samedi 28 avril 2018

Québec — Éducation à la sexualité: des exemptions « très strictes », mais pas pour raisons religieuses

Reprenons et annotons un article écrit par un journaliste professionnel de La Presse, Tommy Chouinard. Notons tout d’abord que l’article ne reprend que les paroles du gouvernement, aucun opposant à cette position n’est appelé à commenter.

(Québec) Un élève pourra être exempté du nouveau programme d’éducation à la sexualité à la condition que la demande de ses parents réponde aux critères « très stricts » qui seront annoncés bientôt.

« Il y aura la capacité de s’exempter », a indiqué le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, lors d’une mêlée de presse jeudi, lorsque questionné pour savoir si la formation sera obligatoire. « Par contre, il y aura un cadre de restriction très strict. Il y aura, et c’est dans mes intentions, une obligation de rencontrer personnellement les gens (qui font une demande). Ce ne sera pas parce que je veux m’exempter que je vais être exempté. »

Il a rappelé que « l’éducation à la sexualité sera donnée dans l’ensemble des écoles du Québec à compter de septembre prochain ». Il a également fait valoir qu’« il y a une grande acceptabilité sociale au retour de ces enseignements ».

Un appel au consensus, assez typique. Le gouvernement avait seriné la même scie lors de l’imposition du seul programme d’ECR malgré des sondages qui indiquaient au contraire que les parents ne voulaient pas de son imposition, mais privilégiaient de loin le choix !


Mais donc, selon le ministre Proulx, tous devraient être d’accord parce que le gouvernement dit que beaucoup de parents seraient d’accord. Depuis quand cela est-il convaincant ? (Cette majorité est-elle bien renseignée ?) C’est un sophisme, un paralogisme bien connu : l’appel à la popularité, l’argumentum ad populum antique : une idée serait vraie ou bonne parce qu’un nombre important de personnes la considère (ou la considérerait) comme vraie ou bonne... Et même si c’était le cas en quoi cela respecterait-il la pluralité inhérente à une démocratie dans le domaine de la moralité ?

Mais « il y aura des situations où il pourra y avoir exemption, et ce serait très malhabile de ma part d’être capable de les identifier aujourd’hui alors que les critères sont en rédaction ».

Il a donné un seul exemple de demande d’exemption qui serait acceptée, celui d’un enfant qui aurait été victime de violences sexuelles. « Je suis capable de reconnaître qu’en certaines circonstances précises, il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant d’être exposé à ces situations, et je pense aux enfants vulnérables », a-t-il dit.
Intéressant. Des parents catholiques demandaient l’exemption au programme ECR pour deux de leurs enfants. Ils avaient été jusqu’en Cour suprême pour défendre ce droit parental. Ce qu’aucun journal n’a rapporté c’est que les parents avaient trois enfants à l’école publique à l’époque. Ils n’ont pas demandé d’exemption pour leur fille grande adolescente à l’époque. Pourquoi ? Parce qu’ils trouvaient qu’elle était assez bien armée pour neutraliser le relativisme du cours. (Voir son témoignage écrit très instructif.) Ils trouvaient que leurs deux garçons étaient moins bien préparés pour ce cours, qu’ils étaient plus vulnérables face à un programme qu’ils considéraient notamment comme relativiste. Leur aîné avait été troublé en classe l’année précédente lors de discussions qui traitaient très librement de la sexualité dans un cours d’« éthique et valeurs humanistes » qui se voulait une transition vers le programme ECR, obligatoire la rentrée suivante. (Rappelons que contrairement à ce que d’aucuns prétendent les écoles québécoises offrent déjà des cours d’éducation à la sexualité intégrés à d’autres cours. Comme le disait le site du Monopole de l’éducation du Québec en janvier 2017 : « Les enfants et les adolescents québécois reçoivent déjà de l’éducation à la sexualité à l’école. Ce qu’ils apprennent varie toutefois d’une école à l’autre. » Désormais, il rappelle que « [d]epuis le début des années 2000, l’éducation à la sexualité est assurée par une variété d’interventions du personnel scolaire. »)

La mère jugeait ses enfants vulnérables. Les procureurs soumirent l’aîné à de longs interrogatoires  lui posant des questions intimes et d’autres liées à la doctrine catholique que ces mêmes vedettes du prétoire maîtrisaient pas... Ils forcèrent même l’aîné à témoigner devant la salle bondée du tribunal de Drummondville au point de faire défaillir le jeune athlète de 1,90 m aux pieds de Me Boucher qui voulait l’interroger et qui ne bougea pas alors le jeune homme se trouvait inconscient à ses pieds... Voir L’aîné des enfants du procès de Drummondville tombe dans les pommes alors qu’on le contre-interroge.

Et si un parent revendique une exemption pour son enfant sur la base de ses valeurs ? « Vous verrez quand on va mettre en place les différentes mesures », s’est-il contenté de répondre.

Et si l’on invoque des motifs religieux ? « Moi, je ne crois pas » qu’une exemption serait alors acceptée. « On n’est pas dans cet exemple-là dans ma réflexion. Maintenant, je vais quand même me conformer et nous obliger à nous conformer aux lois et aux chartes en vigueur. »
Rappelons qu’en 1992, le ministère de l’Éducation de l’époque, Michel Pagé, avait accordé par écrit une dispense de présence en classe aux enfants de parents catholiques qui voulaient enseigner l’éducation à la sexualité par eux-mêmes à leurs enfants :


« Nous souhaitons un mécanisme qui soit restrictif, je le veux le plus restrictif possible, a-t-il ajouté. Quelqu’un qui dirait “Moi, je ne veux pas que mon enfant ait accès (au programme) parce qu’il a 8 ans et qu’à 8 ans je ne veux pas qu’il ait accès à ça”, à mon avis ce n’est pas une bonne raison. » Les écoles auront la responsabilité d’évaluer les demandes d’exemption sur la base des critères fixés par Québec.

Sébastien Proulx annoncera bientôt « des directives à l’égard de la capacité pour certains de se retirer de ces cours comme il existe dans d’autres formations ». Il a évoqué le cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR). Or ce cours est obligatoire.
La Cour suprême a rejeté en 2012 la demande de parents réclamant que leurs enfants soient exemptés de ce cours. Elle statuait que cet enseignement ne porte pas atteinte à la liberté de religion. Elle venait ainsi approuver le caractère obligatoire de ce cours.

Résumé de la décision en partie faux, mais bon, les journalistes aujourd’hui collent et copient beaucoup les communiqués gouvernementaux. Ils ne lisent pas les dossiers et n'ont pas assisté aux six différents procès sur le programme ECR.

La Cour suprême a, en effet, refusé les demandes d’exemption des parents. Ce qui est un scandale pour nous, car l’État se substitue de la sorte aux parents plutôt que de les aider à accomplir leur devoir d’éducation en respectant les valeurs des parents et non celles de tierces parties aux valeurs parfois diamétralement opposées. Les juges ne sont pas à même de juger de l’intensité des croyances de parents ni de leur bien-fondé en ce qui concerne la sexualité ou la vision à adopter face à la multiplicité des croyances. Voir À qui sont ces enfants au juste ? Ainsi que Les juges-prêtres et La Cour suprême du Canada : décideur politique de l’année 2014.


La Cour n’a pas statué que le programme ECR ne portait pas atteinte à la liberté de religion, mais que la preuve contraire n’avait pas été apportée parce que les parents avaient, notamment, demandé l’exemption avant que leurs enfants soient exposés au cours. Ce qui est un raisonnement pour le moins étrange puisque les parents invoquaient un article de loi qui permet à titre préventif de retirer leurs enfants... Mais bon. La juge Deschamps dans sa décision (médiocre à nos yeux et qui démissionna peu de temps après en 2012 malgré ses 59 ans) reprenait fidèlement les arguments du gouvernement du Québec, mais il était modéré par des paroles à notre sens plus sages du juge Lebel.

Il est très intéressant de relire la déclaration de l’avocat des parents pour voir à quel point la décision de la juge Deschamps était faible et superficielle et en quoi l'opinion du juge Lebel était plus fine.

Citons donc l’avocat des parents, Me Phillips à l’issue de la décision de la juge Deschamps :

La juge Deschamps et les juges qui ont souscrit à ces motifs abordent le problème comme si les appelants en avaient contre la simple exposition aux autres religions [37]. Avec égards, la position des appelants ne peut se résumer à cela. [Note du carnet : Me Phillips est très poli sur l’analyse superficielle de la juge Deschamps.]

Quant aux juges Lebel et Fish, ils adoptent une analyse plus fine de la situation. Tout en concluant que les appelants, qui avaient le fardeau de preuve, ne s’étaient pas acquittés des exigences de ce fardeau, ils font plusieurs constatations importantes. Au terme de leur analyse, ils ne sont pas du tout prêts à écarter une appréciation du programme ECR qui aboutirait à conclure qu’il s’agit effectivement d’un programme qui vise à miner la croyance religieuse et qui, par conséquent, constituerait une immixtion inconstitutionnelle de l’État qui serait contraire au principe de la laïcité [53]. Ils concluent en insistant sur le fait qu’à l’avenir, il ne peut être exclu que la mise en application du programme ECR puisse porter atteinte à des droits fondamentaux.

