lundi 21 octobre 2019

« Dans Histoire de France, c’est le mot “France” qui dérange ! »

Dimitri Casali, historien spécialiste de Napoléon, auteur du « Grand procès de l’histoire de France » (aux éditions Robert Laffont) discute de l’histoire de France.



Nous ne partageons pas l'enthousiasme pour Voltaire qui n'a jamais écrit et sans doute jamais prononcé « Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire », car sa conduite était tout autre : il a fait enfermer par lettres de cachet (qu'il dénonçait par ailleurs) des rivaux (La Beaumelle et Clément).

Présentation de l’éditeur


Non, l’histoire de France n’est pas un crime contre l’humanité !

Des statues qu’on veut déboulonner, des noms de rues et d’écoles qu’on veut changer, des manuels scolaires dont on édulcore le propos, des pièces qu’on veut faire interdire... Gare ! Le politiquement correct est de retour.

C’est l’histoire de France qui est attaquée. Et dont on fait le procès.

De Clovis à Mitterrand, la représentation de nos grands personnages historiques est instrumentalisée. Saint Louis est réduit à un croisé fanatique, Jeanne d’Arc à une « égérie FN », Colbert à un esclavagiste, Ferry à un « salaud de colonialiste », les généraux Faidherbe et Gallieni à des « génocidaires ». Napoléon devient l’homme qui a rétabli l’esclavage, Louis XIV, un dictateur et Voltaire, un vulgaire homophobe.

Le Grand Procès de l’histoire de France veut rouvrir les pages du passé pour enseigner notre histoire, au lieu de la déformer.

Biographie de l’auteur

Historien, spécialiste du 1er Empire, ancien professeur d’histoire en ZEP, Dimitri Casali a notamment écrit le Nouveau Manuel d’Histoire (préface de J-P Chevènement, La Martinière 2016), De la Gaule à nos jours (Armand Colin, 2014), L’Altermanuel d’Histoire de France (Perrin, lauréat du prix du Guesclin 2011), L’Histoire de France Interdite (Lattès, 2012), La Longue Montée de l’Ignorance (First, 2017). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon, l’Opéra rock », spectacle musical historique et pédagogique.

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Capital et idéologie de Piketty, une idéologie naïve de l'égalitarisme et de la confiscation

Texte de Drieu Godefridi, juriste et auteur, sur le dernier ouvrage de Thomas Piketty, Capital et idéologie.



Si « Le Capital au XXIe siècle, » précédent ouvrage de Monsieur Piketty, a pu faire illusion, notamment par l’originalité de son appareil statistique, il est rationnellement impossible d’accorder à « Capital et idéologie » le moindre crédit intellectuel.


L’objet d’étude que se donne Monsieur Piketty est la façon dont toute société doit justifier ses inégalités — inégalité étant prise dans son sens le plus rigoureusement matériel.

L’assertion selon laquelle toute société humaine se doit de justifier ses inégalités matérielles est, en soi, une « boîte noire » qui aurait mérité, à tout le moins, qu’on la problématise, ne serait-ce qu’en introduction, à défaut de pouvoir complètement l’élucider. Au lieu de quoi Monsieur Piketty se contente d’asséner son obsession personnelle comme évidence rationnelle : la grande question « idéologique » de toute société humaine est la justification de ses inégalités matérielles !

Tout indique, au contraire, que la plupart des sociétés humaines n’ont jamais considéré la justification de leurs inégalités comme prioritaire — ni que cette justification conditionnait leur subsistance, comme le soutient l’auteur -- si même elles n’en ont jamais problématisé le principe.

Au vrai, l’institution de l’inégalité matérielle en alpha et oméga des sociétés humaines est un choix qui appartient à Monsieur Piketty — et la tradition socialiste dans laquelle il s’inscrit — et ce choix est un choix en valeur.

Quel ennui que ce choix, notre auteur ne l’assume pas en tant que tel -- un parmi d’autres choix possibles : la liberté, la réduction de la pauvreté... -- à supposer qu’il ait conscience de la contingence historique et subjective de sa perspective.

