jeudi 4 juillet 2019

Antipopulisme et écologisme sont les deux pôles du catastrophisme contemporain

Texte de Pierre-André Taguieff (ci-contre) publié dans le Figaro du 4 juillet 2019. L’apocalyptisme est à la mode, remarque l’historien des idées* et le grand récit de l’effondrement est désormais au cœur des discours politiques. Il invite à sortir du manichéisme qui fait de l’écologie le « parti du Bien » et du populisme le « parti du Mal ».

Ce qui caractérise le moment présent, c’est le goût du catastrophisme. L’alarmisme est à la mode et l’apocalyptisme se répand à grande vitesse dans les opinions militantes. Dans le champ politique délesté de son axe gauche-droite et de ses repères rassurants, deux partis informels de la peur se partagent la gestion et l’exploitation des passions dominantes : l’antipopulisme et l’écologisme. Le catastrophisme antipopuliste est contemporain de l’alarmisme climatique, qui vire à l’apocalyptisme. Si, dans le discours élitaire, le populisme est le nom du nouveau « parti du Mal » qui a remplacé à la fois le fascisme et le communisme, non sans permettre de minorer la réelle menace islamiste, l’écologisme est le nom du nouveau « parti du Bien », qui fait des ravages chez les jeunes et pleurer les « bobos » frappés de visions de « fin du monde ».

En termes plus nuancés : au nouveau « parti du Pire » aux contours flous — « les populistes » — s’oppose désormais le « parti du Meilleur », un parti sans frontières, le parti du « vivant » et de la « diversité », nouveaux noms du sacré. L’ennemi absolu a donc deux visages : celui du « populiste » destructeur sournois de la démocratie et celui du pollueur criminel de la planète, qui tend, chez les intégristes écolo-animalistes, à se confondre avec l’espèce humaine tout entière, intrinsèquement criminalisée. Contre le diable « populiste » se dresse la grande déesse « verte » : le premier fait l’unanimité contre lui, la seconde semble séduire tout le monde. Les conversions à la gnose écologiste se multiplient, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par le centre, traditionnellement opportuniste. Comment résister à ce nouveau « savoir qui sauve » ? Il y a certes des exceptions à la règle, disons des hérétiques : des « populistes » assumés de droite ou de gauche, fiers de l’être, et des « climato-sceptiques » déclarés, assurément téméraires ou provocateurs. Mais ils sont traités comme des suspects, des irresponsables ou des ignorants, des délinquants ou des méchants. Ils sont mis à l’écart et désignés comme les ennemis de l’environnement, des animaux (animaux humains compris) et des végétaux.

Portée par la vague jeune-verte, incarnation du jeunisme sympathique en politique, la thématique alarmiste de « l’urgence climatique » est devenue l’unique fondement du nouvel impératif catégorique de la morale politique. Elle rassemble ceux qui « pensent bien » et savent ce qui est vrai. L’écologisme salvateur et rédempteur, néoreligion ou nouvelle gnose, oscille entre le statut d’une pseudo-politique et celui d’une doctrine postpolitique sur la scène du grand spectacle planétaire. Quant à l’antipopulisme, il fonctionne comme un substitut de pensée politique à l’âge de l’impolitique, celui du triomphe de la communication, des fausses nouvelles, des postures trompeuses et de l’esprit complotiste. Il donne, à tous ceux qui ont peur de perdre quelque chose, l’illusion réconfortante d’être du côté du Bien et du Vrai.

