vendredi 6 septembre 2019

Le sidérant renversement de perspective des décisions « de justice »

Chronique d’Éric Zemmour du 6 septembre dans le Figaro Magazine sur de récentes décisions par des magistrats qui sont assez révélatrices de notre époque.

C’est un puzzle. Le puzzle d’une certaine conception de la justice, d’une certaine philosophie de la vie en société. Un jour, des militants identitaires sont condamnés à six mois de prison pour avoir voulu bloquer (pacifiquement) la frontière entre la France et l’Italie. Quelque temps plus tard, un Afghan tue au couteau dans les rues de Villeurbanne. On apprend alors que ce brave homme avait obtenu le droit d’asile, non parce qu’il était menacé personnellement, mais parce que son pays était en guerre. Il avait été rejeté d’Allemagne, d’Italie et de Norvège. Mais la France doit toujours faire mieux que les autres. La Cour nationale du droit d’asile peut être fière d’elle : il était urgent de protéger cet Afghan du risque d’être tué dans son pays pour lui permettre de tuer dans le nôtre.

Dans l’ancien monde, les jeunes gens qui défendaient leur frontière contre les envahisseurs étaient des héros. Nos monuments aux morts en sont pleins. Aujourd’hui, on les insulte, on les traite de racistes et on les met en prison. Et le Conseil constitutionnel lui-même bénit celui qui ouvre les frontières, le passeur qui transgresse la loi française, met en danger ses compatriotes, au nom du concept fumeux de « fraternité ».

Dans l’ancien monde, les fous se prenaient pour Napoléon et posaient leur main sur le ventre : dans le nouveau, ils crient « Allah Akbar » et plantent un couteau dans le ventre des passants.

Dans l’ancien monde, l’État avait pour mission de protéger les citoyens français à n’importe quel prix. C’était sa légitimité. D’ailleurs, la justice [la magistrature] rend ses jugements au nom du peuple français. Aujourd’hui, l’essentiel pour l’État est d’éviter tout « amalgame ». De protéger l’étranger des persécutions imaginaires des Français. De protéger l’islam de toute « stigmatisation » même si nos compatriotes sont massacrés en son nom. La justice [les tribunaux] devrait — ce serait plus clair — rendre désormais ses jugements au nom de l’Humanité. Ou au nom d’Allah ?

Dans le monde ancien, le droit d’asile, c’était Hugo à Guernesey ou Soljenitsyne dans le Vermont. Aujourd’hui, c’est un réservoir inépuisable de combattants d’Allah.

Dans le monde ancien, on renvoyait les délinquants étrangers et les déboutés du droit d’asile dans leur pays. Dans le monde nouveau, on adopte des lois pour éviter à ces pauvres petits les affres de la [prétendue] « double peine » [être condamnés puis renvoyés].

Le renversement de perspective est sidérant. Dans les années 70, les membres du Syndicat de la magistrature distribuaient à la sortie de leur école la fameuse « harangue de Baudot » qui enjoignait de juger avec partialité, de privilégier le pauvre contre le riche, la femme contre l’homme, l’enfant contre le père, l’ouvrier contre le patron, l’immigré contre le Français. Cinquante ans plus tard, ils peuvent regarder avec une légitime fierté l’œuvre accomplie.

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France et ses banlieues — Ils ont tué l'école


Les titres des livres, comme les promesses des ministres de l’Éducation nationale, n’engagent que ceux qui veulent y croire. Il ne faut donc s’y fier qu’avec prudence. Ils ont tué l’école n’est pas le pamphlet au vitriol que l’on s’attendait à lire, et vous n’y trouverez ni une nouvelle charge contre le « pédagogisme » ou quelque réforme que ce soit, ni une série de panacées qu’il suffirait de promulguer par décret pour propulser tout à coup la France au sommet du classement PISA.

Si Marion Armengod, 30 ans, a marqué une pause dans sa carrière de journaliste à Radio-Nova, pour passer une année en tant que remplaçante dans des établissements scolaires de Seine–Saint-Denis et a choisi de prendre la plume, c’est d’abord pour faire entendre un témoignage.