Bref, les appelants, qui ont demandé l’exemption dès avant l’entrée en vigueur du programme, se butaient à des obstacles pratiques significatifs qui faisaient que leur preuve ne pouvait s’appuyer sur aucun vécu pratique de l’implantation du programme.

Ils ont perdu parce que, selon les règles de preuve, ce sont eux qui avaient le fardeau.

Mais le gouvernement, quant à lui, a également échoué. En effet, il faut se garder de conclure que le jugement d’aujourd’hui vient valider la constitutionnalité du programme. Les juges Lebel et Fish expriment ouvertement leurs doutes et appréhensions. Quant à la preuve d’expertise philosophique et théologique au soutien de la prétendue neutralité du programme, nulle part cette preuve n’est analysée.


Notons que le journaliste de la Presse omet de parler de l’autre décision de la Cour Suprême sur le programme ECR, celle qui donnait raison au Collège Loyola. Cette décision postérieure à la seule évoquée par le journal des Desmarais permettait à Loyola d’enseigner le programme ECR sous une perspective catholique parce qu’il était impossible pour une école catholique d’adopter la même neutralité (factice) que celle prônée dans les écoles publiques. (Voir Gain de cause pour Loyola en Cour suprême.) Une école catholique devait pouvoir dire que certains préceptes éthiques conformes à la tradition catholique étaient préférables à d’autres par exemple. La majorité des juges avaient statué à l’époque qu’ils étaient « d’avis d’accueillir le pourvoi [de Loyola], d’annuler la décision de la ministre et de renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen à la lumière des présents motifs. Une exemption ne peut pas être refusée au motif que Loyola doit enseigner le catholicisme et l’éthique catholique suivant une perspective neutre. »

Bref, la « neutralité » du programme ECR choquait les parents de Drummondville (ils parlaient plutôt de relativisme) et ceux-ci voulaient une autre éducation pour leurs garçons, la Cour suprême leur a répondu en quelque sorte qu'ils n’avaient pas apporté à ce stade la preuve que le programme était suffisamment relativiste. La juge Deschamps haussera même métaphoriquement les épaules quand on invoquera oralement devant elle cet argument répondant un peu facilement à un des avocats défendant le point de vue des parents que toute comparaison entraîne inévitablement une certaine dose de relativisme. Mais, voilà, quand le collège Loyola plaida par la suite pour une exemption à cette neutralité lorsqu'il vient notamment le temps d’aborder les questions d’éthique et de moralité au sein du programme ECR, car ce serait du relativisme incompatible avec la mission et l’âme d’une école catholique, la Cour suprême donna raison à l’école...

Voir aussi

Rediff : le témoignage de la mère de Drummondville qui est allée en Cour suprême

Dizaines de parents de Montréal retiennent leurs enfants pour protester contre futur cours d’éducation à la sexualité (une centaine dans la seule Commission de Pointe-de-l'île, au nord-est de l'île de Montréal)

Pétition pour amender le nouveau programme québécois d'éducation à la sexualité (m-à-j)

Québec — Des parents inquiets du contenu du cours d'éducation à la sexualité


Rediff : le témoignage de la mère de Drummondville qui est allée en Cour suprême

À lire absolument : le témoignage de la mère de mère de Drummondville qui est allée en Cour suprême : ses raisons d’engager le combat inégal pour demander le droit d’exempter ses enfants du cours d’éthique et de culture religieuse, son parcours du combattant, les coulisses des interrogatoires menés par les procureurs du Monopole de l’Éducation.

On retrouve ce long témoignage dans la revue Égards, il s’agit d’une version plus longue de son témoignage écourté par les éditions Médiaspaul qui était paru au début de cette année dans un collectif. Médiaspaul avait supprimé notamment tous les passages sur l’aspect juridique de l’affaire. Patrick Dionne, directeur d’Égards résume ainsi ce long article :

Ce témoignage déplaira aux technocrates, aux professeurs, aux architectes de la religion d’État libérale, et parions même qu’il jettera dans l’épouvante quelques journalistes et un ou deux commissaires. C’est dire la force et la vérité qu’il contient ; ce n’est pas tous les jours qu’une famille se dresse contre l’État pour défendre ses libertés et témoigner des choses éternelles. Il faut de solides convictions et une dose exceptionnelle de courage pour affronter la mesquinerie, la froideur et la franche idiotie des commis aux affaires légales, intellectuelles et médiatiques. Nous sommes heureux, à Égards, de publier la version intégrale du témoignage de Suzanne Lavallée. Ce récit douloureux, chargé d’une juste et saine indignation, ne cède jamais au ressentiment, laisse les puissants s’étouffer avec leurs décrets, et parle pour finir de ce qui importe le plus : l’espérance. Quoi de plus beau et de plus nécessaire en ces temps de futilité et de démence ?

(Mentionnons aussi que, par décision judiciaire, les noms des enfants mineurs à l’époque des faits doivent être passés sous silence. Il s’agit ici de pseudonymes)

Texte de la mère, dont le témoignage en surprendra plus d’un :

Je me présente : Suzanne Lavallée, mère de quatre enfants, mais j’en compte six dans mon cœur, puisque nous formons avec mon mari une famille recomposée, comme on dit ! Trois de nos enfants fréquentaient l’école pendant l’année scolaire 2008-2009 : Mathieu et Laura, tous deux âgés aujourd’hui de dix-huit ans, et Édouard, notre cadet, qui a neuf ans.

Mathieu, Laura et Édouard ont vécu l’imposition du cours d’éthique et de culture religieuse (ÉCR), devenu obligatoire au Québec en 2008. Laura, qui se sentait à l’aise avec ce programme, a tenu à y assister. Mathieu, pour sa part, a décidé de son propre chef de s’y soustraire, après avoir été choqué par des discussions en classe (comme je le lui ai promis, je ne détaillerai pas ses motivations, afin de préserver son intimité). Édouard, lui, a accepté de ne pas y aller. Bien sûr, j’ai influencé mes enfants, car je leur ai fourni de l’information sur le cours. Mais, en fin de compte, j’ai respecté leur choix.

Les gens comme moi qui s’insurgent contre l’imposition du cours ÉCR ont été accusés d’être les catholiques « les plus intégristes » (radio de Radio-Canada, 7 janvier 2008), d’être un « groupe de rétrogrades entêtés » (Dominic Blouin, La Voix de l’Est, 7 octobre 2008), de faire preuve d’un « comportement réactionnaire, rétrograde et injustifié » (André Beauregard, La Voix de l’Est, 8 janvier 2008). On a également voulu faire de moi une mère autoritaire et extrémiste qui ne pense qu’à isoler ses enfants du monde « pluraliste ». Or, si l’on tient absolument à m’affubler d’une épithète en « iste », la seule qui me convient actuellement est « triste ». C’est la tristesse en effet qui m’envahit quand je vois que les parents sont désormais exclus de la formation morale et de l’éducation de leurs enfants.

Je l’avoue d’entrée de jeu : ce cours ne me plaît pas, je le trouve potentiellement nuisible au cheminement spirituel et identitaire de mes enfants. Si, comme parent, je n’ai plus le droit de guider mes enfants dans la voie morale que je privilégie, voie qui jusqu’à tout récemment était parfaitement légitime au Québec, est-ce que cela fait de moi une extrémiste ? Ne faudrait-il pas plutôt s’interroger sur le monopole éducatif de l’État qui parvient à imposer à tous les enfants sans exception des cours de morale ? Des parents paient le prix fort pour que leurs enfants soient éduqués dans des collèges privés à vocation confessionnelle où le gouvernement parvient pourtant à imposer son cours ÉCR, sans tolérer la moindre exemption. Qui est intolérant ? Les enfants d’athées ou de témoins de Jéhovah ont bénéficié d’exemptions par le passé. Mais voilà que l’État, sûr d’avoir développé un programme neutre et objectif, s’arroge le monopole de la vérité pédagogique.

Rencontre avec la CLÉ et les représentants du ministère

Le programme ÉCR est le dernier élément de la réforme pédagogique, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. La majorité des parents a probablement subi son imposition, comme pour le reste du « renouveau pédagogique », sans trop savoir de quoi il s’agissait, si ce n’est que le programme allait enseigner quelques notions sur diverses religions et apprendre aux enfants à « dialoguer ». Pour ma part, j’ai eu la chance d’être renseignée par ses détracteurs et par ses partisans.

En 2008, ma mère m’a informée de la tenue à Sherbrooke d’une conférence consacrée à ce cours, organisée par la CLÉ. Je m’y suis rendue, curieuse de savoir ce qu’on pouvait reprocher à un cours neutre, sans affiliation, qui prônait l’ouverture aux autres, favorisait le dialogue et la recherche du bien commun. Pour tout dire, j’y suis allée en me disant que j’aurais affaire aux scrupules excessifs de catholiques zélés.

