jeudi 23 novembre 2017

« Sans les 15% de quartiers pourris qu'il y a en France nous serions classés numéro 1 dans PISA » (M-à-j)

Selon Luc Ferry, les tests PISA n’évaluent pas les systèmes éducatifs des différents pays, mais les performances des élèves. Or ces performances dépendent nettement plus de ce qui passe dans les familles qu’à l’école.

Selon le directeur de l’évaluation de Luc Ferry lorsqu’il était ministre de l'Éducation : « si on supprimait les 15 % de quartiers pourris qu’il y a en France, avec des établissements dans lesquels il y a 98 nationalités où on n'arrive pas à faire cours, eh bien nous serions classés numéro 1 dans PISA ».

Animée d'un sens comique, la présentatrice, Apolline de Malherbe, souffle à l'ancien ministre que la cause de ce déficit serait « les inégalités sociales » apparemment pour qu'il ne mentionne pas « l'immigration », les origines culturelles et linguistiques des habitants de ces quartiers. Le ministre rappelle ensuite qu'il ne s'agit pas que d'une question d'« inégalités » (de subventions, de moyens financiers), mais souvent d'un manque de respect de la part des élèves et parfois d'impossibilité de donner cours.




Pour Luc Ferry, il faut aussi cesser de dire que 98 nationalités à l’école c'est une richesse. C'est faux.



Vidéo intégrale :


« De mon temps on avait une semaine [scolaire] de 30 ans, aujourd'hui elle est de 23 heures. On ne fait pas la même chose en 23 heures qu'en 30, notamment pour lutter contre illettrisme. »
La « charmante » Sonia Mabrouk revient sur ces « 15 % de quartiers pourris » pour lui faire admettre qu’« on » les a laissé pourrir.

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Tabou : impact de l'immigration sur les résultats et coûts scolaires (Claude Allègre).

Le ministre de l'Éducation (2007–2009) Xavier Darcos : il faut « que l'on arrête de comparer les résultats des enfants français à ceux de la Finlande ! C'est un pays très différent du nôtre, petit, quasiment sans immigration ». Selon lui, le poids sociologique est fondamental pour expliquer l'échec scolaire. (Le Figaro 29/X/2007)


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Zimbabwe : l'analyse radio-canadienne sur Mugabe d'«authentique héros» bâtisseur à «dictateur» (M-à-j)

Mise à jour du 23 novembre 2017

L'armée et l'appareil sécuritaire auraient accordé à l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe, 93 ans, l’immunité de poursuites après sa démission du poste de président du Zimbabwe.

Selon une dépêche de Reuters, le nonagénaire a également été assuré de sa sécurité dans son pays d’origine, dans le cadre d’un accord qui a conduit à sa démission mardi.

Le rapport cite une source gouvernementale selon laquelle Mugabe aurait déclaré aux négociateurs qu’il voulait mourir au Zimbabwe et qu’il n’avait aucune intention de vivre en exil.

Selon Reuters et The Sowetan, si l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe avait laissé le processus de destitution aller de l’avant, il aurait été privé de sa pension et autres avantages liés à sa fonction d’ancien président. Mugabe bénéficierait d’une pension équivalente à son salaire de président en exercice. En 2015, lors d’une interview, il avait déclaré gagner 12 000 dollars par mois. À l’indépendance en 1980, Mugabe était Premier ministre, alors qu’il y avait un président cérémoniel, feu Canaan Banana, qui, à la retraite, gagnait 75 % du salaire du chef de l’État. « Il sera bien loti, cette constitution a été rédigée en 2013 avec la sortie de Mugabe à l’esprit », de déclarer Sam Ncube, un avocat établi à Harare.

On avait un temps parlé d'un possible exil des Mugabe en Afrique du Sud. Mais, selon l’agence sud-africaine News24, l’ex-président zimbabwéen Robert Mugabe et son épouse Grace s’exposeraient à de sérieuses difficultés s’ils venaient à se réfugier en Afrique du Sud. En effet, certains militants des droits de l'homme en Afrique du Sud pourraient les « traquer pour des crimes » qu’ils auraient commis dans les deux pays.

Mugabe dans sa période « angélique »,
lors d’une visite à Orapa (Botswana) en 83
en pleine répression au Matabeleland
Retour du « crocodile », une révolution de palais

Emmerson Mnangagwa, l’ex-vice-président déchu, devrait officiellement prendre les rênes du Zimbabwe vendredi, en tant que président intérim, succédant de facto à Robert Mugabe après sa démission historique cette semaine. Il avait déjà été désigné la fin de semaine dernière président de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, et son candidat pour l’élection présidentielle de 2018.

L’homme de 75 ans, surnommé « le crocodile » pour son caractère inflexible et impitoyable, rejoint la guérilla indépendantiste contre le pouvoir de la minorité blanche au début des années 1960. Le nouvel homme fort du Zimbabwe avait appartenu, durant ses études, à un groupe d’agitateurs qui avait incendié la maison d’un professeur « blanc et raciste », selon les dires de Mnangagwa lui-même.

Après un séjour à l’Académie militaire d’Héliopolis, dans l’Égypte de Nasser pendant l’année 1963, il est envoyé en Chine en 1964 pour se former au marxisme, au combat et aux renseignements.
Lors de son retour au pays, un an plus tard, il est arrêté. Échappant à la peine capitale, il passe néanmoins dix ans en prison, tout comme Robert Mugabe.

Des partisans de Mnangagwa attendant son retour

Dès la prise du pouvoir du Zimbabwe en 1980 par la ZANU, Robert Mugabe lui confie d’importants postes de ministres. Ministre de la Sécurité nationale à l’indépendance, équivalent de la Sécurité de l’État, en 1980.

Selon le journal dominical sud-africain City Press, diffusé à 200 000 exemplaires et lu par quelque 2 millions de lecteurs dont 97 % de noirs : « Emmerson Mnangagwa, 75 ans, l’homme qui conduira le Zimbabwe dans son “nouvel” avenir, est le visage le plus laid de son passé. Mnangagwa était l’un des pionniers de l’appareil sécuritaire du ZANU-PF, au centre de certaines des pires atrocités du régime de Mugabe.

