Professeur des écoles, exerçant son métier dans un établissement privé sous contrat, Lisa Kamen-Hirsig tape du poing sur le bureau. Dans un entretien sans fard, elle décrit la dégradation de l’école à laquelle elle a assisté. Elle est aussi l’auteur d’un livre choc contre l'idéologie qui a conduit au naufrage des élèves français dans les classements internationaux.
Lisa Kamen-Hirsig (ci-contre) raconte dans « La Grande Garderie » comment l’école a abandonné sa mission fondamentale : transmettre le savoir.
— Emmanuel Macron a donné des indications sur ce qu’il voulait faire de l’école la semaine dernière dans « Le Point ». Que pensez-vous de ses déclarations ?
— Je les ai trouvées floues et souvent contradictoires. Le président emploie une rhétorique très martiale – l’école appartiendrait au « domaine réservé » du président – qui dément sa volonté affichée d’accorder plus d’autonomie aux établissements. Mettre les élèves à genoux en classe, pour reprendre l’exemple qu’il donne en matière de liberté pédagogique, ne me paraît pas relever du régalien ! Il ne dit rien de neuf quand il annonce qu’il veut fabriquer des citoyens respectueux de notre République. Plus urgent, il faut s’attaquer à ces nouvelles religions que sont l’égalitarisme, l’antiracisme, l’écologisme… Ce que l’Éducation nationale appelle désormais les « valeurs républicaines ». Pour atteindre ces objectifs, encore faut-il que l’école dispense le savoir, forme l’intelligence des enfants, les rende libres et responsables. Si elle produit des générations d’analphabètes, rétifs à l’effort et ignorants de leur histoire et de leurs institutions, ils finissent par ne plus rien respecter !
— Justement, le président insiste sur l’importance des savoirs fondamentaux…
— Pourquoi pas mais lesquels ? Quid, par exemple, de cette étude hebdomadaire d’un « grand texte fondamental sur nos valeurs » qu’il a évoqué ? J’attends avec curiosité sa liste ! Je crois au contraire qu’il faut maintenant alléger, et vite, les programmes. Ce retour aux fondamentaux n’est pas, lui non plus, une nouveauté. de nombreux ministres de l’Éducation ont essayé et ont échoué, faute d’avoir pris la mesure des obstacles ! La lâcheté d’une partie des enseignants, qui n’osent plus exiger de leurs élèves un travail digne de ce nom, n’arrange rien. Il faut y ajouter le pouvoir de nuisance des inspecteurs généraux, dont Jean-Pierre Chevènement disait « Quand j’étais ministre de l’Éducation nationale, j’ai tout de suite vu que la moitié était à pendre, et l’autre à fusiller. » tout cela illustre la force d’inertie de la bureaucratie et des multiples « directions » très représentatives du millefeuille administratif français. À l’Éducation nationale, il y a 850 000 professeurs, et en plus 350 000 non-professeurs, un ratio délirant qui n’a pas d’équivalent chez nos voisins. N’oublions pas le pouvoir des syndicats… Quand Jean-Michel Blanquer a voulu réhabiliter la méthode syllabique, nombre d’enseignants ont refusé, se disant dépossédés de leur liberté pédagogique. Ils l’ont même écrit en toute impunité sur les réseaux sociaux, sans crainte d’être sanctionnés. Le problème de l’illettrisme a été pointé dès 1996 dans un rapport que François Bayrou a enterré pour ne pas insulter les instituteurs. Les ministres ont peur des grèves. En fait, les parents ne se rebellent que lorsqu’il n’y a personne devant leurs enfants. Certains montent même des collectifs « Un prof devant chaque classe ». Ils veulent que leurs enfants soient gardés, d’où le titre de mon livre, La Grande Garderie.
— L’influence du « pédagogisme » est-elle toujours aussi prégnante ?
— L’influence du « pédagogisme » est-elle toujours aussi prégnante ?
— Elle subsiste à travers l’héritage des gourous comme Philippe Meirieu ou Jean Foucambert, le promoteur de la méthode globale. M. Foucambert reprochait à l’école de Jules Ferry d’être un instrument aux mains des bourgeois, destiné à « saigner » les classes laborieuses et qui aurait favorisé une philosophie de la réussite individuelle fondée sur le mérite pour écarter la réussite collective. Les pédagogues restent puissants donc nuisibles car la pédagogie se revendique comme une science et, vertu suprême, postule l’égalité intellectuelle des enfants. Il suffirait de les usiner pour les rendre aptes à apprendre !
— Certains ministres ont pourtant donné des directives pour simplifier les enseignements dans les quartiers dits « difficiles », pour ne pas « stigmatiser » les enfants issus de milieux modestes. N’est-ce pas là une forme de mépris social ?