À l’origine, il y a le désir de mettre du sens dans une carrière professionnelle qui lui paraît en manquer. Et le récit qu’elle fait de son année d’enseignante est en effet cela : une quête de sens, là où le manque de moyens, les dysfonctionnements administratifs à répétition et le sentiment d’abandon confinent parfois à l’absurde. Tout plaquer, partir un an dans un environnement difficile avec l’étrange sentiment de monter au front, puis revenir et raconter : l’exercice est loin d’être inédit, mais l’énergie que met l’auteur dans le compte rendu romanesque qu’elle en livre est touchante. Il y a d’abord son départ bille en tête, la rentrée qu’elle attaque la fleur au fusil avec une naïveté qu’elle confesse bien volontiers : « Je plane sur ma licorne arc-en-ciel, à des années-lumière d’une triste réalité qui va très vite me rattraper. »

 Son contrat signé, la désillusion commence. Entre sa responsable qui la promène d'une école à l'autre, d'une ville à l'autre, le nombre alarmant des collègues victimes d'épuisement, les élèves en grande détresse, les locaux indignes et le dilettantisme de sa hiérarchie, l'auteure retrace ses aventures, tantôt tendres, tantôt dramatiques, celles d'une jeune enseignante qui met ses convictions à l'épreuve et expérimente, avec un regard neuf, la réalité du terrain derrière le discours sur " l'égalité des chances " républicaine. Son enthousiasme se heurte aux absurdités administratives : tel jour, on l’expédie dans le mauvais collège ; tel autre, on la laisse sans rien faire faute de parvenir à lui trouver une mission.

Quand elle arrive à l’école, rien, décidément, ne se passe comme prévu. Avec ironie, l’enseignante se remémore par analepses, par retours en arrière, les conseils entendus quelques jours plus tôt, lors d’une formation trop sommaire pour être vraiment utile : bien vite, il lui faut oublier même le peu qu’elle a appris. Une fois devant la classe, on improvise souvent comme on peut. Véritable couteau suisse, elle est prof de natation le matin et de mathématiques l’après-midi. Internet, heureusement, pallie ses lacunes, lui fournissant opportunément les exercices idoines sitôt qu’il lui faut dispenser un nouveau cours à l’improviste.

On passe un peu vite sur les leçons de morale hâtives de l’auteur ou sur son plaidoyer lassant et militant en faveur du droit d’asile. Reste que ce récit, souvent sensible et subtil, rend manifeste une réalité que les enseignants connaissent déjà bien : celle d’une école en panne, où le manque de moyens et celui, encore plus cruel, de formation du personnel sacrifient des générations entières d’élèves. L’école publique n’est plus qu’un pansement, conclut l’auteur : ceux qui en ont les moyens la fuient et se réfugient dans le privé. Si rien n’est fait, il en sera bientôt fini de l’école de la République.

Ils ont tué l’école,
de Marion Armengod,
paru le 22 août 2019,
aux éditions du Seuil,
à Paris,
176 pp.,
ISBN-13: 978-2021424614
17 €.

Le bobard du « Contrat de l’institutrice, 1923 »

Depuis quelque temps déjà, un « contrat de l’institutrice » qui daterait de 1923 circule sur Facebook et certains sites de la Toile. Est-ce un document authentique ? Très certainement pas à cette date ni au Québec et bien sûr pas plus en Europe.

Voici donc la pièce qui circule :


Il ne peut s’agir d’un vrai contrat d’institutrice en Europe. Il paraît douteux d’évoquer un bar laitier où il serait interdit d’aller. Bar laitier sonne clairement comme un texte en provenance du Québec en outre le terme est postérieur, au Québec même, à 1923 ! Par ailleurs, dans une autre version de cette image, on nous donne le salaire de l’institutrice : 75 dollars par mois. On n’est clairement pas en Europe.

En fait, le même texte avec les 15 conditions existe en version anglophone. La seule différence est que ce n’est plus un contrat de 1923, mais de 1915, nous dit-on. Dans un rapport de l’Université du Michigan publié en 1974, il est écrit que le contrat viendrait d’une école privée de Californie.

Dans d’autres livres ou articles de presse, certains affirment que le texte vient soit d’une petite école du Michigan, soit d’un village de l’Arkansas, ou encore qu’il s’agit de règles en vigueur dans un établissement chrétien d’Arizona valable pour l’année 1913. Dans tous les cas, aucune source n’est clairement indiquée ou vérifiable.

Un examen superficiel révèle l’usage d’une police de caractères et une mise en page trop modernes pour 1923.

Nous reprenons ci-dessous l’essentiel de l’analyse de ce « contrat » par Guillaume Bouchard Labonté :

Le texte contient également quelques bizarreries. Pourquoi, par exemple, avoir laissé des espaces blancs (qui sont d’ailleurs minuscules) pour le nom de l’école, alors que l’année et le salaire sont fixes ? Qui produirait théoriquement ce document ? Les commissaires ? L’inspecteur ? Le Surintendant de l’Instruction publique ? A priori, il est impossible de le deviner, car le « contrat » ne porte aucune mention autre que « Le Conseil de l’Éducation ».

