lundi 23 novembre 2020

En Suède, éviter à tout prix la « catastrophe » migratoire de 2015

Rinkeby-Kista, un quartier à forte population immigrée, à Stockholm.

À 21 ans, Sharif Omari ne rêve plus. Le jeune Afghan n’en a plus la force. S’il ne trouve pas un emploi avant décembre, son permis de séjour ne sera pas renouvelé. Il risque d’être renvoyé à Kaboul, où sa mère lui a fait promettre de ne jamais revenir, quand elle l’a fait partir en Iran, après la mort de son père. C’était en 2015. Il avait 16 ans. […]

Cette année-là, 163 000 demandeurs d’asile ont passé les frontières du royaume — un record en Europe, pour ce petit pays de 10 millions d’habitants. Près d’un tiers des nouveaux arrivants sont syriens. Un quart vient d’Afghanistan. Parmi eux, de nombreux mineurs isolés, comme Sharif : 35 000 au total, dont deux sur trois sont d’origine afghane.

En écho au « wir schaffen das » (« nous y arriverons »), lancé par la chancelière allemande, Angela Merkel, le 31 août 2015, le Premier ministre suédois, Stefan Löfven, insiste, à Stockholm : « Mon Europe ne construit pas des murs. » Des mots qui viennent le hanter aujourd’hui.

Car si, cinq ans plus tard, la chancelière allemande assure qu’elle prendrait « les mêmes décisions essentielles », Stefan Löfven veut tout faire « pour ne pas revenir à la situation de l’automne 2015 », comme il ne cesse de le répéter. Pour la première fois, le 9 septembre, le leader social-démocrate a même fait le lien entre l’« importance de l’immigration » et les « tensions » au sein de la société suédoise.

Ségrégation sociale

Dans le débat public, il n’est plus question que de l’échec de l’intégration : la ségrégation sociale, accentuée par le manque criant de logements ; le chômage des personnes nées à l’étranger trois fois supérieur à celui des Suédois d’origine ; la violence des gangs, implantés dans les quartiers à forte population immigrée…

Un des sujets politiques les plus sensibles du moment porte sur la réforme de la politique d’asile. Elle devrait pérenniser les mesures adoptées dans l’urgence, en 2016. Les titres de séjour permanents avaient alors été supprimés, l’asile humanitaire restreint et le regroupement familial limité. La droite conservatrice et l’extrême droite veulent aller encore plus loin et imposer des quotas.

« La Suède, qui était bien plus généreuse que la moyenne européenne avant 2015, est en train de s’aligner sur le niveau minimum, au point que nous soyons contents qu’il existe une législation européenne qui empêche de faire moins », constate Anna Lindblad, juriste auprès de l’ONG Asylrättscentrum. Elle dénonce une rhétorique qui « présente 2015 comme une catastrophe » et « diabolise les réfugiés ». 

[…]

Source (extraits) : Le Monde

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La Suède, auparavant l’un des pays les plus sûrs du monde, est maintenant aux prises avec une forte hausse de la violence et des agressions sexuelles dans certaines de ses banlieues. En 2017, outre 110 meurtres et 7226 viols, on y a recensé 320 fusillades et des dizaines d’attaques à la bombe. Le Premier ministre social-démocrate suédois, Stefan Lofven, a déclaré la semaine dernière qu’il était prêt à déployer l’armée pour lutter contre le crime organisé.

Une grande partie de ces faits de violence émane des « zones d’exclusion sociale », des banlieues à majorité peuplées par des immigrés. Le Times précise qu’étant donné la qualité des infrastructures et des services qui sont offerts dans ces banlieues, on ne peut pas vraiment les qualifier de ghettos. Pour autant, elles sont confrontées à une forte criminalité est à des taux de chômage élevés.

Dans la ville de Malmö, l’âge moyen des membres de gangs est de 22 ans. Mais on voit aussi des jeunes de 14 ans armés de kalachnikovs et de gilets pare-balles dans les rues.
(L’Express Business)

Deux garçons qui ont été torturés, violés et enterrés vivants dans un cimetière ont déclaré qu’ils avaient l’air d’avoir « pris une douche de sang » après avoir échappé à leur calvaire. Ils ont dit à la police qu’ils avaient été enlevés, frappés à coups de pied, de poing, brûlés, poignardés et qu’on leur avait ordonné de se déshabiller.