J’avais déjà fait mon deuil d’un accompagnement spirituel à l’école et j’avais accepté l’idée d’un cours neutre car, avouons-le, la vie de parent est une course effrénée et nous n’avons pas toujours le temps d’aller au fond des choses… A priori, le cours ÉCR me paraissait une solution envisageable et probablement même adéquate. Je n’émettais qu’une seule réserve : familiariser des enfants de six ans à plusieurs religions en même temps, alors qu’ils commencent à peine à connaître celle de leurs parents, me paraissait prématuré et propre à semer la confusion. Mais quelle ne fut pas ma surprise d’entendre à cette réunion :

– Une catéchète dissiper l’illusion qu’un tel programme n’interférerait pas avec la foi des jeunes enfants.

– Une docteure en psychologie scolaire, programme du ministère de l’Éducation en mains, démontrer comment et pourquoi ce programme ne respectait pas le rythme d’apprentissage de l’enfant, car le contenu en était trop complexe, et les attentes envers les enfants et les enseignants trop élevées. Cette intervenante a ensuite pointé quelques éléments du programme posant problème aux parents chrétiens. Il est vrai que cette psychologue, madame Jean Morse-Chevrier, est présidente de l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ) et qu’on pourrait l’accuser de prêcher pour sa paroisse. Mais ce qu’elle disait me paraissait parfaitement sensé — sans égard au fait que je suis chrétienne, moi aussi.

– Ensuite, le sociologue Gary Caldwell a précisé le contexte d’implantation de ce cours, et évoqué les rapports et commissions qui ont mené à sa mise en place. Puisant dans son expérience de membre de la Commission des États généraux sur l’éducation en 1995 et 1996, cet ancien professeur de l’Université Bishop’s m’a également appris que la réforme qui allait mener au programme ÉCR ne répondait à aucune demande de la base. Elle avait été imposée d’en haut.

– Enfin, pour couronner le tout, maître Jean-Yves Côté a parlé des modifications apportées aux lois sur l’instruction publique et privée, à la Constitution canadienne et à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour imposer le programme ÉCR.
Je n’en avais jamais entendu parler. Pour finir, Me Côté a évoqué les conséquences de ces modifications sur les droits des parents : nous n’aurons plus grand-chose à dire sur la formation morale de nos enfants à l’école… Cela m’a réellement ébranlée. Quelques experts et fonctionnaires allaient décider de l’éducation morale de nos enfants et, à terme, de l’évolution d’un peuple.

J’ai été secouée par cette conférence. Mais je tenais à entendre un autre son de cloche. J’assistai donc à la réunion organisée à Drummondville par la Commission scolaire des Chênes avec les experts du gouvernement Pierre Bergevin, ex-sous-ministre adjoint et maintenant porte-parole du MELS dans le dossier ÉCR, et Jacques Pettigrew, responsable du contenu du programme éthique et culture religieuse. Je n’étais pas seule, près de deux cents autres parents se serraient dans le gymnase bondé et exposaient une série de griefs qui commençaient désormais à se cristalliser en moi : banalisation de la religion, représentation superficielle et même fausse des religions ne permettant pas d’en comprendre l’essence, interférence avec l’autorité parentale, insuffisance de repères moraux, encouragement d’une autonomie précoce pouvant mener l’enfant à rejeter les positions morales de ses parents, de son Église et de sa culture. Il était également évident, d’après les réactions dans la salle, que le cours ne satisfaisait ni les « laïques » inquiets du retour du religieux, ni les croyants, qui voyaient leur foi reléguée au rang de pièce de musée, à quelques phénomènes et à de vagues récits présentés hors contexte. Les réponses des deux fonctionnaires chevronnés ne m’ont pas paru convaincantes. De l’avis du journaliste Gérard Martin, les « émissaires n’ont pu convaincre » les opposants au cours.

Après trois heures de réunion, MM. Bergevin et Pettigrew ont promis de faire un rapport à leur supérieur hiérarchique, le sous-ministre de l’Éducation. Nous avons découvert le contenu de leur rapport lors du procès de Drummondville. Ils préconisaient, d’une part, de mettre fin aux séances d’information et d’échange, qui risquaient d’« offrir une tribune » aux opposants au cours et, d’autre part, la mise en avant, au primaire, du volet éthique ou du volet religieux chrétien, qui rencontraient moins de résistance (selon les fonctionnaires rapporteurs). Il valait mieux ne plus renseigner les parents, ne plus les écouter et imposer le programme en douceur, sinon en douce, en espérant que la polémique s’estompe, à mesure que les parents retourneraient à leurs préoccupations quotidiennes et laisseraient le champ libre au ministère.

Le programme, les indications pédagogiques

Pour préparer les divers interrogatoires auxquels j’ai été soumise dans le cadre du procès de Drummondville, je me suis mise à lire le programme du ministère de l’Éducation en détail. Il faut le lire. Certes, il est répétitif, rébarbatif, abstrait, écrit dans un style ampoulé, mais sa lecture est instructive.

La première chose qui frappe, c’est le peu d’éléments concrets qu’il prescrit, le peu de connaissances qu’il demande d’acquérir. On les retrouve à la toute fin des programmes du primaire et du secondaire. Et encore s’agit-il d’« exemples indicatifs » sur lesquels les enseignants « peuvent prendre appui » ou non, qui couvrent différentes religions et conceptions séculières (y compris l’athéisme, au secondaire). L’approche est superficielle : il est question de symboles, de fêtes, de rituels, de fondateurs de religions, de manière parcellaire et dispersée. Le programme préconise d’ailleurs de ne pas aborder ces éléments « de façon séquentielle et linéaire » (p. 281), mais de mêler religions, éthique et « dialogue ». Tout doit être mis sur le même plan : on pourra donc parler d’écologie en évoquant l’histoire de Noé, comme le suggère le programme. J’ai pu vérifier que les manuels respectent cette partie du programme et ne se privent pas de sauter d’un récit animalier fantaisiste à la description rapide d’un récit religieux, pour enchaîner sur une fête sans dimension religieuse. À mon sens, une présentation aussi confuse ne peut que banaliser le récit religieux.

Peu d’éléments concrets obligatoires dans le programme donc. Ce n’est pas un hasard, comme le relevait Mme Joëlle Quérin dans son étude : « Pour Pierre Lucier, « un enseignement de type encyclopédique sur le contenu ou l’histoire des doctrines et des traditions religieuses » ne serait pas approprié, étant donné les « objectifs sociaux et visées éducatives du programme ». En fait, comme l’indique Georges Leroux, les connaissances ne font même pas partie du programme comme tel, elles sont au strict service des compétences : « Dans l’univers très riche des programmes formulés selon des compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés : les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion, ou doctrine morale ». L’important dans le programme ÉCR, ce sont les « compétences » et les « visées éducatives ».

Quelles sont ces visées éducatives ? Selon le rapport Proulx (p. 90) qui a servi de base théorique à l’imposition de ce programme, il s’agit de développer « l’ouverture et la tolérance ». Mais comme le précisait ce même rapport, il s’agit « d’initier l’élève aux différentes cultures et aux différentes religions et de les présenter comme des manifestations de l’esprit créateur humain, tout aussi légitimes que la sienne ». En d’autres termes, d’évacuer la révélation divine et de relativiser la croyance des parents afin de « s’ouvrir » au multiculturalisme et au pluralisme normatif.

On l’a dit, le but du programme ÉCR n’est pas tant de connaître, d’apprendre des faits (ce à quoi je ne m’objecte pas, particulièrement si c’est à la lumière de ma tradition religieuse), mais de développer des compétences : « réfléchir sur des questions éthiques », de « manifester une compréhension du phénomène religieux » et surtout « la pratique du dialogue », compétence qui sera mobilisée à chaque fois que l’on se penche sur le « phénomène » religieux ou sur l’éthique. J’ai déjà décrit brièvement ci-dessus mes réserves quant à la présentation de ce qui ne serait qu’un « phénomène » humain, la religion. Je ne suis pas sûre que les aspects « éthique » et « dialogue » me plaisent beaucoup plus à bien y réfléchir.

Pour ce qui a trait au dialogue, bien qu’en principe je n’y sois évidemment pas opposée, il semble ici qu’il puisse justifier un relativisme de mauvais aloi ou causer, selon la dynamique de classe et le caractère des enfants, une forte pression sociale qui tendra vers le consensus mou, le politiquement et le religieusement corrects. Il s’agit en effet d’inculquer aux enfants « des attitudes et de comportements » (p. 304 du programme) envers ce qui est nébuleusement appelé le « vivre ensemble ». Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas contre la politesse, le respect envers tous. Le problème, ici, c’est l’obligation de respecter toutes les opinions — même l’erreur ? — comme nous l’enjoignent les indications pédagogiques qui accompagnent le programme ÉCR : « Manifester de l’ouverture et du respect à l’égard de ce qui est exprimé. »

Enfin, pour ce qui est de l’éthique, le programme du primaire ne cherche pas à « proposer » de règles morales (p. 277), il demande plutôt aux enfants de « trouver quelques repères présents dans différents points de vue, [d’] en rechercher le rôle [et de] considérer d’autres repères » (p. 296). Faut-il comprendre qu’alors que moi et mon mari cherchons à inculquer certaines valeurs à nos jeunes enfants, ceux-ci apprendront à l’école que ces valeurs sont relatives, optionnelles et qu’ils sont libres de développer leur propre éthique de vie même si elle va à l’encontre des valeurs fondamentales de leurs parents ? Ce n’est évidemment ni ce que je désire ni ce qu’on peut nommer une véritable éducation pour moi.

