles qui sont utilisées aujourd’hui. Dans le cas où l’école primaire serait ainsi réformée, il faudrait surtout être patient, puisque les effets d’une progression ne s’observent qu’après une quinzaine d’années.

Que reprochez-vous aux méthodes aujourd’hui utilisées ?

Nous assistons depuis 1989 au naufrage de nos méthodes d’apprentissage de lecture et de l’écriture. La loi dite « Jospin » a intronisé ce qu’on appelle le constructivisme, un courant de pensée selon lequel l’élève construit lui-même ses propres savoirs. L’idée était de placer l’enfant au « centre du système », sans le contraindre à intégrer des savoirs qui lui seraient étrangers. Ce qui explique les graves lacunes en orthographe des enfants depuis le milieu des années 90. À mon sens, la seule méthode qui permette vraiment aux élèves d’apprendre à lire et écrire correctement est la méthode syllabique : celle qui permet d’apprendre les mots en identifiant chaque lettre présente afin d’en faire des syllabes.

France — Qui veut la place de Pap Ndiaye ?
(Aïe, Ndiaye renvoyé, Attal le remplace)

 
Remaniement : Gabriel Attal va succéder à Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale
 
Attal (à gauche), Ndiaye (à droite)
Ancien porte-parole du gouvernement et désormais ex-ministre des Comptes publics, le trentenaire a été secrétaire d’État rue de Grenelle, auprès de Jean-Michel Blanquer, durant le premier quinquennat.

Exit Pap Ndiaye. Nommé en mai 2022 ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, succédant à Jean-Michel Blanquer qui avait passé Rue de Grenelle l’intégralité du premier mandat d’Emmanuel Macron, l’historien fait partie des sortants du gouvernement. Un départ qui n’est pas une surprise, tant son année à la tête du «mammouth» a été difficile.

À sa place, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne, confirmée à Matignon, ont choisi Gabriel Attal. A 34 ans, il devient le plus jeune ministre de l’Éducation nationale, détrônant Najat Vallaud-Belkacem qui était de trois années plus âgée lorsqu’elle avait été nommée à 37 ans.

Le benjamin du gouvernement, connaît bien la rue de Grenelle. C’est en devenant secrétaire d’État auprès du ministre de l'Éducation de l'époque, Jean-Michel Blanquer, qu’il a débuté son ascension gouvernementale. Chargé de mettre sur pied le Service national universel (SNU) d’octobre 2018 à juillet 2020, il y a gagné ses premiers galons.

Il retrouve les lieux, après trois ans d’une progression politique fulgurante. Quatrième ministre le plus populaire du gouvernement selon le dernier baromètre Ipsos-Le Point (26%), il quitte le très stratégique maroquin des Comptes publics avant un examen parlementaire du budget 2024 qui s’annonce très compliqué à l’automne. Auparavant, il s’était fait connaître des Français en occupant la très exposée fonction de porte-parole du gouvernement.

Très proche d’Emmanuel Macron, il était à ses côtés dès la campagne présidentielle de 2017 après avoir milité au Mouvement des Jeunes socialistes (MJS). Membre du cabinet de Marisol Touraine (Santé et Affaires sociales) pendant le quinquennat Hollande, il en avait profité pour faire ses armes dans les Hauts-de-Seine. Natif de Clamart, ce diplômé de Sciences Po Paris est ainsi conseiller municipal de Vanves depuis neuf ans.

À la recherche d’un «pilote»

Désormais à la tête du ministère de l’Éducation nationale, réputé difficile, Gabriel Attal devra gérer une administration dense et plus d’un million de personnels. Avide de joutes politiques, il devra faire cohabiter ses nouvelles fonctions avec une éventuelle candidature à la mairie de Paris, en 2026.

Sur son futur bureau de l’hôtel de Rochechouart l’attendent un certain nombre de dossiers cruciaux : l’éternelle question du niveau des élèves, la gestion de la crise du recrutement des enseignants, la mise en place du «pacte» pour ces mêmes professeurs, les sujets brûlants des vacances scolaires et de la laïcité... Mais aussi le suivi de la réforme du baccalauréat ou encore l’instauration du SNU en classe de seconde dans certains lycées volontaires.

Le tout sous le regard plus qu’attentif d’Emmanuel Macron, qui a fait de l’école une des priorités de son second mandat et n’a pas hésité, durant l’année passée, à s’emparer directement des sujets éducatifs, reléguant Pap Ndiaye au second plan. Ce qui avait le don d’agacer les syndicats enseignants, désireux de voir un vrai «pilote» aux manettes Rue de Grenelle.

