jeudi 11 juin 2020

Nouvelle traduction « antiraciste » d'Autant en emporte le vent

La couverture de la nouvelle traduction linguistiquement correcte
Cette nouvelle traduction, qui sort ce jeudi, permet de revisiter une œuvre superbe et flamboyante, mais aussi jugée par beaucoup terriblement datée et scandaleuse dans sa façon de décrire les rapports raciaux dans le Sud esclavagiste.

Hasard de calendrier : alors que le classique du cinéma Autant en emporte le vent a été retiré temporairement de HBO Max, le temps d’ajouter « de la contextualisation » politiquement correcte à ce film jugé raciste par de nombreux universitaires militants, une nouvelle traduction de l’œuvre originale de Margaret Mitchell paraît ce jeudi aux petites éditions Gallmeister.

Publiée en deux volumes (720 pages chacun), en format poche, cette nouvelle version a nécessité un an de travail et « de recherches » de la part de la traductrice Josette Chicheportiche qui a eu la difficile tâche de revisiter une œuvre superbe et flamboyante, surannée, mais considérée par certains militants comme scandaleuse dans sa façon de décrire les rapports raciaux dans le Sud esclavagiste.

Fresque intemporelle sur l’amour et la guerre, Autant en emporte le vent raconte l’histoire de Scarlett O’Hara, fille de riches propriétaires sudistes, qui va voir son monde s’effondrer avec la guerre de Sécession qui ravage le Sud. Réfugiée à Atlanta à la suite d’un chagrin d’amour, elle y croisera l’aventurier Rhett Butler, avec qui elle partagera une passion tragique...


« J’ai essayé d’avoir un style chantant »

Dans la version française éditée depuis 1939 par Gallimard, le traducteur « historique » de Margaret Mitchell, Pierre-François Caillé (1907-1979) avait choisi de faire parler les Noirs de la plantation de façon caricaturale remplaçant notamment les sons « r » par une apostrophe. Ce que la nouvelle traductrice Josette Chicheportiche a décidé d’enlever :
« On part du principe que les Noirs peuvent prononcer le “r”. Je trouve ça quand même incroyable de virer les “r” et de les remplacer par des apostrophes », a-t-elle indiqué à BFMTV. « J’ai regardé comment Maupassant ou George Sand faisaient parler les paysans et j’ai essayé d’avoir un style chantant, un peu musical dans leur façon de parler. »

Dans la version française éditée depuis 1939 par Gallimard, le traducteur « historique » de Margaret Mitchell, Pierre-François Caillé (1907-1979) avait choisi de faire parler les Noirs de la plantation en imitant l’accent antillais.
« C’est-y la bonne de vot'enfant ? Ma'ame Sca'lett, elle est t’op jeune pou' s’occuper du fils de missié Cha'les ! »,
dit ainsi un personnage noir dans la version de 1939 (page 180). Sous la plume de Josette Chicheportiche cela devient :
« C’est la nurse de vot'enfant ? Ma'ame Scarlett, l’est trop jeune pour s’occuper du seul bébé de m’sieur Charles ! »
L'original anglais est pourtant très « dialectal », très petit nègre :


Parallèlement à la sortie de la nouvelle version du roman politiquement correct, Gallimard publie également jeudi, dans sa collection de poche Folio, une nouvelle édition en deux volumes de l’unique livre de Margaret Mitchell. Les lecteurs y retrouveront la traduction de Pierre-François Caillé, mais découvriront aussi une partie de la correspondance inédite entre le traducteur français et l’écrivaine américaine décédée accidentellement en 1949.

Margaret Mitchell approuvait l’utilisation du dialecte dans la traduction française

Dans une des lettres, le traducteur de l’édition classique Pierre-François Caillé explique à la romancière Margaret Mitchell ses choix de traducteur.

« Vous remarquerez, l’omission de la consonne r caractéristique de ce langage que nous appelons souvent petit nègre. Je crois qu’il n’y avait pas d’autre façon de procéder »,  explique-t-il dans une lettre datée de décembre 1937.

