lundi 26 septembre 2022

L' « extrême droite » a-t-elle gagné en Italie comme le prétendent Radio-Canada et l'AFP ?

Radio-Canada reprend la dépêche de l'AFP et titre sans hésitation : 


 

Ce n'est pas du tout l'avis d'Alexandre del Valle, docteur en histoire contemporaine, géopolitologue, chercheur-associé au CPFA et au Centre Français de Recherche sur le Renseignement, auteur de « La Mondialisation Dangereuse » aux éditions de L’Artilleur.

 

Sur CNews, on parle de la presse de gauche prise d'effroi et de la diabolisation de la Meloni.

 L'avis de Frédéric Le Moal, docteur en histoire et professeur au lycée militaire de Saint-Cyr, auteur de nombreux ouvrages remarqués. Frédéric Le Moal a notamment publié «Victor-emmanuel III. Un roi face à Mussolini » (Perrin, 2014), traduit en italien, « Histoire du fascisme » (Perrin, 2018), prix Ernest-lemonon de l’académie des sciences morales et politiques, et « Pie XII. Un pape pour la France. Enquête sur le conclave de 1939 » (Éditions du Cerf, 2019). Son nouveau livre, « Les Hommes de Mussolini » (Perrin, 364 p., 24 €), paraît le 29 septembre. Il est interrogé par le Figaro.

LE FIGARO. — L’adjectif « post-fasciste » est employé par de nombreux médias pour qualifier Giorgia Meloni. Que vous inspire cette appellation ?.

Frédéric LE MOAL. - Un certain scepticisme, je dois l’avouer, car elle est de nature à jeter de la confusion dans le débat politique, voire à imprimer une marque infamante à Giorgia Meloni. En effet, cette expression permet de l’enchaîner au fascisme malgré l’évidence politique qui saute aux yeux. Certes, le parcours politique de Giorgia Meloni la rattache au fantôme du fascisme. D’abord par ses déclarations de jeunesse en faveur de Mussolini, dont ses adversaires, dans le monde politique et médiatique, font un usage immodéré. Les mêmes, notons-le, que l’on trouve beaucoup moins vigilants quand il s’agit du passé trotskiste ou maoïste de certaines personnalités. Ensuite par l’évolution politique de son parti, issu d’une scission d’Alliance nationale, elle-même héritière du MSI, qui, lui, se revendiquait sans ambiguïté du fascisme de la République de Salo, un fascisme radical, républicain, socialiste et jacobin. Or cette mutation incessante à force de dédiabolisation et d’épuration des éléments radicaux interdit de rattacher le «melonisme» au fascisme. Elle n’est pas post-fasciste mais conservatrice, souverainiste et patriote..

— Au-delà de la filiation partisane (Fratelli d’italia étant l’héritier d’Alliance nationale, elle-même héritière du MSI, mouvement social italien, parti néofasciste), peut-on établir une filiation idéologique entre le programme de Giorgia Meloni et celui du fascisme mussolinien ?.

Giorgia Meloni est libérale en économie – et, à ce titre, hostile à l’emprise de l’État –, catholique assumée, avec une vision conservatrice de la société, et elle mène un combat identitaire avant tout défensif. Il n’y a rien de commun, dans son programme, avec le fascisme, idéologie étatiste unissant socialisme et nationalisme, totalitaire car porteuse d’un projet de révolution anthropologique dont l’objectif était d’accoucher d’un Italien nouveau, exaltant la violence et la guerre, acte fondateur d’un nouveau peuple italien dur et cruel car débarrassé des valeurs jugées amollissantes du christianisme. Il était une réponse révolutionnaire, anticommuniste et antilibérale à la crise dans laquelle se débattait l’Italie depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et ce par la violence physique et extraparlementaire. La victoire de Fratelli d’italia constitue, elle, une réponse conservatrice, dans un cadre démocratique, à la crise d’une mondialisation destructrice des identités nationales et aux défis d’une immigration incontrôlée..

— On cite souvent ces propos de Giorgia Meloni en 1996 : « Je crois que Mussolini c’était un bon politicien. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’italie. » Quelle est la perception de Mussolini dans l’opinion italienne aujourd’hui ?.

