mercredi 17 mars 2021

Le décolonialisme consiste à « déblanchir » l'imaginaire occidental et à étendre sans cesse la notion de « racisme » en Occident

L’historien Pierre-André Taguieff, qui a forgé le concept d’islamo-gauchisme, répond aux critiques qui lui sont adressées. Et l’universitaire explique la rhétorique et les objectifs concrets du mouvement dit décolonial.

LE FIGARO. — Depuis les déclarations du ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal sur l’« islamo-gauchisme » les polémiques sur la question se multiplient. Que pensez-vous de la dernière en date à Sciences Po Grenoble ?

Pierre-André TAGUIEFF. — La chasse aux sorcières lancée contre de prétendus « islamophobes » à Sciences Po Grenoble est une nouvelle preuve que l’islamo-gauchisme existe et fait des ravages dans l’enseignement supérieur. Elle témoigne du fait que des étudiants et des enseignants se sont ralliés à la stratégie rhétorique des islamistes, ce qui relève de l’islamo-gauchisme. Car plus l’islamisme tue, et plus on dénonce l’islamophobie. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, les appels à « lutter contre l’islamophobie » se multiplient.

Le 4 mars 2021, sur un mur de l’Institut d’études politiques de Grenoble, un collage portait cette inscription accusatoire : « Des fascistes dans nos amphis. Tournier et Kinzler démission. L’islamophobie tue. » L’Unef a aussitôt reproduit sur son compte Twitter l’inscription accusatoire, mettant en danger les deux enseignants et les exposant à des menaces et des insultes sur les réseaux sociaux. Par ce geste, le syndicat étudiant a confirmé involontairement ses dérives islamo-gauchistes, observables depuis plusieurs années. Il témoigne aussi du fait inquiétant que, dans certains lieux universitaires, le terrorisme intellectuel règne, expression de la tyrannie des minorités, au nom de l’antifascisme et de l’anti-islamophobie. [Lire Afficher le nom des proscrits, c’est ainsi que mourut Cicéron en 43 av. J.-C.]

Professeur d’allemand à Sciences Po Grenoble, Klaus Kinzler est devenu suspect pour avoir déclaré qu’il voulait débattre sur l’emploi du mot « islamophobie », lors d’une « Semaine de l’égalité », au sein d’un groupe de travail intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme », auquel il s’était inscrit le 30 novembre 2020. Vouloir débattre sur cette question suffit à offenser les indignés et les « éveillés » permanents.  [Voir Prof de Sciences Po : « Le militantisme de gauche ne supporte plus ni la contradiction ni la science »]

Quant au politiste Vincent Tournier, il a été accusé d’« islamophobie » par l’Union syndicale de l’IEP de Grenoble, nouvelle milice idéologique, pour avoir assuré un cours intitulé « Islam et musulmans dans la France contemporaine » alors qu’il était soupçonné par ces étudiants d’extrême gauche d’être « islamophobe ». Les rumeurs malveillantes tiennent ici lieu de preuves.

L’accusation d’« islamophobie » n’est pas seulement diffamatoire et intimidante, elle équivaut à une légitimation d’éventuelles agressions, voire à une condamnation à mort. Il faut souligner l’inversion victimaire : des militants islamo-gauchistes qui lancent une chasse aux sorcières contre deux enseignants osent dénoncer avec indignation la « chasse aux sorcières islamophobe » qu’aurait lancée Frédérique Vidal, laissant ainsi entendre qu’il y aurait en France une « islamophobie d’État ».

La multiplication des accusations mensongères d’islamophobie dans l’espace universitaire nous rappelle que ces accusations illustrent la nouvelle méthode de diabolisation et de criminalisation des adversaires politiques, voués à l’exécration publique et à la mort sociale.

— Dans le nouveau grand clivage idéologico-politique opposant les anti-islamistes aux anti-islamophobes, ne sommes-nous pas en train de vivre un tournant ?

— Ce clivage émergent, impliquant un fort investissement émotionnel dans les attitudes face à l’islam et à l’islamisme, tend à marginaliser et affaiblir le vieux clivage droite/gauche, du moins dans le monde des élites culturelles. L’engagement dans la « lutte contre l’islamophobie » est devenu un trait majeur de l’identité politique de gauche en même temps, et contradictoirement, un puissant facteur de division de la gauche. Mais le terme politique et polémique d’islamophobie est équivoque, en ce qu’il confond stratégiquement critique d’une religion, rejet d’une idéologie de conquête (ce qu’est l’islamisme) et « racisme ». Et surtout, ce terme stigmatisant fonctionne comme une injure. Les anti-islamophobes jouent sur cette confusion sémantique et cette indétermination conceptuelle dans leurs accusations militantes. « Islamophobie » est un mot-piège : il incite à confondre islamistes et musulmans [ou gens issus de pays musulmans, mais qui ne sont peut-être plus pratiquants, c’est l’aspect racialiste], et sa visée est de séparer musulmans et non-musulmans.