Dans les années 1980, quand Mugabe a voulu écraser l’opposition de la ZAPU [de Nkomo, le chef matabélé] en l’avalant à l’intérieur de ZANU, Mnangagwa était à l’avant-garde. En tant que ministre du Renseignement, il a supervisé la guerre contre les soi-disant dissidents du Matabeleland. L’offensive a entraîné la mort de plus de 22 000 personnes, pour la plupart des civils. Certains chercheurs disent que ce nombre est extrêmement conservateur et pourrait être supérieur à 100 000.

Des villages ont été rasés, des gens ont été brûlés vifs et des familles entières ont été enterrées vivantes pendant cette offensive. Cette campagne est connue sous le nom menaçant de “Gukurahundi” — [mot shona qui désigne] les averses du printemps qui lavent le sol de la paille [ou de la poussière accumulée pendant la saison sèche].

Bien que Mnangagwa et sa Central Intelligence Organisation (CIO) aient été les principaux instigateurs de ces exactions, il incrimina sans ménagement l’armée - principalement la tristement célèbre unité d’élite la 5e brigade. »

L’Occident — et au premier chef la Grande-Bretagne — choisit à l’époque de jouer l’apaisement, de ne pas sévir. Il fallait, comme le mentionnent d’anciens diplomates britanniques (voir le second documentaire Panorama ci-dessous), que le Zimbabwe soit une transition réussie, il ne fallait pas faire douter et empêcher la résolution de la situation en Afrique du Sud encore dominée par les Blancs qui craignaient le passage à un pouvoir aux mains des Noirs.

Mnangagwa  fut ensuite nommé ministre de la Justice en 1989, puis des Finances et de la Défense, le poste de vice-président lui échappe en 2004. Mais ce n’est que partie remise. Après avoir dirigé les fraudes et violences permettant à Robert Mugabe de rester au pouvoir malgré sa défaite au premier tour de la présidentielle en 2008, il accède enfin à la vice-présidence en décembre 2014. Il devient également numéro deux de la Zanu-PF, ce qui le place en première place pour succéder au président.

Emmerson Mnangagwa était un fidèle de Robert Mugabe. Il était d’ailleurs un des poids lourds de son régime. Mais le 6 novembre 2017, il sera sèchement limogé, sur injonction de la Première dame Grace Mugabe à qui il barrait la route de la succession de son mari. L’homme avait alors été forcé de quitter le Zimbabwe pour des raisons de sécurité. C’est son éviction qui a précipité, dans la nuit du 14 au 15 novembre, un coup de force de l’armée, catégoriquement opposée à l’arrivée au pouvoir de « l’incontrôlable Grace Mugabe ».



Billet du 18 novembre 

Sophie Langlois qui fut correspondante de Radio-Canada à Dakar de 2006 à 2013 s’est fendue d’un texte sur la crise au Zimbabwe. Il commence ainsi :


Selon son reportage donc, après 1980 et sous Mugabe « les Noirs ont désormais accès à l’éducation aux soins de santé » et il aurait bâti « une des plus fortes économies du continent ».


Réécriture de l’histoire

L’ennui c’est que Sophie Langlois réécrit l’histoire : elle passe sous silence les tendances autoritaires et violentes de Mugabe dès le début de sa prise de pouvoir dans les années 1980. Elle glorifie son bilan économique et social en oubliant totalement la prospérité économique de la Rhodésie avant les sanctions occidentales et la ruineuse guerre de brousse contre les guérilleros noirs à la fin des années 70.

Quelques faits...

Le 11 novembre 1965, les Blancs de la Rhodésie du Sud — 228 000 dans le pays pour 4 847 000 Noirs — dirigés par Ian Smith proclamèrent unilatéralement l’indépendance du pays en dépit des menaces de sanctions économiques et politiques. Ils rompirent ainsi avec la Grande-Bretagne et le pays prit le nom de Rhodésie. La Rhodésie du Nord était devenue pour sa part la Zambie. L’ONU vota des sanctions et un embargo total contre le régime blanc.

Cernée au nord, puis après la fin de l’empire colonial portugais à l’est, par des pays ennemis dits de « la ligne de front », la petite mais efficace armée rhodésienne résista avec pugnacité à toutes les attaques. Jusqu’au moment, où, croyant acheter sa survie, l’Afrique du Sud blanche lui coupa tout ravitaillement en carburant. Les dirigeants rhodésiens furent alors forcés de signer à Londres en 1979 les accords dits de Lancaster House. Du 27 au 29 février 1980 eurent lieu des élections.

Vote ethnique, tendance autoritaire et violente du régime Mugabe dès le départ

Le Matabeleland en rouge.
Ce fut un vote ethnique puisque les suffrages des Shonas, l’ethnie majoritaire avec 70 % de la population africaine, se portèrent sur les candidats de Robert Mugabe (lui-même Shona), tandis que les votes des 30 % de Matabélés se retrouvèrent sur les candidats de leur chef, Josuah Nkomo. La ZAPU, parti de Nkomo, ne l’avait emporté que dans le Matabeleland alors que la ZANU de Mugabe l’avait emporté dans les zones à majorité shona.

Dans le sud-ouest du pays, en zone matabélée, des troubles éclatèrent aussitôt. Les Matabélés forment un rameau de Zoulous ayant immigré d’Afrique du Sud à la fin des années 1830. Ils n’acceptaient pas de se voir dirigés par les Shonas qu’ils avaient soumis avant la venue des Blancs. Dès 1980, Mugabe désirait voir l’instauration d’un État à parti unique en convainquant la ZAPU de Nkomo de fusionner avec la ZANU pour former un seul parti qui dominerait le pays, sans opposition démocratique. Selon Ian Smith (voir la vidéo ci-dessous à 33 min 25 s), les brimades et les exactions contre les Matabélés de la ZAPU commencèrent quand Nkomo déclara son opposition à l’idée d’un État à parti unique. Au micro de la BBC en 1983, Nkomo admit diplomatiquement (44e minute de la vidéo ci-dessous) qu’il était possible que ces exactions gouvernementales fussent liées à la volonté de Mugabé d’instaurer un État centralisé à parti unique.