—   Les avis divergent en Italie à son sujet, car le pays ne connut jamais l’entreprise mémorielle d’expiation que l’Allemagne a mise en place après 1945. Si une partie importante des Italiens sont révulsés par Mussolini, sa personne ne suscite pas une aversion universelle à l’image de celle de Hitler. 

Son corps repose dans la terre italienne de son village de Predappio (Émilie-Romagne), où se rendent des foules de curieux mais aussi des pèlerins, ne cachant pas l’admiration qu’ils éprouvent pour le Duce dont la seule erreur aurait été, selon eux, de s’allier avec le IIIe Reich. Les raisons de cette situation à bien des égards singulière? L’absence d’un Nuremberg italien, la volonté de l’élite italienne d’après-guerre de tourner la page, les fragiles mais incontestables réussites sociales et économiques du régime, la solide popularité du dictateur qui fut l’objet d’une adoration quasi religieuse de la part de plusieurs couches de la société italienne devenue au fil des années vraiment mussolinienne, à défaut d’être fasciste. Il aura fallu les lois raciales de 1938 et surtout les défaites de la guerre pour rompre le lien. 

N’oublions pas non plus que le régime, aussi violent fut-il, n’atteignit jamais le degré d’horreur du communisme et du nazisme. Cette différence d’échelle dans la cruauté permet à une partie significative des Italiens de défendre une image selon eux « nuancée » du dictateur. En fin de compte, dans une Italie affaiblie, gouvernée par un parlementarisme instable, le régime fasciste incarne, pour ces Italiens-ci, la stabilité et la puissance perdues..

— Dans votre livre Histoire du fascisme, vous faites du fascisme un mouvement révolutionnaire. Diriez-vous que le fascisme est tout autant de gauche que de droite ?

— Je vois dans le fascisme un mouvement réconciliant le socialisme dont sont issus la plupart de ses chefs et le nationalisme. L’inflexion vers la droite du mouvement des chemises noires à partir de 1921 est irréfutable mais ne doit pas faire illusion. Nationaliste, anticommuniste, darwinien, brutal, colonisateur, expansionniste : le fascisme a été tout cela, mais ces éléments ne permettent pas de le classer à droite. Le Duce lui-même l’a affirmé sans aucune ambiguïté : « Je me refuse de qualifier de droite la culture dont ma révolution a donné l’origine. La culture fasciste, qui reprend les valeurs de tout le XXe siècle italien, n’est pas de droite» (Taccuini mussoliniani, éditions Il Mulino, 1990). 

La nation et la révolution : c’est de ce mariage que naquit le fascisme. En vérité, le fascisme a opéré la réconciliation de l’idée nationale avec le projet révolutionnaire de création d’un État et d’un homme nouveaux. On retrouve donc cette tentation démiurgique de transformation de l’être humain, ce qui nous empêche de le classer à droite. La véritable frontière sépare ceux qui croient en la nature inaliénable de l’individu et ceux qui n’y croient pas et veulent donc la changer pour l’améliorer. Le fascisme se classe sans ambiguïté dans la seconde catégorie..

— Comment expliquer que le retour du fascisme obsède notre époque, qui applique ce substantif à tout mouvement de droite radicale ?

— Pour plusieurs raisons, selon moi : le maintien de l’analyse marxiste, qui voit dans tout mouvement qui lui est hostile un fascisme, la force du gauchisme culturel à l’école, à l’université et dans les médias, la puissance mobilisatrice du combat contre une idéologie effrayante, la nécessité toujours présente à gauche de disposer d’un ennemi contre lequel lutter, un ennemi d’autant plus commode qu’il a en réalité disparu et qu’il ne risque pas de mettre à sac les sièges des partis politiques et des journaux comme le faisaient les brutes en chemises noires.

En fait, la force de l’antifascisme de gauche a été d’effacer toute trace des liens de la gauche d’alors avec Mussolini, un ancien dirigeant du Parti socialiste italien, et de placer le fascisme à la droite la plus extrême, la plus conservatrice et la plus réactionnaire. Ce qu’il n’a jamais été. On fait face ici à un mélange d’inculture et de militantisme..

Voir aussi

« La politique d'immigration irresponsable en Suède a contribué au succès inédit des droites »