« Je crois que votre traduction est la seule traduction étrangère de mon livre dans laquelle les personnages nègres parlent en dialecte », le félicite en retour la romancière.

Dans le domaine public depuis le 1er janvier

La traduction classique
« Bien qu’étant indéniablement un produit de son temps, au même titre que le roman », la traduction de Pierre-François Caillé « continue de ravir par son charme et d’impressionner par sa rigueur », soutient Gallimard qui a détenu les droits exclusifs du livre jusqu’au 1er janvier, avant que le roman tombe dans le domaine public.

Succès mondial

Le livre fut publié en juin 1936, dès Noël plus d’un million d’exemplaires était vendu. Autant en emporte le vent sera traduit en 14 langues et publié à plus de 35 millions d’exemplaires dans le monde. Il fera l’objet d’un film dès 1939, devenu lui aussi un film culte, vu par des centaines de millions de spectateurs.

Le succès exceptionnel du roman est dû à ce que pour la première fois depuis la fin de la guerre de Sécession (1865), le drame subi par les populations du Sud est décrit avec beaucoup de passion et de réalisme.

En effet, cette guerre est la Première Guerre totale qui suit la Révolution industrielle, qui multiplie de manière exponentielle les moyens de destruction ; dans un contexte de type
La traduction classique
« napoléonien », ou de guerre européenne du type XVIIe siècle, le Sud aurait pu l’emporter parce que la majorité des cadres de l’armée s’y étaient ralliés et que les sudistes, majoritairement d’origine paysanne, étaient plus habitués que ceux du Nord à la vie rurale et donc à une campagne militaire.

Or l’industrie du Nord a produit en masse des quantités énormes d’armements et d’équipements logistiques, comme les chemins de fer, qui ont submergé les armées confédérées, mal équipées ; la prise et le sac d’Atlanta, le 1er septembre 1864, anticipent les batailles de Madrid, pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) et celles de Stalingrad et Berlin, pendant la Seconde Guerre mondiale ; les ravages subis par les États du Sud, entre septembre 1864 et la fin de la guerre en avril 1865 anticipent les destructions subies par l’Europe au cours des deux guerres mondiales.

Par la publication de ce roman, l’opinion américaine prend conscience de ce que plusieurs dizaines de millions d’Américains ont subi et que l’unité de la nation américaine s’est forgée dans une épreuve très dure, loin de l’histoire officielle.

Voir aussi











Québec va financer l’agrandissement du Collège [fin lycée] anglophone Dawson, à Montréal

François Legault a affirmé en anglais qu’il favorisait l’expansion et le financement public des cégeps anglophones et qu’il n’étendrait pas la loi 101 aux cégeps (qui ne sont jamais que la fin du secondaire en Europe).



Nous ne parvenons pas à comprendre ce qui fait passer M. Legault pour un homme de droite  nationaliste, certaines osent même dire conservateur.

Il n’a donné qu’un gage aux nationalistes : une loi 21 sur la laïcité de l’État qui ne changera fondamentalement rien à ce qui est d’abord un problème démographique (la très faible natalité des Québécois francophones 1,5 enfant par femme, soit une descendance diminuée de 25 % à chaque génération et l’afflux de populations nombreuses qui ne partagent pas les valeurs historiques, linguistiques de la majorité francophone de souche du Québec).

Il suffit de tourner ses yeux vers la France pour se rendre compte que la laïcité ne résout pas les problèmes d’intégration, bien au contraire serait-on tenté de dire, la neutralité n’ayant jamais rien assimilé.


Billet du 8 juin.


On apprenait ces derniers jours que le gouvernement du Québec, que certains disent nationalistes francophones de centre droit, allait financer l’agrandissement du Collège [c’est-à-dire la fin du lycée ou du gymnase en Europe] anglophone Dawson, à Montréal.  Mathieu Bock-Côté a interviewé le chercheur indépendant Frédéric Lacroix sur la signification de cette décision. ***

Mathieu Bock-Côté : Que signifie, selon vous, cette annonce de la priorisation de l’agrandissement de Dawson par le gouvernement du Québec ?