— Philippe Meirieu, qui reste l’une des éminences grises du ministère, préconisait d’apprendre à lire dans les notices des appareils ménagers parce que c’est ce qui intéresse les masses… Si ça n’est pas du mépris de classe ! On prend les pauvres pour des idiots, incapables de s’intéresser à autre chose qu’à leur quotidien. On cherche à se rapprocher de ce qu’on suppose être leurs préoccupations : on ne leur parle que de leurs difficultés au lieu de leur offrir la mythologie, les contes fondateurs de notre civilisation et la littérature classique ! La culture est vue comme un fétiche qu’il suffirait d’arracher à la classe dominante. On ignore volontairement le cheminement individuel et les efforts qu’il suppose. François Dubet, un autre penseur du ministère, l’homme des IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) et du « socle commun », disait que les contenus du collège devaient être adaptés à « ce que doit savoir le plus faible des élèves quand il en sort »… On croit rêver ! L’Éducation nationale, institution toute-puissante, est gangrenée par le gauchisme et l’égalitarisme. Le plus terrible c’est que lorsqu’on constate l’échec de cette pédagogie catastrophique, au lieu de revenir au savoir et à la didactique, on prétend que c’est parce qu’elle n’a pas été appliquée avec assez de rigueur. Au lieu de s’inspirer des réussites du privé, de libérer l’école du monopole du ministère en ouvrant les écoles libres aux plus modestes par un financement public type chèque scolarité ou défiscalisation, on tente de supprimer le patrimoine culturel des classes dites « favorisées ». C’est le lit de Procuste (1) pédagogique et c’est aussi un signe de mépris social.
— Le problème ne se situe-t-il pas aussi à la source, c’est-à-dire dès la formation des profs ?
— Si, bien sûr ! Les formations des enseignants consistent essentiellement à leur expliquer qu’ils ne doivent pas imposer leur savoir : ce serait faire violence aux élèves, qui possèdent tout en eux ! Le mode de recrutement et le statut de fonctionnaire des professeurs participent eux aussi à la médiocrité du système. En quoi un concours passé à 20 ou 25 ans garantit-il des compétences et une motivation à vie ? Pourquoi ne pas laisser les collectivités libres de recruter sur contrat des élèves du supérieur, experts dans leur discipline et formés pour l’enseigner ? De nombreux pays le font, parmi lesquels la Finlande [moins récemment] qui squatte le haut des classements Timms (2) et Pisa (3) depuis longtemps… Et bien sûr, un directeur devrait pouvoir licencier un mauvais professeur. Les enseignants, qui sont sur un marché où la demande est supérieure à l’offre, y gagneraient aussi. Ils pourraient négocier leurs salaires et s’affranchir de la carte scolaire.
— Emmanuel Macron défend le collège unique, que vous critiquez. Par quoi faudrait-il le remplacer ?
— Le collège unique est un échec depuis sa création, en 1975 ! Pourquoi s’échiner à regrouper les enfants par âge, plutôt que par besoins ? On voit bien qu’en sixième, certains lisent couramment alors que d’autres ânonnent ! Fixons des objectifs de fin de troisième, avec un examen pour vérifier qu’ils sont atteints, mais laissons les établissements libres d’essayer ces groupes de niveau.
— Vous êtes particulièrement sévère avec les moyens mis en place par Jean-Michel Blanquer pour détecter et combattre le séparatisme. Il ne faudrait rien faire ?
— Le dispositif mis en place par Jean-Michel Blanquer revient à donner des coups d’épée dans l’eau. Il ne suffira pas de former les enseignants à la laïcité ou de mettre en place des « carrés régaliens » dans les écoles. Quant à l’interdiction de fait de l’instruction en famille et à l’obligation de scolarisation à 3 ans, elles réduisent les libertés de tous dans l’espoir de sanctionner les contrevenants. On a beaucoup entendu parler du lycée musulman Averroès, dans le Nord, où de nombreuses dérives ont été détectées. Eh bien, il est sous contrat avec l’État. Avant de pister les familles qui ont décidé d’instruire leurs enfants à la maison – et qui sont inspectées également – l’Éducation nationale devrait balayer devant sa porte.
Notes
(1) Procuste, brigand de l’Antiquité, étendait les voyageurs sur un lit trop court et leur coupait la partie du corps qui dépassait.
(2) Timss (Trends in International Mathematics and Science Study) est une étude comparative qui mesure le niveau des connaissances scolaires des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.
(3) Le Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) est un ensemble d’études menées par l’OCDE auprès des jeunes de 15 ans, visant à mesurer les performances des systèmes éducatifs.
Source : Le Figaro Magazine