dimanche 26 août 2012

Le dialogue, au sens strict, entre les religions est impossible

Benoît XVI se montre réticent à engager un dialogue proprement théologique avec les non chrétiens. Le pape s'exprime dans une brève lettre au parlementaire de droite Marcello Pera que ce dernier publie en préface de son livre Pourquoi nous devons nous dire chrétiens.
« Vous expliquez avec une grande clarté qu'un dialogue interreligieux au sens strict du mot n'est pas possible, alors que le dialogue interculturel, approfondissant les conséquences culturelles de la décision religieuse de fond, s'avère particulièrement urgent ».
Un « vrai dialogue » interreligieux impliquerait de « mettre sa propre foi entre parenthèse , ce qui « n'est pas possible ».

Rémi Brague pense la même chose à propos du dialogue entre chrétiens et musulmans :
« Sur le plan strictement théologique, c'est bien difficile. Ne serait-ce que parce que l'islam s'est compris et construit lui-même comme un postchristianisme. En revanche, le dialogue peut s'établir entre musulmans et chrétiens sur les vertus que l'humanité a en commun : sens de l'honneur et de la parole donnée, justice, solidarité... A mon sens, il vaut mieux parler avec les musulmans du prix du pétrole ou de l'urbanisme des banlieues que d'Abraham ! Une chose est sûre : dissimuler les différences au profit d'une bouillie consensuelle mettant le christianisme et l'islam dans un même sac, celui des « religions d'Abraham », ne fait qu'envenimer les relations. S'ils veulent instaurer un respect mutuel, les croyants, chrétiens comme musulmans, ne doivent pas mettre leur religion dans leur poche. »
L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien…

Il y a quelques mois s'affrontaient un grand arabisant et le physicien Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, animateur de l’émission Islam à France 2 le dimanche matin.

Passionnante confrontation animée par Alain Finkielkraut et dont on appréciera les interventions du théologien François Jourdan, grand arabisant et responsable diocésain du dialogue catholique-musulman à Paris. Ce dernier vient de publier un livre dont le besoin se faisait sentir depuis vingt-cinq ans : « Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Est-ce le même Dieu ? » Le Père Jourdan répond non, car même si l’élan des croyants est comparable, l’idée que Dieu existe l’est aussi ; mais la similitude s’arrête là. Des différences irréductibles séparent les deux théologies. L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien…

Le père Jourdan s’oppose au dialogue aseptisé (penser au cours d’Éthique et de culture religieuse) et déclare que les bons sentiments ne sont pas nécessairement le meilleur remède. Il dénonce une constante maldonne sur les mots qui fonde une fraternité mensongère et un angélisme de mauvais aloi. Les mêmes mots sont des pièges. Ainsi quand le musulman dit « J'accepte Jésus », de quel Jésus s'agit-il ? Pourquoi n'est-il pas chrétien alors ? Mieux vaut au contraire savoir avec précision en Qui l’on croit, pour pouvoir ensuite dialoguer dans la vérité.

On ne peut que conseiller le livre du P. Jourdan à tous (y compris les futurs professeurs d’ECR), remarquablement clair, précis et argumenté. Il clarifie le débat pour des chrétiens habitués depuis trente ans à la confusion sur ce sujet. On y découvre que l’islam emploie des mots et des noms (Abraham, Gabriel, Jésus, le Livre) qui laissent croire à un patrimoine biblique partagé. Toutefois quand on examine de près ces termes, on constate que leur contenu n’est pas du tout semblable.

L'ouvrage réalisé par le père Jourdan donne le point de vue catholique officiel (c’est un ouvrage « nihil obstat et imprimatur ») sur la doctrine de Dieu comparée entre chrétiens et musulmans. L’auteur s’y insurge contre des assimilations faciles : Nous avons le même Dieu, le Coran parle de Jésus, Abraham est ;le père de tous les croyants...

Dans sa préface, Rémi Brague souligne que les points communs sont ce qu’il y a de moins intéressant. Définir Napoléon en disant : il a deux jambes et une tête, donc il est comme moi, n’avance à rien.