Frédéric Lacroix : Le gouvernement du Québec a inscrit l’agrandissement de Dawson parmi les projets « prioritaires » à réaliser dans le cadre du projet de loi 61, la « Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19 ». Cet agrandissement n’est pas anodin ; il permettra à Dawson d’accueillir 800 étudiants en plus, soit autant d’étudiants qu’un petit cégep régional. Le projet n’est pas chiffré, mais, à cause de son inscription au Plan québécois des infrastructures, on sait qu’il dépasse 50 millions de dollars.


Marianopolis est un autre collège anglophone de Montréal (Westmount) subventionné par le Québec, la pancarte est bien en anglais uniquement.

Or, pendant que le gouvernement déverse ainsi des dizaines de millions de dollars sur Dawson, les cégeps français sont oubliés et ignorés : aucun projet d’agrandissement dans le réseau collégial français n’a été « priorisé » en même temps que celui de Dawson. Ceci vient confirmer, une fois de plus, le déclassement et la prolétarisation croissante du réseau collégial de langue française à Montréal.

On assiste actuellement à une véritable ruée sur les cégeps qui enseignent en anglais à Montréal ; le nombre de demandes d’admission y est en hausse constante. Dawson, par exemple, reçoit plus de 11 000 demandes d’admission par année, ce qui lui permet de sélectionner seulement les meilleurs étudiants. La demande est tellement forte que Dawson est rempli à craquer.

En même temps, les demandes d’admission dans le réseau français sont en baisse ; cela a des effets non seulement sur les effectifs, mais aussi sur la « qualité » des étudiants, qui est en baisse ; les étudiants qui « choisissent » le cégep français sont, de plus en plus, les étudiants trop faibles pour être admis à Dawson ou à John Abbott ; il y a donc un double effet : un effritement des effectifs dans les collèges français à Montréal, accompagné d’une baisse du niveau des étudiants.

Mentionnons que, de 2012 à 2018, le réseau français à Montréal a perdu 2335 étudiants au préuniversitaire et au secteur technique.

On se rappellera que le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) attribue un certain nombre de places dans les cégeps selon un « devis » ; pour Dawson, par exemple, le devis ministériel est de 7075 étudiants (voir p. 56 du « Régime budgétaire et financier des cégeps », mai 2019). Or, en 2018, Dawson en était rendu à 7889 étudiants inscrits au DEC à la formation ordinaire dans un programme préuniversitaire ou technique, soit 814 étudiants de plus que ce que son devis autorise ; depuis plus de 12 ans, Dawson excède son devis ministériel. Sans conséquence, apparemment.

Il faut savoir que dans le passé, les cégeps qui « excédaient leur devis », qui accueillaient plus d’étudiants que prévu, étaient pénalisés financièrement ; c’était là un mécanisme de répartition des étudiants en fonction des places existantes dans le réseau pour une région donnée. Mais depuis quelques années, les pénalités pour dépassement de devis ne sont plus appliquées par le MEES.

Ce que cela signifie, c’est qu’il existe des milliers de places disponibles dans le réseau français à Montréal, des places qui pourraient accueillir des étudiants sans que cela nous coûte un sou en frais d’infrastructures. Pourtant, le gouvernement du Québec juge bon de dépenser des dizaines de millions de dollars pour que ces étudiants aillent [s’angliciser] à Dawson. Pourquoi ? Je crois, en tant que citoyens et contribuables, que nous avons droit à une réponse claire à cette question.

Il faut aussi comprendre que les 800 places créées à Dawson signifient, grosso modo, 800 étudiants en moins dans le réseau français. Rappelons que la baisse de 2335 étudiants en six ans du côté français a entraîné la fermeture de quelques programmes dans les cégeps touchés par la baisse à Montréal.

Le ministre doit donc nous expliquer quels programmes il fermera du côté français pour remplir Dawson.

