lundi 17 avril 2017

Québec — La « patate chaude » de l’éducation à la sexualité

Le ministre Sébastien Proulx renonce à implanter les cours d’éducation à la vie sexuelle dans toutes les écoles primaires et secondaires dès la rentrée scolaire de l’automne prochain.

Devant les craintes pour la formation des enseignants et pour la disponibilité du matériel pédagogique, le ministre se donne du temps avant d’étendre l’éducation sexuelle à l’ensemble du réseau. Il compte tout de même augmenter le nombre de classes qui offriront les « contenus » en éducation à la sexualité en septembre prochain.

« On souhaite davantage de classes dès l’automne. Il n’y aura pas une implantation obligatoire des contenus pour l’ensemble des élèves en septembre prochain. On a une quinzaine d’écoles [qui participe à des projets-pilotes], on ne peut pas passer à des milliers d’un coup. Par contre, il y aura des propositions pour accélérer l’implantation, pour que rapidement les contenus soient obligatoires pour l’ensemble des élèves », a dit le ministre de l’Éducation au Devoir, en marge des travaux de l’Assemblée nationale.

Des membres influents du milieu de l’éducation ont, en effet, mis en garde le ministre Sébastien Proulx : le cours d’éducation à la vie sexuelle, que Québec envisageait d’implanter au primaire et au secondaire dès la rentrée de septembre prochain, n’est pas prêt.

Les enseignants n’ont pas été formés pour donner cette matière. Des sources indiquent que le matériel pédagogique n’est pas prêt non plus. Résultat : l’implantation du programme à la rentrée de l’automne 2017 est « irréaliste », ont affirmé au Devoir des membres d’un comité consultatif créé par le ministère de l’Éducation.

Ce comité formé d’une vingtaine de représentants du milieu de l’éducation (syndicats d’enseignants, directions d’écoles et de commissions scolaires, comités de parents, etc.) doit se rencontrer le 20 avril à l’édifice G, à Québec. À environ une semaine de cette rencontre cruciale, les membres n’ont toujours pas en main le bilan de la première année du projet-pilote d’éducation sexuelle mis en place en 2015 dans une quinzaine d’écoles. Cette première année a pourtant pris fin en juin 2016, il y a 10 mois.

Le projet-pilote de deux ans a été lancé en 2015 parce qu’il existerait selon Le Devoir un consensus au Québec : il faut améliorer l’éducation sexuelle offerte aux élèves du primaire et du secondaire. Vraiment ? Au primaire, un consensus ? Le projet aborde la grossesse, les naissances, mais aussi la vie amoureuse, l’identité sexuelle — la théorie du genre pour parler clairement —, les rôles et les « stéréotypes sexuels » — depuis quand est-ce l’affaire du gouvernement de lutter contre ce qu’il qualifie de stéréotypes sexuels ? —, ainsi que les agressions sexuelles.

Pour l’instant, les élèves reçoivent une éducation à la sexualité qui varie selon l’école et sa clientèle.

« C’est prématuré »

Les syndicats d’enseignants estiment que l’éducation sexuelle doit être un cours en bonne et due forme, et non un apprentissage inséré dans plusieurs matières. Ils réclament aussi une formation universitaire en enseignement de l’éducation sexuelle, un peu comme les mathématiques ou le français, qui font l’objet de cours pour les futurs maîtres.

« Pour nous, c’est absolument inconcevable de lancer les apprentissages en éducation à la vie sexuelle en septembre prochain. C’est prématuré, c’est certain », dit Nathalie Morel, vice-présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) demande aussi une formation, du matériel pédagogique et l’appui de professionnels pour les titulaires de l’éducation à la vie sexuelle.

Parents inquiets

Les parents sont une des sources du malaise entourant l’éducation à la sexualité, selon le Devoir : « Les enseignants et les directions d’école vous le diront : toutes les fois qu’il est question de sexualité en classe, l’école reçoit des appels de parents. Ils veulent savoir — de façon tout à fait légitime — pourquoi leur enfant entend parler de “sexe” à l’école. »

« De plus en plus de parents sont mal à l’aise par rapport à l’enseignement de la sexualité dans les écoles. Il me semble qu’il y a de la place pour un dialogue constructif », dit Jasmin Lemieux-Lefebvre. Ce père de deux enfants travaille pour le diocèse de Québec. Il dit être favorable à l’éducation à la sexualité en classe, mais il estime que certains enseignements vont à l’encontre de ses valeurs chrétiennes. Le Devoir qui l'a interrogé n'en dit pas plus. Rappelons, cependant, que le nouveau programme vise à l'« exploration de nouvelles valeurs et normes en matière de sexualité, au-delà de celles de la familles ». Le programme du Monopole se lamente également que les jeunes qui sont ouverts et « flexibles » au niveau de l’identité sexuelle sont ramenés par la pression sociale « grandissante » à des rôles et identités stéréotypées « traditionnels » et « nuisibles ». Thèse chère au lobby LGBT.



Le programme du ministère de l’Éducation qui se voudrait obligatoire pour tous dès le primaire — la taille unique pour tous, c’est ça le Québec, voir ECR — tient pour acquis que les élèves auront des relations amoureuses et sexuelles, et qu’ils seront exposés à la pornographie.