Quant aux anti-islamistes, ils voient nécessairement dans les islamo-gauchistes des adversaires politiques. Rappelons qu’un islamo-gauchiste est un gauchiste (ou un « extrémiste de gauche ») qui milite avec certains islamistes avec lesquels il a noué des alliances, éprouve de la sympathie pour certaines causes défendues par les islamistes ou justifie des actions terroristes commises par des islamistes en les présentant comme le « dernier recours » des « opprimés ». La dénonciation de l’islamophobie est le principal geste partagé par les islamistes et les islamo-gauchistes.

Ces derniers sont islamophiles pour diverses raisons : l’islam serait « la religion des pauvres » ou des nouveaux « damnés de la terre », les musulmans seraient les victimes d’un « racisme d’État », d’une « islamophobie d’État » ou de « discriminations systémiques », l’islamisme serait porteur d’un « potentiel révolutionnaire » justifiant qu’on puisse passer des alliances avec certains activistes islamistes, etc. Dans ce dernier cas, les « islamo-gauchistes » doivent être qualifiés d’« islamismophiles ». Le jihad interprété comme une forme de résistance armée à l’impérialisme et au colonialisme, quoi de plus séduisant pour une extrême gauche anti-impérialiste ?

L’opposition entre « islamophobie » et « islamo-gauchisme » est faussement claire. Il y a de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de nos libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ?  C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes, suivis par les gauchistes qui ont pris leur parti. Ces citoyens sont en vérité hostiles à l’islamisme, et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans. Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion. [Taguieff pense qu’il y a une différence essentielle entre l’islam et l’islamiste. Rappelons que, pour le poète kabyle Ferhat Mehenni, l’islam, c’est l’islamisme au repos, et l’islamisme, c’est l’islam en action. Ce n’est pas alors une différence d’essence, mais d’intensité, de dynamisme, de moment.]

— En quoi les idéologues du décolonialisme convergent-ils avec les islamistes ?

— Il faut souligner la convergence du discours islamiste intellectualisé de style frériste et du discours décolonial — nouveau catéchisme révolutionnaire de l’extrême gauche —, qui fabriquent du ressentiment dans les populations issues de l’immigration par la dénonciation hyperbolique des « crimes du colonialisme ». Accuser en permanence la France de « crimes contre l’humanité » et de « racisme », c’est produire de la conflictualité ethnicisée et de la volonté de revanche ou de vengeance chez ceux qu’on arrive à convaincre qu’ils sont les éternels « indigènes de la République », et entreprendre de culpabiliser les Français dits « de souche », « blancs », « mécréants » ou « racistes ».

Les idéologues du décolonialisme rejoignent les islamistes dans leur haine vertuiste de l’humour, de l’ironie et de la satire, une haine qui se traduit par la « cancel culture » [culture du bâillon], cette culture de l’élimination de tout ce qui censé « choquer » ou « blesser » les membres d’un groupe supposé discriminé, dominé ou « racisé ». La passion moralisatrice de ces minorités actives, dans lesquelles se croisent gauchistes et islamistes, c’est la haine de la liberté intellectuelle et de la libre création.

Pour comprendre les liens entre le décolonialisme, l’islamisme et l’islamo-gauchisme, il faut partir de la convergence entre l’anticapitalisme (marxiste), l’anti-occidentalisme (islamiste) et l’antiracisme anti-Blancs (décolonialisme). Comme les islamistes, les propagandistes décoloniaux tendent à réduire le racisme à l’islamophobie, considérée par les islamo-gauchistes comme le racisme qu’il faut aujourd’hui combattre prioritairement. Depuis les années 1930, au moment où surgissait l’alliance islamo-nazie, les islamistes ont habilement utilisé l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme pour faire basculer dans leur camp les nationalistes arabes.

Les idéologues du décolonialisme se sont emparés de cette thématique anti-impérialiste, dont on trouve des traces dans le tiers-mondisme, puis dans l’altermondialisme, pour réduire les sociétés occidentales à des sociétés inégalitaires structurées par les oppositions dominants/dominés et racisants/racisés, héritage supposé indépassable du colonialisme. Ils incriminent les « sociétés blanches », accusées de « racisme d’État », mais font silence sur les sociétés « non blanches ».

