lundi 21 novembre 2011

Québec francophone : serions-nous cocus ?

Joseph Facal revient sur les derniers événements qui semblent indiquer un recul du français au Québec et au Canada.
Il faudrait être lâche ou de mauvaise foi pour ne pas admettre que le Québec français recule sur tous les fronts.

Des anglophones unilingues sont nommés à des postes de juge, de vérificateur, de cadre à la Caisse de dépôt [et l'anglais est la langue de travail dans la fonction public à Québec pour 14 % des postes]. L’affichage illégal est partout. Notre poids parlementaire chute à Ottawa.

Mais tout cela n’est que la pointe de l’iceberg. Les serveurs de restaurant sont maintenant insultés dans leur dignité quand le client exige d’être servi en français. 

Peu de français au centre-ville de Montréal... Cliquer sur l'image pour l'agrandir.


Chez ceux que cela préoccupe encore, le réflexe premier sera de blâmer nos dirigeants. Et il est vrai qu’il y a beaucoup de blâmes à distribuer.

Jean Charest est génétiquement indifférent à cette question. Christine St-Pierre est la ministre affectée au dossier linguistique la plus avachie et peureuse depuis le pathétique Guy Rivard en 1985.

L’Office de la langue française devrait être rebaptisé Orifice de la langue française tellement il consent à subir les derniers outrages avec placidité. Et si vous comptiez sur Stephen Harper ou les poteaux québécois du NPD pour défendre le français, votre naïveté est une maladie incurable.

Tout cela est aussi possible en raison de la complicité active ou passive de la population. Mais si nous sommes tous des cocus dans cette histoire, il y a quand même différentes façons de l’être.

Il y a d’abord le cocu innocent, qui ne se rend compte de rien, qui croit que sa femme est réellement partie se faire masser.  La grande majorité de la population entre dans cette catégorie.

Il y a ensuite le cocu content, qui a totalement intégré le logiciel du multiculturalisme et de la mondialisation. Pour lui, l’anglicisation du Québec vient avec la modernité et l’ouverture. Elle permet d’accéder à un stade supérieur de sophistication et seuls des dinosaures pourraient penser autrement.

Il y a aussi le cocu dépressif. Dans une récente chronique («Du Canadien à la Caisse», 16 novembre) qui ne risque pas de figurer dans ses 1000 meilleures, Patrick Lagacé, habituellement si perçant et que j’aime tant, incarnait cette attitude invertébrée. C’est celle du cocu qui va se soûler au bistrot en pleurnichant.

Il y a également le cocu pervers, qui participe avec délectation à sa propre humiliation. C’est le gars qui aime regarder sa femme se faire baiser par un autre. Cynique et manipulateur, il justifie tous les reculs au nom de la bonne entente parce qu’il craint qu’une crise linguistique ranime la flamme nationaliste.

Il y a enfin le cocu enragé, qui veut que ça cesse, qui se retient pour ne pas commettre l’irréparable, qui se bat pour retrouver sa dignité perdue. Combien en reste-t-il de ceux-là au Québec ?

Au cœur du recul actuel, il y a notre refus de voir et de nommer l’éléphant dans le salon. Cet éléphant est la dimension PO-LI-TI-QUE et collective de la question linguistique.

Si un peuple dort au gaz, s’il vote contre ses propres intérêts, s’il rate tous ses grands rendez-vous avec l’Histoire, s’il pense que fuir ses responsabilités n’a jamais de conséquences, tous ceux qui se fichent de lui en prendront bonne note.

Et cela donnera ce qu’on voit en ce moment.

Et pendant ce temps, le PLQ a augmenté le temps que les écoliers francophones apprennent l'anglais, leur a imposé un programme de multiculturalisme 101 avec la complicité du PQ, édulcoré l'histoire du Québec d'une conscience nationale mal venue. Quant à l'ADQ, elle voulait l'année passée encore plus d'anglais au primaire...




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Révolution tranquille, « un héritage épuisé et paralysant »

Extrait d'un article de Monique Jérôme-Forget, ex-ministre des Finances du Québec, tiré de l'ouvrage collectif La Révolution tranquille en héritage paru chez Boréal en octobre 2011.

« [...] est-il normal que la convention collective [des enseignants] contienne plus de 500 articles, comporte 274 pages, et que certains articles se déclinent sur 8 pages ? Il faut se demander si la mainmise des syndicats sur le réseau n’expliquerait pas le désintéressement de nombreux parents. Dans les années qui ont suivi le rapport Parent, sous le gouvernement Lesage, l’éducation fut l’objet principal des débats publics, alors que l’emprise syndicale sur le fonctionnement des écoles ne s’était pas encore manifestée. C’est à cette époque où l’éducation apparaissait à tous comme un enjeu vital et prioritaire que notre système d’éducation a donné ses meilleurs résultats. Est-ce un hasard ? Je ne crois pas.

Pour stimuler la réussite de tous ses élèves, une école doit se forger son propre ethos, une âme et une personnalité qui lui soit propre, et assez forte pour générer un sentiment d’appartenance et de fierté chez tous ceux qui la fréquentent. La passion des enseignants, leur implication, leur contrôle sur l’école constituent la clé du succès de celle-ci. [Mme Jérôme-Forget parlera plus loin de l'implication des parents et du fait qu'ils doivent sentir que l'école leur apparteint aussi] C’est ce que toute la littérature sur le sujet nous apprend, et ce qu’illustrent à merveille les quelques établissements, privés ou publics, qui en ont le secret. Hélas, il est pour une école extrêmement difficile, et donc exceptionnel, de se forger une telle personnalité dans un système aussi outrageusement centralisé et codifié.

[...]