Mathieu Bock-Côté : Au-delà de sa mission strictement pédagogique, quelle est la fonction du cégep Dawson dans le système collégial québécois ?

Frédéric Lacroix : Les cégeps anglais en général, et Dawson en particulier, sont les institutions réservées à l’élite. L’élite académique de Montréal, celle issue de coûteuses écoles privées et de programmes particuliers, s’inscrit massivement à Dawson. Les moyennes générales requises pour accéder à Dawson font en sorte que seuls les étudiants disposant d’un important capital social peuvent y entrer. En sciences de la nature, par exemple, la moyenne générale au secondaire exigée pour entrer à Dawson est en haut de 85 %.


De plus, Dawson et John Abbott sont les club-écoles pour McGill et Concordia. Une étude effectuée en 2010 avait démontré que 90 % des finissants des cégeps anglais s’inscrivaient à McGill et à Concordia ensuite. L’agrandissement de Dawson ne vient donc pas seulement vider le réseau collégial français ; il aura aussi des impacts sur les universités de langue française, qui voient, et qui vont voir de plus en plus le flux d’étudiants postulant chez elles se tarir au fur et à mesure que le collégial anglais se développera. Cela viendra donc, par exemple, priver l’UQAM et l’Université de Montréal de 720 étudiants annuellement, environ.

Un rapport du Conseil supérieur de l’éducation publié en 2016, pointant du doigt la ségrégation qui règne dans le milieu scolaire au primaire et au secondaire au Québec, avait sonné l’alarme : « La concurrence en éducation est indissociable de la perception que toutes les écoles ne sont pas équivalentes : elle alimente donc la crise de confiance qui fragilise le système public. Cette crise de confiance accentue la tendance à regrouper les élèves selon leur profil scolaire et socioéconomique. Il en résulte une forme de ségrégation qui conduit à un système d’écoles à plusieurs vitesses. L’écart se creuse donc entre les milieux : certains établissements ou certaines classes sont considérés comme moins propices à l’apprentissage (les familles qui le peuvent les fuient) et les conditions de travail y sont plus difficiles (les enseignants qui le peuvent les fuient également). »

Les conclusions de ce rapport peuvent se transposer au niveau collégial. Au collégial, comme les clauses scolaires de la loi 101 cessent de s’appliquer [pour d’étranges raisons puisqu’en Europe ce n’est que la fin du lycée], la ségrégation basée sur le statut socioéconomique des parents qui s’exprime au primaire et au secondaire se double d’une ségrégation selon la langue d’enseignement. Les cégeps anglais jouent au niveau collégial le même rôle que jouent les écoles privées au secondaire : derrière le paravent de « l’excellence », elles permettent un regroupement des élèves provenant des classes aisées, qui n’ont pas à souffrir la mixité sociale et qui viennent s’y préparer pour aller éventuellement à McGill ou à Concordia, et pour travailler en anglais.

Ce qui est dramatique dans le cas des cégeps anglais, c’est qu’il s’agit d’institutions publiques financées à 100 % par l’État québécois. Dans le cas des écoles privées au secondaire, il y a au moins l’excuse que l’État ne débourse pas la totalité de la facture.

Il est donc sidérant de lire, dans l’article du Journal de Montréal du 6 juin (« 800 étudiants de plus au collège anglophone Dawson »), la phrase suivante, dite par le directeur du cégep Dawson, M. Richard Filion, parlant de l’agrandissement de Dawson : « Pour la grande majorité de la population, c’est une opportunité inespérée parce qu’ils ne peuvent pas se payer des camps de vacances en immersion en anglais en Ontario ou dans le nord des États-Unis, ils n’ont pas l’argent pour ça. Il faut penser à l’étudiant là-dedans. »