Des émeutes eurent lieu à Entumbane non loin de Bulawayo (en pays matabélé) à la fin 1980 (on parle de centaines de morts) et en 1981 (également quelques centaines de morts). Cette révolte fut ensuite férocement écrasée par la 5e brigade de l’armée du Zimbabwe, exclusivement composée de Shonas encadrés par des Nord-Coréens. Nkomo s’enfuit alors à Londres tandis que la guerre civile ravageait le Matabeleland de 1982 à 1987. Elle devait faire une vingtaine de milliers de morts — nettement plus selon certains chercheurs [1] — dans le plus grand silence des pays occidentaux. (Voir Preventing a Genocide in Zimbabwe, Zimbabwe: death by silence, et la résolution des Genocide Scholars : Resolution on state repression in Zimbabwe).


Émission britannique (Panorama) de mars 1983 sur les massacres au Matabeleland. En anglais, non sous-titré. Longueur : 50 minutes. On y voit Mugabe niant toute exaction au Matabeleland.


Cette guerre civile marqua donc le tout début du règne du « libérateur » Mugabe. Sophie Langlois omet de la mentionner. Est-ce pour ne pas écorner cette image de libérateur, de bâtisseur qui aurait malheureusement mal tourné quelques décennies après son triomphe initial ?


En 2002, Panorama se pencha à nouveau sur ces massacres pour condamner le silence du gouvernement anglais, sa politique d’« apaisement » (40 minutes). Silence motivé, entre autres raisons, selon Lord Howe (23e minute), ministre des affaires étrangères britannique de l’époque, par l’« avenir de l’Afrique du Sud qui était en jeu ». Il fallait que l’indépendance du Zimbabwe soit considérée un succès. Ce fait est confirmé par Sir Martin Ewans (30e minute).


Notons que si la journaliste de Radio-Canada voit facilement les choses sous l’angle du rrracisme (elle grasseye avec mépris ce mot dans ses reportages pour Radio-Canada), elle ne mentionne pas le tribalisme, élément important dans le destin récent du Zimbabwe ainsi que de nombreux pays africains. Étrange. Notons que ce tribalisme (plutôt que le rrracisme) peut aussi expliquer l’histoire de l’Afrique australe, si l’on considère les Afrikaners en tant que tribu, blanche il est vrai, mais installée en Afrique depuis près de quatre siècles, car les Hollandais s’établirent au Cap en 1652. 

Dans le reportage radio-canadien (à 1 min 5 s) qui accompagne le texte de Sophie Langlois, l’« intellectuel marxiste » Mugabe est assez habile en 1962 au micro de la CBC pour réclamer l’instauration du système d’« une personne, une voix », peu importe la couleur de peau ou la condition sociale. Il savait alors que ce système garantirait la prise du pouvoir en Rhodésie par sa propre ethnie. Cette rhétorique démocratique servait Mugabe alors qu’il briguait le soutien des pays occidentaux. Il y fut nettement moins sensible une fois sa présidence contestée.


Mugabé s’adressant à des journalistes en Afrique du Sud parmi lesquels se trouve un Blanc : « Je ne veux pas voir de visage blanc »

Rappelons que Ian Smith, le président de la Rhodésie blanche considérait que ce système n’aboutirait qu’au chaos, la corruption et l’incompétence. Il refusait en ses mots la « course folle vers le “un homme, une voix” avec toute la corruption, le népotisme, le chaos et le désastre économique auxquels nous avons assistés dans tous les pays autour de nous ». (Voir pages 152-157 de ses mémoires The Great Betrayal : The Memoirs of Ian Douglas Smith, Londres, John Blake Publishing, 1997. ) Il fallait, selon lui et les Rhodésiens blancs, mieux protéger, mieux garantir les droits de la minorité blanche avant que la majorité noire ne prenne le pouvoir par une évolution de la situation plutôt qu’une révolution.


Économie de la Rhodésie : prospère malgré les sanctions

La Rhodésie blanche jouissait d’une économie forte dans les années 60, elle était le grenier de l’Afrique. Elle enregistra chaque année un excédent commercial de 1965 à 1975, à l’exception des années de sécheresse de 1968 et de 1971. Au début des années 70, la Rhodésie connut une croissance économique assez sensible (22,6 % en 1970 par exemple, voir ci-dessous).

Héritage dilapidé

Quelques années plus tard, l’héritage laissé par les « colons » ayant été dilapidé, la faillite était totale. Depuis 1980, le « Camarade Bob » régnait donc sur ce qui fut la prospère Rhodésie dont il fit un goulag ruiné. Et pourtant, l’héritage laissé par le régime blanc était exceptionnel : le pays disposait d’excellentes infrastructures routières et ferroviaires, la population était largement alphabétisée et l’économie de type industriel avait un secteur agricole hautement compétitif. De plus, la politique des sanctions internationales avait contraint les Rhodésiens à créer une industrie de transformation. Ces sanctions ne devinrent punitives que vers 1977, avant cela l’économie rhodésienne avait régulièrement crû. En 1979, la Rhodésie blanche dépensait près de 30 % de son budget à mener une guerre de brousse contre les mouvements de guérilla dirigés par MM. Mugabé et Nkomo. 

L’essor qui suivit l’indépendance en 1980 s’explique donc en grande partie par la levée des sanctions,  la fin d’une guerre ruineuse et l’aide internationale dispensée désormais généreusement. Mais comme nous le verrons, les actions de Robert Mugabé allaient vite ruiner l’ancienne Rhodésie, pays jadis prospère et grenier de l’Afrique.

En 1995, l’augmentation de 67 % du prix du litre d’essence et de 345 % de celui du pétrole lampant utilisé pour la cuisine et l’éclairage domestique provoqua de graves émeutes dans les principales villes du pays. Leur répression fut sanglante.

