Faut-il s’habituer à de telles scènes ? Après avoir été chassé de Nuit debout, puis agressé en marge d’une manifestation des « gilets jaunes », c’est désormais en plein Saint-Germain-des-Prés, dans l’une des écoles les plus prestigieuses de France, que le philosophe Alain Finkielkraut a été pris à partie. Une poignée d’étudiants « antifas » du groupuscule Sciences Po en lutte Institut Clément Méric (sic) ont voulu empêcher la tenue d’une conférence organisée à l’IEP de Paris par une association d’étudiants souverainistes de l’école, Critique de la souveraineté européenne, qui avait convié l’auteur de L’Identité malheureuse.
Ces fondamentalistes d’extrême gauche avaient appelé sur Facebook au « rassemblement contre la venue » d’un homme « dont les propos ouvertement racistes et sexistes sont aussi dangereux qu’intolérables ». « Il ne peut pas exister de dialogue lorsque des individus aussi profondément réactionnaire qu’Alain Finkielkraut, par leur propos et leurs idées, mettent nos vies et nos existences en danger », soutenaient ces activistes. Heureusement, la conférence eut bien lieu grâce à la détermination des organisateurs, et le soutien de l’administration de Sciences Po, qui, il faut le souligner, fut à la hauteur des enjeux de la liberté d’expression. Avec dignité, Finkielkraut exprima son désarroi : « Je suis fatigué, bouleversé, de ne pas pouvoir mettre le nez dehors sans que des gens veuillent me faire la peau. »
« Cela en dit long sur le climat dégradé de la vie intellectuelle française », a aussi constaté l’intellectuel. En effet, ce genre d’intimidations se multiplie : il y a un mois, une représentation de la pièce Les Suppliantes d’Eschyle, qui devait se tenir à la Sorbonne, a été annulée, sous la pression de « groupuscules antiracistes ». Motif : certains comédiens blancs se seraient rendus coupables de « blackface » en portant des masques noirs.
Cet inquiétant sectarisme intellectuel qui gangrène nos écoles est aussi le énième symptôme de l’américanisation de la vie universitaire française. Sur les campus américains, en effet, il est devenu banal de faire annuler la venue d’un conférencier jugé intolérable pour une minorité d’activistes, qui privatisent l’espace public au nom de la revendication du droit à un « safe space », un espace protégé de paroles estimées offensantes. Chaque année d’ailleurs, l’association conservatrice William F. Buckley Jr, à Yale, honore une figure publique qui a été « désinvitée » d’un campus. Hasard du calendrier, l’association recevait justement il y a deux jours son lauréat de l’année, qui n’était autre que l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. À 95 ans, le diplomate a été réduit au silence par des étudiants de la New York University (NYU) qui l’ont traité de « nazi » et de criminel de guerre, lui qui a pourtant fui l’Allemagne hitlérienne pour échapper aux persécutions et a pourchassé des officiers de la Gestapo à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les étudiants lui reprochaient d’être le symbole de la « domination blanche notamment, », par dans son la implication, guerre du Vietnam.
Voilà qu’on traite des juifs de nazis, et qu’on prétend chasser le décrété « intolérant » au nom de la tolérance. « Je leur ai dit : “Les fascistes, c’est vous ; les années 1930, c’est vous ; les autodafés de livres, c’est vous” », a réagi vivement Alain Finkielkraut mardi soir. Dans les années 1960, c’était les commandos d’extrême droite qui intervenaient pendant la pièce de Genet Les Paravents, à l’Odéon. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le GUD qui perturbe pièces de théâtre et conférences. D’ailleurs, l’ancien trotskiste Edwy Plenel lui-même eut les honneurs de l’amphithéâtre principal de Sciences Po l’an dernier, sans qu’aucune protestation, et c’est normal, n’ait eu lieu. Il faut se rendre à l’évidence : ce n’est plus désormais l’extrême droite qui menace la liberté d’expression sur les campus, mais l’extrême gauche [qui continue de le faire comme par le passé].
Cet incroyable renversement de la liberté d’expression a été magistralement analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre, L’Empire du politiquement correct (Éd. du Cerf). « Les sensibles et les offusqués réinventent à leur manière le blasphème en mettant en avant le droit de ne pas être offensés », souligne le sociologue québécois. La bataille qui a eu lieu mardi soir n’est qu’un épisode dans une guerre de longue haleine qui se mène au cœur de nos démocraties libérales. C’est l’honneur de la France de résister à ce nouvel empire et de défendre bec et ongles la liberté de penser, la faculté de débattre, et la possibilité d’une conversation qui fonde la vie civique.
