vendredi 29 avril 2016

ECR — Éducation ou lavage de cerveau ? Pour Joseph Facal, c'est de l'endoctrinement

Chronique de l’ancien ministre Joseph Facal (qui n’étonnera pas les lecteurs de ce carnet, nous avions présenté de nombreux extraits de manuels du primaire et du secondaire, il y a des années).

La conférence web en question
(Critique féministe du volet religieux, ces dames ne s'opposent pas au volet éthique, notamment, parce qu'il lutte contre « les stéréotypes » contrairement au volet religieux. Nous mentionnions déjà ici en 2010 que le volet religieux renforce les stéréotypes.)



« Lundi, j’ai assisté à une fascinante conférence web dont le contenu sera repris dans un livre à paraître.

Au Québec, le cours Éthique et culture religieuse (ECR) dit vouloir former de futurs citoyens regroupés autour de valeurs communes. Il se prétend « neutre » et veut éviter toute « pression » sur les enfants.

Page 55, Manuel d'ECR, Symphonie, manuel A, pour la 5e année du primaire, éditions Modulo


La professeure Nadia El-Mabrouk, de l’Université de Montréal, a soigneusement examiné les manuels scolaires utilisés au primaire, ainsi que les cahiers d’exercices accompagnants.

Derrière les beaux discours, elle est allée voir ce que l’on transmet réellement aux enfants de six à 12 ans.

Banalisation

Sans le moindre recul, de manière uniformément positive, on y présente une vision des religions stéréotypée, folklorique, relativiste, sexiste et déconnectée de la réalité québécoise.

Dans ces manuels, LE juif porte forcément la kippa. LE bouddhiste porte un vêtement orange. LA musulmane est évidemment voilée. L’enfant apprend à reconnaître au moyen du profilage ethno-religieux.

Page 56, Manuel d'ECR, Symphonie, manuel A, pour la 5e année du primaire, éditions Modulo

Dans le cas de l’islam, c’est la vision salafiste, la plus intégriste, qui sert d’illustration. L’exception est donc posée comme la norme représentative.

On montre une fillette de huit ans dont le mariage est arrangé. Pour bien banaliser, on note que cela se faisait en Occident... au Moyen Âge.

On explique que les jeunes musulmanes devront être réservées et modestes.

À la naissance d’un enfant, dit-on, on tue un mouton, comme si c’était une pratique normale et répandue au Québec. Il faut évidemment prier cinq fois, manger halal, etc.

Le niqab est présenté comme un code vestimentaire parmi d’autres.

Boucher, Martial. Rond-Point Cahier d’exercices, de contenu et de projets de recherche. Éthique et culture religieuse. Fascicule B. 2e année du 1er cycle du secondaire, Montréal, Lidec, 2007, p. II]

Pas un mot sur le message de soumission qu’il comporte. [C’est bien pire que cela, au secondaire on « apprend » que Mahomet a amélioré la situation de la femme... Quelles femmes ? Les chrétiennes ? Les juives ?] Pas un mot sur la charia.

Pas un mot, surtout, sur le fait que l’immense majorité des musulmans du Québec ne vit pas ainsi. Il n’y a rien sur les musulmanes non voilées ou sur les non-croyants.

L’enfant dont les parents sont des musulmans non pratiquants risque de se faire demander si ses parents sont de « bons » musulmans.

Celui dont les parents sont athées se demandera carrément où sont papa et maman et s’ils sont normaux.

La « diversité » évoquée ne fait jamais référence aux vagues d’immigrants dont la différence n’avait rien à voir avec la religion. La seule différence, c’est la religion, illustrée par le vêtement et les pratiques rituelles, jamais les arts, la cuisine ou la langue d’origine.

Endoctrinement

Les exercices proposés aux enfants, qui n’ont pas l’âge de raison, sont du genre : « parle de ta religion », comme si cela ne relevait pas de la vie privée.

Bref, on encourage l’expression et la célébration des particularités religieuses de chacun et, donc, l’adhésion, voire le repli sur le groupe ethno-religieux d’origine.

On cherche en vain les valeurs communes indispensables à la convergence qui rend possible le vivre-ensemble.

Au nom d’un relativisme rebaptisé « respect », on étouffe le sens critique. L’égalité des sexes, ce sera seulement bon pour les Québécoises « de souche ».

Pas une seule allusion à ce qui pourrait être rétrograde.

Il faut accepter l’autre tel quel, complètement, même s’il est extrémiste.

Ma conclusion personnelle ? De l’endoctrinement pur et simple. Si on ne le voit pas, c’est qu’on ne veut pas le voir. »



[La conclusion de ce carnet : nous comprenons M. Facal, mais surtout il est impossible de plaire à tous sur des sujets aussi délicats. L’idée même d'imposer un seul cours au nom du pluralisme nous semble contradictoire, une idée jacobine revendiquée par un de ces concepteurs, Georges Leroux, devant le tribunal de Drummondville.

Rappelons ce que nous écrivions en novembre 2015 :

1) Des critiques similaires avaient déjà été faites par le Mouvement laïque québécois et des gens comme Mathieu Bock-Côté et Joëlle Quérin. Ils avaient déjà souligné que ce programme ne luttait pas contre les stéréotypes, mais les renforçait tout en inventant parfois des scènes inexactes par correctivisme politique (voir la scène du mur des Lamentations ici).

2) On retrouvait une musulmane fondamentaliste, Najat Boughaba (ci-contre), parmi les conseillers du Monopole de l’Éducation engagés pour évaluer ce cours.

3) Il est difficile de parler de véritable diversité quand le gouvernement a toujours voulu imposer un seul cours (pas une diversité de cours de morale et de culture religieuse) et qu’aucune tête ne devait dépasser.]