Analyse des manuels

J’ai décidé d’analyser par moi-même les manuels ÉCR et plus particulièrement celui imposé à mon cadet.

Premières impressions : tant au primaire qu’au secondaire, ce cours banalise le caractère sacré de chacune des religions. Tout est mis sur un même pied : récits bibliques, contes animaliers, mythes anciens, récits « éthiques » comme le réveillon de Noël ou les fêtes d’anniversaire. Mais citons quelques exemples.

Le manuel de mon jeune Édouard présente un premier abord religieux, chrétien même, on y parle de Dieu, de Jean-Baptiste, de Noël, de Jésus et de Zachée. Mais Dieu est abordé de façon très indirecte à partir du récit de Noé qui n’explique en rien la raison du déluge : la méchanceté de l’homme. On se concentre sur l’aspect fantastique de l’histoire et diligemment, comme le programme le suggérait, on fait le lien avec l’écologie, une des « valeurs » proposées par l’ensemble des manuels. Saint Jean-Baptiste n’est évoqué — un simple nom — que pour nommer la fête du 24 juin. Plus loin, le manuel décrit très sommairement la fête de Noël sous ses aspects extérieurs et festifs. L’objet de la fête de Noël, Jésus, est presque noyé dans les autres éléments, on n’apprend rien sur sa vie, son message, sa mort. On tourne la page et on atterrit sur le réveillon des… souris ! La Création est l’œuvre de Nanabozo, on s’étend sur la Terre-Mère, on ne parle pas d’Adam et Ève ni de la Genèse. Quant à Zachée, on ne dit pas pourquoi Jésus lui pardonne, mais on pose la question aux enfants… On se demande bien comment les enfants pourraient le savoir. La fiche sept, destinée à l’enseignant, suggère trois réponses : 1) Jésus avait peur de perdre un ami ; 2) pour se faire aimer des habitants de Jéricho ; 3) parce que Jésus trouve important de pardonner. Aucune allusion — ni dans le récit succinct du manuel ni dans le matériel destiné à l’enseignant — au fait préalable que Zachée s’est repenti et a décidé de remettre une partie de l’argent mal acquis…

Tout est à l’avenant : superficiel, relativiste dans sa structure, en réalité peu respectueux de chacune des religions. À mon sens, les enfants du primaire n’apprendront pas grand-chose des autres religions (le programme ne se veut pas « encyclopédique » rappelons-le), mais ils apprendront que toutes les religions sont bonnes et se valent.

Comme l’ont signalé les évêques catholiques du Québec et la Table de concertation protestante sur l’éducation dans leur lettre respective à la ministre Courchesne, les manuels ne respectent pas la prévalence historique du protestantisme et du catholicisme au Québec. Comme le résume bien la lettre des évêques du 15 septembre 2009 : « Nos experts ont constaté que la place qui y est faite au christianisme reste très comparable à celle des autres religions […]. Ces manuels exposeront les élèves à la diversité religieuse bien plus qu’ils ne les introduiront de façon significative à la connaissance de la tradition chrétienne québécoise. »

Par contre, le contenu relié aux traditions et légendes autochtones semble très important, hors de proportion par rapport au nombre d’adeptes des spiritualités autochtones (0,01 % de la population québécoise selon le recensement de 2001). On parlera donc de la légende du Grand-Lièvre et de la Création autochtone. Dans la classe de mon fils en 2009-2010, en deuxième année du primaire, les enfants se sont trouvés, chemin faisant, à comparer « la légende de Noé » et la légende du Grand-Lièvre… « Dans les deux cas, il y avait beaucoup d’animaux »… Ce sont les paroles de mon fils... Je suis sûre que le professeur a fait de son mieux, mais il se doit de demeurer neutre, de n’émettre aucune préférence, il doit se contenter de signaler les « entraves au dialogue » et d’orienter vers le « bien commun ». Ainsi, pas de cadre de référence, pas de vérité, mais plusieurs vérités, des opinions différentes, toutes aussi valables les unes que les autres. On compare, relève les différences, remet en question, imagine, fait des « retours sur les apprentissages », crée, valide, délibère, formule des « jugements de prescription » (par exemple pour protéger la Terre-Mère). Une partie de plaisir pour des élèves du premier cycle du primaire. On ne m’en demandait pas tant à l’université… Je souhaite également bonne chance aux professeurs qui devront évaluer le tout !

Pour ce qui est de l’aspect éthique des manuels du primaire, on y propose certaines valeurs positives qui ne me posent aucun problème : l’entraide, le besoin d’être aimé et d’aimer. Toutefois, parmi les besoins, on ne parle pas des besoins spirituels ou religieux et, si l’on insiste beaucoup sur le besoin de liberté et d’autonomie dès six ans, on trouve bien peu sur le besoin d’encadrement, de discipline ou de protection. Les manuels parlent d’indépendance, d’autonomie. Ils comparent — ne fût-ce qu’indirectement — cultures et valeurs bien avant que l’enfant n’ait apprivoisé sa culture et construit son identité psychosociale et spirituelle au sein de sa famille. Comment dialoguer quand on n’a pas d’assise stable et solide, quand on se connaît à peine ? J’ai parfois l’impression que les concepteurs ne veulent pas que mes enfants affirment trop leur identité culturelle et religieuse, qu’ils veulent les prendre jeunes et malléables pour, dans les termes de Gérard Bouchard, « éviter une nouvelle crise des accommodements ». Au procès de Drummondville, le professeur Bouchard a bien indiqué la volonté de transformation des futurs citoyens décidée d’en haut par l’État : « L’école nous paraît être le creuset pour apporter des solutions à ces problèmes sociologiques ou à ces problèmes de fond, pour changer les perceptions, pour changer les mentalités. »

Parmi les valeurs éthiques proposées, une se démarque dans ces manuels : l’écologisme. On le présentera parfois de manière sentimentale en parlant d’une disparition probable des ours blancs (selon un manuel), mais on ne rappelle jamais la responsabilité morale de l’homme quant au développement économique ou technique. Un autre manuel livre une prière micmaque à la Terre-Mère. On demande ensuite aux enfants de sept ans de formuler des règles (« des jugements de prescription ») pour prendre soin de la Terre. La différence entre les besoins des personnes et des animaux est presque nulle, en partie par anthropocentrisme (tous les animaux auraient besoin d’aimer et d’être aimés) et par l’amputation de la dimension spirituelle de l’enfant, totalement occultée dans les manuels du primaire.

Qu’est-ce qui se passe vraiment en classe ?

Ce qui m’inquiète aussi, c’est ce qui se passe en classe. Lors de délibérations (une forme de dialogue), le programme prescrit que tous les enfants doivent se mettre d’accord, dégager un consensus. Mais quels sont les sujets de ces délibérations ? S’agira-t-il de sujets délicats ? Le consensus des enfants s’opposera-t-il aux valeurs que je veux transmettre ? Comment le savoir ? Rien dans le programme ne permet de le savoir, l’issue de ces délibérations est imprévisible.

Rappelons que le contenu concret du programme n’est que suggéré, il variera d’une classe à l’autre. Comme les élèves sont amenés à se forger leur propre opinion et que le professeur ne statue pas, ne dirige pas, mais anime et limite, on en arrive potentiellement à autant de consensus, de débats, de valeurs, de biens communs que de classes !
S’il est vrai que l’on prêche par l’exemple, quel exemple pourra donner le professeur, sinon celui d’être « super accommodant », d’accueillir favorablement toutes les opinions, de les trouver légitimes pour peu qu’elles semblent relativement cohérentes et qu’elles ne menacent pas un bien commun nulle part défini de façon précise dans le programme ?

J’ai des visées plus exigeantes et plus nobles en termes de morale pour mes enfants. Ils n’en seront pas moins accueillants et respectueux, mais pas au détriment de leurs racines et de leur identité culturelle et religieuse. Pourquoi dois-je accepter le risque de voir l’école relativiser mes valeurs pour un bénéfice bien mince et bien hypothétique ? Pourquoi dois-je approuver que l’école propose à mes enfants comme légitime une morale que je trouve nettement insuffisante ?

Je ne suis pas rassurée par le manque flagrant de formation des maîtres et enseignants. Ce programme complexe nécessite, à mon avis, une formation universitaire. Cependant, les enseignants n’ont reçu qu’une période de formation allant d’une matinée à environ deux jours. Comment ne commettraient-ils pas d’impairs ? Comment pourront-ils corriger les erreurs de fait énoncées par les enfants ?

