mardi 16 mars 2021

Généalogie et résistance au « wokisme »

Le sociologue Mathieu Bock-Coté, qui sort sous peu un nouveau livre La Révolution racialiste, a publié un billet sur la généalogie du wokisme et comment résister à ce mouvement dans les colonnes de La Nef.

Le wokisme est apparu aux États-Unis vers 2010 et y impose sa vision racialiste par une formidable manipulation du langage. Ultime avatar du politiquement correct, il se développe en France et représente une véritable menace pour la liberté d’expression.

Il y a peu de temps encore, le mot woke semblait appartenir au vocabulaire réservé aux campus américains, et même, aux plus radicaux d’entre eux. Il désignait une frange particulièrement active d’étudiants américains se croyant en croisade pour la justice sociale, et plus particulièrement portés sur les questions de « race » et de « genre », et résolus, en quelque sorte, à mener un procès définitif contre le monde occidental, et plus particulièrement, contre l’homme blanc qui l’incarnerait dans toute son abjection. Cette mouvance était reconnue pour son extrémisme, et même, pour son fanatisme, convaincue qu’elle était, et qu’elle est encore, d’avoir le monopole du vrai, du juste et du bien. Barack Obama, en 2019, avait mis en garde les étudiants s’en réclamant : il voyait bien que la prétention qu’ils avaient d’être éveillés, devant une masse endormie, ou éclairés, devant un peuple enfoncé dans les ténèbres venues du passé, ne pouvait que multiplier les tensions dans une société déjà très polarisée. Homme de gauche, assurément, Obama a néanmoins cherché à rappeler à ces jeunes esprits que la nature humaine est trouble, et qu’on ne saurait réduire le conflit social à un combat entre le bien et le mal.

À certains égards, on verra dans le wokisme la nouvelle vague du mouvement associé au politiquement correct, qui dès les années 1980, a voulu décoloniser l’université américaine et ses savoirs en en finissant avec la figure du Dead White Male. Homère, Platon, Aristote, Shakespeare et tant d’autres devaient y passer : leur présence écrasante aurait contribué à la marginalisation des savoirs et perspectives minoritaires, à partir desquels il serait possible de mener une révolution épistémologique et politique contre la civilisation occidentale. Un nouveau rapport au monde devait s’imposer. Il était bien vu, à l’époque, de s’en moquer, et de se rassurer en se répétant que cette mode était destinée à passer. On voulait même croire, à Paris, que cette lubie ne traverserait pas l’Atlantique. Il n’en fut rien. Absolument rien. Le politiquement correct s’est institutionnalisé à travers la multiplication des départements et champs d’études universitaires essentiellement fondés sur la répudiation de la civilisation occidentale. Il fait désormais la loi dans l’université américaine. Le wokisme est le point d’aboutissement de cette mouvance, et il n’est plus permis de le croire marginal.

Le wokisme s’est déconfiné des campus depuis un bon moment et se répand dans la vie publique à la manière d’une épidémie idéologique. Plus encore, il s’impose au cœur de la vie publique des deux côtés de l’Atlantique, ses concepts se normalisent dans le vocabulaire médiatique et le discours politique et managérial. Ils colonisent l’imaginaire collectif ou du moins, ses expressions autorisées. Ses militants se retrouvent dans des postes de responsabilité au sein même d’une administration municipale, qui s’en font aussi les complices et les promoteurs. Il imprègne le langage du management et de la publicité. Cette gauche religieuse surgit dans la vie collective sous le signe du fanatisme, devant une classe politique qui ne sait pas trop comment lui répondre ou lui tenir tête, et qui est même tentée de multiplier à son endroit les concessions, sans comprendre qu’elle ne se trouve pas devant un mouvement réformiste amenant des revendications raisonnables dans l’espace public, compatibles avec la logique démocratique.

Tout le pouvoir du wokisme tient dans sa manipulation orwellienne du langage : ses théoriciens et militants inventent une novlangue diversitaire qui fonctionne à la manière d’un piège idéologique. La stratégie du wokisme est transparente, et même revendiquée, dans certains cas : il s’agit de s’emparer d’un mot frappé d’une universelle réprobation et de lui coller une nouvelle définition, que l’on dira scientifiquement validée, parce qu’elle sera légitimée par les militants déguisés en experts qui sévissent dans les départements de sciences sociales. Les exemples sont nombreux, qu’il s’agisse du racisme, de la suprématie blanche, de la discrimination ou encore de la haine ou du discours haineux. 