Voir aussi

Zut ! Malgré le cours ECR, les élèves reproduisent les stéréotypes non accommodants de leurs aînés

« Un Dieu, trois religions »

Analyse de trois manuels approuvés du primaire des éditions CEC (mai 2009, 23 pages)

 Manuel d'histoire (1) — chrétiens intolérants, Saint-Louis précurseur des nazis, pas de critique de l'islam tolérant pour sa part

La saga Lavallée : l’État, le judiciaire et l’Église contre la famille, l’école et la législature

Mahomet et l'ange Gabriel à l'indicatif, la résurrection du Christ au conditionnel

ECR — obsession pour les amérindiens écologistes

Conférence du « politburo » du Monopole de l'Éducation du Québec

Nos billets sur des manuels

France — Le ministère n'approuve pas les manuels. « Seul le régime de Vichy s’est permis cela. » [Au Québec, le ministère fait comme sous Vichy alors...]

Table ronde sur le matériel pédagogique ECR

Synthèse de la TCPE sur le matériel didactique pour le programme ECR

Évêques catholiques : Importantes lacunes dans les manuels ECR approuvés pour le primaire

Spiritualité autochtone, écologie et norme universelle moderne

Proportion des pages consacrées aux différentes cultures religieuses dans deux manuels d'ECR du 1er cycle primaire

Cahier ECR : « je suis un garçon, une fille, je ne sais pas encore »

mercredi 27 avril 2016

La fécondité continue de chuter au Québec

Alors que l'indice de fécondité avait atteint le haut de la vague vers les années 2006-2007 — certains ont même osé parler d'un «mini-baby-boom» —, la tendance s'est certainement essoufflée depuis.

La fécondité a poursuivi en 2015 au Québec sa tendance à la baisse, pour une sixième année de suite, selon des données provisoires publiées mercredi par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Il y a eu 86 800 naissances au Québec en 2015, 1 % de moins qu'en 2014 alors que la population du Québec continuait de croître principalement à cause de l'immigration. La province se situe statistiquement au même niveau que la moyenne canadienne pour son taux de fécondité. Notons que les autres provinces canadiennes ne bénéficient pas de la même politique « familiale ».

L'indice synthétique de fécondité s'est établi à 1,60 enfant par femme, un peu plus élevé que le creux des indices d'il y a une quinzaine d'années et du milieu des années 1980. Il avait cependant été de 1,73 enfant par femme en 2008 et en 2009. Il était de près de 1,7 au début des années 1990 alors que la politique des allocations à la naissance avait été mise en place. Elle était nettement moins coûteuse que la « politique familiale » actuelle (de l'ordre de 10 fois moins cher). Les allocations à la naissance avaient été vivement critiqué par des féministes comme la présidente du Conseil de la Femme de l'époque, Claire Bonenfant, qui s'était interrogée, au sujet d'une politique avec de timides conséquences natalistes : « Cette politique sera-t-elle une politique nataliste déguisée cherchant à nous retourner aux berceaux et aux fourneaux ou bien se présente-t-elle comme une politique de justice sociale ? »

Chantal Girard, démographe à l'ISQ, précise que la diminution observée d'une année à l'autre peut être qualifiée de « légère ». « Ce sont des petites diminutions, mais qui font que depuis le sommet de 2008, il y a eu une perte de près de 10 % du nombre d'enfants par femme. C'est un petit peu (de diminution) chaque année qui a mené à ce 1,6, finalement », dit-elle.

(Le nombre de naissances, la ligne bleue, n'est pas une mesure très pertinente pour calculer le renouvellement des générations quand la population croît, principalement à cause de l'immigration. On a l'impression qu'on essaie de trouver une mesure consolatrice à la baisse de la fécondité malgré des investissements massifs dans les mesures de retour des femmes au travail.)


Avec un indice qui s'est situé entre 1,60 et 1,73 au fil des 10 dernières années, le Québec traîne de la patte, comparativement à des pays comme les États-Unis où on constate un indice de 1,8, 1,9 ou même la France avec deux enfants par femme en moyenne, selon Mme Girard, mais on ne parle pas, toujours selon Mme Girard, d'un niveau anormalement bas (pour un pays occidental...)

« Quand on fait des comparaisons avec l'international, par exemple, des niveaux en bas de 1,5, ça s'observe plus dans les pays du sud de l'Europe, par exemple, en Espagne, en Italie, au Portugal ou dans certains pays de l'Europe de l'Est. En bas de 1,5 on commence à parler de niveaux qui sont très bas », précise-t-elle.

Rappelons qu'il faut dans nos sociétés un taux de fécondité de 2,1 enfants par femme (pas 1,6 ni 1,73...)  pour remplacer les générations. Sous ce niveau, la population vieillit d'abord, puis se contracte en l'absence d'immigration.

Si certains ont osé parler de « mini-baby-boom » lorsque les données de 2006 à 2009 avaient été dévoilées (avec un indice de fécondité de 1,73 enfant par femme), la démographe a toujours hésité à utiliser ce terme, qui décrit un pic de natalité à grande échelle qui a eu énormément d'impacts et qui correspondait à des indices de fécondité synthétique nettement plus haut (4,00 enfants par femme en 1958, 3,85 en 1960)... Elle préfère plutôt parler d'une vague [vaguelette], qui s'est atténuée au cours des dernières années.

« On a vraiment une fécondité qui évolue par vague. La vague de 2006, 2007, 2008 semble avoir atteint son sommet, on est dans une période de diminution, mais qu'est-ce que l'avenir nous réserve, c'est plus difficile à dire », estime-t-elle.

Au cours des dernières années, il y a eu recul de la fécondité chez les femmes de moins de 30 ans, une relative stabilité chez les 30-34 ans et une hausse chez les plus de 35 ans. L'âge moyen à la naissance du premier enfant était de 29,0 ans en 2015, une tendance à la hausse qui se poursuit depuis plusieurs décennies.

« Il ne semble pas y avoir de ralentissement de cette tendance-là », constate Chantal Girard, qui ne serait pas étonnée de voir l'âge moyen à la naissance du premier enfant atteindre 30 ans éventuellement.