Prenons un exemple : les Grecs. À Sparte comme Athènes, dans toutes les cités du bassin égéen, on pratiquait l’esclavage, figure ultime et la plus extrême de l’inégalité (dans un sens plus profond que la seule « inégalité matérielle » qui obsède Monsieur Piketty). Les penseurs grecs étaient conscients de l’inégalité radicale qui existait — y compris dans un sens matériel — entre l’esclave et l’homme libre.

Des auteurs tels Aristote ne se sont pas fait défaut de tenter, au détour d’un paragraphe, de justifier cette inégalité et l’institution de l’esclavage. Mais il ne serait jamais venu à l’idée d’aucun auteur grec d’aucune école de considérer l’inégalité matérielle comme le grand problème de son temps ni d’aucune société humaine, et l’on ne sache pas qu’un traité de philosophie politique grecque se soit jamais donné pour objet l’inégalité réelle entre les hommes. L’isonomos (ἰσόνομος) — l’égalité en droits — fut la grande affaire des cités grecques — mais le concept de cette égalité en droit est radicalement étranger et sans rapport, ni empirique ni logique, avec celui de l’égalité en fait chère à Monsieur Piketty ; et nul auteur du grand siècle philosophique grec, pas plus Platon qu’Aristote, ne s’avisa d’y inclure les esclaves.

Il ne s’agit évidemment pas de soutenir que la conception des Grecs était meilleure que la nôtre ; seulement de constater que leur appareil de références morales, philosophiques et politiques, divergeait du nôtre et que c’est une erreur de méthode, voire d’amateur, que de leur prêter des préoccupations propres à notre époque -- tout du moins la frange socialisante du monde intellectuel.

Les mille deux cents pages que Monsieur Piketty consacre à l’étude de son ambitieux projet le conduisent à considérer toutes sortes de sociétés, depuis les esclavagistes occidentaux jusqu’à nos jours. Mais ce qu’il gagne en extension, il le perd en pertinence. Quand on se donne un objet aussi vaste — rien moins que l’histoire humaine — le risque est de se montrer superficiel. Force est de constater que Monsieur Piketty y succombe. Les chapitres grecs et américains, par exemple, atteignent péniblement le niveau d’un article de quotidien, tant l’auteur reste à la surface des faits, qu’il égrène en quelques paragraphes rapides avant de les engluer dans l’épais mélange de sa propre idéologie.

La lecture laborieuse de « Capital et idéologie » fait apparaître, de façon limpide et immédiate, que la vraie préoccupation de Monsieur Piketty est moins la connaissance de l’histoire des inégalités, que de justifier ses conclusions « programmatiques » — qui tiennent en quelques pages (comme on aurait aimé le même esprit de synthèse dans les chapitres précédents).

Monsieur Piketty préconise des taux d’imposition qu’il qualifiait dans son précédent opus, avec une gourmandise assumée, de confiscatoires : 80-90 %. Le fait que certains individus perçoivent des revenus, héritent de patrimoines, largement supérieurs à ceux des moins nantis, est insupportable à Monsieur Piketty ; à cette réalité, il faut porter remède. Ce remède est la confiscation.

Le mal est l’inégalité, le remède est la confiscation : telle est la seule équation rationnelle — sur le mode de l’impératif hypothétique kantien — de l’œuvre de Monsieur Piketty.

Un quidam lisant « Capital et idéologie » concevra que nous suffoquons dans des enfers horriblement inégalitaires et que l’absence de taux d’imposition de 90 % sur les plus élevés revenus et patrimoines est une injustice en soi, et même la grande injustice de notre temps ; qu’en y portant remède, tout ira mieux -- y compris dans le domaine climatique (sic), glisse Monsieur Piketty, fidèle à l’esprit « gretiste » [adepte de Greta Thunberg] de notre temps.

Considérons les faits :

1°) Nos sociétés ouest-européennes sont parmi les plus égalitaires dans le monde, ce dont atteste le coefficient « Gini » ;
2°) Nos sociétés ouest-européennes n’ont jamais été aussi taxées, et sont les plus imposées de la planète — si l’on excepte des cas pathologiques tels la Corée du Nord.