M. Filion affirme des choses, pour le dire poliment, qui sont le contraire de la réalité.

Comme je l’ai déjà expliqué dans un entretien précédent (« Aller au cégep anglais pour apprendre l’anglais ? Vraiment ? », publié le 10 mars 2020), les étudiants ne choisissent pas Dawson pour « apprendre l’anglais », car la majorité des étudiants qui s’y inscrivent est déjà bilingue ; la hausse des heures accordées à l’anglais à l’école française depuis 15 ans, combinée à l’omniprésence de l’anglais dans l’univers numérique qui est celui des jeunes, a conduit à une universalisation de la connaissance de l’anglais (et à une fragilisation du français), du moins à Montréal. Non seulement ça, mais les étudiants admis à Dawson sont issus, en majorité, des écoles privées et des écoles à programmes particuliers de Montréal ; ils ont eu de l’anglais « enrichi » tout au long de leur parcours scolaire.

Ils sont déjà, en majorité, « full » bilingues. Les données de recensement indiquent une hausse très importante du bilinguisme chez les jeunes dans les 15 dernières années. De plus, la motivation des jeunes pour apprendre l’anglais, pour plusieurs, ne semble plus être du type instrumental, mais du type intégratif : ils ne veulent plus seulement apprendre l’anglais (qu’ils connaissent déjà), mais s’intégrer au groupe anglophone. C’est là le rôle que joue Dawson : c’est la porte d’entrée au monde anglophone.

J’aimerais bien que M. Filion publie les données sur la provenance des étudiants admis à Dawson. Quelle proportion provient des écoles privées et des écoles à programmes particuliers ? Combien d’élèves proviennent des programmes réguliers des écoles publiques de l’est de Montréal ?

Cela explique également pourquoi, malgré le fait que la nécessité d’imposer la loi 101 au cégep crève les yeux depuis au moins une vingtaine d’années, rien n’est fait en ce sens et pourquoi notre élite est incapable de prendre position sur cette question qui est pourtant absolument vitale pour la survie du Québec français ; c’est parce qu’une bonne partie de notre élite est la première à profiter de la situation : l’anglicisation de sa progéniture est assurée par les fonds publics.

« Après moi, le déluge » est certainement l’attitude la plus répandue chez elle. Chacun veut aller chercher un avantage concurrentiel sur le marché du travail en s’anglicisant le plus possible ; peu importe que cela soit en train de causer l’effondrement du Québec français. Et c’est pour ça aussi que seul le gouvernement du Québec est en mesure d’agir efficacement sur cette question. C’est le seul en mesure de transcender les égoïsmes et les calculs individuels qui sont en train de nous mener à notre perte.

En cela, et c’est une analogie que j’aime bien, la question linguistique ne diffère pas de la question climatique.

Mathieu Bock-Côté : Comment expliquer la croissance de Dawson ? Ne doit-on pas y voir un signe manifeste de l’accélération de l’anglicisation de Montréal ? Le directeur du collège explique lui-même que son cégep attire les allophones [relativement] francisés. N’est-ce pas un terrible aveu ? N’avoue-t-il pas ainsi que la francisation n’a pas vraiment fonctionné, qu’elle n’était que superficielle ?

Frédéric Lacroix : Il est intéressant de savoir qu’il y a même plus d’allophones (langue maternelle) à Dawson que d’anglophones : en 2018, c’était 38,4 % d’anglophones, 22,1 % de francophones et 39,5 % d’allophones. Depuis 2000, les anglophones y sont minoritaires en nombres absolus et y sont maintenant, depuis 2018, minoritaires en nombres relatifs. Les anglophones sont minoritaires dans cette institution qui devrait leur être destinée en premier lieu !

Le groupe dominant à Dawson est celui des allophones. Et cela sera de plus en plus vrai à l’avenir, la proportion d’anglophones ayant passé de 49,4 % en 2000 à 38,4 % en 2018. Normalement, donc, Dawson devrait accueillir moitié moins d’étudiants qu’il ne le fait.

L’on comprend que les clauses scolaires de la Charte de la langue française sont insuffisantes pour assurer que la nette majorité des allophones scolarisés en français s’inscrive ensuite dans les cégeps et universités de langue française. Pour de nombreux allophones, tout ce que fait la Charte, c’est assurer une immersion française forcée pendant le primaire et le secondaire.