Je suis très inquiète par la perspective de voir certains professeurs profiter de leurs cours pour faire passer un peu n’importe quoi au nom du dialogue et de l’éthique. Les questions de « justice » sociale semblent servir de prétextes à un ensemble d’activités à relents idéologiques. Un cahier d’activités s’étend ainsi sur vingt-huit pages sur le féminisme agrémentées d’un entretien de deux pages avec Mme Françoise David de Québec Solidaire, alors que quatorze pages seulement sont consacrées à un tour d’horizon des différentes religions. Un autre cahier d’exercices amène les jeunes à construire leur propre religion lors d’une activité qui s’intitule « Youpi, ma religion à moi ! » Dans un autre exercice, en deuxième secondaire, on demande aux jeunes de préciser leur sexe, en proposant les trois choix suivants : « 1. Un garçon __ ; 2. Une fille __ ; 3. Je ne le sais pas encore __ ». Le cahier sous-entend que cette identité peut encore se construire, sans doute parce qu’il adopte le point de vue idéologique de la « théorie du genre », qui considère l’identité sexuelle comme une simple construction sociale. Un autre cahier ÉCR du secondaire n’hésite pas à dire qu’il reste « beaucoup de travail à faire aux groupes religieux pour accepter les homosexuels ». Quel enfant catholique de treize ans osera ensuite expliquer en classe la position de son Église, qui condamne les actes homosexuels, mais accueille avec amour les homosexuels ? Dans un cahier d’ERPI du secondaire, on décrit la place de la femme dans diverses religions de manière injuste pour le catholicisme, comparée à la description élogieuse de la femme pour l’islam, le bouddhisme et encore davantage pour les spiritualités autochtones. Comme l’a souligné une bioéthicienne de la Fondation Lejeune, le même cahier présente de manière erronée la position catholique sur les manipulations génétiques et le clonage en reproduisant un article erroné du Devoir. La liste des erreurs, des à-peu-près, des partis pris, des choix de sujets orientés est longue et variera selon les professeurs. Quel parent le saura et pourra corriger le tir ?

Lors d’un reportage dans une classe ÉCR, une élève du secondaire s’est exclamée : « Je trouve ce cours merveilleux… C’est full intéressant et comme je vois toutes les religions, et bien je prends ce qui me convient pour évoluer. » Je trouve ce genre de déclaration inquiétante quand on sait le peu d’informations « encyclopédiques » qui sont enseignées. Comment cette élève peut-elle décider, alors que le programme ne présente les religions que de manière superficielle et ne propose aucun repère, aucune assise ? L’évolution de cette étudiante se fera-t-elle d’ailleurs dans le sens des valeurs de ses parents ? Sauront-ils même ce qui se dit dans la classe de leur fille ?

Car quel parent aura le temps ou le réflexe de vérifier et de rectifier les acquis en la classe ? Le parent parviendra-t-il même à corriger l’impression qui s’est dégagée d’une longue discussion dans un environnement qui inspire le sérieux comme l’école ? Certains experts affirment que si un professeur énonce ou approuve un principe, quel qu’il soit, devant un élève, celui-ci considère ce principe comme vraisemblable en raison de l’autorité et de la confiance qu’inspire la fonction de professeur. Le professeur aura beau dire : « c’est cela que ces gens-là pensent, mais ceux-ci pensent comme ceci » ; cette simple alternative rend le tout crédible aux enfants. Mon garçon a naïvement cru à la venue du lapin de Pâques, alors qu’il avait sept ans. Pourquoi ne croirait-il pas que Vichnou est aussi vraisemblable, alors que son professeur en parle avec respect et sérieux ?

Utilité douteuse

La sociologue Joëlle Quérin affirme que ce cours n’instruit pas, mais endoctrine les cerveaux malléables de nos enfants pour en faire de petits multiculturalistes accommodants. Selon elle, notre patrimoine culturel et religieux sera sacrifié et noyé dans le multiculturalisme d’État qui sacraliserait la Charte, la destinant ainsi à devenir notre ultime repère en termes de valeurs et de bien commun.

Mais à quoi bon ? L’imposition de ce cours et l’évincement des parents comme premiers éducateurs s’expliquent-ils de manière rationnelle par un besoin réel ? Y a-t-il soudainement urgence ? Pour le sociologue Gary Caldwell, le Québec est un des États les plus policés et tolérants au monde et le « vivre ensemble » qu’on nous demande d’acquérir existe déjà, comme l’ont noté maints observateurs depuis au moins le XIXe siècle. Le plus notable d’entre eux, Alexis de Tocqueville, après une visite au Bas-Canada en 1831, a parlé de cette civilité exceptionnelle dans ses lettres (Jacques Vallée, 1973, p. 84 à 106). Il n’existe pas un seul cas documenté de mort provoquée par des violences interethniques ou interreligieuses au Québec ! Peu, très peu de sociétés peuvent en dire autant, certainement pas les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. Si l’on prend le programme au mot, il poursuit un objectif qui est tout simplement déjà atteint ! Prétendre le contraire constitue un mépris envers nos mœurs et de nos institutions actuelles, comme l’a signalé M. Antoine Malek, président de l’Association de la communauté copte orthodoxe du Grand Montréal.

On me dit que ce cours s’impose à cause de la diversité ethnique croissante du Québec. Même si le Québec devenait plus divers au niveau ethnique ou religieux, il n’est pas certain que cette pluralité de fait signifie qu’il faille imposer le pluralisme normatif. Je ne comprends pas comment Georges Leroux peut déclarer que « Nos enfants seront meilleurs que nous […]. Ils croiront qu’il est préférable d’être pluriel que d’être homogène » (3 mai 2007). En quoi un pluraliste normatif est-il supérieur à un Québécois catholique francophone « homogène » ? Comment ce philosophe ne saisit-il pas l’ironie, la contradiction dans sa volonté d’éliminer la diversité (nos enfants seront tous « pluriels ») au nom de la diversité ? Non, la diversité du Québec ne justifie pas l’imposition du multiculturalisme. Les différences pour un chrétien ne s’opposent pas à la bonne entente ! Il suffit, comme par le passé tolérant du Québec, de respecter les gens, mais cela ne doit signifier ni l’effacement de notre foi ni de notre identité culturelle pour créer le nouveau Québécois « pluraliste normatif » qui peuple les songes de certains universitaires effrayés à la moindre crise des accommodements raisonnables.

Si un jour je devais vivre dans un autre pays, de culture non chrétienne, je m’adapterais : c’est la moindre des choses si j’y suis accueillie, aidée et respectée. Je ne vois pas pourquoi il faudrait prendre prétexte de la « diversité croissante du Québec » (entendre l’immigration non européenne) pour que l’on me demande de m’effacer de la transmission de mes valeurs et de ma foi à mes enfants.

Liberté de choix

Bien évidemment, je ne peux pas empêcher les gens de croire que ce nouveau programme est excellent, ni même d’opter pour la philosophie du multiculturalisme ou du pluralisme normatif, comme aime à l’appeler l’expert gouvernemental Georges Leroux. Je demande simplement que l’on ne m’impose pas cette conception philosophique à moi et à ma famille ! Mon point de vue n’est en rien extrémiste, si on en croit un sondage que Léger Marketing publiait, le 26 mai 2009, et qui indiquait que 76 % des Québécois sont d’accord pour que les parents aient le choix entre l’enseignement religieux confessionnel et le cours ÉCR.

Comme parent, j’ai le droit de décider du cheminement spirituel et philosophique de mes enfants. On ne parle pas de mathématiques ou de chimie ici, mais de principes moraux, de religion, d’éthique, de philosophie. Je trouve excessif de m’imposer une vision particulière et de saper mon travail en tant que parent. Mon conjoint et moi avons la responsabilité première du cheminement de nos enfants en ces matières, pas l’État. Partisans du cours ÉCR, demeurez libres d’éduquer vos enfants comme vous le désirez et suivez l’élan de votre conscience, car c’est le souhait le plus noble et naturel d’un parent : vouloir ce qu’il y a de mieux pour son enfant. Pour ma part, mère de famille chrétienne et philosophe à mes heures (adepte de philosophies sans doute vieillottes aux yeux d’aucuns), je veux pouvoir respecter ma conscience et ma religion. Je désire offrir cette ouverture sur l’autre, ce dialogue et la poursuite du bien commun à mes enfants, mais à partir d’un point de vue catholique ancré dans la culture québécoise, pas de la dernière mode pédagogique ou multiculturelle qui à mes yeux banalise et discrédite ce que j’ai de plus cher à transmettre.

La poursuite en justice de Drummondville

Au début 2009, mon mari et moi avons intenté un procès contre la Commission scolaire des Chênes pour avoir refusé nos demandes d’exemption du cours ÉCR au bénéfice de nos deux garçons : Mathieu alors âgé de seize ans et Édouard, sept ans. Le ministère de la Justice du Québec a absolument tenu à demeurer dans le dossier pour à cette occasion alors qu`il n’en était pas tenu : il lui fallait défendre l’imposition universelle du cours ÉCR. Le procès s’est tenu devant une salle bondée du 11 au 15 mai 2009.