Le « contrat » ne prévoit non plus aucun espace pour la signature des commettants. Voilà qui est quand même suspect ! Une petite recherche sur le web nous a permis de conclure qu’il s’agit en fait d’une traduction d’un texte original en anglais. Radio-Canada est arrivée aux mêmes conclusions.

Le document n’est pas authentique, c’est manifeste. Mais est-il crédible sur le plan historique ? Décrit-il avec justesse les tâches qu’on exigeait des institutrices québécoises des années 1920 ? Oui… et non. En fouillant au centre de documentation de la SHGIJ et dans nos archives, nous avons retrouvé quelques vraies copies de contrats du même genre, datant de 1842 à 1918. Passons donc en revue certains des points mentionnés et comparons.

Durée du contrat et salaire

Dans le Québec des années 1920, les termes d’un contrat entre un syndic d’école ou des commissaires et une enseignante sont réglementés par le Code Scolaire. Et cette loi a des spécifications qui contredisent les termes du document. Par exemple, l’année scolaire débute le 1er juillet et se termine le 30 juin suivant. Généralement, on fait aussi mention du salaire annuel. Ici, l’année scolaire dure huit mois et on ne précise pas si le salaire continuera d’être versé au cours de l’été.

En admettant que l’institutrice reçoive huit mois de salaire, elle gagnera en tout 600 $. Un montant qui paraît famélique aujourd’hui. Mais pour 1923, ce n’est pas exceptionnel. Le salaire moyen des Canadiennes est alors d’environ 577 $, contre 920 $ pour les Canadiens. Or, on sait que les institutrices de l’époque étaient sous-payées, même en les comparant aux autres travailleuses. Une réalité qui était déjà condamnée à l’époque ![1] Et qu’est-ce exactement qu’un « Conseil de l’éducation » ? Les documents du Québec francophone des années 1920 n’utilisent jamais cette expression pour parler de l’assemblée des commissaires. Il semble qu’on ait affaire ici à une très mauvaise traduction de l’anglais « Board of education » [Conseil scolaire est le nom des commissions scolaires hors Québec...].

Contrat de Wilda Larose, 1918
À titre de comparaison, le contrat que Wilda Larose signe avec la Municipalité scolaire Côte des Lacasse à Sainte-Rose en 1918 (à gauche) prévoit un salaire annuel de 250 $, en plus de la remise du fonds de pension. C’est malheureusement nettement plus représentatif du salaire d’une institutrice en milieu rural [2]. En outre, on y trouve la date exacte et la signature du secrétaire des commissaires, en plus de celle de Wilda Larose.

Le célibat des institutrices et leur moralité

La première condition du faux contrat est sans appel : « I. Ne pas se marier, sans quoi le présent contrat sera annulé sur-le-champ. » Est-ce crédible ou non ? Selon les historiennes Micheline Dumont et Andrée Dufour, les institutrices québécoises du début du siècle qui souhaitaient se marier ne pouvaient généralement pas conserver leur emploi [3]. Mais cette règle n’est pas appliquée dans toutes les régions ni à toutes les époques. En 1891, il y a par exemple encore 10 % de femmes mariées parmi les institutrices [4]. La règle est appliquée de plus en plus rigoureusement au début du XXe siècle et surtout en milieu urbain. Dans plusieurs écoles du Québec, il faut attendre les années trente pour que des femmes mariées puissent à nouveau enseigner aux enfants [5]. Une lettre du Surintendant de l’Instruction publique, en 1932, confirme que la souplesse sur ce point est de retour : il y affirme à un curé que « le mariage ne rompt pas l’engagement de l’institutrice » [6]. Cette condition ne vaut évidemment que pour les femmes. Un instituteur qui prend épouse est rarement ennuyé. Il peut au contraire compter sur une augmentation de salaire [7].

Le Code scolaire prévoit une révocation du brevet aux institutrices et aux instituteurs qui adoptent un comportement immoral. Bien évidemment, fréquenter un homme hors mariage est un exemple typique de comportement immoral dans le Québec des années 1920. La condition II « Ne pas fréquenter d’hommes » correspond donc tout à fait aux normes sociales de l’époque. En revanche, la directive VIII, « ne pas monter dans une voiture avec un homme autre que son frère ou son père » nous semble exagérée. Toutefois, cette accusation peut faire partie d’un tout plus scandaleux, comme dans le cas de Séraphine Perreault, enseignante à Grondines, qui aurait passé une soirée de 1888 à se promener en voiture avec un homme qu’elle aurait ensuite invité dans sa maison de fonction attenante à l’école[8]. L’interdiction de recevoir des invités dans le logis de fonction peut faire l’objet d’une clause de contrat à cette époque [9]. Mais pour éviter les comportements subversifs, les commissaires exigeaient avant tout un certificat de moralité [10]. Le contrôle social se faisait souvent bien plus en amont, à la sélection même de la candidate.

