lundi 9 février 2015

Euthanasie au Canada: « aide à mourir », la destruction de l'interdit moral

Chronique québécoise de Bock-Côté dans les pages du Figaro de Paris.

Le 6 février, la Cour suprême du Canada a autorisé « l’aide médicale à mourir ». Pour Mathieu Bock-Côté, cette décision est un pas de plus vers la déconstruction d’un tabou civilisationnel liée à la déchristianisation des sociétés occidentales et à la désacralisation de la vie qui l’accompagne.

« Il y a quelques mois déjà, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la loi sur les soins en fin de vie, qui légalisait l’euthanasie transfigurée en droit de mourir dans la dignité. Pilotée depuis plusieurs années, la loi a reçu un appui massif des élites politiques et médiatiques, témoignant pour une fois d’un vrai consensus moral autour de cette question qui, ailleurs, fâche quand même un peu. C’est désormais par un autre chemin que le Canada prend le relais et pousse plus loin la déconstruction de l’interdit moral et légal autour de l’euthanasie. La Cour suprême, vendredi le 6 février, par un jugement unanime, décriminalisait « l’aide médicale à mourir ».

Ce débat dure depuis des années et a été caractérisé par la progressive marginalisation des opposants à l’euthanasie, qui furent médiatiquement présentés comme des fondamentalistes religieux prêts à imposer leur foi à tout prix dans l’espace public. On les traita avec un mélange de respect de façade et de condescendance profonde. Le respect était nécessaire pour donner l’impression d’une proposition modérée, mais consensuelle, attentive aux arguments de chacun pour éviter une brusque rupture morale. Mais la condescendance prenait vite le dessus : ceux qui sont dans le sens de l’histoire n’ont aucune envie de s’encombrer avec les retardataires qui traînent la patte.

C’est la grande marche des droits de l’individu autonome qui se poursuit et qui se mène en brandissant l’étendard de la dignité humaine. Au fil des décennies, on a assisté à une privatisation croissante de la culture et de la morale. Il n’y a plus vraiment d’anthropologie commune sur laquelle fonder la cité, sinon, et j’y reviendrai, le culte de l’indétermination identitaire de chaque individu. Chaque homme est libre du sens à donner à sa vie, et est libre de décider à quel moment elle n’a plus de valeur. Et il est en droit, sous le régime de l’État social, de réclamer de ce dernier qu’il satisfasse sa requête de « mourir dans la dignité », en en faisant en quelque sorte l’ultime droit de l’homme : celui de quitter le monde selon ses propres termes.

Il faut entrer dans les profondeurs de l’imaginaire de notre époque pour bien comprendre les enjeux liés à la transformation de l’euthanasie en droit fondamental. L’homme contemporain est traversé par la tentation démiurgique. Il ne veut plus se soumettre à d’autres autorités que lui-même. Il veut choisir son propre nom, son propre pays, et il lui arrive même de souhaiter choisir son propre sexe.

Il se veut moins l’héritier d’un monde que le créateur de sa propre vie, qu’il absolutise, et qu’il délie de la longue chaine humaine. Pourquoi, dès lors, tolérerait-il qu’une volonté extérieure à la sienne décide de sa manière d’en finir avec la vie ?

Les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.

La mort n’est plus l’ultime limite existentielle, aussi mystérieuse qu’angoissante, qui donne son sens à l’existence, en l’achevant et en l’ouvrant vers l’inconnu. On ne verra dans cette méditation sur la mort qu’une mauvaise poésie vaguement chrétienne. L’euthanasie devient un acte médical comme les autres, peut-être nécessaire pour en finir avec l’extrême souffrance. La mort, en quelque sorte, se désacralise. La médecine doit s’adapter. On entend certainement encadrer l’euthanasie, la circonscrire, pour éviter les dérapages à la belge. Et il est vrai que les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.

Un tabou civilisationnel s’est tellement effrité qu’il n’existe plus. Dans la société gestionnaire, la mort passe désormais pour un problème à résoudre et à gérer avec le maximum d’efficacité. Les interdits moraux liés à l’anthropologie chrétienne passent pour d’exaspérants archaïsmes que chacun pourra honorer selon sa conscience, mais qui ne pourront plus s’imposer à tous. Comment ne pas penser cette révolution en lien avec la mutation des rites funéraires, qui se personnalisent, et qui ne s’ancrent plus dans une commune conception du sacré. L’homme contemporain préfère souvent la crémation à l’ensevelissement, comme s’il voulait une fin hygiénique, le corps devant se dissiper en poussière et non pas trouver une dernière demeure, où ses survivants pourraient l’honorer.

Ce que cela révèle, à travers tout cela, c’est la déchristianisation en profondeur des sociétés occidentales, qui pousse inévitablement à la désacralisation de la vie. Dans un texte paru le 31 octobre 1950 dans Le Figaro, et recueilli dans La paix des cimes, François Mauriac écrivait magnifiquement : « avouons-le : seul le chrétien est logique lorsqu’il s’interdit d’interrompre ce dernier combat entre la chair à demi-vaincue et l’âme palpitante près de surgir dans une inimaginable lumière, parce que seul le chrétien attache du prix et donne une signification à cette suprême angoisse et croit qu’elle a un témoin éternel ».