« On n'a pas de boule de cristal, mais disons que la tendance est encore pressentie pour être un déplacement de la fécondité à des âges un petit peu plus élevés », dit-elle.


Fécondité du moment et fécondité des générations 
L’indice synthétique de fécondité mesure l’intensité de la fécondité d’une année donnée, mais sa valeur est influencée par des changements dans le calendrier des naissances. Par exemple, dans une période de transition vers un report des naissances à des âges plus avancés, l’indice peut connaître une baisse conjoncturelle, sans que le nombre d’enfants que les femmes auront réellement au cours de leur vie se réduise. Dans ce contexte, il est intéressant de mettre cet indicateur de la fécondité du moment en parallèle avec la descendance finale, qui mesure la fécondité au sein d’une même génération de femmes, une fois celles-ci arrivées à la fin de leur vie féconde (ce terme est en pratique fixé à 50 ans). Les deux indicateurs apparaissent sur la figure ci-dessous.
La descendance finale est présentée pour les générations nées de 1943 à 1981. En 2015, la génération 1965-1966 est la dernière dont la descendance finale est connue. La descendance est estimée pour les quinze générations suivantes, qui ont au moins 35 ans en 2015 et dont la vie féconde est bien entamée2 . La descendance finale connaît une évolution beaucoup moins mouvementée et ne montre pas de creux aussi marqués que l’indice synthétique de fécondité. À ce jour, aucune génération n’a eu une descendance inférieure à 1,6 enfant par femme. Les femmes nées en 1956-1957, qui ont été les moins fécondes, ont eu une descendance de tout juste 1,60. La fécondité a ensuite eu tendance à remonter chez les générations suivantes. Les femmes de la génération 1965-1966, les dernières dont la descendance est complétée, ont eu en moyenne 1,66 enfant. Les générations nées à partir de la fin des années 1960 pourraient quant à elles connaître une descendance finale entre 1,7 et 1,8 enfant par femme si le niveau actuel de la fécondité au-delà de 35 ans se maintient.

Les régions avec une forte population amérindienne ou esquimaude ont le plus haut taux de fécondité, les métropoles ont le niveau le plus bas.


Source : Institut de la statistique du Québec

Voir aussi

Québec — Plus bas nombre de naissances depuis 8 ans, record de décès [mars 2016]

Les CPE ont échoué sur le plan pédagogique... comportemental et démographique

Pologne — Allocation familiale universelle pour lutter contre l'implosion démographique

Le coût des garderies québécoises

Québec — La valeur marchande des garderies subventionnées est en baisse

Hara kiri

La famille nombreuse, antidote au vieillissement [personnel, non seulement sociétal] ?

La peur de l'avenir saisit les Allemands, la natalité remonte surtout grâce aux immigrés

Les Italiens, un peuple en voie d’extinction

Les femmes auraient peu d'enfants au Japon car elles se marient de moins en moins

La croissance de la population du Québec ralentit pour une cinquième année consécutive, malgré une immigration très importante

Québec (bizarre) — Hausse de 17 % du nombre d’élèves d’ici 2029 grâce « l’augmentation du nombre de naissances observée » ? selon le ministre de l'Éducation !

France — Les coupes socialistes dans la politique familiale expliquent-elles la baisse de la natalité ?

Chine — La natalité ne remonte guère malgré l'assouplissement de la politique de l'enfant unique





Humour — Vie de mère : L'exposé volcanique




« Vie de mère...&nbsp:», la capsule humoristique de Véronique Gallo qui, de semaine en semaine, se confie à une psy en ligne à propos de son quotidien éreintant de mère et d'éducatrice.

lundi 25 avril 2016

Euthanasie : Condamner le suicide mais approuver l'aide à mourir...

Lise Ravary et Andrew Coyne (Le suicide assisté nous rend tous complices de la mort d’autrui) s’inquiètent du projet de loi fédérale sur l’euthanasie (C-14) imposée en quelque sorte par la décision de la Cour suprême non élue du Canada que nous avions déjà critiquée : Suicide assisté : décision disproportionnée de la Cour suprême dans ses effets prévisibles et potentiels ?.

Pour Andrew Coyne, il est désormais clair ce que le « suicide assisté » signifie et ce qu’il ne signifie pas. Il ne s’agit pas du droit d’adultes sains d’esprit de mettre fin à leur propre vie ou de refuser un traitement qui pourrait sauver : ce droit existe longtemps et il n’est pas remis en question.

Selon Andrew Coyne, le suicide assisté ne vise pas à soulager la douleur des mourants, mais à soulager la douleur des vivants
En effet, il ne s’agit pas du tout d’adultes sains d’esprit qui souffriraient des douleurs insupportables à l’article de la mort. C’est sans doute la façon dont la plupart des gens voient la question et c’est peut-être la façon dont elle est encore justifiée par ceux qui ne font pas attention. C’est peut-être encore, pour l’instant, les limites énoncées dans le projet de loi C-14, une loi fédérale autorisant « l’aide médicale à mourir ».

Mais il est également clair que nous n’en sommes qu’au début. Ce qui constituait naguère les limites les plus extrêmes imaginables, quelque chose autorisé que dans quelques autres pays sur la Terre, est devenue la ligne de base. Les sénateurs, armés d’aucun mandat démocratique, qui promettent de retarder ou d’abroger le projet de loi n’y opposent pas parce qu’il va trop loin : parce que, par exemple, il ne nécessite pas dans tous les cas le consentement du patient, car il permet à une autre adulte de signer en leur nom ; ou parce que la période d’attente de 15 jours est facultative, à la discrétion du médecin ; ou parce qu’il ne nécessite pas que la mort soit imminente et inévitable, mais seulement qu’il soit « raisonnablement prévisible ». Pour ce carnet, la mort est raisonnablement prévisible dès la naissance...

