L’école peut façonner les croyances et comportements bien au-delà de l’acquisition de connaissances. C’est la conclusion d’une étude publiée dans le Journal of Human Resources par Benjamin Arold, Ludger Woessmann et Larissa Zierow, qui s’appuie sur l’expérience allemande unique d’une abolition progressive de l’enseignement religieux obligatoire entre 1972 et 2004. Environ 1000 heures de cours religieux sur la scolarité, soit plus de quatre fois le volume consacré à la physique, sont devenues optionnelles dans différents Länder, les élèves pouvant choisir entre religion et cours d’« éthique » non religieux.
Pour mesurer l’impact de cette réforme, les auteurs exploitent trois grandes enquêtes représentatives : le National Educational Panel Study (NEPS), le German General Social Survey (ALLBUS) et le German Socio-Economic Panel (SOEP). Leur base fusionnée contient jusqu’à 58 000 observations d’adultes entrés à l’école primaire entre 1950 et 2004. L’approche économétrique utilise un modèle à effets fixes sur l’état et la cohorte, contrôlant pour les caractéristiques individuelles, et compare les trajectoires des élèves exposés ou non à l’enseignement religieux obligatoire.
Les résultats sont clairs : la fin des cours religieux obligatoires réduit significativement la religiosité à l’âge adulte. Les anciens élèves pratiquent moins la prière, fréquentent moins l’église et adhèrent moins souvent à une Église, avec des effets plus marqués dans les régions majoritairement catholiques. Les analyses temporelles indiquent que l’effet sur la prière se développe progressivement, tandis que celui sur l’adhésion à l’Église correspond à un changement quasi immédiat.
La réforme a également des conséquences sur la vie économique et familiale. Les adultes ayant suivi des parcours scolaires plus séculiers affichent une participation accrue au marché du travail, plus d’heures travaillées et des revenus plus élevés, tandis que leur fécondité diminue, reflétant la moindre influence des valeurs religieuses sur les choix familiaux. En revanche, aucun effet n’est observé sur les valeurs éthiques (réciprocité, confiance, bénévolat, satisfaction de vie) ni sur les valeurs politiques (intérêt politique, vote, satisfaction de la démocratie).
Loin d’être neutre, la place donnée à la religion — ou à son absence — dans les programmes scolaires semble façonner la sécularisation et certains choix de vie au cœur des sociétés modernes.
La robustesse des résultats a été testée de multiples manières : aucune relation n’est observée avec des variables placebo comme la durée de scolarité ou l’âge du premier emploi, et les effets demeurent stables en contrôlant d’autres réformes éducatives contemporaines ou en comparant des comtés voisins situés de part et d’autre des frontières d’État. Les auteurs confirment également la fiabilité de leurs estimations avec des tests récents sur les modèles à deux effets fixes.
En résumé, cette étude illustre la puissance durable de la socialisation scolaire sur la religiosité et certains choix de vie. La place accordée à la religion à l’école influence non seulement la pratique spirituelle mais aussi les comportements économiques et familiaux, renforçant l’idée que l’éducation façonne profondément la société.