dimanche 19 octobre 2025

Le retour de la religion chez les intellectuels

Une succession d'auteurs et d'intellectuels renommés, autrefois réfractaires à la religion, se tournent vers le christianisme ou y reviennent.

Il y a une génération, les nouveaux athées faisaient fureur. Sam Harris dans La Fin de la Foi : Religion, Terreur et l’avenir de la raison (éd. Calmann-Lévy, 2005) et Christopher Hitchens dans divers essais ont établi un lien direct entre les croyances religieuses et les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le best-seller international de Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu (2006 en anglais), affirmait sans détour que la religion était responsable de la plupart, sinon de la totalité, des maux causés par l'homme dans le monde. (Le livre était basé sur son documentaire de la même année, The Root of All Evil ?) Breaking the Spell (2006) de Daniel Dennett prétendait expliquer la religion en termes de biologie évolutive. Dieu n’est pas grand (2007 en anglais) de Hitchens faisait la même affirmation, avec son sous-titre peu subtil : comment la religion empoisonne tout.

Depuis, les nouveaux athées ont pratiquement disparu. Hitchens est décédé d'un cancer de l'œsophage en 2011. Les autres intellectuels incroyants ont continué à écrire et à publier, mais leurs déclarations semblaient faire moins de bruit.

Je situe le tournant au printemps 2009, lorsque A.N. Wilson a déclaré qu'il était revenu au christianisme. Le journaliste et biographe britannique était alors depuis deux décennies une épine dans le pied du christianisme anglophone. En 1990, il avait publié une biographie de C.S. Lewis qui se moquait pratiquement de la foi de Lewis. « Against Religion » (littéralement Contre la religion) est paru l'année suivante. Parmi ses ouvrages suivants, on peut citer « Jesus: A Life » (Jésus : une vie) (1992) et « Paul: The Mind of the Apostle » (Paul : l'esprit de l'apôtre) (1997). Le ton de M. Wilson était si impérieux et son attitude envers le christianisme si arrogante qu'une blague circulait selon laquelle son prochain livre s'intitulerait Dieu : une autobiographie. Et pourtant, le voilà qui écrivait dans le magazine de gauche New Statesman, se déclarant chrétien reconverti.

La chute de l'athéisme après ce pic de popularité momentané était en quelque sorte inexorable : après l'annonce qu'il n'y a pas de Dieu, pas d'au-delà et aucune autorité au-delà du présent, que reste-t-il à dire ?

Pendant ce temps, une succession d'auteurs et d'intellectuels célèbres, autrefois indifférents à la religion, sont soit revenus au christianisme, comme Wilson, soit l'ont embrassé à nouveau. En 2016, le classiciste et historien britannique Tom Holland, qui écrivait alors un livre sur la façon dont l'Occident était devenu irrévocablement chrétien dans ses habitudes et sa vision du monde – le livre, publié en 2019, s'intitulerait  Les chrétiens: comment ils ont changé le monde (éd. Saint-Simon) –, a annoncé qu'il s'était trompé sur le christianisme. Selon lui, cette religion est la raison pour laquelle « la plupart d'entre nous qui vivons dans des sociétés post-chrétiennes continuons à considérer comme acquis qu'il est plus noble de souffrir que d'infliger des souffrances. C'est pourquoi nous partons généralement du principe que toutes les vies humaines ont la même valeur ». M. Holland a depuis déclaré qu'il assistait à des offices chrétiens.

Ayaan Hirsi Ali, après avoir rejeté l'islam de sa jeunesse et proclamé son incroyance en Dieu – elle a publié Insoumise en 2006 (2007 en français) –, a été pendant un certain temps considérée comme la nouvelle athée. Elle a annoncé sa conversion au christianisme en 2023. Peu après, son mari, l'historien britannique Niall Ferguson, a déclaré avoir fait de même.