La séduction du catastrophisme tient à ce qu’il est irréfutable [en 2100 ce sera l’enfer ! Croyez ou brûlez !] et fortement mobilisateur mais aussi au fait que les politiques qu’il est susceptible d’inspirer ne sont jamais sanctionnées. Voilà qui garantit un confort intellectuel permanent aux illuminés qui jubilent d’attendre la fin du monde en dénonçant les coupables présumés du crime suprême, le crime contre « le climat » et « le vivant ». Les antipopulistes vertueux, quant à eux, trouvent leur bonheur quotidien d’accuser les assassins potentiels de « la démocratie » ou, en France, tradition oblige, de « la République ». La nouvelle union de la gauche se forge autour du grand récit d’effondrement et de rédemption offert par les écologistes, tandis que l’union de la droite et de la gauche pulvérisées se fait sur la base d’un programme antipopuliste commun. De pieux adeptes d’une néoreligion de salut d’un côté, des soldats idéologiques défendant tant bien que mal un faisceau de partis assiégés de l’autre.

Oublié le « crime contre l’humanité ». Il n’y a plus que deux grands crimes : le crime contre « la démocratie » et le crime contre « la planète ». Le catastrophisme sécrète le manichéisme comme le foie sécrète la bile. Il enferme les esprits dans les abstractions et les formules creuses. C’est la vengeance ironique du Polemos : les doctrines de combat ont pris la couleur du Bien. Reste le piètre horizon vertuiste du « vivre ensemble », notre dernier opium pour tous, soit l’idéal confus de la coexistence paisible et heureuse du lion et de la gazelle, du loup et de l’agneau, des humains et des autres vivants — tous dotés d’une « dignité » intrinsèque —, auquel s’ajoutent les synthèses fantasmées de l’écologisme et du progressisme, ou les noces sacrées du laïcisme et du multiculturalisme au nom du « respect », vertu synthétique résiduelle. La recherche du « bien-être » de chaque vivant comme seule règle d’action. L’idéal bourgeois projeté sur tout ce qui vit, mais socialisé et étatisé. Et l’État-providence planétaire pour horizon désirable. On nous enjoint de nous engager d’urgence dans les deux bons camps, sous peine de devenir des réincarnations du « salaud » sartrien. Il est permis de trouver irrespirable l’atmosphère dégagée par l’activisme frénétique des boy-scouts au service de « la planète » et de « la démocratie ». Et aussi d’aspirer à une pause, propice à la réflexion.

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Il est une contradiction fondamentale au cœur de la démocratie : la décision du souverain pour le bien commun doit être une, alors même que le peuple, avec la diversité légitime de ses opinions, est multiple. Tel est le problème qu’entreprend de résoudre De la Souveraineté. Bertrand de Jouvenel construit sa réponse en faisant retour sur les questions fondamentales de la philosophie politique. Pourquoi et comment les hommes s’associent-ils ? Quelles sont les différentes formes possibles d’association ? Qu’est-ce qui caractérise la communauté politique au regard des autres formes d’association ? En quoi consiste l’autorité politique ? Pourquoi obéissons-nous aux lois ? Au terme de ce parcours, il montre que c’est la délibération éclairée par la raison entre les membres de la communauté démocratique, grâce notamment à leurs instances représentatives, qui permet de résoudre la contradiction.

Paru en 1955, dix ans après
Du Pouvoir, De la Souveraineté est longtemps resté indisponible en librairie. 

Journaliste avant-guerre, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) sera après-guerre analyste politique et économique, articulant une activité d’enseignement avec la participation à différentes instances consultatives. Il sera l’un des théoriciens d’un libéralisme tempéré. Il est fondateur de la revue
Futuribles. Il a enseigné en France et dans de nombreuses universités étrangères (Oxford, Cambridge, Manchester, Yale, Chicago, Berkeley). Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont La Civilisation de puissance, Fayard, 1976 ; Les Origines de L’État moderne, Fayard, 1976.

Ci-dessous la chronique d’Éric Zemmour alors qu’un livre phare de Jouvenel, libéral conservateur classique, est réédité.






