vendredi 18 septembre 2020

La haine de la culture à l'école des « compétences »

Extraits de la recension par Éric Zemmour du livre La Haine de la culture par Konrad Paul Liessman. On trouvera également de longs extraits du début de l’ouvrage à la fin de ce billet.

Bildung : un mot que seuls les germanistes connaissent ; et les lecteurs des grands romanciers allemands, les Theodor Fontane et Thomas Mann. Bildung, c’est à la fois l’éducation, la culture et la formation, comme nous l’expliquent, dès la première page du livre, nos traducteurs. Bildung était bien sûr dans le titre original de cet ouvrage : bildung abandonnée, bildung rejetée, bildung méprisée, bildung martyrisée mais bildung debout, bildung

Si je me permets ainsi de jouer, c’est que notre auteur ne se prive pas lui-même de manier l’ironie avec une efficacité grinçante. Et si je joue sur un registre franco-allemand, c’est que les thèmes de son ouvrage évoquent des auteurs français bien connus : le Finkielkraut de La Défaite de la pensée ou le Régis Debray de L’Éloge des frontières. Konrad Paul Liessmann a écrit une formidable charge contre les progressistes ; en France, il aurait été catalogué dans les « nouveaux réacs ». Mais Liessmann est un philosophe autrichien qui peut s’ébrouer librement, loin des sectaires et des sicaires du boulevard Saint-Germain. Il est libre Konrad ! Libre d’appeler à de nouvelles Lumières contre l’Islam sans craindre les reproches d’islamophobie [...]

Libre de nous démontrer que l’école d’aujourd’hui, qui a abandonné la culture pour les compétences, est devenue une école « barbare ». Qu’on n’éduque plus les enfants, mais qu’on cherche « l’acquisition de compétences telles que la capacité à travailler en équipe, la disposition à communiquer, le goût de l’innovation et la virtuosité numérique ». Que « la culture n’est pas un savoir-faire. » Que le « savoir inutile voilà ce qui distingue l’homme cultivé ». Que la littérature a connu le sort du latin et du grec ancien dans les années 1960, devenue obsolète, car symbole de la culture bourgeoise. Et que « faire en sorte de barrer systématiquement l’accès à la littérature aux jeunes gens, par la mise en œuvre d’une politique éducative obsédée par les compétences et ne jurant que par la technique, cela ne saurait être interprété que comme un acte barbare ».

Qu’il y a un lien (évident, mais que personne ne veut voir) entre la dévalorisation des connaissances et l’entrée dans l’ère de la post-vérité. Et de finir sur cette ironie réjouissante : « On peut y voir un processus démocratique : ce que jadis seuls 10 000 privilégiés avaient le droit de lire, aujourd’hui plus personne n’a le droit de le lire. Inégalité pour tous. »

Liessmann nous montre le paradoxe de notre époque qui vide l’éducation de sa substance culturelle et qui, en même temps, pare l’éducation de toutes les vertus et de tous les objectifs. « De nos jours, parler de l’éducation, c’est croire aux miracles (…) (L’école est devenue) une sorte de religion dans une société sécularisée. » Mais justement, ceci explique cela. C’est parce qu’on a détruit la culture littéraire, ce qu’on appelait la « culture » et que l’extrême gauche appelait « la culture bourgeoise », qu’on a pu ainsi transformer les salles de classe en un lieu de propagande mise au service du développement durable, de la théorie du genre, etc. Et parce qu’on a renoncé au « processus de conquête de soi-même par la culture » qu’on peut donner le bac à tout le monde.

Liessmann dénonce avec lucidité des profs privés de « tout contact avec leur discipline », « au nom d’une pseudo scientifisation de la pédagogie fort douteuse en raison de l’étendue de leur contamination idéologique ».

Il ne respecte rien ni personne pour notre plus grande joie. « À l’époque du numérique, où des tablettes sont utilisées durant les cours, les écoles ne font pas des enfants et des adolescents qui leur sont confiés des citoyens émancipés capables de résister aux tentations totalitaires des multinationales du net, mais, au contraire, des agents de ces firmes ». On transmettra le message à Valérie Pécresse qui, au nom de la région Île-de-France, a distribué des ordinateurs à tous les enfants des écoles !