— Le décolonialisme est-il en train de remplacer le marxisme à l’extrême gauche ?

— Le décolonialisme est un projet utopique global de refonte de l’ordre social, impliquant une critique radicale de l’hégémonie dite « occidentale » ou « blanche » et la volonté d’y mettre fin. On peut y voir une reformulation du projet révolutionnaire communiste, qui visait l’instauration d’une société sans classes. L’utopie perfectibiliste du décolonialisme a pour objectif de créer une nouvelle société sans discrimination (de race, de genre, etc.) au terme d’une « décolonisation » des représentations et des croyances, des savoirs, des pratiques et des institutions. 

[Nous ne sommes pas convaincus que le décolonialisme vise à créer une société sans discrimination, ou alors uniquement à très long terme, un terme peut-être jamais atteint. Le décolonialisme tend surtout à assurer des places dans deux domaines pour les « racisés », en usant de la culpabilisation des blancs. D’une part, des chasses gardées pour les racisés, places auxquelles les méchants blancs ne pourraient prétendre, car ce serait de l’appropriation culturelle. D’autre part, imposer la « diversité » dans des domaines historiquement blancs (des noirs qui jouent des figures historiques blanches dans les films par exemple) au nom de l’ouverture, de l’antiracisme, de réparations pour le colonialisme, de l’instauration d’une société « daltonienne », inclusive, etc. C’est la nouvelle mouture du « tout ce qui est à moi reste à moi, tout ce qui est à toi est négociable ».]

La « décolonisation » généralisée s’accomplit à travers une mise en accusation permanente et systématique des supposés « dominants » et « racisants », ces bénéficiaires du « privilège blanc » voués à être dénoncés publiquement, isolés et sanctionnés.

Ses armes conceptuelles sont la « déconstruction » qui ne s’applique qu’à la « pensée blanche », la notion floue de « racialisation » (ou d’« assignation racialisante ») qui permet de voir du racisme partout dans le camp de l’adversaire, l’« intersectionnalité » (nom pseudo-savant du banal croisement et cumul des désavantages sociaux, réduits pour l’essentiel aux effets de la race et du genre) et le « racisme systémique », cette force mystérieuse qui possède la vertu de multiplier les racistes sans le savoir, de structurer les attitudes, les comportements et les fonctionnements institutionnels. Dans la langue de bois décoloniale, on dénonce les « processus de racialisation », qui consistent à réduire un individu à une catégorie associée à des stéréotypes négatifs. La « racialisation » présente l’avantage d’étendre indéfiniment le champ du racisme et donc le nombre des « racisés », selon les exigences du nouveau combat révolutionnaire dans lequel l’« antiracisme » dit « politique » joue un rôle majeur.

En attendant le nouveau Grand Soir, ce moment rêvé de la décolonisation totale qui permettra d’entrer dans l’âge post-discriminatoire et post-raciste, la politique décoloniale consiste à « déblanchir » l’imaginaire social et le champ culturel, à démanteler tous les héritages de l’« hétéro-patriarcat » et à systématiser le recours à la « discrimination positive », ce qui implique de privilégier, dans l’accès aux postes et aux places, les membres des catégories reconnues comme victimes de « discriminations systémiques ». Cette politique de discrimination inverse est menée officiellement sous le drapeau de la « diversité » et de l’« inclusivité ».

— Votre dernier livre s’intitule : Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme. N’est-ce pas prendre le risque de l’amalgame de traiter ces deux questions en même temps ?

Non, car le sous-titre n’est pas « De l’islamo-nazisme à l’islamo-gauchisme ». Je distingue clairement les deux phénomènes idéologico-politiques et ne suppose pas l’existence d’une continuité entre eux. Qu’on puisse relever des analogies ou des thèmes communs dans les couplages entre les islamistes et leurs alliés d’extrême droite ou d’extrême gauche est une autre question. Par exemple, la haine des Juifs, sous ses différentes formes (du racisme antijuif à l’antisionisme radical), se rencontre dans l’islamo-nazisme comme dans l’islamo-gauchisme.

Source : Le Figaro

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Afficher le nom des proscrits, c'est ainsi que mourut Cicéron en 43 av. J.-C.

Stéphane Ratti est agrégé de lettres classiques et professeur à l’université de Bourgogne–Franche-Comté, rappelle que la mise en accusation publique, par un syndicat étudiant, de deux professeurs de Sciences Po Grenoble évoque un sombre épisode de l’histoire romaine, raconte l’historien de l’Antiquité.

