Le philosophe Jean Laberge aborde sur son carnet le jugement 
 
L’« affaire ECR » — selon le mot consacré de Louis  Cornellier — continue toujours de susciter la controverse. Le 18 juin  dernier, en effet, le juge de la Cour supérieure, Gérard Dugré,  reconnaissait le droit à l’école secondaire Loyola d’enseigner ECR dans  une perspective catholique. Le jugement a évidemment suscité  l’indignation des partisans d’ECR, dont la chef de l’opposition  officielle, Pauline Marois, qui a déclaré que «¸ c’est un très grand  recul ». Le gouvernement, lui, songe à porter en appel le jugement.  Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la teneur des propos du juge  Dugré qui liait ECR à l’Inquisition : « L’obligation imposée à Loyola  d’enseigner la matière ECR de façon laïque revêt un caractère  totalitaire qui équivaut, essentiellement, à l’ordre donné à Galilée par  l’Inquisition de renier la cosmologie de Copernic ».
Loyolaet le livre de son homologue Guy Durand sur le programmme ECR.
L’« affaire ECR » — selon le mot consacré de Louis  Cornellier — continue toujours de susciter la controverse. Le 18 juin  dernier, en effet, le juge de la Cour supérieure, Gérard Dugré,  reconnaissait le droit à l’école secondaire Loyola d’enseigner ECR dans  une perspective catholique. Le jugement a évidemment suscité  l’indignation des partisans d’ECR, dont la chef de l’opposition  officielle, Pauline Marois, qui a déclaré que «¸ c’est un très grand  recul ». Le gouvernement, lui, songe à porter en appel le jugement.  Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la teneur des propos du juge  Dugré qui liait ECR à l’Inquisition : « L’obligation imposée à Loyola  d’enseigner la matière ECR de façon laïque revêt un caractère  totalitaire qui équivaut, essentiellement, à l’ordre donné à Galilée par  l’Inquisition de renier la cosmologie de Copernic ».Le moins qu’on puisse dire c’est que  le juge Dugré n’y est pas allé de main morte. Est-ce vraiment le cas ?  Le juge avait-il raison de comparer ECR à la sainte Inquisition ? À lire  l’essai de Guy Durand, Le cours d’ECR. Au-delà des apparences  (Guérin, 2009), on se prend à se réveiller d’un cauchemar digne de  l'Inquisition. D’après l’auteur :
« La conception et l’imposition du cours ECR prend place à l’intérieur d’un processus de déconfessionnalisation des écoles publiques en marche depuis une vingtaine d’années, ainsi que dans le cadre d’une Réforme pédagogique elle-même en marche depuis plusieurs années. Quand on examine ce qui s’est passé, on ne peut que déplorer les atteintes à la démocratie et les dérives de raisonnement auxquelles cette histoire a donné lieu : population mal informée, voire trompée à plusieurs occasions, fausses justifications servies, processus d’implantation inadéquat, etc. » (chapitre II, p. 51).
Le lecteur aurait tout intérêt à lire  (ou relire) ces pages du livre de Durand dans le contexte du jugement  récent de la Cour supérieure. Il y apprendra bien des choses qui  éclaireront la suite des événements et lui permettront de porter son  propre jugement sur toute l’« affaire ECR ».
Au plan philosophique, le lecteur y  trouvera aussi son compte. Critiquant la position « pluraliste » de  Georges Leroux suivant laquelle «la vérité existe mais ne peut être que  le fruit d’un consensus général», Durand écrit  :
« …selon moi, il y a une méprise entre le moyen, la poursuite de la vérité par la réflexion, le dialogue et la discussion, et la fin, soit la vérité elle-même. À mon sens, la Vérité existe et il faut toujours la rechercher en allant chacun au bout de ses efforts pour l’atteindre, établissant en cours de route des convictions personnelles, même si on ne peut jamais avoir la certitude absolue de l’avoir atteinte. » (p. 12)
La distinction entre le moyen (le  dialogue réflexif) et la fin (la vérité), qu’évoque le théologien, est  fort éclairante. L’adepte du pluralisme comme Leroux confond en effet le  la fin et le moyen, car la vérité n’est autre, en bout de piste, que le  consensus obtenu par le dialogue. Le pluralisme n’admet pas quelque  chose comme une Vérité indépendante du processus de recherche.
Il n’y a rien de surprenant à cela  puisque le pluralisme de Leroux est calquée sur celui du de Rawls. En  effet, la justice résulte, selon Rawls, du moins dans le contexte d’une  démocratie, de l’accord obtenu entre les participants discutant  publiquement. La justice est procédurale : « …la justice procédurale pure  s’exerce quand il n’y a pas de critère indépendant pour déterminer le  résultat correct ; au lieu de cela, c’est une procédure correcte ou  équitable qui détermine si un résultat est également correct ou  équitable, quel qu’en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été  correctement appliquée. » (Théorie de la justice, p. 118) Pour  bloquer la régression à l’infini qu’engendre la justice procédurale,  Rawls en appel donc au consensus obtenu. On pourrait dire la même chose  pour ce qui concerne la vérité : c’est essentiellement une affaire de  consensus obtenu à l’aide d’une procédure « correcte ». Le problème, comme  on le voit, c'est qu'on présuppose une procédure « correcte ». Il faut  s'entendre là-dessuss, et ainsi de suite ad infinitum...
Dans la conception rawlsienne libérale  de la vérité, celle-ci n’existe pas indépendamment des jugements des  citoyens, telle une autorité suprême, un dictateur, Dieu, ou quoi que ce  soit d’autre : la vérité résulte de la convergence des jugements,  c’est-à-dire de l’accord de tous. Tous peuvent donc errer ; ce qui  importe, toutefois, c’est le consensus. Voilà la conception de la vérité  au cœur de ECR qui, on le constate, est parfaitement aberrante. Est-ce  cela que mérite nos enfants ?
Nous sacrifions leur éducation sur  l'autel du libéralisme. Dans La Duchesse de Langeais, Balzac  fait dire à la duchesse, devant la cour par trop insistante du marquis  de Montriveau: « Taisez-vous, ne parlez pas ainsi ; vous avez l’âme  trop grande pour épouser les sottises du libéralisme, qui a la  prétention de tuer Dieu ». Nietzsche annonça la mort de Dieu; le  libéralisme l'avait déjà tué. La satanée liberté des modernes aura en  effet coûté un prix élevé à l’humanité. C’est à son prix que la vérité  sera sacrifiée pour celle de chacun et de tous. Le cours ECR coule  depuis lors de source.