Il faut comprendre que les clauses scolaires de la Charte ne touchent qu’environ 20 % des immigrants qui s’installent au Québec, soit ceux qui sont en âge scolaire à l’arrivée. La très vaste majorité des immigrants, soit 80 %, échappe à la francisation obligatoire. Si tous les immigrants arrivaient au Québec en tant que bébés, les clauses scolaires auraient certainement un effet beaucoup plus puissant. Mais, à l’heure actuelle, tous les immigrants de 15 ans et plus qui arrivent peuvent, par exemple, s’inscrire directement dans les cégeps et universités anglaises ; le « libre choix » de la langue d’enseignement au postsecondaire défait une grande partie du travail que fait la Charte au primaire et au secondaire.

On sait aussi que l’inscription dans un cégep anglais n’est pas une simple « immersion linguistique » où l’étudiant irait apprendre l’anglais pour ensuite continuer le reste de son parcours (et de sa vie) en français, comme l’affirme pourtant le directeur de Dawson. Une importante étude de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA), réalisée pour le compte de la CSQ en 2010, avait prouvé que le choix du cégep anglais était un véritable « choix de vie » et avait des conséquences majeures sur l’orientation linguistique et culturelle subséquente : le choix du cégep anglais menait ensuite à l’université en anglais (à 90 %), à travailler en anglais, à l’utilisation de l’anglais comme langue de socialisation avec ses amis, à l’anglais comme langue de consommation culturelle et comme langue d’usage publique. Le cégep anglais est un milieu de vie anglicisant. En comparaison, les comportements des allophones inscrits au cégep français sont presque symétriquement opposés à celui des allophones inscrits au cégep anglais. Le cégep français francise ; cela est démontré.

La seconde affirmation de M. Filion, comme quoi « il faut cesser d’accuser les cégeps anglophones d’être responsables de la “présumée anglicisation” de Montréal », est stupéfiante de mauvaise foi.

M. Filion nie l’anglicisation de Montréal, un fait solidement établi, entre autres par Statistique Canada (voir « La situation du français à Montréal : une catastrophe », sur ce blogue, publié le 26 janvier 2020).
Non seulement cela, M. Filion affirme que les cégeps anglais n’ont rien à voir là-dedans ! On sait cependant depuis l’étude de l’IRFA que les cégeps anglais sont l’un des rouages majeurs dans la mécanique de l’anglicisation de Montréal. Cela est démontré hors de tout doute raisonnable. J’en ai parlé dans plusieurs textes et je ne referai pas la démonstration ici ; le lecteur pourra s’y référer au besoin.

La position de déni de M. Filion n’est plus tenable ; il ne peut plus affirmer cela sans craindre de passer pour l’idiot du village.

Il devrait simplement admettre la réalité et dire que selon lui, il n’y a aucun problème à ce que l’élite soit formée en anglais. Et qu’il est fier que son institution y joue un rôle majeur.

Mathieu Bock-Côté : Comment inverser la tendance ? La bataille du français est-elle perdue à Montréal ?

Frédéric Lacroix : Il faut réaliser que le premier responsable du recul du français au Québec est le gouvernement du Québec lui-même, qui finance maintenant de façon « prioritaire » les institutions anglophones à Montréal. C’est le gouvernement du Québec, de par ses politiques de financement, qui finance l’érosion des institutions de langue française au Québec. C’est le Québec qui finance sa propre assimilation. Il faut d’abord prendre toute la mesure de l’absurdité de cette situation.

Comment qualifier cela de « bataille », alors que notre propre équipe est occupée à « scorer » dans ses propres buts ? Personnellement, je manque de mots pour décrire cette situation kafkaïenne et grotesque. L’aveuglement et le déni de réalité nous tiennent lieu de politique, et ce, depuis longtemps.