Trop souvent, des commentateurs ou des observateurs de bonne foi se laissent berner. Horrifiés à bon droit par la signification traditionnelle de ces mots, ils ne se rendent pas compte qu’ils ne renvoient plus à la même réalité. Ainsi, dans la perspective woke, le racisme, aujourd’hui, ne désigne plus une idéologie en appelant à la discrimination raciale ou à la hiérarchisation des groupes humains selon un critère racial. Il désignerait plutôt le refus, justement, de définir les gens à partir de la couleur de leur peau — il accuse ceux qui ne veulent pas consentir à la racialisation des rapports sociaux de daltonisme racial. Le racisme culminerait ainsi dans l’universalisme qui servirait de masque aux intérêts de la « majorité blanche ». Apparemment, ce n’est plus en dépassant ou en transcendant la « race » qu’on luttera contre le racisme, mais en survalorisant la conscience raciale comme forme première de l’identité collective. L’antiracisme revendiqué devient donc un racialisme décomplexé.

La suprématie blanche, quant à elle, ne réfère plus aux mouvements comme le Klu Klux Klan, ou à ses descendants, mais à la structure profonde des sociétés occidentales. En France, ainsi, l’extrême gauche racialiste assimile la laïcité à la suprématie blanche. Le concept de discrimination est aussi frappé. La discrimination, pour les wokes, consiste quant à elle à traiter tout le monde sur le même pied : inversement, choisir quelqu’un en fonction de la couleur de sa peau, pour peu qu’il soit considéré comme « racisé », ne serait pas discriminatoire. La haine, enfin, serait à sens unique, unidirectionnelle : seule la majorité pourrait être haineuse en refusant la définition que les leaders souvent autoproclamés des minorités prétendent donner de ceux qu’ils disent représenter. Nous sommes ainsi devant un système idéologique qui fonctionne en inversant la signification des concepts qu’il revendique. Le wokisme nous fait marcher sur la tête. Au nom de l’hygiène intellectuelle, on pourrait poursuivre longtemps cet exercice d’analyse du vocabulaire wokiste.

Au cœur du wokisme, on l’aura compris, le mâle blanc incarne le mal absolu. Il radicalise le politiquement correct, en passant de la critique du Dead White Male au mâle blanc vivant, qui devrait, pour entreprendre sa rééducation, s’engager dans une démarche d’autocritique permanente, qui prendra la forme d’une expiation sans rédemption, car les pathologies constitutives de son identité seraient à ce point inscrites dans les processus de socialisation le définissant qu’il ne pourra jamais s’y arracher complètement. Mais en se dénonçant, en critiquant ses privilèges, en faisant tout pour devenir l’allié des « minorités », il enverra au moins le signal pénitentiel attendu. C’est seulement ainsi, à terme, qu’il retrouvera son humanité, ou du moins, qu’il pourra y tendre. Il pourra d’ailleurs remercier les personnes issues des minorités de lui permettre de cheminer vers son « déblanchiment ».

La vague woke semble tout emporter sur son passage. Il est pourtant nécessaire d’y résister vivement. On n’y parviendra qu’en arrivant à décrypter sa stratégie de manipulation du vocabulaire, qui nous fait basculer dans un monde parallèle, un monde rempli de définitions alternatives, qui sectionne le rapport au réel, et nous oblige à évoluer sous l’autorité d’idéologues accusateurs jugeant que ceux qui leur résistent méritent le bannissement social — on ne parle pas sans raison de cancel culture [culture du bâillon]. Mais cela implique aussi de ne pas se contenter d’opposer au wokisme une seule référence au sens commun. Devant une poussée idéologique violente, qui exerce une forme d’envoûtement sur les nouvelles générations, ne connaissant souvent pas d’autre langage que le sien, et qui sont intégralement socialisées par les réseaux sociaux, où le wokisme est dominant, il est nécessaire de retrouver les principes fondamentaux sur lesquels s’appuie la civilisation qu’il veut anéantir.



