Les pédopsychiatres sont nombreux, depuis le début de l'épidémie, à alerter sur la hausse de jeunes patients reçus pour dépression, au point de tenter de mettre fin à leurs jours. De premiers chiffres sur les tentatives de suicide des adolescents et jeunes adultes, rendus publics prochainement, confirment désormais ces remontées de terrain.
Le professeur en psychiatrie Fabrice Jollant (GHU Paris psychiatrie et neurosciences) et le médecin réanimateur Dominique Vodovar (centre antipoison de Paris) ont analysé le nombre d'appels pour tentatives de suicide des huit centres antipoison (CAP) du territoire, entre le 1er janvier 2018 et le 31 mars 2021, soit 50 000 dossiers. Et ils le confirment : les tentatives de suicide chez les 12-24 ans sont en hausse, depuis septembre 2020. Un phénomène « très nouveau » et « inquiétant », indique le professeur Jollant.
Sans prétendre à l'exhaustivité – leur travail d'analyse ne se concentrant que sur les données des CAP –, leur conclusion « pourrait tout à fait refléter la tendance générale française », explique le docteur Vodovar. D'autant que « 80 % des tentatives de suicide impliquent l'ingestion de médicaments », précise-t-il.
Des appels deux fois supérieurs à la normale
Des indicateurs le montraient déjà, lors du premier confinement (du 17 mars au 10 mai 2020) : les gestes suicidaires ont d'abord chuté d'environ 20 %, tous types de tentatives et tous âges confondus, à l'exception des sujets de plus de 65 ans, plus exposés que les autres tranches d'âge aux risques d'infection et de mortalité induits par le virus et susceptibles d'avoir connu une expérience douloureuse en réanimation.
Une baisse générale « pour partie justifiée par un effet de sidération », explique le professeur Jollant. « Cela nous est tombé dessus, et il y a eu une forme de souffrance collective. Il s'agissait avant tout de lutter ensemble, ce qui protège généralement du passage au suicide, précise-t-il. On a observé la même chose après l'attentat du 11 septembre 2001 ou après l'épidémie de Sras, en 2002. »
Mais « cela reste généralement temporaire ». Aussi, rapidement, et particulièrement à partir du mois de septembre, la tendance s'inverse : « Les appels aux centres antipoison pour tentative de suicide se multipliaient, on a donc commencé à suivre cela de près, raconte le docteur Vodovar. Les CAP recevaient entre trente et quarante appels par jour avant l'épidémie, pour ingestion volontaire de médicaments ou de produits ménagers. Aujourd'hui, ils recensent jusqu'à soixante à quatre-vingts appels par jour, particulièrement pour des adolescents et de jeunes adultes », précise-t-il.
Un « public fragilisé par la situation et ses mesures »
Parmi eux, un « public fragile », touché par des « pathologies psychiatriques (dépression, troubles de l'humeur, addictions…), qui démarrent généralement à l'adolescence, et qui a pris de plein fouet l'épidémie », explique Fabrice Jollant. En temps normal, 15 à 20 % des jeunes étant en difficulté sociale et/ou psychique et 10 % des adolescents exprimant, chaque année, des idées suicidaires.
Mais aussi un « public fragilisé par la situation et ses mesures », précise-t-il. Et plus particulièrement « le poids majeur de l'isolement induit par l'épidémie ». « Certains jeunes se sont retrouvés très isolés. La fermeture de leurs établissements et le fait de se retrouver, pour certains, seuls dans des petits endroits ou en rapports étroits et parfois conflictuels avec leurs proches, sur de longues périodes, a pu être très difficile et a mis à mal leur socialisation, dans une période de leur vie où celle-ci est clé », explique-t-il.
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