Mauriac disait de l’idée chrétienne qu’elle avait un temps survécu au christianisme vécu, mais qu’elle ne saurait longtemps marquer le monde sans l’impulsion de la foi. Il ne se trompait manifestement pas. Et nous savons bien que les dieux morts ne renaissent pas, et que si les rites qui leur étaient associés peuvent survivre un temps, ils finissent par s’assécher. Les adversaires de l’euthanasie, pour éviter de passer pour réactionnaires, évitent de transposer cette querelle sur le plan spirituel. On les comprend : nous sommes tous aujourd’hui au moins un peu libéral. Mais il n’en demeure pas moins que c’est à cette hauteur qu’elle devrait aussi se mener.
»





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France : encore trop de discriminations envers les écoles indépendantes


Les écoles indépendantes (« hors contrat » avec l’État français) se développent de manière exponentielle [en France]. La demande explose, mais les pouvoirs publics tardent à accorder aux élèves de ces établissements le même traitement que celui accordé à leurs congénères du public. Comment expliquer ce phénomène ?


Le succès des écoles indépendantes se confirme d’année en année. En 2014, 51 nouvelles écoles se sont ouvertes, contre 37 en 2013, 35 en 2012, 31 en 2011 et 19 en 2010. Un phénomène qui s’explique par la demande croissante de parents qui cherchent un « autre » enseignement, une pédagogie réellement adaptée aux besoins de leurs enfants. Cependant, force est de constater que les élèves de ces établissements dits « hors contrat » ne bénéficient pas toujours des mêmes droits que les élèves issus du public ou du privé « sous contrat ». Est-il acceptable, en France, que des enfants soient discriminés parce que leurs parents ont fait le choix de la liberté scolaire ?

Accès au concours général

Le concours général des lycées et des métiers a pour fonction de distinguer les meilleurs élèves ou apprentis et de valoriser leurs travaux. Institué en 1744 par l’Université de Paris, à l’initiative de l’abbé Legendre, ce concours évalue les candidats sur des sujets conformes aux programmes officiels, dans le cadre d’épreuves plus exigeantes et plus longues que celles du baccalauréat. Or les élèves issus des écoles indépendantes n’ont pas accès à ce concours. En effet, l’arrêté du 3 novembre 1986 oublie littéralement les élèves des établissements privés dits « hors contrat » qui ne bénéficie donc pas de la possibilité de se présenter au concours général.

Comment l’expliquer ? Selon le ministère de l’Éducation nationale, que nous avons contacté, les élèves sont interrogés sur des points précis du programme, les écoles indépendantes choisissant d’enseigner un programme qui n’est pas forcément le même que celui de l’Éducation nationale, les élèves ne seraient pas bien préparés pour ce concours. Mais cette explication ne tient pas. Les écoles indépendantes doivent respecter le socle commun des connaissances et sont inspectées en moyenne tous les deux ans – le public est quant à lui inspecté en moyenne tous les 7 ans. Par ailleurs, le concours général se passe en fin de scolarité, là où tous – dans le public comme le privé sous ou hors contrat — préparent les mêmes diplômes, à savoir le bac. Les écoles indépendantes peuvent en revanche ajouter des éléments au programme et choisir la pédagogie.

Par ailleurs pour passer le concours, l’élève doit être présenté par un enseignant, or pour l’Éducation nationale, n’est véritablement enseignant que celui qui a passé les concours d’État pour enseigner, ce qui n’est par définition généralement pas le cas des professeurs dans les écoles indépendantes. Cette disposition conduirait donc à exclure de facto les élèves de la possibilité de se présenter.

Face à ce qu’elle tient comme une injustice et une rupture d’égalité, l’association Créer son école, partenaire de la Fondation pour l’école, a introduit un recours en justice devant le Conseil d’État. Ce dernier n’ayant pas fait droit à sa demande, elle a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme, laquelle a jugé irrecevable sa requête. Les élèves du hors-contrat désireux de se confronter aux autres à l’occasion du Concours général ne peuvent donc toujours pas le faire. Alors que le baccalauréat est largement dévalorisé, ces élèves ne disposent d’aucun moyen évident de prouver leur niveau et leur originalité, ce qui ne peut que les desservir dans le cadre des procédures d’admission post-bac sur dossier, surtout lorsqu’ils proviennent d’établissements indépendants peu connus.

Ce bon niveau des écoles indépendantes qu’on ne veut pas voir

Il semblerait en fait que l’Éducation nationale n’accepte pas l’idée que ces écoles dites « hors contrat » puissent avoir de meilleurs résultats que les établissements publics. En effet, il y a fort à parier que les écoles de dominicaines qui mettent tant l’accent sur le grec et le latin aient de potentiels lauréats en langues anciennes, que les écoles juives hors contrat soient capables de se distinguer en hébreux… Bref, l’Éducation nationale refuse une émulation par les écoles privées qui serait pourtant saine et l’aiderait à se perfectionner.