En 1999 la catastrophe connut une nouvelle accélération avec l’effondrement du dollar zimbabwéen qui perdit 80 % de sa valeur face aux devises. L’inflation dépassa alors les 57 %, tandis que le prix du gallon d’essence passa de 5 à 12 dollars zimbabwéens. Quant au taux de chômage, il atteignit les 50 % Or, avec une croissance démographique de 2,8 % par an, le Zimbabwe voyait arriver chaque année des dizaines de milliers de jeunes adultes sur le marché du travail.

Tentant une manœuvre de pure démagogie alors que sa popularité déclinait, Robert Mugabe fit voter par l’Assemblée l’expropriation sans indemnité des fermiers blancs, puis il ordonna à ses militants d’occuper leurs fermes. Plusieurs fermiers furent alors massacrés et leurs femmes violées… Dans le plus total silence des bonnes âmes européennes.

Lamentable état du réseau téléphonique terrestre près des chutes Victoria (Zimbabwe) en 2013
Or, comme les trois quarts des productions agricoles industrielles et commerciales soutenant la balance des paiements du Zimbabwe, à savoir le tabac, le paprika, le coton et l’élevage, avaient pour origine les 4000 fermes encore possédées par les Blancs, le résultat de cette spoliation ne se fit pas attendre.

En 2000, ces quelque 4 000 agriculteurs commerciaux à grande échelle possédaient quelque 70 % des terres arables du Zimbabwe. Mais près des deux tiers de ces agriculteurs avaient acheté leurs fermes après 1980 et détenaient donc des titres de propriété émis non par le régime d’Ian Smith ou par le régime colonial britannique, mais par le gouvernement Mugabé. Trois ans plus tard et plusieurs meurtres de fermiers blancs et leurs familles, il ne restait déjà plus que 300 grands propriétaires blancs. La plupart des fermes expropriées furent accaparées par des amis du régime de Robert Mugabé. 

Comme le rappelait The Atlantic, « En règle générale, les fermes n’ont pas été données à des régisseurs d’exploitation agricole noirs ou à des travailleurs agricoles. En effet, en raison de leur association avec l’opposition [au régime de Robert Mugabé], plus d’un million de travailleurs agricoles et leurs familles ont été déplacés au risque de mourir de faim. En fait, les bénéficiaires des saisies de terres sont, à quelques exceptions près, des dirigeants du parti au pouvoir et des amis du président. Bien que les gens de Mugabé semblent considérer la possession de fermes comme un signe de réussite sociale (le ministre de l’Intérieur en a cinq, le ministre de l’Information en a trois, la femme de Mugabé, Grace et des dizaines de membres influents du parti et leurs parents en ont deux), cette élite n’a ni l’expérience, ni l’équipement, ni, apparemment, le désir de les gérer. Environ 130 000 paysans autrefois sans terre ont aidé les élites dirigeantes à s’emparer des fermes [souvent en saccageant les récoltes, en occupant illégalement les propriétés, en brûlant les bâtiments ou en intimidant physiquement les fermiers blancs], mais voilà que maintenant que le sale boulot est fait, beaucoup d’entre eux sont eux-mêmes expulsés. »

Comme on le voit, le miracle économique de l’ère Mugabe a consisté en un long marasme pour le citoyen moyen (le PIB/habitant n’a quasiment pas bougé depuis 37 ans, il a même un peu baissé) alors que le Botswana voisin dont le PIB/h était près de deux fois plus haut que le Zimbabwe en 1980 a désormais un PIB/habitant plus de sept fois supérieur.
Source : Indicateurs du développement dans le monde (Banque mondiale), mis à jour le 15/XI/2017



Évolution du PIB/habitant des trois pays d’Afrique australe comparé à celui du Canada. Comme on le voit ces pays sont toujours pauvres. L’Afrique du Sud et la Rhodésie, deux pays dirigés par des icônes de la lutte contre des régimes blancs (Mandela et Mugabe), ont très peu progressé pour ce qui est du revenu par tête d’habitant. Le Botswana est l’exception : c’est un pays très homogène ethniquement, à la faible population, au très riche sous-sol et qui n’a pas menacé ni spolié les blancs qui y habitent.

Dès 2001, jadis exportateur de nourriture, le Zimbabwe fut ainsi contraint de lancer un appel à l’aide internationale pour éviter la famine… Et comme 300 000 emplois avaient été perdus dans le secteur agricole et ses dérivés, le taux de chômage bondit à 65 %...

Un échantillon de billets de banque zimbabwéens imprimés entre juillet 2007 et juillet 2008 allant de 100 milliards de $ à 10 $

À la fin de l’année 2007, l’inflation avoisinait en cumulé les 100 000 %. En 2008, les prix des produits alimentaires augmentèrent de 30 à 40 % par jour et ceux des transports publics de 15 à 20 % par jour… Au mois de février 2008, l’inflation était de 165 000 %, au mois de juillet de 2,2 millions de % et le 19 août de 15 millions de % ! Début août, la canette de bière coûtait 800 milliards de dollars zimbabwéens. En avril 2009, le dollar zimbabwéen perdit toute valeur, même au Zimbabwe. Il fut en pratique remplacé par le dollar américain (95 % des échanges), le rand sud-africain (5 %). Sept autre monnaies ont cours légal au Zimbabwe, mais sont très peu utilisées.

Billet de cent billions de dollars (100 000 milliards) émis en 2009


« Accès à l’éducation » pour les Noirs après 1980 ?

Sur l’éducation des Noirs,  Sophie Langlois prétend que ce ne fut qu’avec l’arrivée de Mugabe que « les Noirs ont désormais accès à l’éducation ». C’est simplement faux ou caricatural si la journaliste prétend par là que les Noirs n’étaient pas éduqués avant 1980.

Où l’« intellectuel marxiste » Mugabe, selon les termes de la journaliste, aurait-il été formé ?