Ces deux réalités, Monsieur Piketty ne peut les ignorer. Alors il se contente, d’une part, de récuser le coefficient Gini, non par des motifs rationnels — ce coefficient n’est contesté dans sa rigueur scientifique et synthétique par personne — mais parce que sa préférence le conduit à comparer, par exemple, les revenus des 10 % les plus « riches » et ceux des 10 % les plus « pauvres ». Un choix possible, mais partial et subjectif, qui ne permet en rien de récuser « Gini ».

D’autre part, Monsieur Piketty ne s’occupe pas de l’impôt en général — qui indique en effet que nos sociétés sont taxées comme jamais — seulement des taux les plus élevés. Car, il lui est facile de montrer que les taux supérieurs étaient plus élevés à certaines époques de l’histoire récente. Toutefois, la considération du taux sans celle de l’assiette est dénuée de valeur. Si le taux de 90 % s’impose à partir de 1 million de revenu, le prélèvement global — y compris sur les « riches » ! — sera nettement moindre qu’avec un taux marginal supérieur de 55 % qui s’applique dès 30 000 euros. Ce truisme ne manquera pas d’échapper au lecteur rapide de Piketty, comme à son étudiant.

Ne perdons pas notre temps à relever les innombrables outrances -- Monsieur Piketty taxe nos sociétés de pratiquer la même « quasi-sacralisation » de la propriété que les sociétés esclavagistes, il qualifie le philosophe et prix Nobel d’économie F.A. Hayek de penseur « semi-dictatorial » (sic) — pour aller au système proposé dans la conclusion : un socialisme participatif, instituant une forme temporaire et collective de la propriété, par le moyen de taux d’imposition confiscatoires.

Ces « remèdes » n’ont de neuf que leur habillage verbal ; ils sont aussi anciens que les premières formes de proto-socialisme — « l’égalité réelle ou la mort ! », s’écriait Gracchus Babeuf — et se heurtent à autant d’arguments rationnels et moraux que de difficultés pratiques. Parmi ces difficultés : la fuite des capitaux, qui ne manquerait pas de se produire si un pays devait s’aviser d’instituer le néocommunisme pikettien. Eh bien, c’est fort simple, rétorque Monsieur Piketty : il suffit de supprimer la libre circulation des capitaux ; en revenir donc à des formes strictement nationales de l’économie financière. Ce qui ne paraît pas de trop bon augure pour un pays aussi endetté — sur les marchés financiers internationaux — que la France. Quid si, ne pouvant soustraire leur capital à la confiscation, les Français quittaient en masse leur pays, pour échapper aux colonnes infernales de la confiscation ? Monsieur Piketty ne le dit pas, pourtant le remède est simple : il suffit de renoncer à la libre circulation des personnes ! On perçoit aisément les contours sympathiques et humanistes d’un régime qui s’inspirerait des préceptes de Monsieur Piketty.

On perçoit surtout les ravages produits par ce que l’on a nommé par ailleurs « la passion de l’égalité » [1] sur un grand nombre de penseurs socialistes. Leur seul impératif, intégralement moral — résultant d’un choix de valeur, non d’une analyse du réel, contrairement à ce soutient naïvement et fautivement Thomas Piketty — est, pour emprunter nos mots à l’un des principaux penseurs du socialisme italien au XXe siècle, « la réduction des inégalités sociales » ; « et si l’on ne peut faire que tous soient égaux et riches, on fera que tous seront égaux et pauvres ! »[2]

Au final, le succès de Monsieur Piketty doit être vu comme symptôme, celui d’une radicalisation à l’extrême gauche des universités occidentales, radicalisation dûment attestée par les enquêtes statistiques, qui permet à des penseurs aussi obsessionnels et, disons-le, superficiels, de prospérer en toute impunité.



[1] Essai sur la civilisation socialiste, Texquis, 2017.

[2] L’auteur de cette formule universelle du socialisme est Benito Mussolini, cité par son ministre des affaires étrangères Ciano, Journal politique, au 8 mars 1939. Mussolini fut l’un des dirigeants du parti socialiste italien (PSI), et directeur du quotidien socialiste L’Avanti, avant de colorer son socialisme de nationalisme militariste pour fonder le fascisme.