Des phénomènes culturels similaires se sont succédé à un rythme soutenu. Jordan Peterson, psychologue et intellectuel canadien, s'exprime comme s'il était sur le point d'embrasser la foi chrétienne ; voir son dernier livre, Nous qui luttons avec Dieu : Considérations sur le divin. En 2024, M. Dawkins lui-même, sans pour autant professer de croyance religieuse, a déploré l'influence croissante de l'islam dans la vie britannique et s'est déclaré « chrétien culturel ». Paul Kingsnorth, journaliste britannique, romancier et parfois écologiste radical, s'est récemment converti au christianisme orthodoxe.

Il est difficile de savoir ce que tout cela signifie, si ce n'est que l'athéisme est trop ennuyeux pour retenir l'attention des personnes cultivées pendant plus de quelques années. Je suis conforté dans cette opinion par la publication de « Taking Religion Seriously » (littéralement Prendre la religion au sérieux) de Charles Murray. Avec ce petit ouvrage, M. Murray, chercheur à l'American Enterprise Institute, rejoint la liste des intellectuels anciennement agnostiques ou athées.

Il est l'auteur de deux des ouvrages les plus prémonitoires sur la politique et la société américaines publiés au cours des cinquante dernières années, « Losing Ground » (1984) et « Coming Apart » (2012). Le premier montrait que l'État providence américain ne contribuait guère à réduire la pauvreté, mais plutôt à la perpétuer. Le second documentait la situation paradoxale dans laquelle les pauvres américains vivent selon les valeurs contre-culturelles (hédonistes, antifamiliales) que leur enseignent les élites, tandis que ces dernières adhèrent aux conceptions traditionnelles du travail et du mariage.

M. Murray, 82 ans, est également l'auteur de La courbe de Bell : intelligence et classe dominante aux États-Unis (1994, 1996 en français), coécrit avec Richard Herrnstein, et de « Human Accomplishment » (2003). Le premier de ces ouvrages, qui décrivait et déplorait la montée d'une « élite cognitive » dans la vie américaine, a suscité une controverse massive et largement mal informée en raison d'un chapitre sur la race et le QI (écrit par Herrnstein, décédé avant la publication). Ces deux livres sont des ouvrages universitaires impressionnants qui combinent un raisonnement analytique froid et un souci ardent du développement humain.

Mais il est juste de dire que ni l'un ni l'autre ne conduirait quiconque à confondre M. Murray avec un croyant religieux. Il a tendance à accepter les prémisses de la psychologie évolutionniste autrement que ne le font généralement les personnes religieuses. Son livre « Human Diversity » (2020), bien qu'il critique à juste titre l'habitude libérale de blâmer le racisme et le sexisme pour toutes les formes d'inégalité, confère une plus grande importance aux traits génétiques qu'une personne profondément religieuse ne le ferait normalement.

Le titre plutôt aride de son dernier ouvrage m'avait laissé penser qu'il s'agirait d'une défense austère de la religion en général. Je me trompais. Ce livre est un récit très personnel et très accessible d'un changement profond dans la vision du monde de l'auteur : un changement qui s'est opéré progressivement au fil des décennies, mais qui s'est récemment transformé en une sorte de foi chrétienne hésitante et sans artifice.

Quoi qu'on puisse dire d'autre à propos de M. Murray, on ne peut l'accuser de malhonnêteté ou de lâcheté. Il a tendance à dire ce que beaucoup d'autres écrivains et universitaires savent, mais ne peuvent pas dire ou ne peuvent pas dire clairement et sans mille réserves. Il a souvent été catalogué comme idéologue dans les organes libéraux, mais c'est tout à fait faux : en lisant les ouvrages de M. Murray – cela est particulièrement vrai dans « Losing Ground » et « Coming Apart » –, on a souvent l'impression que l'auteur préférerait tirer des conclusions différentes, mais qu'il ne peut pas le faire au vu des preuves.

« Taking Religion Seriously » est, en ce sens, typique de son auteur. M. Murray ne cherchait pas à adhérer à une croyance religieuse. Son épouse, qu'il vénère manifestement, est une quaker qui ne se soucie guère des questions factuelles qui le préoccupent dans ce livre. La principale d'entre elles est la suivante : Jésus de Nazareth a-t-il vaincu la mort ou non ?