Consommation d’alcool

En 1873, un curé porta plainte contre un instituteur de L’Anse-au-Griffon qui aurait eu l’habitude de lever le coude un peu trop haut [11]. Quand elle était prouvée, cette allégation pouvait mener à des conséquences graves, puisque la loi stipulait clairement que l’ivrognerie doit entraîner la révocation du brevet [12] ! La consommation d’alcool, sans être absolument proscrite, ne devait pas être abusive. La condition VII, « ne pas boire de bière, de whisky ou de vin » est donc à prendre avec un grain de sel. Dans le climat prohibitionniste nord-américain des années 20, elle apparaît tout à fait à propos. Or, le Québec de l’époque est plus « tempérant » que prohibitionniste [13]. Fréquenter un débit de boisson, même légal, semble cependant hors de question pendant longtemps pour l’institutrice [14].

Entretien de l’école

Le Code Scolaire ne prévoit pas, contrairement à la condition XIII du contrat, un nettoyage en profondeur du plancher chaque semaine, mais bien à tous les deux mois. Le balai doit être passé, lui, quotidiennement. Il est également spécifié que le poêle doit être chauffé jusqu’à ce que la salle de classe atteigne une température de 65 degrés Fahrenheit [15]. En saison froide, le feu doit être allumé une heure avant le début des classes [16]. Malgré tout, les « commissaires et les syndics d’écoles […] ne pourront jamais exiger ces travaux des instituteurs et institutrices » ![17] On doute que les commissaires aient tous été dissuadés par ce paragraphe de la loi, surtout en milieu rural. Mais cette précision vient certainement nuancer la sévérité des prescriptions précédentes.

Il est à noter que le bois de chauffage, dans les écoles de rang, n’est pas toujours fourni gratuitement. Assez souvent, l’institutrice doit se le procurer elle-même.

Le bar laitier

Le « bar laitier » était l’endroit parfait pour flirter. Y « traîner » régulièrement ne semble donc pas un comportement approprié pour une institutrice des années 1920. Mais il y a un hic : les « bars laitiers » n’existaient pas encore en 1923 ! Au Québec, l’expression a été traduite de l’anglais « milk bar » au milieu des années trente [18]. Le phénomène a surtout pris de l’ampleur dans les années quarante et cinquante. Notez que la version anglaise du contrat utilise plutôt l’expression « ice cream store », plus prudente et ambiguë.

Conclusion

Dans le contrat (authentique) de Wilda Larose, on ne fait pas mention de conditions spéciales. Le vocabulaire, à quelques exceptions près, est calqué sur les normes gouvernementales. Le contrat authentique semble donc bien plus ennuyant que le faux ; pas étonnant qu’un document de ce genre ne devienne pas viral sur Facebook... Mais surtout, on n’y fait qu’indirectement mention du comportement idéal de l’enseignante. On y réfère à « l’engagement de l’instituteur », au 19e paragraphe du Code Scolaire. Cet « engagement » sert de modèle de contrat pendant plus d’un demi-siècle, et sur la plupart des exemplaires retrouvés, on en déroge assez peu : on ajoute une ou deux précisions, tout au plus, qui sont parfois sévères, mais loin d’être aussi terribles que la somme des conditions du faux contrat mentionné plus tôt. Le Code Scolaire ne prévoit à l’époque aucun salaire fixe [19], et une bonne partie des règles les plus spécifiques sont déterminées par les commissaires à l’échelle de la municipalité scolaire, ou par le curé local, qui pouvait réunir les institutrices de la paroisse et leur donner des directives concernant, par exemple, la longueur de leurs jupes [20]. Quelques décennies avant l’application de normes gouvernementales dans la rédaction de contrats d’embauche d’enseignantes, on peut d’ailleurs préciser que « l’institutrice devra se conformer aux avis et direction dudit curé dans la manière d’enseigner et dans le gouvernement de ladite école » [21]. On laisse donc la création d’une bonne partie des règles à l’arbitraire des autorités locales, et celles-ci peuvent varier énormément.

Engagement de l’institutrice, ANQ, Éducation, C.G., no 1934, 1888.