C’est ce qui explique aussi qu’aucun palmarès des meilleurs lycées au niveau national ne prenne en compte les résultats des établissements indépendants. Chaque année, l’Éducation nationale publie les indicateurs de résultats des lycées qui reposent non pas uniquement sur les taux de réussite aux diplômes d’Etat mais sur un ensemble de critères complexes, intégrant des indicateurs sociaux, qui brouillent la lecture et l’interprétation de ces classements. S’il lui apparaît déjà trop discriminant de mettre en avant tel ou tel lycée public qui aurait d’excellents résultats, on comprend mieux les raisons qui la pousse à ignorer totalement ceux qui en plus d’avoir de bon résultats, remettent en cause par leur succès même un système à bout de souffle.

Source




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Communiqué de la CLÉ sur l'étude portant sur la réforme scolaire

La Coalition pour la liberté en éducation (CLÉ) prend acte du Rapport d’évaluation du renouveau pédagogique au secondaire réalisé pour le compte du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

Ce rapport, fondé sur une enquête de grande ampleur, identifie de nombreux effets négatifs du « renouveau pédagogique », parmi lesquels une baisse du taux de diplomation chez les garçons, les élèves à risque et les élèves anglophones, une baisse des résultats à l’épreuve d’écriture en cinquième secondaire et une baisse des résultats en mathématiques chez les élèves à risque et ceux venant de milieux défavorisés.

La CLÉ s’inquiète des résultats de cette étude, même si ceux-ci ne sont pas étonnants pour les observateurs avertis de la scène éducative. Pour le secrétaire de la CLÉ, Patrick Andries, « il est temps que les parents et les décideurs politiques tirent les leçons de cette décennie perdue : il faut que les écoles québécoises bénéficient de plus d’autonomie pour éviter une nouvelle réforme pédagogique expérimentale imposée à tous ».

De nombreuses études montrent que les écoles sont plus efficaces quand elles sont autonomes, non seulement dans le domaine administratif, mais également pour ce qui a trait à la pédagogie et au recrutement et quand les résultats de ces écoles sont rendus publics [1]. Les sondages montrent également que les Québécois soutiennent largement ces libertés scolaires [2].

Certaines associations préconisent de mieux former les professeurs ou d’augmenter encore les crédits pour mitiger les mauvais résultats du « renouveau pédagogique ». Pour la CLÉ, ces mesures ne s’attaquent pas aux causes profondes du malaise scolaire. Trop souvent, les professeurs ne sont que des exécutants. Mieux les former pour en faire de meilleurs exécutants des décisions centrales n’aura guère d’impact positif. Le cadre pédagogique manque de souplesse, les programmes sont rigides et imposés à tous. L’école québécoise prétend vouloir former des citoyens autonomes alors que, paradoxalement, toute l’école manque cruellement de latitude.

Comme des incidents récents sur la malbouffe l’ont montré, les parents [3] n’ont pas réellement voix au chapitre dans l’institution scolaire. Toutes les décisions, même celles portant sur la distribution de friandises, semblent venir d’« en haut ».Pour le secrétaire de la CLÉ, « La démocratie scolaire est actuellement un vain mot, il faut rapprocher les décisions des parents et des directions d’école. »

Le système scolaire ne doit plus être monolithique. Les écoles doivent pouvoir adopter des pédagogies différentes, certaines résolument modernes, d’autres plus classiques. Cette diversité est la meilleure manière d’impliquer les parents, un autre facteur de réussite des élèves qui la fréquentent. En effet, les parents devront choisir leur école, s’investir dans ce choix et devraient influer sur les priorités de leur école.

Or, aujourd’hui, la liberté pédagogique est restreinte au point qu’une école catholique privée [4] ne peut pas enseigner le programme d’éthique et de culture religieuse, imposée de façon monolithique par le Ministère, d’un point de vue catholique…

Il y a dans les écoles trop de situations complexes, de différences entre les élèves, de problèmes inédits, d’événements inattendus, trop d’intérêts contradictoires à coordonner pour attendre qu’un pouvoir central impose l’unique bonne façon de faire. Il vaut mieux compter sur la motivation, la compétence et le pouvoir d’adaptation des enseignants, des directeurs d’école et des parents.

La CLÉ défend résolument cette autonomie des établissements scolaires, la diversité des programmes et la liberté de choix des parents.

[1] PISA 2012 Results : What Makes Schools Successful ?, OCDE, 2014, p. 52 et 528, http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results-volume-IV.pdf

[2] Un sondage Léger-Marketing tenu du 27 au 29 février 2012 indiquait que 54 % des Québécois désirent que les écoles bénéficient d’une plus grande liberté dans le choix des programmes qu’elles enseignent et dans la façon de les enseigner.

[3] Les écoles manquent d’autonomie, Journal de Montréal, 3 février 2015 http://www.journaldemontreal.com/2015/02/03/les-ecoles-manquent-dautonomie

[4] Il s’agit de la Loyola High School qui a porté sa cause devant la Cour suprême du Canada et dont la décision est attendue.





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