La conversion de M. Murray, si c'est bien de cela qu'il s'agit, a commencé au début des années 2000, lorsqu'il a lu quelques récits théoriques sur les origines de l'univers, parmi lesquels « Just Six Numbers » (1999) de Martin Rees. Les conditions nécessaires au soi-disant big bang étaient si improbables que, selon M. Murray, tout ce processus, quel que soit le moment où il s'est produit, ressemblait beaucoup à ce que les chrétiens appellent la création. « Je n'arrive pas à croire que je pense cela », se souvient-il avoir réfléchi, « mais c'est la seule explication plausible » — ce « ce » faisant référence à l'origine divine de toute chose.

D'autres livres ont troublé sa conscience. Un ami chrétien, à qui M. Murray avait demandé comment il était venu à la foi, a cité Les Fondements du christianisme de C.S. Lewis. L'argument de Lewis selon lequel Jésus n'aurait pas pu être un « grand maître moral » s'il n'était pas le Fils de Dieu, comme il le prétendait, a retenu l'attention de M. Murray. La réponse habituelle — que les Évangiles ne rapportent pas ce que Jésus a dit et fait, et que la croyance en sa divinité est une invention beaucoup plus tardive — a conduit M. Murray à lire toute une série d'ouvrages sur les origines des quatre Évangiles. (Dans une série de vignettes, « Taking Religion Seriously » (litt. Prendre la religion au sérieux) énumère tous les livres que l'auteur a lus au cours de son parcours de l'agnosticisme à la croyance.)

L'un de ces livres sur la formation des Évangiles est peut-être le plus important de tous : « Jésus et les témoins oculaires » (2006, non traduit en français) de Richard Bauckham, un ouvrage densément documenté et impartial qui soutient que les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) sont plus ou moins ce qu'ils prétendent être : des récits de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, compilés à partir des témoignages de témoins oculaires. M. Murray a également lu d'éminents comptes rendus critiques des Évangiles, notamment les livres de Bart Ehrman, qui rejettent toutes les affirmations surnaturelles, et n'a pas été très impressionné.

Ces derniers ouvrages, conclut M. Murray, croulent sous le poids des questions sans réponse. Parmi ces questions : si l'idée de la divinité de Jésus est une invention tardive, comme le supposent tous les spécialistes critiques de la Bible, comment se fait-il qu'aucun livre du Nouveau Testament ne fasse allusion à l'événement le plus cataclysmique du judaïsme antique, la destruction du Second Temple en 70 après J.-C. ? Jésus prédit sa destruction dans les Évangiles, ce qui a été interprété comme une insertion ultérieure visant à le faire passer pour un prophète, mais devons-nous croire qu'aucune mention de la destruction effective du temple n'aurait alors jamais été inséré dans aucun livre du Nouveau Testament [si la rédaction de celui-ci est tardive]?

Et pourquoi les Actes des Apôtres se terminent-ils en laissant le lecteur sur sa faim quant au sort des deux personnages les plus importants, alors que nous savons qu'ils sont morts en martyrs ? « Si les gens ont continué à étoffer et à modifier les livres du Nouveau Testament comme le prétendent les révisionnistes, se demande M. Murray, pourquoi personne n'aurait-il ajouté quelques lignes à la fin des Actes pour mentionner la mort de Paul et de Pierre ? » La réponse la plus plausible, bien sûr, est que le récit de Luc a été achevé avant leur mort et que personne, au cours des décennies suivantes, n'a osé le modifier. Et le plus déroutant de tout : pourquoi les disciples de Jésus sont-ils morts en affirmant qu'il était ressuscité des morts alors qu'ils n'avaient ni espéré ni prévu une telle chose au départ, s'ils savaient que cela ne s'était jamais produit ?

Lire Charles Murray sur l'historicité des Évangiles ne figurait pas, inutile de le dire, en tête de ma liste d'attentes pour 2025. Et pourtant, c'est le cas.