L’assassinat de Cicéron après l’inscription de son nom sur les tables funestes de la proscription

Des placards affichés sur les murs de Sciences Po Grenoble ont porté de graves accusations de racisme contre deux professeurs de l’établissement dont ils donnent les noms. Une partie de la presse appelle cela un « collage nominatif », un admirable euphémisme. En réalité cette pratique porte un nom tiré de l’histoire romaine, celui de « proscription », ou affichage public du nom d’une victime proscrite, c’est-à-dire exclue de la cité.

C’est au cours de deux épisodes paroxystiques du Ier siècle avant notre ère que le phénomène apparut, avant de disparaître complètement sous l’Empire romain. La République romaine connut à cette période deux crises majeures : la prise du pouvoir par le dictateur Sylla en 82 avant J.-C. et, quelques décennies plus tard, le partage du pouvoir entre trois ambitieux généraux, Antoine, Octave (le futur empereur Auguste) et Lépide.

On inscrivait à la peinture sur de hautes planches de bois blanchies à la chaux les noms de ceux dont on voulait se débarrasser. Ces affiches étaient placées non pas au forum, mais sur les lieux mêmes où l’on placardait d’ordinaire pour publicité les actes officiels. On invita les délateurs à collaborer et l’on offrit jusqu’à 100 000 sesterces pour la dénonciation d’un homme libre : c’était une somme très importante puisqu’un esclave valait environ 2000 sesterces et que le revenu moyen par tête à cette époque est estimé entre 300 et 400 sesterces. En ces périodes troublées, tout le monde attendait avec impatience, à Rome, les nouvelles listes quotidiennes de victimes et leurs noms supplémentaires. L’historien grec Dion Cassius rapporte que la foule se précipitait et « se pressait pour les lire tout comme si elles contenaient l’annonce d’une bonne nouvelle ».

Naturellement la pratique était parfaitement illégale, en contradiction avec les usages judiciaires romains très codifiés. C’est donc un décret exceptionnel, pris par le triumvirat autoproclamé le 23 novembre de l’année 43 avant J.-C., qui l’autorisa. Il faut lire les attendus de ce décret que l’historien grec Appien nous a heureusement conservé. Ses auteurs, Antoine et Octave, se drapent dans les oripeaux de la vertu offensée et prétendent, toute honte bue, avec une hypocrisie consommée, agir de la sorte afin de venger le meurtre de César, tombé sous les poignards de Brutus et Cassius l’année précédente. Ils avancent aussi, pour justifier l’illégalité du décret, que le climat politique du moment est délétère et qu’il s’agit « de remettre la République sur le droit chemin », bref de poursuivre une œuvre de redressement moral rendu nécessaire par les troubles que connaît l’État.

De nombreux historiens modernes sont restés longtemps très discrets sur un épisode aussi peu flatteur pour Rome et il a fallu attendre la thèse magistrale de François Hinard sur les proscriptions, parue en 1985, pour que le silence soit brisé. Cette gêne s’explique peut-être par le désir de ne pas ternir la mémoire du grand Auguste, le fondateur du principat (qui régna de 27 avant J.-C. à 14 après J.-C.) qui était l’homme fort du triumvirat, le héros de Virgile et d’autres écrivains qui avaient rallié son camp, qu’il aurait été dommageable de présenter comme l’auteur d’une véritable épuration. Ainsi les arguments des historiens anciens (tous, depuis Tite-Live, favorables à Auguste) ont pendant des siècles été acceptés par les Modernes : Auguste aurait rétabli l’ordre et sans ses mesures sévères (pour le moins), l’État romain ne se serait pas remis des guerres civiles et la paix civile était à ce prix. Orose encore, au début du Ve siècle, écrit ainsi que l’on proscrivit une grande partie des sénateurs « pour empêcher qu’un massacre aveugle ne s’étende et ne se déchaîne ». Curieuse justification de la violence civile par ce disciple de saint Augustin !

Le proscrit perdait ipso facto non seulement sa réputation, mais encore tous ses droits civiques et était désormais considéré comme un étranger. L’inscription sur ces listes funestes ouvrait la voie légalement à une exécution sans procès, un geste que quiconque était autorisé à accomplir de sa propre main. Il était interdit de porter secours à un proscrit. Leurs biens étaient vendus et devenaient partiellement la propriété de l’exécuteur. La vengeance politique et personnelle avait effacé toute justice.