Né le 21 février 1924, fils d’un immigré du Nyassaland (Malawi actuel), Robert Mugabé grandit à la mission catholique jésuite de Kutama au nord-est de la capitale Salisbury. Cette mission était animée au début des années 30 par un Français, le père Jean-Baptiste Loubière. Le futur dictateur reçut un diplôme d’instituteur  à l’âge de 17 ans du Collège Saint-François Xavier de Kutuma (illustration ci-dessous). Ce collège fut fondé en 1914 pour accueillir des jeunes africains, il enseigne actuellement à 900 élèves. Mugabé rejoint en 1949 l’université de Fort Hare en Afrique du Sud (rraciste) pour y étudier l’anglais et l’histoire. Il en fut diplômé en 1951. Il revint alors enseigner en Rhodésie à Driefontein en 1952, à Salisbury (1953), puis à Gwelo (1954). Il mit à profit ces années d’enseignement pour obtenir par correspondance une licence en éducation auprès de l’université d’Afrique du Sud, toujours sous le régime d’apartheid donc.



Le collège Saint-François-Xavier de Kutuma (Rhodésie) fondé en 1914 et réservé aux Africains

Mugabe fréquentera ainsi l’université Fort Hare, fondée en 1916 et réservée aux Noirs. Et qui retrouve-t-on parmi les anciens élèves de cette université (alors que les Noirs n’auraient pas eu accès à l’éducation) ? Rien de moins que Nelson Mandela, Govan Mbeki et Oliver Tambo de l’ANC (Congrès national africain), parti au pouvoir aujourd’hui en Afrique du Sud depuis plus de 23 ans, Mangosuthu Buthelezi du parti zoulou de l’Inkatha, Robert Sobukwe du Congrès panafricain, l’archevêque Desmond Tutu et d’autres présidents de pays africains comme Séretsé Kama (futur Botswana), Kenneth Kaunda (future Zambie), Julius Nyéréré (future Tanzanie) et son rival matabélé, Joshua Nkomo (futur Zimbabwe).
L’ancien hall de l’université de Fort Hare (Afrique du Sud) fondée en 1916 et réservée aux étudiants africains, pépinière de dirigeants et révolutionnaires africains

Il serait moins caricatural donc de dire qu’au début des années 1970, seuls 43,5 % des enfants africains allaient à l’école en Rhodésie, mais pas toujours pour des raisons « racistes » : dans la société traditionnelle bantoue en Rhodésie les filles étaient peu scolarisées. En 2009 encore, si les filles étaient plus nombreuses (85 %) que les garçons (80 %) à terminer l’école primaire, elles étaient nettement moins nombreuses (48,8 %) à terminer l’école secondaire que les garçons (62 %).

Après la prise du pouvoir par le ZANU, le parti de Robert Mugabe, le nombre d’écoles augmenta rapidement afin de mieux desservir la jeunesse africaine (laquelle était en outre gonflée par l’afflux de familles de réfugiés politiques revenant des pays voisins). C’est ainsi que de 1979 à 1984, le nombre d’écoles primaires augmenta de 73,3 % et que le nombre d’écoles secondaires quintupla. Cependant cette rapide augmentation s’accompagna d’une baisse de la qualité moyenne due à un manque de moyens, d’infrastructures (il était coutumier de dédoubler les classes avec une série d’élèves le matin et une autre l’après-midi) et d’enseignants qualifiés. À partir de la fin des années 90, le déclin économique du Zimbabwe aura un impact négatif sur la qualité de l’éducation. En 2008, en pleine hyperinflation, le gouvernement zimbabwéen annulera même tout bonnement l’année scolaire et universitaire, car il était incapable de payer ses professeurs, l’électricité et les fournitures nécessaires. Les classes étaient restées fermées, y compris dans les universités privées...


« Je ne fais confiance en aucun homme blanc, jamais », Robert Mugabe


Florilège de citations mugabéennes (source The Independent)

Sur la Grande-Bretagne : « La Grande-Bretagne est un pays très froid, inhabitable avec de petites maisons. »

Sur les droits des homosexuels : « Cela ne vaut pas la peine d’en discuter : ceux qui commettent de tels actes sont fous, nous ne pouvons pas tolérer cela, sinon les morts se lèveront contre nous. »

Sur Hitler : « Je suis encore le Hitler de notre époque, ce Hitler n’a qu’un objectif : la justice pour son peuple, la souveraineté pour son peuple, la reconnaissance de l’indépendance de son peuple et de ses droits sur ses ressources. Si c’est cela être Hitler, laissez-moi être dix Hitler. Dix fois, c’est ce que nous défendons. »

Sur les Blancs : « Le seul homme auquel vous pouvez faire confiance est un homme blanc mort. »

Sur le fait d’être meilleur que Jésus : « Je suis mort plusieurs fois — c’est là que je fais mieux que le Christ. Christ est mort une fois et ressuscité une fois. »

Sur le cricket : « Le cricket civilise les gens et crée des gens bien élevés. Je veux que tout le monde joue au cricket au Zimbabwe, je veux que notre nation soit une nation de gentlemen. »

Sur Tony Blair : « N’est-il pas évident que la Grande-Bretagne, sous le régime de Tony Blair, a cessé de respecter la Charte des Nations Unies ? »

Sur les tactiques de Blair : « Le Royaume-Uni a embauché des gangsters homosexuels pour m’avoir. »

Sur la critique : « Seul Dieu, qui m’a nommé, peut me renvoyer - pas le MDC [un parti d’opposition], pas les Britanniques, seul Dieu me chassera ! »

Reportage de France 24 datant de janvier 2017 sur la situation économique inquiétante du Zimbabwe



Reportage de 2009, Zimbabwe : la bataille de la terre





[1] Le nombre de victimes des massacres au Matabeleland serait plus proche de 100 000 morts pour certains chercheurs selon le journal dominical très centriste City Press. City Press est aujourd’hui diffusé à 200 000 exemplaires en Afrique du Sud et en Afrique australe, il serait lu par quelque 2 millions de lecteurs, dont 97 % de noirs. Dans sa chronique de ce dimanche 19 novembre, Mondli Makhanya revient sur cet épisode sanglant et sur le rôle-clé que le nouvel homme fort du Zimbabwe a eu lors de ces massacres :

Emmerson Mnangagwa, 75 ans, l’homme qui conduira le Zimbabwe dans son « nouvel » avenir, est le visage le plus laid de son passé. Mnangagwa était l’un des pionniers de l’appareil sécuritaire du ZANU-PF, au centre de certaines des pires atrocités du régime de Mugabe.