Nous sommes en 1955. Dix ans plus tôt, Bertrand de Jouvenel a publié son maître livre : Du pouvoir, qui lui a permis de prendre place parmi les grands penseurs libéraux français, héritier de Benjamin Constant ou Tocqueville, contemporain de Raymond Aron. Avec De la souveraineté, il récidive. « On écrit toujours le même livre », disait Marcel Proust. Jouvenel a seulement déplacé son curseur et entrepris d’enseigner au souverain ses devoirs, à la manière des grands textes d’antan, d’Érasme ou de Machiavel. Mais son souverain à lui n’est plus un prince, mais le peuple. Plus de soixante ans après sa parution, on n’entre pas dans l’ouvrage comme dans un moulin : on n’est plus habitué à cette pensée dense, à cette prose de haute tenue, même si elle n’a déjà plus la limpidité des maîtres des siècles passés. On voit surtout ce qui a changé en ces quelques décennies. Le peuple n’est plus ce despote démocratique que Jouvenel et les libéraux d’alors comparaient à Louis XI. Nous sommes entrés depuis lors dans des temps tocquevilliens. Au nom de « l’État de droit », le pouvoir démocratique a été vidé de sa substance par le bas (décentralisation, associations, ONG) et par le haut (pouvoir d’interprétation au nom des droits de l’homme par des juges nationaux et internationaux, organismes technocratiques, comme la Commission Européenne ou la BCE).

L’ancien despote démocratique, ce peuple qui terrorisait les bourgeois et les grands penseurs libéraux, est devenu un gueux contraint d’endosser un gilet jaune pour se faire entendre. Jouvenel, comme son maître Tocqueville, est bien le roi de l’époque. Il a gagné son combat idéologique au nom de la liberté. Mais on comprend en le lisant que sa victoire a un goût amer. Le libéralisme de Jouvenel n’est pas un individualisme. Il reprend à son compte la traditionnelle vision d’Aristote de l’homme animal social. « L’homme à l’état isolé n’est pas un fait de nature, dit Jouvenel, mais un produit de l’abstraction individuelle. Le fait naturel, c’est le groupe. » Pour notre penseur, le cœur de la politique consiste précisément dans l’agrégation et la conservation des groupes humains. Et pas dans la protection sacrée des droits de l’individu. Jouvenel voit l’homme comme un débiteur par rapport aux Anciens, et non un créancier, exigeant toujours plus de la société. Notre État moderne, transformé en seul garant des droits individuels, serait pour lui l’antithèse du politique. Un agent de désagrégation. Bertrand de Jouvenel croit avoir décelé les prémices de l’erreur d’aiguillage qu’il pressent. Les libéraux prennent pour archétype humain l’homme de Hobbes, cet être plein de passions et d’appétits, ce fameux « loup pour l’homme » qui n’est arrêté dans « sa guerre de tous contre tous » que par un pouvoir fort, voire tyrannique. Or, cette même bête furieuse de Hobbes est transformée par les penseurs des Lumières en un aimable homme des salons du XVIIIe siècle : « Il est intellectuellement inadmissible de passer des unes aux autres, nous dit Jouvenel. Cette erreur est souvent commise par des libéraux qui prennent l’homme du marché chez Hobbes et l’homme du forum chez Malebranche. Cela ne convient pas ; il y a hétérogénéité des postulats. » Bien sûr, Jouvenel n’ignore pas que de grands penseurs libéraux du passé, Locke au premier chef, ont justement tenté de répondre à son objection, en transformant l’homme de toutes les passions en un homme affublé de raison qui accepte de limiter sa liberté sans subir le joug d’un pouvoir fort. Mais il faut reconnaître que notre modernité légitime ses pires craintes : « Dans toute la mesure où le progrès développe l’hédonisme et le relativisme moral, où la liberté individuelle est conçue comme le droit d’obéir à ses appétits, la société ne peut se soutenir que par un pouvoir très fort. L’idée de liberté politique est liée à de tout autres tendances. »


Jouvenel a pressenti que son cher libéralisme, idéologie conservatrice des individus effrayés par le pouvoir despotique des majorités, allait être retourné en un agent débridé du marché qui ne connaît plus qu’un consommateur soumis à ses appétits. Un marché qui, en se mondialisant, détruit les petites patries homogènes et fermées qui sont la base des sociétés de confiance où peut s’épanouir la fleur fragile de la liberté. Nos sociétés ouvertes et multiculturelles en sont l’exact opposé. Elles exigent un contrôle social toujours plus strict, un corset à la liberté de pensée et d’expression toujours plus serré, une sorte de totalitarisme doux, pour empêcher que l’hétérogénéité culturelle ne tourne à la « guerre de tous contre tous ».