S'il y a unicité de Dieu dans l’islam, c'est d'unité divine qu'il faut parler dans le christianisme : l’unité préserve la diversité. Le Dieu chrétien comporte trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Cette notion de Trinité heurte l’islam. De plus, c’est une erreur d’appeler Dieu « Père  » pour un musulman. Le chrétien est fils de Dieu mais le musulman est serviteur, esclave (abdallah) de Dieu. Pour le chrétien (comme pour le juif) il y a une alliance entre Dieu et l’homme, pas en Islam. La conception de Dieu dans l’Islam diffère profondément de la conception chrétienne : en ce sens, ce n’est pas le même Dieu dont on parle.

Devant les problèmes nets soulevés par le père Jourdan, Bencheikh a été brillant, mais évasif, jouant à l’esquive. On appréciera sa joli pirouette qui consiste à dire que musulman ne signifie pas mahométan, mais simplement croyant en Dieu ! Ghaleb Bencheikh semblait, tout le long du dialogue, refuser d'aller au fond du problème.

Ses « j'en conviens » sont aseptisés, convenus. Pourtant, quel intérêt peut revêtir le dialogue interreligieux, s'il cherche à gommer la confrontation des altérités, qui est pourtant à la racine même d'un tel échange ? Si nous nous ressemblions tant que ça, l'intérêt d'un dialogue serait maigre.

Bencheikh semblait vouloir rendre plus présentable la vieille prétention de l'islam – tout en ne parlant jamais qu’à titre personnel et jamais au nom de l’islam – à être la religion originelle et parfaite (Abraham et Jésus étaient musulmans) et qui, dans sa doctrine, conteste radicalement le judaïsme et le christianisme.

Antoine Sfeir — le dialogue interreligieux, une imposture



La vidéo ci-dessus est extraite d'une émission française, C dans l’air, consacrée au « forum islamo-chrétien » et diffusée en novembre 2008. À cette occasion, Antoine Sfeir — journaliste et professeur franco-libanais, directeur des Cahiers de l’Orient déclare :

— On a donné à cette rencontre un titre assez bizarre d'ailleurs, le « forum ». On ne pouvait quand même pas parler de « dialogue interreligieux », alors que tout le monde veut en parler. le dialogue entre islam et chrétiens...

— Parce que c'est autre chose ?

— Mais, bien entendu. Parce que c’est de l’imposture intellectuelle, le dialogue islamo-chrétien. Ou on est croyant, et à ce moment-là chacun pense que sa religion, c’est la vérité. Donc parler avec l’autre, c’est vouloir le convertir. Ou alors on n’est pas croyant, et on n’est pas concerné par ce « dialogue » interreligieux ou islamo-chrétien, appelons-le comme on veut. Si on veut savoir à quoi croit l'autre, c'est du dialogue interculturel, uniquement. Alors ça, autant qu'on veut. Bien entendu. Il faut dialoguer culturellement et continuer à le faire. Ce qui me gêne dans tout ça...

— Vous pensez quoi, que c’est hypocrite ?

— Ah, totalement. Totalement. La preuve c’est qu’on a quand même essayé de dire : « On a parlé des choses qui fâchent ». On a parlé de la liberté de conscience, mais du côté musulman, on n’a pas précisé ce que c’était, la liberté de conscience. On n’a pas parlé de véritables choses qui fâchent. [...] Ce vouloir-vivre-ensemble aujourd’hui, quoi qu’en disent ce forum et ce communiqué, n’existe pas. En tout cas dans la région que je connais un peu, qui est l’espace arabe.

Voir aussi

La Croix et le Croissant

Débat — Conférence sur l'histoire du dialogue entre islam et christianisme entre Rémi Brague et Malek Chebel, Sciences-Po (14 avril 2011)



Rémi Brague explique d'abord pourquoi l'expression « Les gens du livre » est inopportune et empêche en réalité de réfléchir.



(Partie 2) Rémi Brague et Malek Chebel...

Même débat sous un autre angle (son très variable), neuf courtes vidéos





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Étudiants africains en France, étudiants français en Belgique

Les autorités belges envisagent de nouvelles mesures pour limiter ces étudiants français qui affluent en Belgique parce qu'ils ne réussissent pas à intégrer les filières de leur choix en France, comme l'orthophonie, où les Français représentent jusqu'à 90 % des effectifs.