Dans les années 1980, quand Mugabe a voulu écraser l’opposition de la ZAPU [de Nkomo, le chef matabélé] en l’avalant à l’intérieur de ZANU, Mnangagwa était à l’avant-garde. En tant que ministre du Renseignement, il a supervisé la guerre contre les soi-disant dissidents du Matabeleland. L’offensive a entraîné la mort de plus de 22 000 personnes, pour la plupart des civils. Certains chercheurs disent que ce nombre est extrêmement conservateur et pourrait être supérieur à 100 000.

Des villages ont été rasés, des gens ont été brûlés vifs et des familles entières ont été enterrées vivantes pendant cette offensive. Cette campagne est connue sous le nom menaçant de « Gukurahundi » — [mot shona qui désigne] les averses du printemps qui lavent le sol de la paille [ou de la poussière accumulée pendant la saison sèche].

Bien que Mnangagwa et sa Central Intelligence Organisation (CIO) aient été les principaux instigateurs de ces exactions, il incrimina sans ménagement l’armée - principalement la tristement célèbre unité d’élite la 5e brigade.



La francisation des immigrants au Québec est un échec

La francisation des immigrants au Québec est un échec, constate la vérificatrice générale (VG) dans un rapport rendu public jeudi.

Seul le tiers des immigrants auxquels est destiné le processus de francisation se sont inscrits aux cours offerts par le ministère de l’Immigration, entre 2010 et 2013. De plus, plusieurs s’inscrivent au cours, mais abandonnent en chemin, sans qu’aucun suivi ne soit effectué par le ministère.

Constat encore plus cinglant : plus de 90 % de ceux qui complètent le cours de francisation sont incapables de fonctionner au quotidien en français.

Selon les données de 2015, pour ce qui est de l’expression orale, seulement 9 % ont atteint le « seuil d’autonomie langagière » fixé par le ministère dirigé par David Heurtel. À l’écrit, c’est encore pire : 3,7 % ont passé le test en « compréhension écrite » et 5,3 % en « production écrite ».

Le « seuil d’autonomie langagière » est le seuil minimal de maîtrise du français déterminé pour accéder au monde du travail ou entreprendre des études postsecondaires, selon l’évaluation faite par le ministère.

Québec a injecté 74 millions de dollars dans ces programmes de francisation en 2016-2017.

Le taux d’abandon en cours de route est élevé : 18 %, entre 2012 et 2017, 31 % pour les cours avancés en 2016-2017.

D’autres s’inscrivent, mais ne se présentent jamais aux cours. La vérificatrice explique en partie ce fait par les trop longs délais d’attente entre le moment de l’inscription et le premier cours, un délai qui peut atteindre trois mois.

Dans son rapport annuel 2017-2018 déposé à l’Assemblée nationale, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, note que malgré une performance fort discutable, le ministère n’a procédé à aucune évaluation de son programme de francisation au fil des ans.

Entre 2010 et 2016, environ 100 000 immigrants ont posé le pied au Québec sans connaître un mot de français, mais en s’engageant à l’apprendre.

« À partir de quel niveau d’échec, est-ce que le Premier ministre va constater qu’il y a un grave problème après 15 ans de gestion libérale de la question linguistique ? », a demandé le chef de l’opposition officielle Jean-François Lisée au Premier ministre Philippe Couillard, lors de la période de questions à l’Assemblée nationale.

« Il y a des limites au jovialisme linguistique » du Premier ministre, a-t-il ajouté, en lui demandant d’admettre que « l’échec de la francisation, c’est l’échec de son gouvernement ».

« Bien sûr qu’on peut faire mieux. Et on fera mieux », a répliqué M. Couillard.

Intégration

La vérificatrice note par ailleurs des ratés dans la gestion du ministère en ce qui a trait à l’intégration des immigrants.

Le ministère verse 9 millions de dollars par année à 86 organismes chargés d’aider les nouveaux arrivants à s’intégrer à la société québécoise. Or, on observe des lacunes dans l’analyse des besoins à combler avant de signer des ententes avec ces organismes. Le ministère signe des ententes avec les mêmes organismes, année après année, sans effectuer les contrôles nécessaires.

Bref, l’encadrement offert par le ministère au moment de conclure des ententes avec ses partenaires est qualifié d’« inapproprié » par la vérificatrice.

Le ministre de l’Immigration, David Heurtel, a pris acte des recommandations de la vérificatrice et s’est engagé à y donner suite, en effectuant une évaluation des programmes d’intégration, un suivi plus rigoureux des ententes conclues avec les partenaires et une meilleure reddition de comptes du ministère à ce chapitre.

Pour ce qui est des programmes de francisation, le ministre a annoncé un plan d’action en cinq points destiné lui aussi à corriger les écueils dénoncés par la vérificatrice générale.

Désormais, le ministère souhaite donc planifier :

  • Une connaissance plus approfondie des besoins des immigrants en matière de francisation ;
  • Une concertation plus efficace à l’échelle nationale et dans toutes les régions du Québec ;
  • Un accompagnement soutenu des clientèles et un encadrement efficace des partenaires qui offrent des services ;
  • L’implantation d’indicateurs de performance, la tenue de revues de mi-parcours des programmes et une reddition de comptes ;
  • L’évaluation et l’amélioration continue des programmes et des services.

Multiculturalisme : rhétorique du vivre ensemble, réalité de la séparation spatiale

Théoricien de la « France périphérique », Christophe Guilluy décortique la façon dont les classes populaires gèrent, sous contrainte, mais habilement, les problématiques du multiculturalisme.