Jouvenel ose rappeler une idée qui lui paraît d’évidence, mais qui ferait de lui aujourd’hui un gibier de la 17e chambre [Note du carnet : où sont jugées les pensées criminelles] du tribunal de Paris pour « islamophobie », à savoir que les seules sociétés chrétiennes préparent le règne de la liberté, car le christianisme est une religion qui, contrairement à l’islam, « n’est pas un législateur social ».

Le libéralisme de Jouvenel, comme celui de son maître Tocqueville, était conservateur et national ; le libéralisme moderne est devenu mondialiste et libertaire ; les anciens révolutionnaires, jacobins ou marxistes, les ennemis jurés de nos grands penseurs libéraux, ont retourné les armes de ceux-ci contre le conservatisme national. Les contrepouvoirs imaginés par les libéraux d’antan pour contenir le despotisme démocratique, collectivités locales, associations, juges, ont été subvertis par la volonté de déconstruire les structures traditionnelles, la famille, la religion ou la nation. Au nom de la liberté, on a saccagé les fondements de la liberté. Jouvenel voit venir ce temps où ces contrepouvoirs deviendront le pouvoir, où les juges et les technocrates restaureront un pouvoir oligarchique, où la tyrannie de la majorité, tant crainte par les esprits libres depuis la Révolution française, aura tourné à la tyrannie des minorités. Ce qu’il appelle le temps des tribus. Mais il est trop tard pour arrêter le cours des choses. La victoire de Jouvenel est une victoire à la Pyrrhus. Le vainqueur est plus désespéré que le vaincu. Le monde est devenu tocquevillien pour mieux saccager les derniers reliquats du monde de Tocqueville.

« Le libéralisme de Jouvenel, comme celui de son maître Tocqueville, était conservateur et national ; le libéralisme moderne » est devenu mondialiste et libertaire

Québec — La légalisation du cannabis n'a pas entamé les bénéfices du crime organisé

Le 4 avril dernier, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal ont trouvé 800 plants de pot chez un associé de la pègre asiatique en lui rapportant ses deux chiens de type pitbull qui s’étaient sauvés, sur la rue Lajeunesse.

Le crime organisé ne s’est pas étouffé avec la légalisation du cannabis au pays et n’en subira pas d’effets nuisibles avant au moins trois ans.

C’est le constat sans lunettes roses du très crédible Service canadien de renseignements criminels (SCRC) dans un rapport récent sur l’état du marché des drogues.

Au contraire, « la pénurie actuelle de cannabis licite au Canada donne aux groupes du crime organisé un avantage concurrentiel » en attendant « que le stock légitime soit disponible », d’après le SCRC.

Le gouvernement Trudeau disait vouloir « retirer des milliards [...] des poches des criminels » en légalisant le pot à des fins récréatives, le 17 octobre dernier.

Mais près de neuf mois plus tard, le virage libéral n’a pas fait mal aux 293 bandes criminelles canadiennes qui s’enrichissent sur le marché noir de la marijuana et du haschisch.

« Il n’y a probablement eu aucune incidence mesurable sur la part du marché des groupes du crime organisé et il n’y en aura probablement pas dans un avenir rapproché », estime l’agence relevant de la Gendarmerie royale du Canada qui renseigne tous les organismes d’application des lois au pays.

Le SCRC croit « peu probable » que les grosses organisations criminelles comme les Hells Angels et la mafia en souffrent parce qu’elles tirent aussi des revenus d’autres drogues plus lucratives comme la cocaïne, l’héroïne et la méthamphétamine.