Jasmin Lemieux-Lefebvre connaît des parents qui réclament le droit de retirer leurs enfants du cours d’éducation à la sexualité. Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cours. Les apprentissages sont saupoudrés tout au long de l’année scolaire dans les matières obligatoires, comme les mathématiques, le français ou la biologie. À quel moment ces « contenus » d’éducation à la sexualité sont-ils enseignés aux enfants ? Par qui ? Les réponses ne sont pas claires.

Génération « sacrifiée », car « stéréotypée »

En entrevue au Devoir, Jasmine Léger, membre du comité des femmes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) et victime elle-même, a parlé d’une génération sacrifiée en matière d’éducation à la sexualité.

« Quand on arrive à 17 ans avec des comportements et des stéréotypes bien ancrés, on est déjà dans la déconstruction. C’est pourquoi on aimerait bien que la ministre [de l’Enseignement supérieur], Hélène David, parle à son collègue [de l’Éducation], Sébastien Proulx, pour qu’il ramène des cours d’éducation sexuelle. »

La gauche et l’extrême gauche pressent le gouvernement d’agir

Le Parti québécois et Québec solidaire ont aussi pressé le ministre Sébastien Proulx d’agir rapidement. Le comité consultatif ne s’est pas réuni dans la dernière année, a souligné le député péquiste Alexandre Cloutier.

« Le gouvernement doit investir pour implanter rapidement l’éducation à la sexualité », a réagi la députée du parti d’extrême gauche Québec solidaire Manon Massé.

« La Fédération des comités de parents » inquiète des comportements à l’égard des LGBT

Le temps presse, ont souligné les partis d’opposition et la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ). « Oui, il se peut que toutes les conditions gagnantes ne soient pas réunies pour la mise en place parfaite et généralisée à l’automne. Mais si on attend les conditions parfaites, nous allons attendre longtemps ! On doit pouvoir avancer, le statu quo n’étant pas une option », a indiqué Corinne Payne, présidente de la FCPQ, dans une lettre au Devoir.

Campagne destinée aux écoles pour les familles homosexuelles

« Les parents du Québec sont convaincus qu’un enseignement fait par un pédagogue est, et de loin, plus pertinent que toute “l’information” propagée sur Internet. Ne voit-on pas, dans les dernières années, une recrudescence des ITSS [un peu partout dans le monde, même là où des cours à la sexualité existent depuis des décennies...!], des comportements sexuels à risques et de la violence sexuelle chez les jeunes ? Que penser, également, de l’intimidation et de la violence relativement à l’expression d’une sexualité différente ? », poursuit la lettre.


« La tête dans le sable »

« Des parents ont des inquiétudes. Ils ne savent pas de quelle façon c’est abordé. Ils se demandent qui sont ces personnes qui enseignent l’éducation à la sexualité à leurs enfants, quelles sont leurs valeurs et quel est le programme », dit Isabelle Arcoite, en dernière année de sexologie à l’UQAM.

« C’est un sujet délicat. L’éducation à la sexualité peut entrer en conflit avec la religion. Des parents croient que parler de sexualité équivaut à donner la permission. Ils croient que, si on n’en parle pas, ça n’arrivera pas. Ils se trompent ! » dit Isabelle Arcoite. C’est vrai qu’ils peuvent se tromper : tout dépend de ce que ce cours à la sexualité prônera. Or les cours d’éducation gouvernementaux ne prônent pas l’abstinence, la virginité jusqu’au mariage, ils ont plutôt tendance à banaliser la sexualité précoce tout en valorisant le plaisir d’une sexualité adolescente pour autant qu’on se « protège »... Cela ressemble très fort à une permission...

Une directrice adjointe d’école secondaire racontait au Devoir l’anecdote suivante : une mère de famille est venue demander qu’on retire sa fille des cours d’éducation sexuelle parce que, dans sa culture, les adolescents n’ont pas de vie sexuelle. La semaine suivante, cette élève est allée voir l’infirmière de l’école pour lui demander la pilule du lendemain.

Le Devoir semble croire que cette anecdote est convaincante et généralisable. Elle montre surtout que la fille en question était déjà bien au courant des méthodes contraceptives (sans le nouveau cours!) et que cette connaissance l’a peut-être rassurée pour adopter une sexualité précoce. Notons que Le Devoir ne nous dit pas quel est le climat qui règne dans l’école vis-à-vis de la sexualité : y trouve-t-on des affiches parlant explicitement de sexualité à une clientèle parfois très jeune (12 ans) comme nous avons pu le constater dans certaines écoles, à quoi ressemblent les cours actuels d’éducation à la sexualité, quels messages les enseignants font-ils passer au sujet de la sexualité précoce ?

La mère de famille en question était naïve, mais il se peut que cette naïveté fût surtout de ne pas savoir à quel point l’école québécoise qui n’est en rien conservatrice, ni même réservée, sur le plan des mœurs et de la sexualité et qu’elle tend à vouloir rendre obligatoire ces choix à toutes écoles. École inclusive... Vraiment ? Visiblement pas pour les parents conservateurs.

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