Guilluy — [...] Dans nos pays, le PIB continue d’augmenter, de faire prospérer les grandes villes et ceux qui y vivent. Ce modèle contribue à concentrer essentiellement l’emploi et les richesses, tandis que, dans les territoires de la France périphérique, le processus de désertification du travail se poursuit. C’est logiquement sur ces territoires, qui ont beaucoup bénéficié de la redistribution, que se pose avec le plus d’acuité la question de la raréfaction de l’argent public.

L’Express — Si vous dites vous-même que le modèle fonctionne...

Guilluy — À la nuance près qu’il ne fait pas société. L’industrie avait une vertu aménageuse ; la richesse était géographiquement mieux répartie. La nouvelle division internationale du travail et les effets territoriaux qu’elle a eus dans toutes les sociétés occidentales ont tout simplement fait disparaître la classe moyenne au sens culturel — c’est-à-dire, dans notre pays, au sens des « 2 Français sur 3" de Giscard. Cela ne veut pas dire qu’avant il n’y avait pas d’inégalités.

Même pendant les Trente Glorieuses, il y avait bien sûr des riches et des pauvres, une France d’en haut et une France d’en bas, mais les gens vivaient mieux avec cette idée, car il y avait des passerelles, des contacts du quotidien, et aussi des perspectives pour les enfants... Aujourd’hui, la France des métropoles a fait sécession. Et, parallèlement, les milieux populaires sont, eux, dans un processus de marronnage [le marron est l’esclave qui a fui dans les bois pour y vivre libre], c’est-à-dire qu’ils n’attendent plus rien du monde d’en haut. En tout cas, la classe moyenne a explosé. Fini !

Politiquement, cela a eu un effet immédiat : on assiste à un processus de désaffiliation progressive des catégories sociales au rythme de leur sortie de la classe moyenne. D’abord les ouvriers, qui s’abstiennent ou votent FN [Front national], puis les employés... Seuls résistent les retraités et les fonctionnaires : des catégories encore protégées des effets de la mondialisation.

« Je ne connais pas de bobos qui aient choisi de s’installer dans une barre du 9-3. [département avec une forte population immigrée] »

 
L’Express — Cela dit, le FN traverse une crise dans laquelle il semble sérieusement englué. Certains y voient la preuve de l’existence du fameux plafond de verre...

Guilluy — Désolé, mais, pour moi, ce sont des conversations de salon. Qu’est-ce qui fait qu’un électeur vote populiste ? La combinaison de deux insécurités : l’insécurité sociale, et l’insécurité culturelle. Si vous avez l’une sans l’autre, vous n’avez pas le vote populiste. Cela a été très visible avec le comportement des électeurs de Fillon au second tour de la présidentielle.

Le candidat de la droite, qui a fait une grande partie de sa campagne sur le combat contre l’islam radical, s’adressait bien à un électorat qui craint que sa culture, ses valeurs soient mises à mal par la progression d’un autre mode de vie importé par l’immigration. Mais, au second tour, cet électorat a voté Emmanuel Macron comme un seul homme. Pourquoi ? Parce que le principe même du vote populiste est de considérer que vous n’avez rien à perdre et tout à gagner à renverser la table.

Or vous ne renversez pas la table quand vous avez un patrimoine, ou même juste une sécurité économique à préserver. C’est ce qui a joué encore cette fois pour les retraités ou les fonctionnaires : ils ne sont pas riches — le prétendre est une erreur —, mais, jusqu’à maintenant, ils jouissaient d’une certaine garantie de leur train de vie.

Or, avec sa politique de serrage de vis, Emmanuel Macron est en train de s’en prendre exactement à cette garantie-là. C’est électoralement suicidaire. La France d’en haut est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Sur le temps long, quand vous aurez des retraités à 500 euros mensuels, ils ne constitueront plus ce barrage contre le vote populiste.

[...]

Personnellement, la seule chose que je vois, c’est un mécanisme mondial lent qui déstructure toutes les sociétés occidentales et qui va peu à peu concerner toute l’ancienne classe moyenne. Aux États-Unis, cela s’est traduit par l’élection de Donald Trump. Et au Royaume-Uni, par le Brexit. Quant à la France, croire que l’électorat populiste s’est évaporé avec l’écrasement de Marine Le Pen relève de la pensée magique. Qui vous dit, d’ailleurs, que n’émergera pas un candidat populiste qui ne viendra d’aucun parti ? Une sorte de « ni droite ni gauche » d’en bas, symétrique en tout point à celui d’Emmanuel Macron ?

Chez nous, la bascule électorale dépend, à terme, des fonctionnaires — tout de même 22 % du salariat ! – et des retraités, voilà tout. Or, avec sa stratégie de dégraissage, le gouvernement tape sur l’électorat « protégé », c’est-à-dire celui qui protège, en réalité, le monde d’en haut. Je le redis : c’est suicidaire. Électoralement, Emmanuel Macron ne s’en sortira pas avec les « winners ». Parce que les gagnants — les cadres, les professions libérales, etc. —, c’est 20 % au maximum...

[...]

Prenez la question de l’immigration. Elle est intéressante : c’est une question obsédante dans les classes populaires, et pas seulement chez les Blancs, contrairement à ce qu’on rabâche en permanence. La notion d’insécurité culturelle, je l’ai théorisée il y a vingt ans pour répondre aux interrogations d’un bailleur social qui faisait face à une explosion des demandes de relogement dans des quartiers HLM où il n’y avait pas forcément de problèmes de sécurité.

Ces demandes — qui n’ont cessé d’augmenter depuis — n’émanaient pas et n’émanent toujours pas de la seule classe moyenne blanche ! Beaucoup viennent aussi de familles maghrébines qui ont connu une ascension sociale et qui demandent à déménager quand le quartier se transforme avec l’arrivée d’une immigration venue d’Afrique subsaharienne, par exemple. La délicate question de l’altérité et de sa gestion au quotidien quand elle devient majoritaire ne s’arrête pas à telle ou telle origine ou communauté.