C’est « à long terme », soit « dans trois ans et plus », qu’on peut prévoir un recul du pot illégal, d’après ce rapport produit au printemps.

Le SCRC confirme une faille du système décriée par la police de Montréal : « des associés ou intermédiaires de plusieurs groupes du crime organisé [sont] détenteurs de licences » de Santé Canada pour produire du cannabis à des fins médicales.

Cela fait d’eux « les mieux placés pour profiter de toute pénurie dans le marché légitime ».

En mars dernier, Le Journal rapportait que c’était le cas de cultivateurs de marijuana associés à la pègre asiatique de Montréal.

L’avocat Maxime Guérin, du Groupe SGF – consultants en cannabis, qui conseille des entrepreneurs de l’industrie légale du pot, trouve la situation ironique.

« Il n’y a pas beaucoup plus d’efforts pour éradiquer le marché noir depuis le 17 octobre 2018, mais on encadre beaucoup les producteurs légaux. Le poids entre les deux est clairement au désavantage du marché légal », a-t-il dit.

D’après lui, le marché illicite restera « en avance » au Québec tant que la SQDC n’aura pas baissé ses prix [malgré la syndicalisation du personnel de la SQDC qui ne peut que hausser les coûts de production ?], mis fin à ses ruptures de stock et haussé son offre de produits, ainsi que leur quantité.

Ajoutons qu’il restera sans doute toujours un marché noir des produits du cannabis, même si les coûts du cannabis gouvernement baissent, puisque le produit gouvernemental est moins puissant (a un taux de THC moindre) que celui que l’on retrouve sur le marché noir.

Enfin, il faut se demander, si en légitimant le cannabis en le légalisant, l’État n’a pas banalisé le cannabis (ou même les drogues en général) et créé les conditions pour une plus grande consommation de ce produit à terme. Rappelons que la consommation de cannabis a augmenté de 10 % au Québec après sa légalisation l’automne dernier comme l’indiquait Statistique Canada en février 2019. Le 2 juillet 2019, un rapport mondial sur les drogues publié par l’Organisation des Nations unies nous apprenait que, entre 2013 et 2017, le nombre de consommateurs de cannabis au Canada avait augmenté de 40 %. Le rapport relève que cette augmentation serait imputable à une diminution de la perception du risque lié à cette drogue alors que le Parti libéral du Canada et son chef élu (en avril 2013) prônaient sa légalisation. Le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, avait admis en août 2013 qu’il avait consommé à plusieurs reprises de la marijuana depuis son élection comme député, en 2008.

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Selon un document du Service canadien de renseignements criminels (SCRC), dont le Journal de Montréal a obtenu copie, le nombre de consommateurs de cocaïne est passé de 353 000 à 730 000, de 2015 à 2017. Au micro de Dan Bigras, Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et expert en toxicomanie, a abordé les différents facteurs qui pourraient expliquer cette soudaine popularité : « C’est un marché lucratif. Les groupes criminels ont intérêt à mousser cette consommation pour faire davantage d’argent, en gardant les prix relativement bas ».



John Christy : « Les modèles climatiques surchauffent »

Directeur du Earth System Science Center à l’Université d’Alabama à Huntsville (Alabama, États-Unis), le climatologue John Christy est un des pionniers de la recherche sur les bases de données climatiques. Il soutient aujourd’hui que les modèles utilisés surestiment fortement le réchauffement en cours.