Si je tiens à mentionner certains faits liés à ce procès, c’est pour bien faire comprendre aux lecteurs à quel point il est ardu et onéreux aujourd’hui de se battre pour le respect de sa liberté de conscience et de religion.

Honnêtement, je ne m’attendais pas à tant de stress et de difficultés : étude du programme et des manuels, multiples interrogatoires parfois peu courtois, toujours stressants, déplacements répétés, coûts financiers prohibitifs. Tout cela alors qu’en face quatre avocats ayant toutes les ressources du ministère et de la commission scolaire pouvaient nous cuisiner plusieurs fois sans que cela ne les affecte le moins du monde.

Mon fils de seize ans refuse de témoigner

Mon fils Mathieu ne voulait pas témoigner en justice. C’est de son propre chef qu’il voulait être exempté du cours ÉCR, pour des motifs qui me paraissaient sérieux et raisonnables, et jamais il n’aurait soupçonné que des avocats l’interrogeraient à plusieurs reprises. Moi non plus d’ailleurs. Je croyais qu’il me serait permis de le représenter à titre de mère. Notre avocat, Me Côté, s’est opposé à ce qu’on interroge Mathieu en raison de son âge et du grand embarras que ces interrogatoires causeraient à ce garçon timide et réservé. Le juge a décidé, sans même parler à Mathieu, qu’il serait interrogé : à son âge, il était en mesure d’être interrogé sur sa foi et sa croyance sincère. J’étais vraiment déçue, car je connais bien mon fils et je savais que ces interrogatoires constitueraient de redoutables épreuves pour lui, si sensible et anxieux.

Avant le procès à proprement parler, Mathieu et moi avons dû subir deux séances d’interrogatoires hors cour. Le juge n’était pas présent. En dehors des procureurs gouvernementaux et avocat de la commission scolaire, seuls assistaient à ces séances notre avocat et une sténographe.

Première séance d’interrogatoires hors cour

Le premier interrogatoire, mené par les avocats du ministère de l`Éducation, s’est déroulé dans le respect. Il n’en demeurait pas moins intimidant et éprouvant. Tout ce qu’on dit est noté et peut être retenu contre soi. Me Boucher a posé les premières questions, elles étaient ouvertes et avaient pour but de vérifier si ce que j’alléguais dans ma requête était sincère : est-ce que je croyais vraiment que le cours allait à l’encontre de mes convictions et quelles étaient-elles ? Ensuite, il me posa des questions pour obtenir mes définitions des termes employées dans ma demande d’exemption : qu’est-ce que j’entendais par relativisme, vision polythéiste, phénomène religieux, etc. ? Est-ce qu’il y a un jugement de valeur dans le relativisme ? En quoi le relativisme était-il présent dans le programme ? Pointez-moi dans le programme, non pas dans le manuel ! Est-ce que je savais si des gens avaient jamais été exemptés du cours de morale ? J’ai pu exposer de mon mieux mes griefs et parler du manuel d’Édouard en première année du primaire. En cinquième secondaire, la classe de Mathieu n’utilisait pas de manuel approuvé ; c’était compréhensible puisqu’aucun manuel ÉCR pour cette année n’avait été agréé par le ministère. Les procureurs m’ont également posé des questions qui visaient à cerner le type de mère que j’étais. Visiblement, ils cherchaient à confirmer que j’étais une mère sévère, rétrograde et autoritaire.

Inutile sans doute de préciser qu’il n’est pas facile pour une mère de famille de devenir, au pied levé, experte dans un programme du ministère de l’Éducation, d’expliquer les grands courants philosophiques ou de voir passer au crible ses valeurs et sa façon d’éduquer ses enfants. Je trouvais que cet examen serré dépassait les bornes, mais j’ai coopéré de bonne foi... Les procureurs essayaient de me dépeindre sous un mauvais jour, de montrer que j’étais en contradiction avec ces valeurs que je disais si importantes pour justifier ma demande d’exemption du cours ÉCR. J’ai trouvé totalement déplacé le questionnement qui entourait ma situation conjugale. Comme j’avais divorcé de mon premier mari, il s’avérait improbable que je me sois remariée religieusement. L’avocat du gouvernement a été stupéfait d’apprendre que c’était le cas. J’ai dû lui expliquer ma démarche de nullité. J’avais l’impression que ces procureurs cherchaient à me prendre en défaut par rapport aux prescriptions de mon Église. Ces questions étaient-elles nécessaires pour vérifier le sérieux de ma demande d’exemption au cours ÉCR ? Fallait-il entrer dans ces détails conjugaux pour tenter de me discréditer dans ma pratique religieuse ?

On trouvera ci-dessous un échantillon de questions posées lors de ces premiers interrogatoires hors cour. Elles donnent un aperçu du type de questions auxquelles on est soumis pendant des heures quand on revendique le droit de décider de la formation religieuse et philosophique de ses enfants :

–  Avez-vous des consoles de jeux à la maison ?
–  Vos enfants ont-ils le droit de surfer sur Internet ?
–  Avez-vous des thèmes de discussions particuliers lors de vos repas en famille ?
–  Vos enfants ont-ils droit à leurs opinions, peuvent-ils les exprimer, se sentent-ils à l’aise pour les exprimer ?
–  Vos enfants se confient-ils à vous ?
–  Comment vos enfants ont-ils vécu votre divorce ? Ont-ils pu donner leur avis sur cette rupture ?
–  Quel genre de lecture avez-vous ? Lisez-vous la Bible ?
–  Appartenez-vous à une association religieuse ?
–  Avez-vous parlé avec votre fils de « la médaille de bravoure ou d’honneur à [Henry] Morgentaler » ?
– Etc.

Cet interrogatoire a duré environ trois heures, pendant lesquelles j’ai dû répondre à des questions que je trouvais souvent déplacées. Je crois que mes réponses ont indiqué que j’étais une mère équilibrée et que l’éducation que je prodiguais à mes enfants était souple bien qu’ancrée dans des principes solides.

Mathieu avait attendu tout ce temps dans le corridor. C’est la jeune Me Jobin qui se chargea ensuite de l’interroger. Elle a été plus que correcte, l’a mis en confiance et a respecté son rythme, elle n’a jamais essayé de le déstabiliser ou de mettre en doute ce qu’il déclarait. Ses questions étaient appropriées pour son âge. D’ordinaire, ses questions cherchaient à corroborer mes dires. Mon garçon — bien que très anxieux — a réussi à exprimer son malaise face au cours ÉCR. Il a aussi pu décrire la sincérité, l’intégrité et la nature de sa relation avec Dieu. Me Jobin l’a également questionné sur son assiduité à la messe dominicale et sur sa pratique : priait-il ? Que lisait-il ? La Bible ? Me Jobin a ensuite voulu savoir si Mathieu avait accès à la télévision et ce qu’on lui laissait regarder. Savait-il s’il y avait eu des troubles à Montréal-Nord ? Connaissait-il Henry Morgentaler ? Maître Jobin fut étonnée d’apprendre que Mathieu ne connaissait pas cet activiste du mouvement pro-avortement. Elle a alors voulu savoir auprès de Mathieu si, en tant que parents, nous avions eu une discussion sérieuse avec nos enfants pour condamner la médaille que venait de recevoir ce médecin. En résumé, laissions-nous faire la télévision et l’école québécoise ou osions-nous orienter nos enfants ? Il est clair que je n’approuve aucunement cet honneur accordé à M. Morgentaler et je ne me serais pas privée de donner mon opinion si mes enfants me l’avaient demandée. Mais comme les procureurs l’apprirent, Mathieu parle peu de ces sujets et s’intéresse surtout au sport.

À la fin de son interrogatoire, Mathieu était content de lui-même et soulagé. Il avait accompli son devoir de jeune citoyen et désormais, pensait-il, il ne devrait plus faire état de sa vie privée. Je pense que Mathieu et moi nous sommes bien défendus lors des deux interrogatoires, car les procureurs ont préféré ne pas les déposer au dossier.

Deuxième séance d’interrogatoires hors cour

Quelques mois plus tard, ce fut le tour des avocats de la Commission scolaire des Chênes de nous interroger, bien que nous ayons demandé que Mathieu ne soit pas à nouveau soumis à ces questions, et notre suggestion que l’on utilisât l’interrogatoire en possession de Me Jobin. Bien sûr, Me Boucher, avocat du ministère de l`Éducation, était présent et travaillait en collaboration avec Me Jobin. L’angoisse que vivait Mathieu n’intéressait pas le moins les procureurs de la commission scolaire. Ceux-ci essayaient d’obtenir des déclarations plus compromettantes de notre part en adoptant, à la lumière de nos premières réponses, une autre stratégie.