En fin de compte, M. Murray aborde toute cette question moins en tant que croyant qu'en tant que spécialiste des sciences sociales, évaluant les probabilités et nuançant ses conclusions. Concernant l'étrange certitude des apôtres que Jésus était ressuscité, M. Murray écrit qu'il est seulement sûr que « quelque chose de transformateur est arrivé aux apôtres et aux autres disciples de Jésus peu après la crucifixion, et que cette chose a permis aux apôtres de convaincre très rapidement de nombreuses personnes » (c'est lui qui souligne). Il écrit qu'il a « récemment acquis la conviction que l'au-delà est une possibilité réaliste » – une formulation qu'un croyant ordinaire n'utiliserait pas – et observe qu'il « n'a peut-être pas le don de la foi ».

Peut-être pas, mais il est assez clair que quelque chose lui est arrivé.

Source : Wall Street Journal

Taking religion seriously

Par Charles Murray
Publié par Encounter, 
200 pages,  29,99 $ US

Présentation de l'éditeur

« Des millions sont comme moi quand il s'agit de religion : des gens bien éduqués et prospères pour qui la religion n'a pas été pertinente », écrit Charles Murray. « Pour eux, je pense que j'ai une histoire qui vaut la peine d'être racontée. » Prendre la religion au sérieux est le récit autobiographique de Murray d'une évolution de plusieurs décennies dans sa position vers l'idée de Dieu en général et du christianisme en particulier. Il soutient que la religion est quelque chose qui peut être abordé comme un exercice intellectuel. Son récit passe de la physique improbable du Big Bang à des découvertes récentes sur la nature de la conscience ; de la psychologie évolutionniste aux hypothèses sur une loi morale universelle. Son exploration du christianisme plonge dans la paternité des Évangiles, la fiabilité des textes qui survivent et l'érudition entourant l'histoire de la résurrection. Murray, l'auteur de Coming Apart et coauteur de Courbe de Bell, n'écrit pas en tant qu'expert. « Si vous prenez la religion au sérieux pour la première fois, vous êtes confronté au même problème que moi : nous sommes obligés de décider ce que nous faisons d'une grande variété de sujets que nous n'avons pas la possibilité de maîtriser ». Il offre son exemple personnel du fonctionnement du processus. « Peut-être que Dieu a besoin d'un moyen d'atteindre des agnostiques suréduqués et c'est ce dans quoi je suis tombé », écrit-il. « C'est un processus plus aride que la révélation divine, mais il a été gratifiant. Et si vous êtes comme moi, c'est le seul jeu en ville. »
 
Voir aussi 
 
 
 
 

Nlle-Calédonie — Les communards se portèrent volontaires pour mater la révolte indigène

Après la chute du second Empire et l’écrasement de la Commune en 1871, quelque 5000 condamnés, parmi lesquels Henri Rochefort et Louise Michel, sont envoyés aux antipodes, sur l’île Nou et l’île des Pins. Ils rejoignent plusieurs centaines de Kabyles déportés après la révolte du bachaga Mokrani, en 1871. Amnistiés au terme d’une décennie, les premiers vont retourner en France, les seconds, qui finiront pardonnés, feront souche.
En juin 1878, des massacres de colons, atrocement mutilés, sèment la panique et font douter de la viabilité de la colonie. Des clans canaques tirent prétexte de la divagation du bétail sur leurs cultures vivrières pour déclencher une révolte sanglante. Pendant plusieurs mois, des bandes armées sèment la terreur dans l’arrière-pays. On recense 200 morts chez les Européens. À Nouméa, l’effroi est tel que des armes sont distribuées aux condamnés. Les communards, quoique issus de l’extrême gauche politique, se portent volontaires pour mater la révolte canaque. Seule Louise Michel soutient les insurgés.

Mais c’est le ralliement, à l’instigation du lieutenant de vaisseau Jules Servan, des guerriers du chef Nondo, de Canala, qui permet l’écrasement de l’insurrection. Ces derniers vont tuer le chef rebelle Ataï, lui couper la tête, envoyée à Paris au musée d’Ethnographie : la restitution du crâne du chef et de celui de son sorcier Andja à la Nouvelle-Calédonie n’est intervenue qu’en septembre 2014… Des pièces qui ont été volées en juillet 2024 lors des troubles qui ont frappé l’archipel.


Source :Valeurs Actuelles