Quand j’étais plus jeune, j’étais fasciné par le contraste entre le temps qu’il faisait chez nous, dans la vallée de San Joaquin, en Californie — un désert —, et le climat qui régnait sur les montagnes de la Sierra Nevada voisine, immédiatement à l’est. Je me demandais pourquoi certaines années étaient humides, d’autres sèches, pourquoi il pleuvait davantage sur les montagnes, pourquoi les niveaux d’enneigement pouvaient varier à ce point. J’ai dû être le premier étudiant de Californie à concevoir un programme destiné à prédire le temps qu’il ferait et à calculer la hauteur de neige sur les sommets. Il s’agissait de modèles statistiques vraiment basiques, écrits pour les ordinateurs très rudimentaires de la fin des années soixante, mais cela m’a familiarisé avec le codage et, de manière plus vaste, avec le travail qu’il fallait fournir pour étudier correctement ce genre de chose.

À cette époque, la science était encore une façon d’appréhender le réel, une méthode pour obtenir de l’information. On affirmait quelque chose, on avançait une hypothèse, et l'on confrontait cette hypothèse à un ensemble de données. Si ça ne fonctionnait pas, on rejetait ou l'on modifiait l’hypothèse. Elle n’était pas bonne, tout simplement. Or aujourd’hui, si une personne affirme quelque chose à propos du climat, mettons que celui-ci se détraque à cause de l’homme, et que quelqu’un comme moi, par exemple, invalide cette affirmation, au lieu d’abandonner l’hypothèse émise on constate que la personne aura tendance à soutenir, en criant de plus en plus fort, que son affirmation est exacte.

Pourtant, Il importe de comprendre qu’une des caractéristiques principales de la méthode scientifique est que, si vous comprenez un système, alors vous pouvez prévoir son comportement.

De ce point de vue là, notre travail, à nous autres climatologues, qui est de comparer les « prédictions » des modèles climatiques avec ce que nous percevons du monde réel, nous oblige à dire que notre compréhension du changement climatique est assez pauvre.

En tout cas, cette compréhension n’est certainement pas assez solide, assez mature, pour soutenir des politiques de régulation ou de contrôle, Que certains experts persistent à refuser de voir cette fragilité est simplement stupéfiant, même si l'on peut comprendre, eu égard à la complexité du sujet, qu’i1 soit plus facile pour eux de l’ignorer et de s’en remettre à des déclarations simplistes.

Rentrons un peu dans le détail de mon propos. En 1994, mon collègue Dick McNider et moi-même avons cherché à tester les modèles climatiques qui, à l’époque, indiquaient une vitesse de réchauffement de 0,35 °C par décennie.

C’est ce que disait le modèle de James Hansen, et ce que d’autres modèles disaient aussi. Dick et moi pensions que cette valeur n’était pas probable et nous ne faisions pas non plus confiance aux ensembles de données des températures de surface, parce que la plus grande partie de la Terre n’était pas couverte et parce que les enregistrements compilés n’étalent pas homogènes (par exemple les heures d’enregistrement n’étaient pas les mêmes). Mais nous avions quinze années de données satellitaires et nous avons pensé pouvoir en faire quelque chose.

Après avoir traité la question des éruptions volcaniques et d’El Niño, qui affecte les données satellitaires, nous sommes arrivés à une estimation de la tendance du réchauffement lié à l’effet de serre de 0,09 °C par décennie, soit environ le quart de la prévision des modèles climatiques.

En 2017, Dick et moi avons voulu vérifier notre travail de 1994. Les séries temporelles étaient alors longues de trente-sept ans et demi.

Nous avons de nouveau calculé et neutralisé l’effet El Niño, j’ai développé une fonction mathématique pour simuler les éruptions des volcans El Chichón et Pinatubo qui expliquent les deux creux de la température globale et, en fin de compte, il nous reste une ligne à peu près droite qui donne une tendance de 0,095 °C par décennie, soit presque exactement la même que celle trouvée dans notre étude antérieure, il y a vingt-cinq ans — ce dont nous étions assez fiers.

La tendance au réchauffement que nous avons trouvée suggère donc que les hommes ont un impact relativement mineur sur les températures globales.

Pour le dire autrement, la réponse climatique transitoire (le réchauffement à court terme) dans la troposphère est + 1,1 °C pour un doublement de la concentration en dioxyde de carbone. Ce n’est pas bien alarmant. En revanche, si nous faisons le même calcul avec les résultats des modèles climatiques, nous obtenons + 2,31 °C, ce qui est très différent.