J’ai attendu la toute dernière minute pour informer mon aîné qu’il devrait se soumettre à un autre interrogatoire. Il était furieux : pourquoi lui demandait-on de répéter son exploit alors qu’il avait déjà répondu ? L’ambition des procureurs prenait-elle le pas sur le bien-être d’un adolescent ? Je me sentais impuissante et craignais que mon introverti de garçon dût s’exposer une deuxième fois à la scrutation des avocats. Procureurs qui tenteraient de le décontenancer et chercheraient les failles dans son témoignage.

Comme je le craignais, cette deuxième séance d’interrogatoires fut nettement plus corsée. Me Jacob qui menait le bal posait nettement plus de questions fermées : il fallait répondre par oui ou non, il n’était plus permis de se justifier. Ses questions visaient à vérifier mes connaissances sur ma religion et sur le contenu du programme. Elles étaient plus directes, insistantes, voire intimidantes. Impossible de mentionner le manuel d’Édouard pour illustrer mes propos, il fallait que je cite uniquement le programme. Je ne pouvais pas me servir de mon exemplaire du programme du ministère, où j’avais surligné des passages pertinents, collé des étiquettes de couleurs et écrit quelques mots dans la marge pour pouvoir m’y retrouver. On m’a remis un programme sans ces balises. J’avoue que, dans ce cadre insécurisant, sans mes points de repère, inquiète de l’interrogatoire de Mathieu qui devait suivre, j’ai eu beaucoup de difficultés à me concentrer.

À chaque fois qu’on me demandait « Où dans le programme affirme-t-on ceci et où parle-t-on de cela ? », sans mes repères, je devenais impuissante. Je savais pourtant que j’avais vu et lu ce que j’affirmais. Je me suis sentie mise en boîte et ridiculisée. J’étais hors de moi et tellement déçue de ma performance. J’avais beaucoup lu et étudié pour appuyer mes dires, mais je sentais tellement déstabilisée que je ne parvenais plus à me concentrer. J’ai donc demandé une pause et suis sortie en pleurant. Mathieu se rendait au même moment aux toilettes. Il m’a vue indignée et en pleurs, ce que je voulais pourtant à tout prix éviter. J’ai eu beau dire à Mathieu que j’étais juste un peu nerveuse, mais que tout allait très bien, il ne m’a pas cru. Son anxiété, déjà importante, est montée de plusieurs crans. J’ai même cru lire sur son visage un certain mépris envers tout cet exercice, je crois qu’il en voulait à l’avocat de m’avoir mise dans cet état. Bref, mon interrogatoire s’est mal passé.

Vint le tour de Mathieu. Je lui dis de faire de son mieux et de ne pas se laisser démonter par l’avocat de la commission scolaire, même si je n’y étais pas parvenue moi-même. Manifestement, je n’ai pas été très convaincante, car je n’ai jamais vu Mathieu aussi fébrile, animé d’une telle colère contenue. Je ne l’ai pas reconnu dans ses réponses. Il répondait le strict minimum : oui ou non, il n’élaborait plus, ne justifiait plus rien. En relisant la transcription de son interrogatoire pour écrire ce texte, les mauvais souvenirs me reviennent à l’esprit : le ton inquisitorial, les questions intimidantes, Mathieu bousculé par le rythme des questions, qui ne se rend même pas compte que l’avocat le manipule. Une fois décontenancé, ne sachant plus vraiment ce qu’il dit, il se renferme sur lui-même, répond d’un bref « oui », « non » ou « je ne sais pas », voulant en finir au plus tôt. Ironiquement, le procureur qui cherche à déstabiliser mon fils de seize ans en lui posant des questions sur des termes théologiques trahit sa propre ignorance : « Savez-vous c’est quoi la phrase [sic] substantiation [re-sic] » ? Corrigé par notre avocat qui lui souffle « transsubstantiation », le procureur penaud ajoute : « Je trouvais que c’était beau dans un interrogatoire. » Les questions qui fusent par la suite sont sèches. Quelles sont les valeurs du catholicisme ? Ne sont-elles pas universelles ? Quels sont les péchés capitaux ? Qu’est-ce que l’Avent ? Les questions continuent : va-t-il avec assiduité à la messe ? Viennent ensuite les questions sur la biologie, la Création : « Est-ce que vous êtes conscient que le monde n’a pas été créé en sept jours ? Est-ce que vous lisez la Bible ? Et votre petit frère ? » Question inepte, puisque Édouard venait de commencer l’école. Mais ce n’était apparemment pas l’objectif : il fallait bombarder de questions, épuiser, faire douter. Et cela a marché : Mathieu ne parvenait plus à articuler la moindre réponse. Pour tout dire, j’ai ramassé mon grand à la petite cuillère ; il était démoli, enragé de constater qu’on l’avait tourné en bourrique alors qu’il avait déjà répondu à des questions similaires au premier interrogatoire. Évidemment, les avocats de la commission scolaire déposèrent les transcriptions de la deuxième séance d’interrogatoires qui les satisfaisaient nettement plus que les premiers interrogatoires.

Il faut garder à l’esprit que Mathieu et moi subissions une énorme pression, car notre cause était non seulement importante à nos yeux, mais elle était médiatisée, et des centaines de Québécois opposés à l’imposition du programme ÉCR fondaient leurs espoirs sur un jugement qui nous serait favorable. Nous avons tenté de faire de notre mieux, mais il n’est guère facile de s’exprimer devant un avocat qui vous bouscule et cherche la petite bête. Épreuve très pénible pour mon fils et moi. Même les témoins experts au procès étaient nerveux malgré la conviction rassurante de maîtriser leur domaine d’expertise. Ce fut notamment le cas de l’expert gouvernemental, le professeur Gilles Routhier, qui a plus d’une occasion, pressé de questions par notre avocat, reculait imperceptiblement et faillit même tomber de la petite estrade où il se tenait alors qu’il livrait son témoignage.

Au tribunal, le procès

En mai 2009, nous fûmes à nouveau convoqués, cette fois devant le juge au tribunal. Le 11 mai, je fus la première à être interrogée. Pendant plus d’une heure, les procureurs contestèrent mes motifs et mirent en doute ma sincérité de catholique croyante. Pendant ce temps, Mathieu était assis à quelques mètres de moi ; il se passait fréquemment la main sur la nuque pour se masser le cou. On appela Mathieu à la barre. Il se présenta. Déclina à la greffière son nom, son âge, son occupation. Notre avocat, Me Bélisle, lui demanda ensuite sa date de naissance, histoire de le mettre en confiance. Pas de réponse. Il dit : « Je suis un peu étourdi. » Il titube, puis tombe à la renverse. Me Côté se précipite pour le retenir. Mon fils Mathieu tombe allongé au pied de Me Jacob qui en profite pour passer un dossier à la greffière. Les avocats se réunissent avec le juge. Mon fils est excusé, il ne devra plus témoigner. Il faut dire que mon garçon n’avait pas dormi la veille, n’avait pas mangé lundi matin et que, depuis quelques mois, ses notes à l’école avaient connu un fléchissement certain.

Le comble, c’est qu’à l’issue de ces épreuves, après un premier refus d’exemption, un refus renouvelé d’exemption après une demande de révision et deux longs interrogatoires hors cour, M. Pettigrew, responsable du programme ÉCR auprès du MELS, nous apprit que le cours ÉCR en cinquième secondaire n’était pas obligatoire en 2008-2009 ! Et d`ajouter au procès que, d’ailleurs, on ne le donnait même pas à l’école de ce jeune homme. En effet, on n’y donnait qu’un cours d’« éthique et valeurs humanistes » en cinquième secondaire !

On m’a donc induite en erreur pendant une année en ne me signalant jamais ce fait et en indiquant sur le bulletin de mon garçon de seize ans qu’il s’absentait bel et bien du cours « ÉCR » ! On a obligé mon fils Mathieu à subir deux interrogatoires hors cours et à témoigner à un procès, alors que le cours ÉCR n’était ni obligatoire ni même donné à son école !

Voilà à quoi se heurtent les parents qui veulent avoir un mot à dire dans l’éducation de leurs enfants. Ils sont seuls, confrontés à une machine implacable qui bénéficie d’amples moyens payés par les contribuables. Les parents qui souhaitent défendre leurs droits devront être prêts à passer de nombreuses heures à lire le programme, les manuels, à se préparer, à comparaître devant des commissaires scolaires muets qui appliquent la consigne, à venir trois fois devant des avocats endurcis et à consacrer une somme rondelette de six chiffres. À ce prix, qui pense encore sérieusement que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants au Québec ?

L’issue du procès de première instance

Comme vous le savez probablement, le juge Dubois de la Cour supérieure du Québec nous a déboutés en première instance. Rappelons que notre fils Édouard était à l’époque désormais en 2e année et toujours soumis à l’obligation de suivre le cours ECR. Notre famille ainsi que nos avocats avaient trouvé le jugement très peu convaincant, faisant la part belle au seul témoignage de l’expert gouvernemental Gilles Routhier, tout en négligeant ceux de nos quatre témoins experts, et sans même expliquer pourquoi il ne les retenait pas. C’est une des raisons qui nous ont poussés à faire appel.