Non, la raison pour laquelle le projet de loi est critiqué par ces sénateurs c’est qu’il n’irait pas assez loin : en particulier, car il ne permet pas la mettre la fin aux jours des enfants, ni à ceux des malades mentaux, ni à ceux qui prévoient officiellement leur disparition à l,avance de peur de ne pouvoir consentir à leur suicide assisté le moment venu. Pire encore, le projet de loi oserait encore exiger pour ces sénateurs que la mort soit vaguement à l’horizon : la souffrance physique ou psychologique ne suffirait pas. Les sénateurs reprochent cette condition qui n’est pas stipulée dans la décision de la Cour suprême de l’année dernière, laquelle décision est brusquement devenue parole d’Évangile.

Pour Lise Ravary, « nous a chanté la sérénade à l’effet qu’il existe un vaste consensus autour de la loi québécoise, admirablement élaborée dans un contexte non partisan, mais rapidement, des voix dissidentes se sont fait entendre, tant du côté des médecins que des patients, certains trouvant que la loi n’allait pas assez loin. Qu’elle devrait permettre aux personnes souffrantes, mais dont la vie n’est pas menacée, d’être admissible à l’aide à mourir. »

Le Canada pourrait le permettre — et le Québec devrait suivre —, car son projet de loi retire la condition de fin de vie pour la remplacer par cette phrase ambigüe : « la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de sa l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. »

De plus, C-14 permet aux médecins, infirmiers ou pharmaciens d’aider activement une personne qui souhaite se donner la mort elle-même. Mais ce projet de loi ne permet pas l’aide à mourir dans les cas de maladie mentale ou pour les mineurs. Ni ne permet de signer une autorisation à l’avance « au cas où », un jour, la personne sombre dans la démence.

Bien sûr, des zélotes des droits individuels crient déjà que C-14 ne va pas assez loin... Un jour, pas très lointain, on leur donnera raison, n’ayez crainte.

Lise Ravary rapporte avoir entendu un collègue chroniqueur en vue dire à la radio : « Prenons ce qu’on nous donne maintenant. Un jour, la loi sera plus permissive ».

Nous sommes émus à en pleurer quand un jeune dépressif se donne la mort, mais le lendemain, nous pouvons discuter calmement de la possibilité de permettre à un autre jeune qui souffre de dépression de « se faire suicider » par un professionnel de la santé.

La Belgique en déroute

Depuis l’adoption de sa loi sur l’euthanasie, à son honneur, c’est le terme qu’elle emploie, la Belgique glisse allègrement vers la permissivité totale.

L’an dernier, le magazine The New Yorker a raconté aux Américains médusés l’histoire de la Belge Godelieve de Troyer qui s’enfonçait dans la dépression après une rupture amoureuse. De plus, elle ne s’entendait pas très bien avec ses enfants. Elle a choisi l’euthanasie. Ce qui fut accordé.

Au fil des ans, la Belgique a euthanasié des autistes, des dépressifs, des transgenres, des anorexiques, des personnes souffrant du trouble de la personnalité limite, comme Stéphanie St-Jean, la gagnante de La Voix, des personnes affligées du syndrome de fatigue chronique, des sourds et muets, des enfants, des bipolaires, des paralysés partiels, etc.

Depuis cinq ans, le nombre de personnes euthanasiées ou « suicidées » en Belgique a augmenté de 150 %. En Hollande, il a doublé.

Au Québec, on nous a répété pendant des mois que les cas d’aide médicale à mourir seraient rarissimes. Or, chuchotent des professionnels de la santé à qui j’ai parlé, c’est tout le contraire qui se passe depuis la mise en application de Mourir dans la dignité.

Il y aurait foule au mouroir, mais le gouvernement refuse de donner des statistiques.

Selon Andrew Coyne, normaliser le suicide amènera des changements sociaux significatifs. Il ne s’agit pas que d’une question de droits individuels. Ce dont nous refusons de discuter, trop apeurés par notre propre mort, et le risque relativement élevé de souffrir avant que notre lumière ne se ferme pour toujours.

Ou tout simplement parce que nous manquons de courage et que nous sommes mal équipés intellectuellement et moralement pour s’engager dans un débat en profondeur sur le sens de la vie, de la mort et de la souffrance humaine dans un contexte social.

Un exemple : les jeunes, qui ont grandi dans un vide moral, et à qui on essaie de faire comprendre que le suicide n’est jamais la solution, doivent bien se bidonner devant notre enthousiasme pour l’euthanasie ou le suicide assisté, dignement ou pas.




Le néoféminisme dynamité

Nous avions déjà parlé de l’essai Adieu mademoiselle, d’Eugénie Bastié. Mathieu Bock-Côté a rencontré Eugénie Bastié lors d’un voyage récent en France, il a lu son essai. On trouvera ci-dessous des extraits de sa recension.

Adieu Mademoiselle. C’est le titre du premier ouvrage d’Eugénie Bastié, jeune journaliste au Figaro et figure ascendante de la nouvelle génération conservatrice dans l’espace médiatique français, où elle mène une critique aussi puissante que réfléchie du néoféminisme dominant.

[...]

Au cœur du livre d’Eugénie Bastié, on trouve une critique de la tentation de l’indifférenciation qui domine le féminisme contemporain et qui s’exprime principalement dans la théorie du genre, pour qui le féminin et le masculin sont de pures constructions historiques qu’il faudrait aujourd’hui démanteler pour permettre à l’individu de s’émanciper de toutes les formes possibles d’assignation sexuelle ou identitaire. 

Nous sommes devant un féminisme paradoxal qui ne croit plus à l’existence de la femme (même s’il souhaitera aussi radicaliser l’exigence paritaire, comme c’est aujourd’hui la mode, parce qu’on est en 2015, comme l’a dit à sa manière Justin Trudeau) et qui souhaite tout jeter par terre et reprendre à zéro dans l’histoire humaine en fabriquant dans le grand laboratoire social des créatures asexuées, ou du moins, qui décideraient chacun de leur propre identité sexuelle. On peut généraliser le propos : ce serait la tâche de chacun, dans sa vie, de se délivrer de sa naissance, de son sexe comme de son héritage historique. Il ne faudrait rien assumer et tout condamner. Comment ne pas voir là une forme de nihilisme où l’homme doit s’arracher au donné pour commencer à exister ?