En creusant leur tombe, les victimes ont révélé qu’ils étaient continuellement battus par leurs agresseurs. L’un des garçons a dit qu’il était « difficile de savoir combien » de coups de poing et de pied ils ont reçus. Ils étaient bâillonnés avec leurs propres chaussettes. Leurs ceintures ont servi à attacher leurs mains, tandis que leurs jambes étaient attachées avec des morceaux de tissus. Ils ont été également violés, torturés et brûlés avec des briquets.

Les deux suspects, un Tunisien de 18 ans et un Kurde de 21 ans ont été inculpés. Ils ont la nationalité suédoise.

Les témoignages des garçons indiquent que le Tuniso-Suédois de 18 ans a joué un rôle moteur. « C’est lui qui contrôlait tout », dit l’une des victimes.
(Nyheter Idag et The Sun)

« La moitié des enfants de six ans parlent un mauvais suédois »

Un enfant de six ans sur deux dans les écoles primaires de la région de Järva à Stockholm parle trop mal le suédois. Les enfants risquent de ne pas atteindre les objectifs de connaissance, prévient le directeur de l’école primaire Happy Hilmarsdottir-Arenvall.

— Il faut essayer d’y faire face, dit-elle. Le directeur de l’école primaire de la région de Järva est responsable de treize écoles primaires municipales à Rinkeby, Kista et Tensta au nord-ouest de Stockholm. Quartiers à forte immigration extraeuropéenne. Les écoles donnent la priorité au développement du langage dans toutes les matières et dès que les élèves commencent en classe préscolaire, leurs compétences linguistiques sont recensées afin d’intervenir de façon précoce pour que les enfants répondent aux exigences en matière de connaissances. Mais le directeur de l’école primaire est inquiet.

— Environ 50 pour cent des élèves ont de très faibles compétences linguistiques en suédois, dit Happy Hilmarsdottir-Arenvall. Les enfants ont deux à trois ans de retard en termes de langue, par rapport aux enfants qui ont le suédois comme langue maternelle, selon le directeur de l’école primaire. À l’école Askeby à Rinkeby, sept enfants de six ans sur dix n’ont pas atteint le niveau de suédois auquel ils étaient attendus à l’automne dernier.

Né en Suède, mais ne parlant pas suédois

Certains des enfants sont de nouveaux arrivants, mais beaucoup sont nés en Suède et ne parlent toujours pas suédois. Parmi les explications données : les enfants n’entrent pas en contact avec le suédois de manière naturelle, peut-être même pas à l’école maternelle, s’ils vont dans une école maternelle où le personnel ne parle pas non plus le suédois. Une autre raison est que moins d’enfants dans les zones socio-économiquement faibles vont à l’école maternelle.

— Cela signifie qu’au lieu de nous concentrer sur les objectifs de connaissance du programme, nous devons nous concentrer sur l’amélioration du niveau de langue. Il est donc clair que cela retarde le développement des enfants et pour atteindre les exigences en matière de connaissances, dit Happy Hilmarsdottir-Arenvall qui espère que davantage d’enfants commenceront l’école maternelle pour avoir une longueur d’avance au niveau de la langue.

Les zones vulnérables de Stockholm, de Malmö et de Göteborg ont généralement un secteur préscolaire déficient. À la fin de l’année, seuls 84 % des enfants âgés de 2 à 5 ans étaient inscrits à l’école maternelle de Rinkeby-Kista. C’est le plus bas taux de tout Stockholm. Le gouvernement a publié ce jour même une enquête sur la manière dont davantage d’enfants des « zones socio-économiquement faibles » (comprendre à fortes populations immigrées) pourraient participer à l’école maternelle pour mieux apprendre le suédois.

(SVT.se)

États-Unis — district scolaire exclut élèves asiatiques des personnes de couleur et les classe avec les Blancs

Un district scolaire de l’État de Washington a décidé que les Asiatiques ne seront plus considérés comme des personnes de couleur.

Dans leur dernier rapport sur « l’équité », les administrateurs des écoles publiques de North Thurston, qui supervisent quelque 16 000 élèves, ont mis les Asiatiques dans la même catégorie que les Blancs et ont mesuré leurs résultats scolaires par rapport aux « élèves de couleur », une catégorie qui comprend les « élèves noirs, latinos, amérindiens, des îles du Pacifique et multiraciaux » aux prises avec des «  carences persistantes en matière de chances ».