Pire encore, les 250 000 étudiants que la France reçoit ne peuvent guère donner l’illusion que l’université française soit réellement attractive. En effet, la grande majorité de ces étudiants provient des anciennes colonies françaises pour qui la France continue à constituer une sorte de débouché naturel. Près de 25 % des étudiants étrangers qui viennent en France sont marocains, tunisiens, algériens ou sénégalais.

La France reçoit plus de 100 000 étudiants étrangers chaque année, et la politique de Claude Guéant en la matière n’a pas entraîné de baisse de plus de 2 ou 3 %. À elle seule, l’université française accueille plus d’étudiants africains que les universités américaines, britanniques et allemandes réunies.

En revanche, les universités françaises se révèlent extraordinairement peu attrayantes pour les étudiants des pays émergents. Elle n’est par exemple que le 7e pays d’accueil des étudiants asiatiques, à égalité avec l’Allemagne, avec à peine 3 % des flux captés, quand la Grande-Bretagne en capte le quadruple.

D’une certaine façon, l’université française s’est spécialisée dans l’accueil des étudiants africains, qui représentent près de 40 % de la masse de ses étudiants étrangers.

Hors Afrique, l’université française accueille environ 140 000 étudiants étrangers. L’université allemande, hors Afrique, en accueille 180 000. Hors Afrique, l’université française n’est que la 5e destination mondiale d’étudiants étrangers, une place en chute libre depuis près de 10 ans.


Source




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Histoire — « On a trop souvent mythifié el-Andalous »

Extraits d'un article de Sylvie Nougarou intitulé Le Mythe andalou dans Le Figaro hors série:

À Cordoue et à Grenade, [...] il y eut, il est vrai, des controverses religieuses entre « gens du Livre », comme il y en eut dans l'Espagne chrétienne et ailleurs en Europe.

En terre d'Islam, ces joutes intellectuelles réservées à très peu d'érudits visaient à magnifier le Coran. Elles n'eurent qu'un temps, bientôt interdites par des juges qui voyaient d'un mauvais œil la discussion de textes scripturaires.

Rémi Brague corrige les propos de Jules Ferry qui ressasse la vulgate irénique sur Averroès


Elles ne modifiaient en rien la vie quotidienne des communautés juive et chrétienne, caractérisée par la dhimmitude, c'est-à-dire un statut de citoyens de seconde zone, privés d'armes et de cheval, obligés de porter un insigne correspondant à leur état. Selon certains cadis, qui étaient loin d'être minoritaires, surtout à partir du XIe siècle, ces êtres « vils » n'étaient bons qu'à « ramasser les ordures » et « nettoyer les latrines ».

Les disputes entre clercs n'empêchaient pas non plus les persécutions populaires, pogromes, massacres ou encore la possession de nombreux esclaves chrétiens par les riches musulmans — l'islam médiéval se caractérisant par l'emploi massif de ces esclaves.

« Les habitants souffraient, des deux côtés, angoisses et peines, leurs terres dévastées et leurs maisons brûlées, les femmes, les hommes et les enfants enlevés de force, résume dans Les Négriers en terres d'Islam le grand médiéviste Jacques Heers. Parler comme l'ont fait et le font encore quelques historiens d'occasion, d'une civilisation et d'une société "des trois cultures", musulmane, juive et chrétienne, est signe d'ignorance ou de supercherie, les deux ensemble généralement. »

[...]

Le spécialiste de l'Espagne musulman, Pierre Guichard, le déplore : « On a trop souvent mythifié el-Andalous, où l'on a voulu voir aussi bien en Occident que dans l'imaginaire arabe, à la fois un paradis perdu et le modèles des possibles "Andalousies" consensuelles du futur. » [comprendre les régions européennes soumises à une forte immigration musulmanes]

En effet, ce mythe a une vocation politique. En Europe, il est apparu au XIXe siècle pour donner l'image d'un islam éclairé et tolérant et mieux dénigrer par contraste une Europe catholique sectaire, brutale et arriérée, celle-là même qui expulsera les Juifs à la fin du XVe siècle et les Morisques au début du XVIIe.  [Toutefois, pour Fernand Braudel dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II :  « La péninsule, pour redevenir Europe, a refusé d'être Afrique ou Orient, selon un processus qui ressemble d'une certaine manière à des processus actuels de décolonisation. » Se rappeler le choix de la valise ou du cercueil laissé aux Européens établis depuis plus d'un siècle dans l'Algérie des années 1960.]