Même notre société de l’intelligence est brocardée par notre iconoclaste : « Seuls les pays affichant un faible pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur — la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne — affectent un faible taux de chômage de ces personnes (…) Ailleurs, (se développe un) précariat académique [des diplômés universitaires] grandissant (qui signifie sans doute “que la lutte pour les talents” appartienne déjà au passé). »

On l’a dit, Liessmann est autrichien. Sa critique acerbe de la société et de l’école concerne le système éducatif du monde germanique. Chez nos voisins, l’école est fédéralisée, régionalisée, même les programmes peuvent être différents d’une région à l’autre. Des fondations parfois privées gèrent le système. Pas de Rue de Grenelle, pas de ministère centralisé, pas « de plus gros employeur du monde depuis la disparition de l’Armée rouge ». Pas de sclérose bureaucratique, pas de Jules Ferry disant « tous les enfants de France font la même dictée à la même heure ». Pas de pédagogistes et de gauchistes qui se sont introduits dans le cœur du système pour mieux le piloter et le désintégrer. Pas de profs fonctionnaires « fainéants » qu’on ne peut pas virer et qui ne pensent qu’aux vacances !

Rien de tout cela et pourtant les mêmes résultats, les mêmes constats, le même mépris de la culture et de la littérature, la même obsession des compétences, le même Graal des classements Pisa, le même modèle finlandais, la même propagande des lobbys gays, antiracistes, écologistes, féministes. En lisant Liessmann, on comprend que la France a subi comme ses voisins le même processus de Bologne (Union européenne), les mêmes instructions de l’OCDE (inspirées des méthodes américaines d’après-guerre), le même mépris de la transmission au bénéfice de l’innovation, la même incapacité à mener un nouveau combat des Lumières contre l’Islam, la même détestation de la culture bourgeoise, patriarcale, hétérosexuelle et blanche. Cela nous rend plus indulgents pour nos faiblesses hexagonales. Et plus lucides sur nos véritables ennemis.

LA HAINE DE LA CULTURE
par Konrad Paul Liessmann,
paru à Paris
le 16 septembre 2020
aux éditions Armand Colin,
173 pages,
ISBN-13 : 978-2200627928



Début du livre

37 % des gènes humains ont une expression différenciée selon que l’on est homme ou femme

Une étude vient de paraître dans la revue Science du 10 septembre, mettant en valeur les différences d’expression génétique entre les sexes, aboutissement de dix années d’efforts, 37 % des gènes humains ont une expression différenciée selon que l’on est un homme ou une femme. Health (NIH).

Quand on pense génétique, on raisonne souvent selon l’absence ou la présence de tel ou tel gène. Or, les différences de phénotype et de nombreux facteurs biologiques (poids, maladies, vieillissement, taux de sucre dans le sang…) dépendent aussi étroitement de la façon dont les gènes sont utilisés par la cellule (épigénétique). Certains gènes restent ainsi souvent en grande partie inactivés. Ces variations d’expression sont appelées « transcriptome ». Un gène contient un code ADN pouvant être lu et transcrit en protéines fonctionnelles. Il génère pour cela un brin d’ARN à partir du code ADN, qui sert de guide pour fabriquer la protéine. Plus le gène est actif, plus il produit d’ARN et donc de protéines. C’est la quantité et la qualité de l’ARN que l’on appelle transcriptome et qui est utilisé pour mesurer l’activité des gènes.

Ainsi, les différences entre les sexes, communément attribuées aux hormones et aux chromosomes sexuels, seraient en grande partie dues à ce fameux transcriptome. 37 % des gènes humains ont une expression différenciée selon que l’on est un homme ou une femme.

Les scientifiques ont découvert 58 liens inédits entre l’expression génétique et des caractéristiques des individus, comme la pression sanguine, le taux de cholestérol ou le risque de cancer du sein. Le gène CYP450, qui influe sur l’assimilation des médicaments humains dans le foie, s’exprime ainsi de manière différenciée selon le sexe dans de nombreux tissus. Cela pourrait expliquer pourquoi certains médicaments sont plus efficaces chez l’homme que la femme (ou vice versa). Chez les femmes, la régulation génétique du CCDC88 est fortement associée à la progression du cancer du sein, et l’activité du gène HKDC1 est corrélée au poids de naissance (en modifiant le métabolisme du glucose dans le foie de la femme enceinte). Chez les hommes, la régulation génétique du DPYSL4 est associée au pourcentage de graisse corporelle et celle du CLDN7 au poids de naissance. Les chercheurs ont également identifié un lien entre l’expression du gène C9orf66 et la calvitie masculine.

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