La réponse des modèles au dioxyde de carbone est le double de ce que nous constatons dans la réalité.

Pour prouver ce décalage d’une autre manière, nous avons décidé d’étudier la température de l’atmosphère entre 30 000 et 40 000 pieds [9144 — 12 192 mètres] sous les tropiques de 20 degrés Nord à 20 degrés Sud. Le modèle climatique en vigueur suggère en effet qu’un réchauffement important aurait déjà dû se produire à cette altitude. Presque tous les modèles montrent un tel réchauffement, mais aucun ne le montre si le forçage [définition] supplémentaire des gaz à effet de serre n’est pas inclus. Les tendances au réchauffement des 102 modèles climatiques établissent une moyenne de 0,44 °C par décennie. C’est assez rapide : sur quarante ans, cela fait presque 2 °C, bien que certains modèles aient un réchauffement plus lent et d’autres plus rapide.

Or le réchauffement du monde réel est beaucoup plus faible : il est environ un tiers de la moyenne du réchauffement des modèles.


En bas les observations (la réalité) et en haut la ligne rouge représente la moyenne des prévisions de 102 modèles climatiques. Il y a bien un petit réchauffement, mais bien moindre que celui prévu par les modèles qui servent de bases aux prophéties apocalyptiques.

Des prévisions pour 2100 qui sont déjà invalides

Quand on compare les projections des modèles et les différents ensembles de données d’observation, on constate la différence des pentes des approximations linéaires et l’évidence saute aux yeux : les modèles chauffent trop vite.

L’exception est le modèle russe qui est beaucoup moins sensible au dioxyde de carbone et qui donne donc pour la fin du siècle des projections qui sont loin d’être alarmantes. Les autres modèles sont déjà faux, et leurs prévisions pour 2100 ne sont pas fiables.

Si un ingénieur construit un avion en affirmant qu’il peut voler 600 milles, mais qu’au bout de 200 milles l’avion s’écrase, il ne dira pas : « Hé ! Je ne me suis trompé que d’un facteur trois ! » Personne ne dit ça. Un facteur trois est énorme dans un bilan énergétique ! C’est pourtant ce qu’on a avec les modèles climatiques.

Ces problèmes sont connus depuis longtemps. En 2000, j’ai participé à la rédaction d’un rapport parrainé par l’Académie nationale des sciences qui soulignait le décalage entre le réchauffement prévu par les modèles et celui du monde réel. Nous disions à l’époque : un rapprochement plus correct des changements de température des modèles et de ceux observés dépend de l’amélioration des modèles utilisés pour simuler la réponse atmosphérique aux forçages naturels et anthropiques. Comme on le voit, ce rapprochement ne s’est pas encore produit.

Le GIEC est bien conscient du problème, mais dans son cinquième rapport d’évaluation il a évité d’attirer l’attention sur ce point. Dans mes commentaires de relecture du rapport, j’ai souligné cette discordance et écrit que les affirmations du GIEC ne résisteraient pas à un examen contradictoire.

Bien entendu, le processus de relecture du GIEC n’est pas un vrai examen contradictoire, car les auteurs principaux, soigneusement sélectionnés pour que le « bon » message soit fourni, ont toujours le dernier mot.

En réponse à mes objections, le GIEC a inséré un nouveau graphique, mais l’a enfoui dans les annexes, publiées longtemps après le rapport principal. En fait il y a trois façons possibles de trancher ce problème :
  1. Les observations sont fausses et les modèles sont bons.
  2. Les forçages utilisés dans les modèles sont erronés.
  3. Les modèles sont des hypothèses invalidées.

Je prédis que l’option « modèles invalidés » ne sera pas retenue.

C’est pourtant bien ce qu’il faudrait faire.

JOHN CHRISTY

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