Bien que plus rarement, j’ai quand même entendu alors que j’étais ministre des Finances la recommandation suivante : « Que les entreprises ou les riches payent. » Or, il y a de moins en moins de riches au Québec, beaucoup moins qu’ailleurs au Canada. Les ménages à faible revenu sont proportionnellement plus nombreux que dans le reste du pays, alors que c’est l’inverse pour les très grandes fortunes et même pour les revenus dépassant 100 000 $ par année. Comme aime à le dire Pierre Fortin, « le Québec est riche en pauvres, mais pauvre en riches ». Pensons par ailleurs à notre régime de service de garde à contribution réduite. Alors que j’étais présidente de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), une étude faite par un chercheur de l’UQAM, Pierre Lefebvre, démontrait que les plus grands bénéficiaires des garderies à cinq dollars étaient les familles les plus fortunées. J’endosse totalement un programme de garderies qui favorise le développement social et intellectuel des enfants [malheureusement plusieurs études prouvent que ce n'est pas du tout le cas : voir ici, ici et là.] Un tel programme permet à des parents, et surtout aux femmes, de pouvoir travailler avec un minimum d’appui de la société. Mais son financement et son fonctionnement sont-ils adéquats pour une société comme la nôtre ? Avons-nous les moyens de subventionner à raison de plus de 40 $ par jour tous les enfants en garderie dès la première année de leur existence, quelque soit le revenu des parents ? Même si ce programme fait l’envie de plusieurs parents dans le monde, ne devrions-nous pas le réexaminer et revoir son financement sans en compromettre l’esprit et l’accès ?

[...]

Du point de vue des parents, l’école québécoise se conjugue au singulier. C’est celle de leur quartier, que fréquente leur enfant. S’ils ne sont pas motivés, s’ils ne sont pas outillés pour s’approprier leur école et contribuer à son succès, ou si leur contribution n’est pas la bienvenue, l’apport inestimable des parents est gaspillé. Ni le réseau dans son ensemble ni même les commissions scolaires ne sont — on le constate maintenant — des institutions où l’implication des parents et de la communauté peut fonctionner. Notre système confère très peu d’autonomie à l’école, qui n’est pas libre d’employer les enseignants qu’elle souhaite ni d’organiser leur tâche à sa façon. Comment pourrait-elle, alors, être imputable aux parents ? Les bulletins, les évaluations et les méthodes d’apprentissage changent fréquemment sans que les parents soient mis dans le coup. Comment ces derniers peuvent-ils alors soutenir l’apprentissage de leurs propres enfants ? Il faut conférer aux écoles plus d’autonomie, à leurs dirigeants plus de responsabilité et d’imputabilité, et aux parents un rôle plus déterminant que la vente de chocolat.

[...]

Par exemple, l’accroissement des coûts de la santé ne peut être soutenu exclusivement par les impôts comme c’est le cas actuellement. La poursuite du statu quo nous condamne à un réveil brutal dans un avenir pas trop lointain, ou à des années de rationnement des services d’ici là. Ainsi, pendant longtemps, on a maintenu sous contrôle les dépenses en diminuant le nombre de médecins qui, faute de se trouver un emploi dans un environnement de leur choix, quittent la province. Le Québec les a éduqués pendant sept à dix ans, parfois plus, et il se permet de les laisser partir. C’est une approche qui coûte cher à la société. C’est une approche viciée car elle s’appuie sur cette idée de centraliser à outrance les décisions. Plusieurs pays ont reconnu et corrigé cette erreur. Le Québec tarde à le faire. J’ai toujours trouvé aberrant que le ministre de la Santé soit tenu personnellement imputable en chambre pour chacune des situations navrantes résultant des erreurs d’un professionnel dans un si vaste réseau. Il faudra décentraliser certaines décisions et la gestion du réseau pour permettre au citoyen de dicter ses besoins[.]

[...]

De décennie en décennie, la médecine repousse les limites de sa capacité d’intervenir pour soulager la douleur et limiter les handicaps sans pour autant guérir durablement ses patients. Or l’effet net, qui n’a rien à voir avec une explosion du nombre de personnes âgées — qui n’a pas encore eu lieu —, est que les coûts de la santé augmentent de 5 à 6 % par année, alors que notre économie ne s’accroît que de 2 à 3 % par année. La conclusion qu’il faut en tirer est aussi simple et brutale que l’arithmétique que je viens d’évoquer: seule une augmentation notable de notre productivité, capable d’impulser une croissance plus rapide de toute l’économie, saura nous éviter un rationnement toujours plus strict des soins disponibles.

Quatrièmement, la productivité est l’aspect le moins  reluisant de la performance économique du Québec depuis la Révolution tranquille. Les statistiques sur la productivité du travail indiquent qu’au Québec elle a progressé au rythme moyen de 1 % par année au cours des cinq dernières décennies. Le Canada dans son ensemble a progressé deux fois plus vite, les États-Unis, trois fois.

Cinquièmement, si le financement des garderies doit être revu, celui des universités mérite que l’on regarde la situation bien en face. Qui bénéficie d’une formation universitaire et qui doit en payer la facture ? Plusieurs études ont été menées sur le sujet. Il faut penser maintenant à inclure toutes les parties dans cette discussion et à dépolitiser le débat. Il s’agit d’un débat vital pour l’avenir du Québec, et la partisannerie n’y a pas sa place.

Au-delà des politiques publiques et des débats entre politiciens, les attitudes populaires face au rôle de l’État sont appelées à se modifier, sans quoi nos institutions continueront de s’éparpiller sans cesse jusqu’à ce que la dette nous explose au visage ou que tous les contribuables se soient exilés. »
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