Pour autant, ces syndicats ne se montrent pas ravis du choix d’Emmanuel Macron et Élisabeth Borne. «Il va être difficile de faire confiance en celui qui incarne très fidèlement une politique macronienne ayant mis l'École en grande difficulté ces dernières années», a tweeté Élisabeth Alain-Moreno, la secrétaire générale du SE-Unsa. «Comme un air de déjà vu... Gabriel Attal sera là pour appliquer la politique de Macron, une politique contre les enseignants et contre l'école publique», a de son côté écrit Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire.


Billet du 18 juillet

Plus que jamais fragilisé, le ministre de l’Éducation nationale pourrait sortir en cas de remaniement. Mais le choix de son successeur vire déjà au casse-tête pour Emmanuel Macron.

« La gauche s’est levée avant nous pour l’applaudir. Alors on s’est sentis contraint de le faire aussi », commente après coup un député Renaissance, pour trahir l’embarras des siens quand Pap Ndiaye a reçu ce mardi une ovation debout d’une partie de l’hémicycle. Quelques instants plus tôt, le ministre de l’Éducation nationale venait d’enfoncer le clou après ses propos tenus dimanche dernier sur Radio J contre le milliardaire Vincent Bolloré, sa chaîne CNews et sa radio Europe 1, devenues selon lui « clairement d’extrême droite ». Un pavé dans la mare qui a fait polémique jusque dans les rangs de la majorité et qui pourrait finir de sceller le sort d’un ministre déjà fragilisé depuis quelques semaines.

« Il a profondément déçu »

C’est un secret de polichinelle, Emmanuel Macron songe sérieusement à remplacer le locataire de la rue de Grenelle en cas de remaniement. « Il a profondément déçu, il n’est jamais parvenu à imprimer sa patte dans un ministère qui a pourtant besoin d’une incarnation très forte », tranche l’entourage du chef de l’État. Même si autour du ministre, on fait comme si de rien n’était : « Il est mobilisé sur la rentrée prochaine. Il ne se réveille pas chaque matin en pensant au remaniement, mais à ce qu’il peut faire pour les professeurs et les élèves. »

Lucide, Pap Ndiaye sait pourtant que cette année au gouvernement aurait pu être différente. « En arrivant ici, je pensais que la posture de l’intellectuel suffirait pour réussir, que je n’avais qu’à me concentrer sur mes propres dossiers pour avancer. Mais c’était une erreur. J’aurais aussi dû faire de la politique, c’est évident. J’ai trop négligé cet aspect », a-t-il récemment confié en privé.

Le député Sacha Houlié, un des rares à venir à son secours, résume l’affaire autrement : « Il a mené énormément de chantiers, comme la revalorisation des enseignants et la lutte contre les atteintes à la laïcité. En gros, on lui reproche de ne pas avoir communiqué sur ce qu’il a bien fait… c’est tout. » Alors que va faire Emmanuel Macron ? « Si le président change, il sera fortement tenté de faire entrer une personnalité politique, et pas issue de la société civile. L’école a besoin d’un retour à l’ordre, à l’autorité. C’est une priorité régalienne, qui plus est après les récentes émeutes », décrypte un soutien du président. « On a aussi un défi politique puisqu’on avait l’électorat enseignant en 2017… et on l’a perdu en 2022 », embraye une figure de la majorité.

Plusieurs noms dans la liste des prétendants

Ces derniers jours, plusieurs noms sont revenus dans la liste des possibles prétendants. Édouard Philippe, mais il a fermement récusé cette hypothèse. Bruno Le Maire également. En petit comité, le patron de Bercy n’arrête pas de réciter sa méthode « pour redresser l’Éducation nationale ». Sauf que, quand on lui demande s’il accepterait de relever le défi, la réponse est limpide : « Je n’en ai ni l’envie ni la vocation ! » Gabriel Attal figure aussi parmi les scénarios, « mais je ne suis pas sûr qu’il en ait envie », relève un homologue, en citant plus volontiers le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, ou la patronne du groupe Renaissance à l’Assemblée, Aurore Bergé.

À moins qu’une autre personnalité, dont le nom circule en coulisses ces derniers jours, ne retienne l’attention du président : Richard Ferrand, l’ancien patron de l’Assemblée nationale. « C’est un lettré, il vient de la gauche, et c’est un habile négociateur. Bref, il coche toutes les cases », relève un proche d’Emmanuel Macron. « Le côté costume trois-pièces avec montre de gousset qui rappelle le prof de CM 2 il y a quarante ans, ça peut plaire aussi », y va un autre. « Mais il n’y a aucune évidence, pour personne. C’est tout le problème », résume un Marcheur. Le casse-tête continue.
 
 
Source : Le Parisien

Voir aussi

 France — Le sort de Pap Ndiaye comme ministre de l’Éducation est-il scellé ? (m à j)