Engagement de l’institutrice, ANQ, Éducation, C.G., n° 1934, 1888.
Au début du siècle, on assume que l’institutrice formée à l’école normale [22] et détenant son brevet sait déjà comment bien se tenir. Les manuels pédagogiques de l’époque, tels que le Traité de pédagogie théorique et pratique de Mgr François-Xavier Ross, donnent d’ailleurs de sévères recommandations morales aux futures institutrices. Elles concernent tant la piété religieuse que l’habillement [23].

Comme en témoigne cet autre exemple de 1888 [24] (à gauche), tous les contrats n’étaient pas entièrement rédigés à la main comme celui de Wilda Larose. Les règles changent également selon la provenance géographique et la confession religieuse. Le contrat d’embauche d’une institutrice du Missouri n’avait pas grand-chose à voir avec celui que devait signer son homologue de Rimouski. Au Québec, celui d’une institutrice anglophone protestante de Montréal pouvait également comporter des différences notables : son salaire risquait par exemple d’être plus élevé [25].

Le contrat d’institutrice de 1923 comporte quelques détails qui ne sont pas représentatifs de l’époque. Et il suffit d’un seul anachronisme pour démasquer un faux ! Toutefois, comme on l’a vu, ce contrat n’est pas totalement farfelu. Voilà pourquoi, sans doute, tant de personnes sont tombées dans le panneau.



[1] Notamment dans le journal L’Enseignement Primaire : « En 1918-19, il y avait encore 2619 institutrices qui ne recevaient que de 150 $ à 200 $. En ne payant que 15, 17 ou 18 piastres par mois, les commissaires d’école commettent une erreur profonde. Ce sont ces salaires pitoyables qui sont la cause principale du changement fréquent des institutrices […] » (Avril 1920, p. 451.)

[2] Selon Antoine Dessane, officier d’Instruction publique, la moyenne du salaire annuel d’une institutrice québécoise catholique était de 327 $ en 1923. (Antoine Dessane. « L’enseignement est-il une carrière ? » L’Enseignement primaire, octobre 1927, p. 74.)

[3] Dufour et Dumont, op. cit. 2004, p. 91.

[4] Ibid, p. 80.

[5] Robert Cadotte, Anik Meunier. L’école d’antan, 1860-1960. Québec, Presses Universitaires du Québec, 2011, p. 45.

[6] Cécile Reid-Brisebois. Nos institutrices rurales, 1898-1960. Mont-Laurier, 1984, p. 18.

[7] Dufour et Dumont, op. cit. 2004, p. 116.

[8] Jacques Dorion. Les écoles de rang au Québec. Montréal, Éditions de l’Homme, 1979, p. 254.

[9] René Lachance et Rénald Lessard. « L’école de rang ». Cap-aux-Diamants, no 52, hiver 1998, p. 60.

[10] Dufour et Dumont, op. cit. 2004, p. 80.

[11] Ministère de l’Éducation du Québec. Une histoire de l’Éducation au Québec. 25 ans d’essor en éducation. 1989, p. 36.

[12] Au paragraphe 57 section II, dans la version du Code de 1899. Le paragraphe est modifié au cours du XXe siècle, et la mention « ivrognerie » n’est plus présente dans la version de 1950. La loi prévoit en outre qu’à la demande de l’instituteur déchu, le brevet peut être accordé de nouveau après deux ans de bonne conduite. Seule la deuxième révocation est finale.

[13] La Commission des Liqueurs est créée en 1921 au Québec.

[14] Jacques Dorion, op. cit. 1919, p. 254.

[15] Code Scolaire 1899, Chap. 5, section 2, par. 99.

[16] Ibid, par. 118.

[17] Ibidem.

[18] Un article du Bulletin des agriculteurs datant de 1935 traite le phénomène des « bars laitiers » comme une nouveauté autant qu’une curiosité. « Une solution à la crise laitière ? » Le Bulletin des agriculteurs, 29 mai 1935, p. 1. La crème glacée, quant à elle, existait déjà au XIXe siècle.

[19] Les commissions scolaires peuvent toutefois imposer un cadre, comme un salaire minimum et maximum.

[20] Jacques Dorion, op. cit. 1979, p. 254.

[21] Contrat d’engagement de Marie-Christine Constantin comme institutrice, 9 septembre 1842. Greffe du notaire Germain Césaire, M01M-620-1311-251.

[22] C.J. Magnan. À propos d’instruction obligatoire. La situation scolaire dans la province de Québec. Québec, L’action sociale, 1919, p. 81

[23] Réal Boucher. « Quelques indicateurs des pratiques pédagogiques d’autrefois » Revue des sciences de l’éducation, volume 15, numéro 3, 1989, p. 336.

[24] Ibid, p. 312.

[25] Dufour et Dumont, op. cit. 2004, p. 83.