La plupart des indicateurs du rapport montrent que l’écart entre les résultats des étudiants blancs/asiatiques et ceux des « étudiants de couleur » sont assez minces et s’améliorent avec le temps. Il seraient probablement encore plus réduits si les étudiants asiatiques étaient classés dans la catégorie des « élèves de couleur ». En fait, certains indicateurs pourraient même démontrer que les étudiants blancs sont à la traîne par rapport à ce groupe fourre-tout de « minorités ». Peut-être que les Asiatiques ont été inclus avec les blancs afin d’éviter de révéler ce résultat. Le directeur du district n’a pas répondu à une demande de commentaires.

Ce que le rapport sur l’équité met en évidence, c’est l’absurdité qui résulte d’une dépendance excessive à des catégories semi-arbitraires basées sur la race. Le rapport a également mesuré les résultats des « étudiants pauvres » — ceux qui ont droit à des repas gratuits ou à prix réduit à la cantine scolaire — par rapport aux étudiants plus nantis. Sans surprise, on a constaté un écart de réussite beaucoup plus important entre ces deux catégories qu’entre les deux catégories ethniques. Les élèves pauvres obtiennent des résultats inférieurs de 28 % aux tests de mathématiques, par exemple. Cette catégorie socio-économique reflète quelque chose de réel et de significatif, bien plus que les catégories ethniques trafiquées.

En dehors des bureaucraties des écoles publiques, ces types de classifications fondées sur la race semblent moins populaires que jamais. Lors des élections de 2020, les électeurs californiens ont rejeté de manière décisive la proposition [référendum] 16, qui aurait permis aux employés du secteur public de considérer la race comme un facteur d’admission à l’université, à l’emploi, à l’octroi de contrats et à d’autres décisions. Les admissions fondées sur la race ont été interdites dans l’État depuis 1996, lorsque les électeurs les ont interdites par le biais d’un scrutin par une marge de 54 % à 45 %. La proposition 16, qui aurait infirmé cette décision si elle était passée, a perdu par une marge encore plus grande, malgré les appuis enthousiastes des principaux démocrates de l’État.

Comme le note Conor Friedersdorf dans l’Atlantic :

Les élites politiques et médiatiques de la Californie ont majoritairement voulu mettre la fin à la neutralité raciale en soutenant la Proposition 16. Elle a été approuvée par les sénateurs Kamala Harris et Dianne Feinstein ; l’ancienne sénatrice Barbara Boxer ; au moins 30 membres démocrates de la Chambre des États-Unis, dont Nancy Pelosi ; et le gouverneur Gavin Newsom, le lieutenant-gouverneur Eleni Kounalakis, le secrétaire d’État Alex Padilla, le contrôleur d’État Betty Yee, la trésorière d’État Fiona Ma, le surintendant d’État à l’instruction publique Tony Thurmond, le président de l’Assemblée Anthony Rendon, le maire de Los Angeles Eric Garcetti, le maire de San Francisco London Breed et des centaines d’autres fonctionnaires locaux. Il a également été soutenu par de nombreux journaux de l’État, notamment le Los Angeles Times, le Mercury News, la San Francisco Chronicle, la San Diego Union-Tribune, La Opinión, l’East Bay Times, la Sacramento Bee, la Fresno Bee et la Modesto Bee. Et les partisans du Proposition 16 ont recueilli près de 20 fois plus d’argent que leurs opposants.
La Californie est parmi les plus démocrates des États démocrates et pourtant les électeurs y ont rejeté de manière décisive les politiques fondées sur la race chères aux progressistes. Alors que les progressistes sont aux prises avec un résultat électoral moins favorable en cet automne 2020 que prévu pour les démocrates, ils devraient garder ces choses à l’esprit. La proposition 16 était l’initiative la plus proche philosophiquement du mouvement « woke » présentée aux électeurs cette année et elle perdu lourdement.

Source : Reason

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« Nos héritiers nous reprocheront notre irresponsabilité »

Alexandra Laignel-Lavastine vient de publier « La Déraison sanitaire. Le Covid-19 et le culte de la vie par-dessus tout » aux Éditions Le Bord de l’Eau. Un essai aussi brillant que dérangeant dans lequel la philosophe interroge notre « sanitairement correct ». Entretien d’Alexandre de Vecchio avec Alexandra Laignel-Lavastine.

– Vous écrivez : « Jamais l’humanité n’avait été mieux armée médicalement face à une épidémie ; jamais elle ne se sera montrée aussi désarmée moralement. » Pourquoi ?