À nouveau des interrogatoires…

Il est rare que l’on procède à des interrogatoires pour les causes en appel. Mais ce fut mon lot. Les procureurs du gouvernement, ayant appris que j’avais changé mon benjamin d’école, voulaient absolument m’interroger à ce sujet. L’interrogatoire fut extrêmement court. Les avocats de la partie adverse me posèrent quelques questions et s’arrêtèrent net dès que j’eus dit que mon fils Édouard n’assistait pas au cours ÉCR. Sans me laisser préciser pourquoi : je le retirais comme l’année précédente du cours et venait le chercher à l’école chaque fois que c’était l’heure d’aborder le programme ÉCR. Dès que j’eus signifié que mon fils n’assistait pas au cours par un bref « non », Me Jacob m’interrompit, m’empêcha d’expliquer et mit fin à l’interrogatoire.

La demande de permission d’en appeler

Le 25 janvier 2010, trois juges de la Cour d’appel du Québec siégèrent pour décider si elle acceptait d’entendre notre cause. Les mêmes acteurs étaient présents : d’un côté l’avocat de la commission scolaire de Drummondville et les procureurs du ministère de la Justice pour l’imposition du cours ÉCR, de l’autre Me Côté, notre avocat, pour défendre le droit à l’exemption.

Pour Me Boucher, personnage sec aux cheveux poivre et sel, notre demande d’appel devait être refusée, car son objet était devenu purement théorique : un seul de nos enfants, notre benjamin, était encore soumis au cours ÉCR, l’aîné étant désormais au cégep. Or notre cadet ne fréquentant plus l’école publique, mais une école privée où il bénéficierait, selon Me Boucher, d’une exemption, l’affaire n’avait plus aucun intérêt pratique.

C’était pourtant faux. Me Côté l’indiqua clairement quand vint son tour d’adresser la cour : mon enfant ne bénéficie d’aucune exemption à son école. Car il faut, en effet, distinguer deux choses : le droit d’exemption et le retrait. Le droit d’exemption est prévu de manière explicite par la Loi et il implique que l’enfant reste à l’école, mais aille par exemple à la bibliothèque pendant la durée du cours dont il est exempté. Le retrait, par contre — comme il apparaît clairement dans une ordonnance de sauvegarde émise dans le cadre de l’affaire des élèves menacés d’expulsion d’une école de Granby parce qu’ils n’assistaient pas au cours ÉCR —, implique que les parents viennent « quérir leurs enfants à l’école ».

Me Côté a souhaité lever une équivoque, un « flou » artistique entretenu par la partie adverse : les écoles privées sont aussi tenues de donner le cours d’éthique et de culture religieuse, mon garçon ne bénéficie d’aucune exemption parce qu’il est dans un collège privé ; bien au contraire l’école privée de mon fils refuse systématiquement toute demande d’exemption au cours ÉCR !

La décision de la Cour d’appel

Le 24 février 2010, la décision de ces trois juges tomba. Dire que nous avons été déçus par la superficialité du jugement est une litote. En effet, deux des trois juges se rangeaient aux arguments spécieux du gouvernement et refusaient de nous entendre parce que notre enfant serait « exempté », « pas assujetti », « pas tenu de » suivre les cours ÉCR.

Pourtant, comme l’a confirmé le directeur de l’école de mon fils dans un article paru dans la Tribune et dans une lettre personnelle assez désagréable qu’il m’adressa, mon fils n’est pas exempté. Je viens simplement le retirer comme s’il devait s’absenter pour aller chez le dentiste. En outre, la Cour d’appel a déjà accueilli une longue série de cas dont l’objet aurait pu paraître théorique : l’affaire Tremblay c. Daigle, par exemple, a été portée en appel même si l’avortement auquel s’opposait M. Tremblay avait déjà été perpétré. Ou encore cette affaire Multani, où le jeune sikh avait quitté l’école publique où on lui interdisait le port de son petit poignard pour fréquenter l’école privée pendant que la cause était portée en appel. Enfin, je pourrais très bien remettre mon benjamin dans une école publique du jour au lendemain… Bref, mon fils n’est pas plus exempté que lors du procès en première instance et les juges ont erré de manière factuelle en la matière.

L’enjeu : le droit des parents à une éducation conforme à leurs convictions

Les trois juges de la Cour d’appel mentionnaient une seule autre objection pour refuser de nous entendre. Selon eux, notre interprétation de l’article 222 de la Loi sur l’instruction publique servant de base à notre demande d’exemption serait erronée. Rappelons la partie centrale de cet article 222 :

Pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à un élève, la commission scolaire peut, sur demande motivée des parents d’un élève, d’un élève majeur ou d’un directeur d’école, l’exempter de l’application d’une disposition du régime pédagogique.

Selon nous, le non-respect d’un droit fondamental protégé par les chartes canadienne et québécoise — la liberté de conscience et de religion — d’un élève et, pour un mineur, de ses parents est un préjudice grave. Or, pour moi et pour de nombreux témoins experts qui sont venus l’affirmer devant le juge Dubois en première instance, le cours ÉCR va bien à l’encontre de ma foi. De plus, ma demande d’exemption n’est en rien frivole, car le programme ÉCR présente une certaine vision de la pluralité des religions et il peut effectivement toucher aux croyances et à la manière dont l’enfant perçoit la multiplicité des religions : elles sont toutes équivalentes et aussi légitimes les unes que les autres dans le cas du programme ÉCR.

Malgré ces faits, les juges de la Cour d’appel n’ont pas hésité à écrire que « Si l’on devait suivre les appelants dans ce raisonnement, et si l’on admettait sans autre nuance que leur liberté de conscience ou de religion justifie ipso facto que leurs enfants soient exemptés d’une composante obligatoire du programme, il faudrait faire de même lorsque tout parent, au nom de toute croyance religieuse sincère, honnête et subjective, invoquerait l’article 222 et demanderait que son enfant soit exempté de toute partie du programme qui heurte ses convictions religieuses. » D’une part, je trouve qu’il s’agit d’une description caricaturale de notre requête : nous ne demandons pas de manière frivole l’exemption à un programme sans rapport avec nos valeurs religieuses ou philosophiques. Bien au contraire, nous demandons une exemption dans un domaine qui touche aux convictions religieuses et philosophiques, et nous pensons que la foi sincère du parent est un élément-clé, foi étayée par ailleurs par les témoignages de plusieurs experts. D’autre part, la Cour d’appel prive de tout instrument les parents qui s’opposent à un programme de formation morale comme ÉCR et désirent en soustraire leur progéniture pour des raisons de convictions religieuses ou philosophiques. Elle laisse le champ libre à l’État pour imposer ce programme, même si les parents sentent leurs convictions profondes bafouées par cette imposition. Quel recours reste-t-il aux parents ? La Loi dans sa sagesse a permis une exemption pour des raisons humanitaires. L’atteinte à mes convictions sincères — que tous les juges m’ont d’ailleurs reconnues — et les témoignages de quatre experts ne suffiraient pas selon les juges… Que faudrait-il de plus en matière de demande d’exemption scolaire, dans une matière qui, rappelons-le, n’est même pas nécessaire pour obtenir son diplôme du secondaire ?

On a ici affaire à un État qui, par le biais des commissaires scolaires et de l’appareil éducatif, porte un jugement — malgré sa prétendue laïcité — sur les convictions morales et religieuses des parents qui s’opposent au programme ÉCR, puisqu’il ne les considère pas comme suffisantes pour accorder une exemption. Le Québec n’est pas la seule juridiction où l’État tente de prendre le relais de la formation morale des jeunes élèves qui naguère était prodiguée par ou en l’étroite collaboration avec des institutions religieuses. Mais au Québec, contrairement à d’autres pays ou provinces comme Terre-Neuve, l’État n’accorde aucune exemption individuelle aux parents ou collective aux établissements privés. Ce dogmatisme d’État, son manque de souplesse, l’absence de respect pour les convictions religieuses ou philosophiques de ses citoyens sont, à mon sens, très inquiétants.

Je pense qu’il s’agit d’une question cruciale. C’est sans doute pourquoi plusieurs organisations comme la Catholic Civil Rights League, l’Alliance évangélique du Canada, l’Association des parents catholiques du Québec et l’Association de la communauté copte du Grand-Montréal se sont dites prêtes à intervenir auprès de la Cour Suprême du Canada si elle veut bien se pencher sur notre cause. Nous devrions être fixés d’ici quelques mois. La victoire en première instance du collège Loyola, auquel il est accordé de pouvoir donner le cours ÉCR dans une perspective catholique, et plus seulement de manière « neutre », renforce à mon sens notre position. Notre demande n’apparaît plus si frivole, car nous partageons des griefs similaires au collège Loyola. En outre, ce que nous demandons est désormais permis par un tribunal à Montréal dans une école privée catholique anglophone, mais refusé à Drummondville. J’espère que cette différence de traitement interpellera les juges de la Cour suprême.

J’aime à penser que cette injustice sera réparée par le tribunal suprême du pays dans le sens d’un plus grand respect des parents croyants soucieux de l’éducation de leurs enfants.



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