Mais plus que cela, avec cette décision de prioriser Dawson, la CAQ se confond avec le PLQ. On s’attendait pourtant, de la CAQ, à ce qu’elle défende le français ; c’était là ce qu’affirmait M. Legault. Doit-on comprendre qu’il dit une chose et fait le contraire ? On sait que la CAQ prépare un projet de loi sur la langue. Mais il faut comprendre que quelques mesurettes cosmétiques ne suffiront jamais à renverser les effets structurants de cette décision d’agrandir Dawson, qui va angliciser des centaines de jeunes supplémentaires par année. Cette décision est un bidon d’huile versée sur le feu qui couve de l’anglicisation de Montréal.

La solution est pourtant connue depuis longtemps : il est évident qu’il faut étendre les clauses scolaires de la Charte au niveau collégial. Il est urgent de cesser de financer notre assimilation. [Une meilleure natalité locale serait aussi une solution, l’immigration devrait diminuer afin de pouvoir donner du temps pour assimiler les immigrants.]

Mathieu Bock-Côté : Que pensez-vous de l’omniprésence de l’anglais dans les récentes manifestations tenues au Québec à la suite de la mort de George Floyd à Minneapolis ?

Frédéric Lacroix : Il est remarquable de noter que l’anglais était la langue véhiculaire, la « langue commune » des manifestations qui ont eu lieu partout au Québec en fin de semaine passée. À Montréal, à Trois-Rivières, à Québec, l’anglais était omniprésent, sur les pancartes, dans les slogans, etc. À tel point que les images des manifestations au Québec auraient pu provenir des États-Unis. Cela est, à mon avis, plus que troublant. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dénoncer le cancer du racisme tout en s’inscrivant dans le contexte linguistique et culturel qui est le nôtre. Cela risquerait même d’avoir plus de résonance et de portée que ces manifestations tenues en anglais.

Mais je ne vois pas comment l’on peut encore, après cela, comme le fait le directeur de Dawson, nier l’anglicisation de Montréal. Mais plus encore, on voit que toute une partie de la jeunesse a intégré l’idée que l’on ne peut se projeter dans l’universel qu’en anglais. Cela témoigne, à mon avis, non seulement de l’anglicisation croissante de la jeunesse, et pas uniquement à Montréal, mais aussi de l’américanisation de cette dernière, qui se projette dans le monde en passant par les États-Unis. C’est un témoignage éloquent de la puissance du soft power américain, qui a complètement reconfiguré notre univers culturel en général, et l’univers culturel des jeunes en particulier, dans les 15 dernières années. C’est une donnée que nous n’avons pas encore intégrée dans nos politiques culturelles et dans notre politique linguistique, et qui est désespérément à la traîne.

Bref, la rupture culturelle entre les générations est de plus en plus évidente et béante. Je dirais qu’elle menace même d’engouffrer le Québec français au complet.

Manifestants BLM défigurent statue d'un des premiers abolitionnistes

Le 10 juin 2020, les manifestants de Black Lives Matter ont défiguré une statue de Matthias Baldwin devant l’hôtel de ville de Philadelphie à Philadelphie (États-Unis), avec le mot « colonisateur » et son visage peint en rouge malgré le fait que Baldwin s’est très tôt opposé à l’esclavage et aux mauvais traitements infligés aux personnes en fonction de la race.

En 1835, Baldwin donna de l’argent pour créer une école pour les enfants afro-américains à Philadelphie et continua pendant des années à payer les salaires des enseignants de sa poche par la suite. Baldwin était un fervent partisan de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, une position utilisée contre lui et son entreprise par des concurrents désireux de vendre des locomotives aux chemins de fer basés dans le Sud esclavagiste.

Baldwin était membre de la Convention constitutionnelle de l’État de Pennsylvanie de 1837 et a émergé en tant que défenseur des droits de vote des citoyens noirs de l’État.

Mais, Baldwin était un homme blanc mort cisgenre et hétérosexuel et puis la culture historique n'est qu'une construction colonialiste, c'est bien connu.



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Personnes « racisées » devant un graffiti qui dénonce Churchill comme un raciste (7 juin 2020 à Londres)