– Vu l’amplitude de la catastrophe qui s’annonce, nous serions en effet bien inspirés d’y réfléchir, car nos descendants, qui sont notre conscience, nous réclameront assurément des comptes. Je vois plusieurs raisons à cette déconfiture. D’abord, notre basculement, depuis quatre décennies, dans un « nouvel humanisme » (Luc Ferry) tel que jamais, dans l’Histoire, nous n’avions accordé une aussi grande valeur à la vie humaine. Il n’est donc plus question de consentir, en 2020, aux scènes d’épouvante que nos parents ou grands-parents, qui avaient connu la guerre, étaient encore capables d’endurer lors des grandes épidémies de grippe asiatique de 1957 ou de 1968.

Ensuite, il y a ce calamiteux désaveu du tragique, à l’œuvre et même à la manœuvre à chaque étape de cette pandémie, comme si nous étions partis de l’idée folle selon laquelle, pour en finir avec les tragédies du XXe siècle, il suffirait d’en finir avec le tragique même. La fatalité, la finitude et la mort feraient ainsi insulte à notre condition. Trancher ? Nos technocrates optent pour l’antistratégie du moindre risque en se défaussant de leur responsabilité sur les médecins. D’où un bilan churchillien : on a confiné puis reconfiné afin d’éviter l’effondrement (des services de réa[nimation]) ; à la fin, on aura eu et le confinement, et l’effondrement (du pays). Mais la question de notre désarmement moral en soulève encore une troisième, qui constitue le surprenant angle mort de notre sanitairement correct : dans quelle mesure le fait de ravaler l’homme à la vie et d’élever la vie biologique au rang de valeur suprême est-il hautement périlleux et déraisonnable sur le plan civilisationnel ?

– Mais n’est-ce pas justement un immense progrès de civilisation que de tout faire pour protéger les plus fragiles ?

– Mobiliser de gigantesques moyens pour sauver des vies fait évidemment l’honneur des sociétés modernes. Mais à quel prix ? Au prix même de ce qui leur confère leur dimension humaine ? Ce remède a quelque chose de diabolique. Voyez la fermeture des librairies : on vient de décréter officiellement que « la vie de l’esprit » n’entre plus dans notre vision d’une vie pleinement humaine. La raison technocratique ne connaît que le processus vital et ce qui va avec, le règne de l’utilitaire. Bricoler sera licite ; se cultiver pour accéder à une forme de vie plus haute, non. Mesure-t-on bien les implications colossales de ces décisions ?

Pour en revenir aux plus âgés, nombre d’entre eux sont les premiers à s’insurger contre un despotisme sanitaire invoqué en leur nom. « Mais enfin, laissez-nous vivre ! La solitude va nous tuer, ce n’est pas une vie ! » protestait une dame. Sous-entendu : ce n’est pas une vie humaine. Et ces sages de nous faire remarquer qu’ils avaient 100 % de chances de passer l’arme à gauche, et comparativement très peu d’attraper le coronavirus. Un homme affirmait préférer voir ses petits-enfants tous les jours, quitte à perdre une année ou deux de vie. Cette révolte des anciens est venue nous rappeler l’imbécillité du slogan selon lequel « la vie n’a pas de prix », car la vie peut justement être un prix. C’est même pour cette raison, et dans cet horizon, qu’elle mérite d’être vécue.

Je suis également un peu agacée par ce certificat d’humanisme à bon compte qu’on se délivre au nom de la sollicitude envers les plus fragiles, qui vient un peu trop opportunément éclipser notre part honteuse, soit la propension de nos sociétés individualistes à se débarrasser de leurs « vieux » en les plaçant dans des établissements spéciaux, une attitude impensable dans d’autres cultures. En plus, il faut dire « Ehpad » [CHSLD français, hospices médicalisés], dans cette langue métallique, laide, déshumanisante et symboliquement muette qui ne cesse d’étendre son empire sur les esprits. On aimerait connaître les technocrates de génie — car du génie, il en faut — à qui l’on doit cette trouvaille qui relève quand même du crime contre l’esprit d’humanité.

– Vous évoquez à cet égard les ambiguïtés de l’idée d’humanité universelle ou encore le « paradoxal triomphe de l’humanitaire ». En quoi se distingue-t-il d’un véritable humanisme ?