Des mythes apparentés ont été répandus dans le même but. Un récit des croisades qui en fait autant de manifestations de l'impérialisme destructeur d'une chrétienté fanatique, par exemple. [Alors que la majorité de la population des États libérés par les Francs étaient probablement chrétiens en 1099, que la dimension religieuse étaient indéniables chez pèlerins partis garantir la route du Saint Sépulcre et que toute la population musulmane de Jérusalem avait été passée par le fil de l'épée quand les Turcs Seldjoukides, également musulmans, prirent Jérusalem en 1071.]

Ou encore l'origine musulmane de la Renaissance : ainsi prétend-on parfois que le mouvement de retour des élites intellectuelles européennes vers les humanités et la science grecque aurait été lancé dans l'Espagne sous domination musulmane.

Ainsi rappelle-t-on que c'est à Tolède qu'a commencé dans le dernier tiers du XIIe siècle la traduction en latin de versions arabes des textes grecs qui devaient alimenter les universités médiévales d'Occident. Or, Tolède était redevenue chrétienne [en 1085, soit depuis près d'un siècle ] et ces traductions furent faites à l'initiative de l'Église.

Surtout, comme Sylvain Gouguenheim l'a magistralement montré, la science grecque avait pénétré en terre d'islam par les chrétiens syriaques [et nestoriens] et l'esprit grec resta toujours étranger à l'islam [qui s'intéressait par exemple à l'astronomie grecque pour des raisons de calendrier religieux et d'orientation de la prière, mais très peu à la philosophie grecque].

Loin d'avoir recours à des pédagogues  musulmans, les clercs d'Europe n'ont jamais cessé de se tourner vers la Grèce [la Byzance grecque ne cessera d'exister qu'en 1453]. En particulier en Sicile et au Mont-Saint-Michel, où des traductions latines ont été opérées directement sur le texte grec cinquante ans avant celles de Tolède.

Le mythe andalou est enfin lié au mythe de l'âge d'or des Juifs en Espagne. Les Juifs avaient parfois aidé, y compris militairement, les armées musulmanes dans les premiers temps de la conquête (dès 711) et souvent ressenti la défaite des royaumes wisigoths comme une libération. Plus tard, le califat de Cordoue leur permit d'exercer la médecine et le commerce, notamment celui de la soie et des esclaves. À Grenade, Samuel ibn Nagrela devint même grand vizir. Mais cette faveur ne dura pas. La mise  à mort de son fils Joseph en 1066 fut le signal d'un grand massacre de Juifs par la population musulmane. Des pogromes avaient déjà eu lieu à Cordoue en 101 ainsi que l'assassinat du ministre juif de l'émir à Saragosse en 1039.

L'arrivée des Almoravides puis des Almohades [venus du Maghreb] aggrava les choses. Au XIIe siècle, beaucoup de [juifs] Sépharades se réfugièrent en Provence, en Afrique ou tout simplement à Tolède redevenue chrétienne. Maïmonide [une école juive de Montréal porte son nom], natif de Cordoue exilé au Caire, s'est plaint en 1172 à ses coreligionnaires du Yémen des persécutions sans égal qu'inflige aux Juifs « la nation d'Ismaël ».

Selon Bernard Lewis, professeur émérite à l'université de Princeton, qui a regardé les faits et la chronologie à la loupe, l'âge d'or juif en Espagne n'a pas de consistance, la prétention à la tolérance dans l'islam étant un phénomène tout récent. 

Pour Mark R. Cohen, spécialiste des études proche-orientales dans la même université,  « le mythe d'une utopie inter-religieuse » aurait été produit par les historiens juifs allemands du XIXe siècle, dont Heinrich Graetz, pour mettre en valeur les persécutions en Europe chrétienne, particulièrement orientale [notamment dans l'Empire russe]. 

Selon Cohen et d'autres historiens comme Frederick M. Schweitzer, ce mythe aurait été réutilisé par la propagande antisioniste arabe après 1948 pour suggérer que la création d'Israël aurait brisé une concorde ancienne et naturelle. À partir de rares moments de détente relative, s'est forgée une fiction de tolérance à usage politique. Comme tous les âges d'or, le mythe andalou est une affaire d'idéologues.







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