L’abolition de la différence sexuelle vise l’aplatissement de l’humanité à la diversité presque infinie des individualités qui la composent. Selon la belle formule de Bastié, « l’originalité de la théorie du genre est bien là : passer de l’historicité de la différence des sexes, à sa caducité » (p.53). À terme, la liberté humaine ne serait véritable qu’en se soumettant au fantasme de l’autoengendrement : l’individu devrait tout simplement se créer lui-même, sans être déterminé par aucune filiation. L’homme contemporain rêve d’être un petit Dieu capable de toutes les métamorphoses et de tous les recommencements. On pourrait y voir l’héritage de Michel Foucault, qui est le véritable maître à penser de la sociologie contemporaine et des différentes chapelles radicales qui la définissent sur le plan académique et administratif. Quiconque ne s’enthousiasme pas pour cette perspective risque d’être qualifié de réactionnaire : une chose certaine, on lui trouvera quelques phobies pour ruiner sa réputation publiquement.

En un mot, la fameuse théorie du genre ne prétend pas nous en apprendre un peu plus sur la construction historique de la différence sexuelle à partir des prédispositions des deux sexes, mais entend la détruire complètement sous le fallacieux prétexte qu’elle ne serait pas identique à elle-même de toute éternité. On devrait pourtant pouvoir dire de la différence sexuelle qu’elle est à la fois un invariant anthropologique et qu’elle se déploie dans l’histoire et prend plusieurs visages selon les sociétés, les civilisations et les époques. Elle mue, elle se métamorphose, sans jamais disparaître. Mais la sociologie contemporaine semble bien impuissante devant cette réalité. [...]

Eugénie Bastié propose aussi dans son livre une critique implicite des sciences sociales qui ont la fâcheuse manie de réduire les rapports sociaux à des rapports de domination, en annihilant leur mystère, en les privant de leur complexité, de leur richesse. Il y a quelque chose d’insensé à voir le prestige que peut avoir une Judith Butler dans l’université contemporaine, dont la philosophe masque d’un vocabulaire vaseux ce qu’on pourrait appeler, pour emprunter les mots de Chantal Delsol, une « haine du monde ». Le discours universitaire entretenu par une certaine sociologie antidiscriminatoire qui présente l’histoire du monde occidental comme celle d’une vaste conspiration contre l’émancipation des minorités l’exaspère manifestement, qu’il s’agisse des théories sur l’intersectionnalité ou celles sur la discrimination systémique. Ce n’est pas avec de tels concepts, malheureusement populaires chez les jeunes universitaires qui croient avoir trouvé là des concepts permettant scientifiquement de déconstruire toutes les dominations, qu’on pourra vraiment penser la complexité des rapports entre les sexes en les délivrant d’une forme de méfiance systématisée.

La sociologie antidiscriminatoire prétend ne jamais se laisser bluffer par quoi que ce soit : elle croit disposer des outils théoriques nécessaires pour voir la société de manière absolument transparente, sans que rien ne lui résiste. Elle veut dissoudre la société historique, dévaluer toute forme de norme substantielle, qu’elle soit anthropologique ou culturelle, et créer un monde où les identités ayant pris forme dans une série de griefs victimaires pourraient enfin s’émanciper et se délivrer de l’idée même de monde commun. Elle pave le chemin à un monde intégralement reconstruit par la raison technocratique, où la culture se dissout devant la contractualisation intégrale des rapports sociaux, au nom de l’égalitarisme le plus radical. Et dans ce grand délire théorique qui n’en finit plus de célébrer toutes les marginalités possibles, les femmes ordinaires, elles, avec leurs besoins bien réels, sont abandonnées (p.81). Mais ce n’est pas d’hier que la gauche radicale abandonne les gens ordinaires pour les « exclus » à qui elle prête un potentiel révolutionnaire. C’est même la tendance lourde de la gauche dans la deuxième moitié du vingtième siècle.

Mais l’indifférenciation n’est pas la seule menace qui pèse sur les femmes. L’islamisme entend aussi, de bien des manières, les asservir. En fait, il représente aujourd’hui une menace directe contre la femme. Bastié veut aussi montrer comment la société multiculturelle peut être dangereuse pour les femmes. Bastié mène aussi la querelle contre une certaine lâcheté qui pousse certaines féministes à se faire bien discrète lorsque la violence sexuelle n’est plus commise par le grand méchant de notre temps, c’est-à-dire le mâle blanc occidental. C’est l’histoire des agressions massives de Cologne, qu’elle qualifie de « Bataclan sexuel » (p.115-128). Soudainement, on a vu bien des féministes se déclarer absentes du débat, de peur, comme elles l’ont dit, de voir le féminisme récupéré par le racisme anti-immigrant — car on l’aura compris, pour les féministes d’extrême gauche, qui se pique « d’antiracisme », la simple critique de l’immigration massive relève du racisme, et elles seront soudainement prêtes à relativiser leurs convictions féministes pour ne pas écorcher de quelque manière que ce soit le multiculturalisme dogmatique auquel elles adhèrent avec un fanatisme inquiétant. De même, pour plusieurs, on l’aura compris, s’interroger sur la place de la femme dans l’islam relève de l’islamophobie.

[Voir cet extrait d’un manuel d’ECR (Le rôle des femmes dans les religions selon le livre ECR d’ERPI pour la 2e secondaire) : On y remarque une certaine concentration sur l’ordination ou non des femmes aux charges religieuses pour le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme, mais le passage sous silence de cet aspect pour l’islam et la spiritualité autochtone. En général, on note l’appel aux nuances et une certaine apologie (Mahomet aurait amélioré la situation des femmes en Arabie) quand il s’agit de l’islam et d’un grand lyrisme quand on parle de la spiritualité autochtone et du rôle traditionnel que les femmes y jouent.]