Mais ce genre de nuances, ces entorses au manichéisme ne font jamais leur chemin jusque dans les colonnes des journaux ou jusque dans les discours des politiques respectables. D’en haut, on considère cette obsession pour les flux migratoires comme indigente : elle relèverait au mieux de la bêtise — « les petites gens se font monter la tête par les semeurs de haine » —, au pire du racisme spontané. Aujourd’hui, il y a un certain discours antifasciste qui relève simplement du mépris de classe.

L’Express — On fait souvent le reproche aux bobos d’être des Bisounours déconnectés des réalités... Or certains habitent dans des quartiers populaires mélangés. À Montreuil, à Gennevilliers, ou dans des quartiers parisiens comme la rue Jean-Pierre-Timbaud. Ils ne sont pas déconnectés, et ils revendiquent de tenir bon sur la mixité...

Guilluy — Je ne nie en aucun cas qu’ils sont animés par la bienveillance et la générosité — que certains n’ont pas très discrètes, néanmoins... Seulement, la réalité, c’est qu’il est facile de gérer le vivre-ensemble quand on habite dans des endroits où le multiculturalisme possède des frontières invisibles. D’abord, les bobos ne quittent pas les lieux où « ça se passe », les lieux où la richesse se crée, où la police fonctionne, etc. Je n’en connais pas qui aient choisi de s’installer dans une barre HLM de la cité des 4000 à La Courneuve ! Non, ils restent dans les métropoles ou les banlieues très proches.

Or quand vous achetez un appartement dans un immeuble rue Jean-Pierre-Timbaud, dans le XIe arrondissement parisien, pour reprendre cet exemple, vous devez tout de même débourser de 400 000 à 600 000 euros... Automatiquement, vous êtes assuré d’avoir un voisinage de palier qui vous ressemble, car il est évident que la famille d’immigrés tchétchènes fraîchement arrivée, elle, n’aura pas les moyens de ce ticket d’entrée et sera plutôt logée dans un HLM non loin, mais distinct. Voilà bien une frontière invisible de la cohabitation.

Et c’est pareil pour l’école : beaucoup des thuriféraires du vivre-ensemble pratiquent la séparation de fait, en s’extrayant des contraintes de la carte scolaire. Par piston, ou par le recours aux « trucs et astuces » pour initiés, comme l’inscription dans une filière internationale ou le choix d’une langue rare. Bref, les bobos ont tous les outils pour vivre la mixité. C’est pourquoi je dis souvent que le multiculturalisme à 10 000 euros par mois, ça n’est pas la même chose que le multiculturalisme à 1000 euros par mois. Or c’est vraiment ce qui divise le ressenti français aujourd’hui : la capacité ou non de gérer le multiculturalisme qui existe de facto dans notre pays.

L’Express — Beaucoup d’intellectuels débattent, justement, de ce que nous serions en train de basculer vers un modèle multiculturaliste. Mais, pour vous, c’est un faux débat : nous y serions déjà...

Guilluy — Bien sûr que nous y sommes ! Sans que ça n’ait été le projet de personne, notez. Dans les pays développés, il y a un modèle économique unique — la mondialisation — et un modèle sociétal unique : le multiculturalisme. [Note du carnet : affublé du terme d’« interculturalisme » au Québec] Quelle que soit la spécificité autochtone qui préexistait — le communautarisme à l’anglo-saxonne, le républicanisme assimilationniste français, etc. —, ce multiculturalisme pose partout les mêmes questions et engendre partout les mêmes inquiétudes.

Face à une démographie de voisinage qui se transforme, l’angoisse naturelle de chacun, quelles que soient sa culture ou sa religion, est de ne pas savoir s’il va devenir minoritaire. Être ou ne pas être minoritaire : telle est la question, aujourd’hui... Parce que quand on l’est, on dépend de la bienveillance de la majorité. Quand on est minoritaire, on se pose des questions comme « Est-ce que je dois baisser les yeux ou pas ? », « Est-ce que je peux draguer la sœur de mon copain ou pas ? », « Est-ce que lui peut draguer la mienne ? », etc.

Les règles du jeu changent, et, comme elles sont non dites et invisibles, cela génère de la complexité et de l’inquiétude, auxquelles on préfère se soustraire, en déménageant et en se regroupant entre semblables. Non par xénophobie, mais parce que c’est plus simple. Quand on turbine huit heures comme magasinier à Auchan, on n’a pas envie de gérer l’interculturel quand on rentre le soir. C’est hypercomplexe. Je sais : dire ça, en France, c’est déjà trop. Et pourtant, oui, c’est hypercomplexe.

[...]

Plus qu’une guerre des civilisations, je crois que les gens essaient de gérer le choc des « bleds » : voilà ce qui se passe « en bas ». Et, honnêtement, ils ont évité cette guerre civile. Pour une raison simple : parce que personne ne veut la guerre. On est loin de la société Benetton, d’accord, mais on démine l’affrontement.

L’évitement, c’est une gestion contrainte, mais hypersubtile du multiculturalisme. Une gestion adulte, en opposition avec la vision totalement infantile en cours dans la France favorisée. Pour cette dernière, les questions multiculturelles, c’est soit la guerre civile soit le monde de Oui-Oui. Soit les années 1930, soit le métissage pour tous. Et chacun doit choisir son camp camarade : es-tu du côté de la guerre ou du côté de l’amour ?

C’est pourquoi les classes populaires ne prennent plus les élites — intellectuelles, universitaires, et médiatiques — au sérieux. Ces dernières passent leur temps à infantiliser la France d’en bas, mais c’est leur lecture à elles qui s’avère binaire.

Christophe Guilluy en bref

Géographe de terrain, il fouille depuis vingt ans les fractures françaises — auxquelles il a consacré un atlas en 2000. Il est notamment l’inventeur du concept d’« insécurité culturelle », qu’il enrage épisodiquement de voir caricaturé.

Mais c’est surtout son travail sur la France périphérique qui l’a fait connaître du grand public. En 2004, il a consacré un ouvrage à ces classes moyennes défroquées, grandes perdantes de la mondialisation, obligées de s’exiler en lointaine banlieue (La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion). Ce travail lui vaut d’être souvent cité par les politiques... quand ils sont en campagne.

Source : L’Express (entretien complet)