On débat encore du nombre de victimes de la proscription de l’année 43. Orose, déjà cité, parle de 132 sénateurs, François Hinard, se fondant sur Plutarque, estime le nombre total de victimes, en moins de deux ans, à 520 chevaliers et sénateurs. Jérôme Carcopino avait ainsi pu parler de « l’abattoir des proscriptions ». On égorgeait la plupart du temps les malheureux, ce qui signifie qu’on les décapitait à la hache, la tête tranchée servant de preuve en vue du versement de la récompense. Ce châtiment était en soi ignominieux, puisque la dépouille ainsi mutilée priverait à jamais le malheureux d’une sépulture digne de ce nom et donc du repos dans l’au-delà.

La victime la plus fameuse de la proscription de l’année 43 fut Cicéron lui-même. Il fut inscrit sur les listes funestes sur ordre d’Antoine avec l’accord d’Octave. Sa tête fut exposée sur le forum : elle était coupable d’avoir réfléchi aux risques de la dictature. Ses mains coupées furent offertes à la vue du peuple : elles étaient coupables d’avoir chanté la liberté et vanté la république. On connaît le nom de son assassin, de celui qui trancha la tête du plus grand intellectuel de ce temps. Mais on ne le publiera pas ici. Il avait été défendu par Cicéron dans une affaire de parricide.


L’épouse de Marc Antoine Fulvie joue avec la tête décapitée de Cicéron, exécuté sur ordre de son mari. Elle aurait transpercé la langue de Cicéron de plusieurs épingles pour se venger de sa puissance oratoire

À Columbia, des célébrations de remise de diplôme séparées selon l'origine ethnique ou autre des étudiants

Après les traditionnelles cérémonies de remise de diplôme, l’université new-yorkaise organisera ce week-end des événements séparés selon l’identité ethnique, sexuelle, ou même selon le niveau de revenu des étudiants. La participation à ces cérémonies séparées ne sera, toutefois, pas obligatoire : des étudiants « racisés » ou LGBTQ2SAI+ pourront toujours participer à la cérémonie de remise de diplôme commune à tous.

L’Université de Columbia est une université privée située dans le nord-ouest de Manhattan, à New York. C’est un communiqué publié sur le site de l’université new-yorkaise qui a mis le feu aux poudres, déclenchant de vives critiques dans la presse conservatrice américaine. Cette année, Columbia University s’apprête en effet à organiser des célébrations de remise de diplôme séparées, en fonction notamment de l’origine ethnique des étudiants ou d’autres critères identitaires. « En l’honneur des diverses communautés étudiantes de Columbia et en complément des cérémonies de remise de diplôme de l’Université, nous sommes heureux de proposer également des célébrations multiculturelles, afin d’offrir un cadre plus intime à nos étudiants qui s’auto-identifient de différentes manières. Ces événements permettent aux membres de chaque communauté de prendre davantage conscience des expériences identitaires et communautaires qui ont influé sur leur vie étudiante, depuis leur entrée sur le campus jusqu’à la remise de leur diplôme. » Les étudiants sont invités à participer à l’une ou plusieurs de ces « célébrations » virtuelles organisées en vidéoconférence, et qui auront lieu ce dimanche soir 21 mars. L’Université précise en outre qu’elles seront enregistrées et diffusées ensuite sur Internet.

Dans le détail, le site d’information américain USA Today croit savoir que parmi les différents événements proposés aux étudiants, quatre au moins seront différenciés selon l’appartenance ethnique (« Native, Asian, Latino, Black graduations »), l’attirance sexuelle (avec une célébration réservée aux LGBTQ) ou une encore en fonction du niveau de richesse, puisque l’université prévoirait un événement dédié aux étudiants ayant un faible niveau de revenus.

Cette nouvelle a fait vivement réagir certains commentateurs, à l’instar de l’éditorialiste conservatrice Candace Owens, selon qui cette initiative « réhabilite la ségrégation raciale en la maquillant sous une politique inclusive et diversitaire. »


Et même de ce côté-ci de l’Atlantique, cette initiative n’a pas manqué de faire bondir des universitaires, comme l’historien Éric Anceau, maître de conférences à la Sorbonne, qui a écrit sur son compte Twitter ce matin : « Le Ku Klux Klan en rêvait et Columbia l’a fait ! »

 

La pratique n’est à vrai dire pas tout à fait inédite : à Georgetown University, mais aussi dans des universités du Texas ou de Portland, ce genre d’événements séparés selon une logique identitaire ou communautaire font déjà partie de la vie étudiante. La direction de Columbia a quant à elle réagi sur son compte Twitter devant le tour polémique que prenait son initiative, rappelant que ces célébrations multiculturelles « sont ouvertes à tous les étudiants ».