Ceci est une société inclusive




Il faut sauver le cours d’histoire occidentale

Sur la recommandation de ses fonctionnaires, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, s’apprête à abolir le cours d’initiation à l’histoire de la civilisation occidentale, cours actuellement obligatoire dans le programme de Sciences humaines.

Ainsi, à partir de 2023, la majorité des étudiants du programme ne seront plus initiés aux savoirs antiques et médiévaux. Terminé, donc, l’examen des contextes historiques qui ont donné naissance à la démocratie athénienne, à la pensée rationnelle, à la République romaine, au christianisme, à l’islam et à la féodalité. Le cours sera remplacé par un cours sur l’histoire du monde depuis le XVe siècle. La réaction de Mathieu Bock-Coté qui a raison d'inscrire ce mouvement d'effacement de la tradition occidentale dans un mouvement...occidental.

Faut-il continuer d’enseigner l’histoire occidentale aux étudiants inscrits en sciences humaines au cégep ?

Faut-il les mettre en contact avec les fondements de notre civilisation, qu’il s’agisse de la Grèce antique, de Rome ou du Moyen-âge ?

Ou faut-il en finir avec l’histoire occidentale pour se recentrer sur une histoire des siècles récents à l’échelle mondiale ?

Héritage 

Cette question, les autorités publiques responsables de l’éducation se la sont posée, et y ont tristement répondu, en sacrifiant l’histoire occidentale au collégial.

Officiellement, il s’agit d’un choix pédagogique pour raviver l’intérêt des jeunes pour l’histoire.

Dans les faits, on y verra un reniement de l’histoire occidentale, que plusieurs vont même jusqu’à juger discriminatoire, dans un monde qui n’en a plus que pour la « diversité ».

Ce sacrifice n’est pas exclusivement québécois : cette tendance est visible des deux côtés de l’Atlantique.

L’homme occidental se croit obligé de faire pénitence en multipliant les signes de contrition. Ultimement, c’est en sacrifiant jusqu’à la mémoire de ses origines qu’il passera enfin le test de la rédemption diversitaire.

L’homme occidental ne connaîtra de son passé désormais que la caricature qu’en font des idéologues hargneux qui ne veulent y voir que racisme, sexisme et esclavagisme.

On connaît déjà les effets de cet auto-dénigrement rituel sur notre vie publique : les jeunes générations sont élevées dans un environnement mental toxique les poussant à la haine de soi et les amenant à s’excuser sans cesse d’être ce qu’ils sont.

Connaissance

Mais la connaissance au sens le plus élémentaire du terme est sacrifiée aussi.

Comment comprendre l’histoire de la philosophie, de la démocratie, de la science, ou simplement celle de notre conception de l’être humain si nous nous coupons des sources de notre civilisation, de ses textes fondateurs ?

Danielle McCann devrait rappeler à l’ordre son ministère et sauver le cours d’histoire de la civilisation occidentale. Elle devrait en faire une affaire personnelle.


Instauration du couvre-feu pour les moins de 15 ans à Québec, le 17 mars 1944

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 17 mars 1944, les autorités de la Ville de Québec adoptaient le règlement 537 imposant un couvre-feu pour tous les enfants de moins de 15 ans. Il est à noter que la guerre n'était pas en cause.

On voulait simplement protéger ces enfants de la perdition. Ainsi, ils ne devaient pas se trouver en dehors du foyer familial entre 21h et 5h l'hiver (du 1er novembre au 31 mars) et entre 22h et 5h en été (du 1er avril au 31 octobre). Ce règlement avait entrainé un long débat, plusieurs échevins craignant qu'on ne transforme la ville en prison...

Même les pères de Saint-Vincent-de-Paul s'opposaient à ce règlement disant que leur Patro faisait un bon travail pour s'occuper des jeunes. Les parents des délinquants se voyaient imposer une amende de 2$ ou de deux jours d'emprisonnement et, pour toutes récidives, une amende de 5$ ou une journée d'emprisonnement. À chaque soir, 21 sirènes disséminées dans la ville sonnaient donc le couvre-feu. Il a fini par être aboli, mais les plus vieux se souviendront que jusqu'à la fin des années 1960, on entendait encore ces sirènes crier à tous les soirs.

Article du Soleil du 18 mars 1944