– Je discerne ici plusieurs écueils. Première contradiction : si l’on ôte à l’existence ses facultés spécifiquement humaines pour s’enfermer dans une vision hygiéniste et archipauvre de la vie — et c’est ce que nous tendons à faire depuis le début de cette crise, où l’argument sanitaire a prévalu d’emblée —, on peut se demander pourquoi il faudrait s’escrimer à la sauver à tout prix… Tocqueville avait déjà pointé cet effet pervers de l’égalisation des conditions à l’ère démocratique : il montrait que l’idée d’humanité universelle s’est certes imposée en devenant sensible (les individus sont captés par l’évidence de leur commune humanité, tous naissent, travaillent, consomment), mais pour finalement désigner des hommes définis par le cercle vital et rien d’autre.

Deuxième incohérence majeure, elle aussi passée inaperçue : nous nous félicitons de choisir la vie, d’où notre « humanisme », quand notre civilisation s’est au contraire bâtie sur l’idée que la préservation du bios ne saurait résumer le tout de l’existence humaine. La vie organique est l’alpha, elle n’est pas l’oméga, et le monde libre procède de cette conviction. Elle n’est pas l’oméga, car il existe justement des principes plus essentiels que la vie brute. À moins que nous estimions ne plus avoir le moindre compte à rendre ni aux générations qui nous ont précédés ni aux suivantes ? Nos héritiers, plus ou moins sacrifiés, nous reprocheront à coup sûr cette formidable irresponsabilité collective : « Vous vous contentiez de jouir d’une liberté que vos ancêtres avaient arrachée au prix du sang, en montant sur des barricades. Et voilà que vous vous êtes barricadés face à l’offensive d’un simple virus, piétinant ainsi un principe pour lequel tant de personnes avaient donné leur vie avant vous. Au risque d’hypothéquer notre avenir et de nous priver d’un héritage dont vous n’étiez que les dépositaires. » Qu’allons-nous leur répondre ? De fait, il faut une bonne dose de désinvolture prométhéenne pour briser un monde qu’on n’est pas sûr de pouvoir réparer. L’impératif « sauvons des vies ! » nous aurait-il collectivement hébétés ?

Car être vivant au sens fort du terme, c’est aussi se montrer capable de se demander pour quoi, au nom de quel bien commun supérieur, on serait prêt à risquer un peu sa santé de façon à ce qu’un fléau n’ait pas entièrement raison de notre monde. Seule cette disponibilité peut donner à une société démocratique son « sacré ». C’est cela, l’humanisme. Mais cette attitude présuppose justement une résistance scrupuleuse à l’obnubilation du « vivre-avant-tout ». À moins, nous sommes déjà perdus. Il s’ensuit que si la vie est tout, elle n’est plus rien. C’est donc nécessairement la peur qui l’emporte, car celle-ci, affirmaient les dissidents de l’Est, a prise sur les corps, pas sur les âmes.

– Justement, vous vous réclamez, dans votre réflexion, de l’héritage intellectuel de la dissidence. En quoi reste-t-il pertinent, à vos yeux, par temps de coronavirus ?

– Nos contemporains devraient méditer d’urgence le message que l’ancien dissident tchèque Vaclav Havel avait adressé en 1985 aux pacifistes de l’Ouest pour les mettre en garde contre l’ambiguïté de leur slogan, « Plutôt Rouges que morts ! ». Il leur dit cette chose capitale : « Par ici, on serait plutôt d’avis qu’en cas de catastrophe (allusion à 1938, Munich), l’incapacité à risquer sa vie pour en sauver le sens et la dimension humaine mène non seulement à la perte de son sens, mais aussi, en fin de compte, à la perte de la vie tout court — et, en général, de milliers ou de millions de vies. »

En répliquant au Covid-19 par un quasi unanime « la-vie-quoi-qu’il-en-coûte », on oublie donc un point capital : la vie est un bien infiniment précieux, mais si elle était le premier d’entre eux, nous n’aurions eu ni appel du 18 Juin, ni dissidents sous le communisme, ni Dr Li à Wuhan pour nous alerter sur la gravité de la pandémie, ni médecins sous le Covid-19 pour nous sauver…

– C’est en cela que vouloir fonder une politique de civilisation sur l’idéal de la vie, au sens de la survie, relève à vos yeux de l’incongru ?