Mais cela va bien au-delà des seuls événements troublants de Cologne : ainsi, si la police du langage néoféministe guette le moindre dérapage « sexiste » dans le vocabulaire des uns et des autres ou la moindre publicité jouant sur la carte de l’érotisme — c’est-à-dire, reconnaissant la légitimité du désir d’un sexe pour l’autre, et ainsi de suite —, elle s’empêchera la plupart du temps de critiquer l’infériorisation objective de la femme dans une bonne partie du monde musulman, de peur d’entretenir des préjugés colonialistes à son endroit. « Les mêmes féministes de métier passent leur temps à traquer le moindre dérapage sexiste dans les spots publicitaires ou les discours politiques, mais restent singulièrement silencieuses sur la question du voile » (p.90). Il en est de même pour les questions morales. Pour reprendre les mots de Bastié, « fustiger les catholiques conservateurs ? Oui. Condamner les musulmans intégristes ? Non. Ou alors seulement du bout des lèvres » (p.91). Sans plaider pour un nouveau zèle législatif sur la question du voile, Bastié nous invite quand même à réfléchir à sa signification politique et culturelle.

On aurait tort de négliger les nombreuses pages que Bastié consacre aux nouveaux enjeux éthiques qui touchent les femmes, qu’il s’agisse de la gestation pour autrui ou des conditions de leur participation au marché du travail. Elle mène ici une réflexion vive qui en heurtera certains, mais qui a au moins l’immense mérite de la franchise. Sur la gestation pour autrui, qu’on connaît chez nous à travers le débat sur les mères porteuses, elle est d’une efficacité redoutable. De même, elle redoute un monde où la possibilité démocratisée de congeler ses ovules, offerte par l’entreprise à la manière d’une grâce faite aux femmes, consacrerait en fait leur soumission complète aux exigences du marché, qui aurait trouvé le moyen d’artificialiser radicalement la question de la reproduction. Elle en profite pour mener le procès de la marchandisation de toutes choses par le capitalisme contemporain qui dissout tout ce qui est traditionnel pour sacraliser les désirs d’un individu à qui il ne serait plus jamais possible de dire non. De même, elle s’inquiète du projet d’utérus artificiel, qui représenterait pour les femmes une ultime dépossession : on écraserait d’un coup leur rapport à l’enfantement — pour reprendre ses mots, « la création de l’utérus artificiel signerait, pour la femme, l’ultime dépossession de son privilège de maternité, accomplie de manière complice par l’autorité médicale et de la puissance capitaliste » (p.177).

À travers tout cela, Bastié nous invite à redécouvrir la femme réelle et sa singularité, pour en tenir compte dans la construction de notre monde et les réformes qui visent à l’humaniser. Ce serait faire une injustice à ce livre que de ne pas noter à quel point il est bien écrit. Les bonnes formules se multiplient, les images sont frappantes. Et on aurait envie d’en suggérer la lecture à celles et ceux qui se sont mêlés, il y a quelques semaines, de cet étrange débat québécois où chaque femme avec un tant soit peu d’importance médiatique était invitée à se dire féministe, sans quoi elle était vilipendée publiquement. Il fallait être féministe, et même l’être de manière assez vindicative, ou accepter d’être condamnée à l’ostracisme médiatique tout en subissant les crachats sur les médias sociaux. Adieu Mademoiselle éclaire remarquablement les enjeux qui touchent les femmes aujourd’hui. Nous sommes là devant un livre majeur, qui n’a rien d’un brulot polémique. C’est le livre d’une jeune intellectuelle sûre d’elle-même. À quand une Eugénie Bastié québécoise ? D’ici là, nous aurions tous avantage à lire son livre.

À lire

Adieu mademoiselle, d’Eugénie Bastié, Les Éditions du Cerf, 224 pages, 19 €.


Coûts de l'écologisme éolien au Québec : 23 milliards de $

Vingt-trois milliards c’est le coût indexé qui sera facturé aux 4 millions de clients d’Hydro-Québec pour les parcs existants.

Ces chiffres ont récemment été révélés pour la première fois par Hydro-Québec. Ils portent sur 39 contrats éoliens qui ont progressivement été indexés depuis 2006.

« Ce fut une aberration de subventionner avec les tarifs d’électricité l’énergie éolienne, une énergie dont on n’avait pas besoin puisqu’on était en situation de surplus au Québec » écrit Youri Chassin. « Il était grand temps qu’on arrête de signer de nouveaux contrats aussi désavantageux ».

Des augmentations de tarifs qui effacent les gains d’HQ

Comme on peut le voir dans le tableau ci-contre, les augmentations de tarifs d’électricité depuis 2013 (10,3 %), sont pratiquement essentiellement attribuables aux contrats signés (9,7 %) avec les producteurs privés d’énergie éolienne, et dans une moindre mesure avec les usines de cogénération de l’industrie papetière.

Par exemple, en 2013 et en 2016, la hausse des tarifs d’électricité aurait été de 3,4 % et de 1,5 % si on avait considéré que les coûts supplémentaires générés par l’énergie éolienne. Heureusement pour les consommateurs, les augmentations de tarifs ont été ramenées à 2,4 % et 0,7 % parce que la société d’État a réduit ses coûts de fonctionnement.

« Le consommateur n’aurait presque pas vu une différence sur sa facture » a déclaré à notre Bureau d’enquête le porte-parole d’Hydro-Québec Marc-Antoine Pouliot.


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France — Face aux menaces du radicalisme musulman, le gouvernement socialiste serre la vis aux écoles libres

Face aux menaces du radicalisme musulman, le gouvernement socialiste en France a lancé une vague d’inspections des établissements hors contrat, pourtant ces établissements sont surtout laïcs et chrétiens. Le projet du gouvernement socialiste de durcir les procédures d’ouverture d’écoles suscite l’inquiétude.

L’enseignement privé hors contrat en France est majoritairement laïc. Comme il ne reçoit aucune subvention de l’État, il est par conséquent payant, mais possède une certaine autonomie quant aux programmes scolaires et une grande liberté quant à la méthode pédagogique.