Source : Eugénie Bastié
Ces fondamentalistes d’extrême gauche avaient appelé sur Facebook au « rassemblement contre la venue » d’un homme « dont les propos ouvertement racistes et sexistes sont aussi dangereux qu’intolérables ». « Il ne peut pas exister de dialogue lorsque des individus aussi profondément réactionnaire qu’Alain Finkielkraut, par leur propos et leurs idées, mettent nos vies et nos existences en danger », soutenaient ces activistes. Heureusement, la conférence eut bien lieu grâce à la détermination des organisateurs, et le soutien de l’administration de Sciences Po, qui, il faut le souligner, fut à la hauteur des enjeux de la liberté d’expression. Avec dignité, Finkielkraut exprima son désarroi : « Je suis fatigué, bouleversé, de ne pas pouvoir mettre le nez dehors sans que des gens veuillent me faire la peau. »
« Cela en dit long sur le climat dégradé de la vie intellectuelle française », a aussi constaté l’intellectuel. En effet, ce genre d’intimidations se multiplie : il y a un mois, une représentation de la pièce Les Suppliantes d’Eschyle, qui devait se tenir à la Sorbonne, a été annulée, sous la pression de « groupuscules antiracistes ». Motif : certains comédiens blancs se seraient rendus coupables de « blackface » en portant des masques noirs.
Répétition de la pièce d’Eschyle avec les masques |
Cet inquiétant sectarisme intellectuel qui gangrène nos écoles est aussi le énième symptôme de l’américanisation de la vie universitaire française. Sur les campus américains, en effet, il est devenu banal de faire annuler la venue d’un conférencier jugé intolérable pour une minorité d’activistes, qui privatisent l’espace public au nom de la revendication du droit à un « safe space », un espace protégé de paroles estimées offensantes. Chaque année d’ailleurs, l’association conservatrice William F. Buckley Jr, à Yale, honore une figure publique qui a été « désinvitée » d’un campus. Hasard du calendrier, l’association recevait justement il y a deux jours son lauréat de l’année, qui n’était autre que l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. À 95 ans, le diplomate a été réduit au silence par des étudiants de la New York University (NYU) qui l’ont traité de « nazi » et de criminel de guerre, lui qui a pourtant fui l’Allemagne hitlérienne pour échapper aux persécutions et a pourchassé des officiers de la Gestapo à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les étudiants lui reprochaient d’être le symbole de la « domination blanche notamment, », par dans son la implication, guerre du Vietnam.
Voilà qu’on traite des juifs de nazis, et qu’on prétend chasser le décrété « intolérant » au nom de la tolérance. « Je leur ai dit : “Les fascistes, c’est vous ; les années 1930, c’est vous ; les autodafés de livres, c’est vous” », a réagi vivement Alain Finkielkraut mardi soir. Dans les années 1960, c’était les commandos d’extrême droite qui intervenaient pendant la pièce de Genet Les Paravents, à l’Odéon. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le GUD qui perturbe pièces de théâtre et conférences. D’ailleurs, l’ancien trotskiste Edwy Plenel lui-même eut les honneurs de l’amphithéâtre principal de Sciences Po l’an dernier, sans qu’aucune protestation, et c’est normal, n’ait eu lieu. Il faut se rendre à l’évidence : ce n’est plus désormais l’extrême droite qui menace la liberté d’expression sur les campus, mais l’extrême gauche [qui continue de le faire comme par le passé].
Cet incroyable renversement de la liberté d’expression a été magistralement analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre, L’Empire du politiquement correct (Éd. du Cerf). « Les sensibles et les offusqués réinventent à leur manière le blasphème en mettant en avant le droit de ne pas être offensés », souligne le sociologue québécois. La bataille qui a eu lieu mardi soir n’est qu’un épisode dans une guerre de longue haleine qui se mène au cœur de nos démocraties libérales. C’est l’honneur de la France de résister à ce nouvel empire et de défendre bec et ongles la liberté de penser, la faculté de débattre, et la possibilité d’une conversation qui fonde la vie civique.
Source : Eugénie Bastié