– Oui, forcément, puisqu’une civilisation se fonde sur une culture, une histoire, des règles de civilité, des lois ou des œuvres, toutes choses qui transcendent le bref passage sur terre de ses représentants. Mais là encore, il semblerait que notre sensibilité post-tragique ne parvienne plus à comprendre que seule une société ayant abdiqué tout idéal peut en arriver à ériger le maintien de la « vie nue » (Walter Benjamin) au rang de souverain bien. Est-ce le cas ? On doit le craindre à observer l’incompréhension relative rencontrée par ceux qui suggèrent qu’il pourrait y avoir des choses plus importantes, comme la liberté, le courage ou encore l’esprit de la démocratie et le désir de continuer à œuvrer avec d’autres à la sauvegarde d’un monde commun.



La Déraison sanitaire :

Le Covid-19 et le culte de la vie par-dessus tout
de Alexandra Laignel-Lavastine
paru le 6 novembre 2020
aux Éditions du Bord de l'eau
à Lormont en Gironde (France) 107 pages
ISBN-10 : 2356877460

« Complotisme », ce mot des « élites » pour disqualifier toute critique

Chronique d'Éric Zemmour dans le Figaro Magazine du 20 novembre 2020. Nous partageons son avis sur le documentaire Hold Up, original et instructif  par moments, mais bien trop long (2 h 38), très inégal, beaucoup trop « ambitieux » car il va bien au-delà de la Covid-19 et même étrange parfois.. Que signifie ainsi ce recours en générique de fin à une « profileuse » pour se moquer de Laurent Alexandre sur la base de sa photo ?

Complotisme. C’est le mot qui fâche, qui délégitime, qui tue. Enfin, qui veut tuer. Qui doit tuer. Complotisme est le mot des élites, le mot des bien-pensants, l’arme suprême du politiquement correct lorsqu’il est attaqué, contesté, déconstruit. Le mot qui interdit toute analyse iconoclaste, qui regarde ce qu’il y a derrière le rideau du discours dominant. La frénésie autour du documentaire Hold-Up en est la dernière preuve. Ce documentaire, pourtant, ne mérite ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité. Trop long, interminable même, il mêle des analyses fouillées, des informations inédites, des témoignages percutants, pour l’englober dans une théorie finaliste : le virus de la Covid-19, fabriqué dans les laboratoires de l’Institut Pasteur, avant d’être livré aux Chinois, serait utilisé par les partisans affichés d’un gouvernement mondial (Bill Gates, Jacques Attali, etc.) pour imposer à des populations apeurées la cryptomonnaie, arme suprême du Big Brother de demain.

La thèse ne convainc guère, mais permet à tous les défenseurs de l’ordre sanitaire, à tous les ennemis du docteur Raoult, à tous les thuriféraires du confinement d’occulter les critiques acerbes et fondées de la réaction du gouvernement français à cette épidémie. Le passé du réalisateur – journaliste passionné par la Vierge, mystique lui-même – permet de clouer son cercueil sans rémission : mystique, donc, fou, donc complotiste. Circulez, il n’y a rien à voir. On connaît la rengaine : le sage montre la lune, l’idiot voit le doigt. Mais l’idiot n’est pas idiot. L’idiot est notre maître et ne veut surtout pas qu’on regarde la lune. L’idiot s’est auto-intronisé il y a longtemps « cercle de la raison » et n’entend pas abdiquer son pouvoir ni sa légitimité. Il y a une vérité, elle est officielle, et il est interdit de la contester.

Pourtant, ce sont ces mêmes élites qui nous ont appris, depuis les campus américains des années 1960, que la vérité était toute subjective, qu’on disait ce qu’on était, et qu’on était d’où on venait, classes sociales naguère et désormais race ou genre. Que la langue ne pouvait être crédible car elle était elle-même un enjeu de combat, que les mots étaient biaisés, qu’ils étaient le produit de la domination de la bourgeoisie, de l’homme blanc, de l’hétérosexuel. Qu’il fallait les retourner, les effacer, les remplacer. Que l’histoire qu’on nous avait apprise était un tissu d’erreurs à ridiculiser ou à délégitimer. Qu’il n’y avait pas de nation, de peuple, de famille, rien que des individus, nomades hors-sol avec des vérités changeantes et subjectives, liquides et floues, comme leur identité et même leur « genre » sexuel.

Nos élites peuvent être contentes d’elles. Elles nous ont bien éduquées. Nous savons déconstruire leur discours. Parfois, on leur prête même des intentions machiavéliennes alors qu’elles ne sont que stupides et dépassées. On les surestime. C’est notre dernière révérence, trace ultime de notre respect disparu.