Presque tous (97,3 % des élèves en 2011-2012), dans les établissements privés sous contrat (dit loi « Debré ») avec l’État, relèvent de l’enseignement catholique, mais il n’y a presque plus d’instruction catholique : ni la formation des enseignants ni le programme ne diffèrent d’avec l’enseignement public. Ces écoles sont subventionnées par l’État.

En finir avec « le laisser-aller », partager les « valeurs de la République ». C’est la mission que s’est donnée la ministre socialiste Najat Belkacem à l’égard des écoles privées hors contrat. S’ils ne sont pas tenus de respecter les programmes officiels, les établissements ne peuvent, insiste son cabinet, « s’affranchir de la nécessité de faire partager les valeurs de la République ».

Sur la vingtaine d’écoles inspectées (musulmanes, juives, chrétiennes, laïques), « six à huit » posaient problème. « Ni djihad, ni extrême droite, ni promotion de valeurs hostiles à la République [qu’est-ce que cela signifie : être contre l’immigration de masse ?] mais plutôt une pauvreté pédagogique, un trop faible niveau scolaire », précise-t-on au ministère. L’État ferme-t-il les nombreuses écoles publiques qui ont un trop faible niveau scolaire ?

Aujourd’hui, pour ouvrir une école hors contrat, une déclaration en mairie suffit. Le maire a huit jours pour vérifier que les locaux sont conformes aux normes d’hygiène et de sécurité. L’État, lui, a un mois pour s’opposer à la création d’un nouvel établissement. Mais le contrôle pédagogique n’intervient qu’a posteriori, dans l’année qui suit l’ouverture, puis tous les cinq ans environ. L’idée serait de passer à un contrôle a priori, sur la base du projet.

Cette réflexion laisse sceptique Sœur Marie-Irénée, directrice de l’Institution Saint-Pie X, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), sous tutelle des dominicaines du Saint-Esprit. « Personne ne va annoncer avant le lancement de son école qu’il entend tenir un discours radical aux élèves », fait-elle valoir. Si elle est convaincue que « le hors-contrat ne peut se situer hors de la société », le fait de devoir obtenir un feu vert avant toute ouverture exposerait ceux qui le sollicitent à un risque de refus « de la part de personnes qui ne seraient pas forcément objectives ».

Son établissement de jeunes filles a fait le choix du hors-contrat pour ses parties collège et lycée afin d’y proposer notamment « une formation littéraire plus ambitieuse que celle prévue par les programmes ». Il a été contrôlé « sans difficulté » en juin dernier. « Il serait injuste de pénaliser toutes les écoles hors contrat, alors que la prévention de la radicalisation ne se pose que dans une infime partie d’entre elles », estime, de son côté, Anne Coffinier (voir sa lettre ouverte ci-dessous), la présidente de la Fondation pour l’école, qui accompagne les projets d’établissements indépendants.

D’après elle, « la seule solution efficace consiste à pratiquer de manière régulière des contrôles inopinés ». Vouloir faire passer sous contrat un maximum d’écoles musulmanes afin de mieux les intégrer lui paraît tout aussi inopérant. « Dans le cas du hors-contrat, c’est l’ensemble de l’école que l’on contrôle, tandis que sous le régime d’association avec l’État, on inspecte les enseignants individuellement en moyenne une fois tous les sept ans. »

À ses yeux, du reste, le danger provient plutôt d’écoles « sauvages », non déclarées. « On assiste à un développement inquiétant de réseaux qui, sous couvert d’enseignement à domicile, embrigade les enfants », glisse-t-on au cabinet de Najat Belkacem. L’Association des maires de France, elle aussi, a alerté fin 2015 sur la multiplication des demandes de « déscolarisation ». Terme un peu ambigu en France qui signifie non seulement le fait de ne pas fréquenter une école en dur, mais évoque aussi défavorablement la non-instruction des enfants, ce qui est bien évidemment un abus de langage (on peut être très bien instruit à la maison avec l’aide au besoin de précepteurs).



Pousser les écoles musulmanes à passer sous contrat ? Inutile et même dangereux
par Coffinier, Anne*

Anne Coffinier lors de son passage
à Montréal en décembre 2013
Conclure des contrats « loi Debré » avec toutes les écoles musulmanes ne préviendrait en rien la radicalisation de certains de leurs élèves et empêcherait de surcroît toute ouverture d’école catholique sous contrat d’association, s’inquiète la directrice générale de la Fondation pour l’école*.

« Najat Vallaud-Belkacem dit vouloir lutter contre la radicalisation des jeunes à l’école. C’est en effet urgent. La logique voudrait qu’elle concentre son action sur l’école publique parce que les terroristes, même si c’est pénible à reconnaître, en proviennent. Il y a un énorme travail à accomplir dans les “écoles de la République”, tant l’hostilité à la France semble pouvoir s’y déployer facilement, sans doute alimentée par des programmes qui ne donnent pas assez de raison de l’aimer. Il faut aussi mettre un terme à l’antisémitisme qui se développe en toute impunité dans une partie des écoles publiques.

S’agissant du privé, on sait que la loi Debré de 1959 a institué la faculté, pour les établissements privés, de conclure avec l’État un contrat qui prévoit des droits et des obligations réciproques. Or, paradoxalement, le contrat loi Debré, en lui-même, n’empêche pas que se développent au sein de l’établissement un communautarisme de repli et une hostilité à la France et aux valeurs de la République. L’affaire du collège privé Averroès, sous contrat, l’a bien montré. Les contrôles portant sur les écoles privées sous contrat sont rares, une fois tous les sept ans en moyenne ; parcellaires, ils ne concernent que les professeurs isolément et non l’ensemble de l’établissement. Surtout, ces contrôles ne peuvent pas porter sur les matières qui ne relèvent pas de l’obligation scolaire, comme l’enseignement religieux. Rien n’empêche donc d’enseigner la charia dans un établissement sous contrat. Et rien n’interdit à une école sous contrat de recevoir des financements complémentaires en provenance de l’Arabie saoudite, du Qatar ou de l’Algérie, pour financer les investissements, les enseignements ou activités ne relevant pas de l’obligation scolaire.

De façon inattendue, le contrôle des établissements hors contrat est bien plus étoffé : les contrôles doivent intervenir l’année d’ouverture puis tous les cinq ans ; ils sont étendus à l’ensemble de la vie et des enseignements de l’établissement, et portent sur le développement affectif, intellectuel et civique des enfants. Il ne tient qu’à l’Éducation nationale de diligenter courageusement toutes les inspections prévues. Nul besoin de changer la loi. Le projet de Najat Vallaud-Belkacem de passer sous contrat loi Debré les écoles musulmanes existantes pour prévenir la radicalisation n’est donc pas une solution pertinente. De surcroît, les foyers de radicalisation principaux se situent pour l’essentiel dans des lieux d’enseignement qui ne sont pas déclarés comme des écoles, mais sont en lien avec des lieux de prière eux-mêmes non répertoriés. On les trouvera aussi dans certaines écoles coraniques, qui prennent en charge les enfants durant le temps périscolaire. Par conséquent, les contrôles renforcés sur les écoles hors contrat ne les concerneront en rien.

Par ailleurs, la décision de conclure des contrats loi Debré prioritairement avec les écoles musulmanes aurait pour conséquence certaine de créer des tensions politiques et religieuses fortes en France. La raison en est simple, mais peu connue : les gouvernements successifs n’ont jamais remis en cause l’accord politique des 80-20 % mis en place au lendemain des grandes manifestations de 1984 pour la liberté scolaire. Selon cet accord, l’ensemble de l’enseignement sous contrat ne doit pas scolariser plus de 20 % des élèves. Ainsi, si des écoles musulmanes passent sous contrat, c’est autant d’établissements catholiques ou non confessionnels qui seront privés de contrat et de financements publics.

Si l’on ajoute le projet du ministère de l’Éducation nationale de passer sous contrat les écoles musulmanes à celui de renforcer les contrôles sur le hors contrat en rendant plus difficile l’ouverture de nouveaux établissements libres par la mise en place d’un régime d’autorisation préalable, on arrive à un résultat paradoxal en raison de la persistance anachronique et difficilement justifiable des 80-20 % : les écoles musulmanes seraient financées sur fonds publics, sans être sensiblement plus contrôlées ; les ouvertures d’écoles catholiques ou non confessionnelles seraient quasi impossibles en raison de la procédure d’autorisation préalable. Et pour corser le tout, la politique du gouvernement entretiendrait des rivalités malsaines entre les différentes confessions.

Si l’on veut prévenir les risques de radicalisation à l’occasion de l’enseignement, il vaut mieux concentrer notre énergie sur les décisions suivantes : mobiliser les services pour détecter rapidement tous les lieux d’enseignement clandestins et les fermer, interdire de délivrer les enseignements profanes ou religieux exclusivement en arabe, prohiber les financements étrangers, réconcilier les musulmans avec l’école publique en la dépolitisant et en la recentrant sur l’instruction, et surtout mettre en place des contrôles inopinés sur tous les établissements, qu’ils soient publics, sous contrat ou hors contrat, par des corps d’inspection enrichis de compétences antiterroristes issus du ministère de l’Intérieur et notamment d’arabisants confirmés.

Il n’y a aucune raison que les écoles (hors contrat ou sous contrat) catholiques, juives, protestantes ou aconfessionnelles fassent les frais de la lutte contre le péril islamiste qui menace notre pays. »


* Ancienne diplomate de carrière et ancienne élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration. La Fondation pour l’école est une fondation reconnue d’utilité publique.

Voir aussi

Anne Coffinier sur la liberté scolaire, les réformes du système scolaire, le financement des écoles

Compte rendu du colloque international sur l’éducation catholique tenu à Montréal


France — « C’est dans les écoles libres qu’on trouve les meilleures formations »



Le correctivisme politique dans les universités anglo-saxonnes

La peur d’offenser autrui est-elle en train de tuer le débat dans le monde académique anglo-saxon ? En Grande-Bretagne, les polémiques se multiplient sur les restrictions à la liberté d’expression dans les campus. Aux États-Unis, le politiquement correct fait également son grand retour.



Source : radio-télévision suisse

Voir aussi

Des universités politiquement correctes qui doivent « protéger » leurs étudiants


Angleterre — Toutes les écoles publiques deviendront des « académies » d'ici 2020


Les « académies » en Angleterre sont des écoles financées par le Trésor public, mais dont la gestion est confiée à un partenaire privé qui peut être une entreprise, une association de parents. Elles sont des organismes sans but lucratif indépendants de l’administration locale. Les académies dérogent aussi à l’accord professionnel sur les salaires enseignants et sur les programmes nationaux. Les Académies peuvent recevoir un soutien supplémentaire de la part de particuliers ou d’entreprise, que ce soit financièrement ou en nature. Elles ne doivent pas suivre le programme national, mais doivent cependant veiller à ce que leur programme soit large et équilibré et qu’il comprenne les matières de base que sont les mathématiques et l’anglais. Elles font l’objet d’une inspection par l’Ofsted.

Lors de la présentation du nouveau budget, le 17 mars dernier, le ministre anglais des Finances, George Osborne, a annoncé la privatisation de toutes les écoles publiques d’ici 2020. C’est l’achèvement d’un processus de décentralisation et de responsabilisation commencé en 2010. Lorsque David Cameron devient Premier ministre en mai 2010, l’école anglaise est dans une situation lamentable. Fidèle à son projet de Grande Société, le nouveau gouvernement décide de réformer l’école en injectant plus de liberté, et non pas plus d’étatisme. Dès la rentrée de septembre 2010, le gouvernement donne la possibilité de créer des « écoles libres ». Il s’agit d’écoles fondées par des parents, des entreprises ou des associations et financées par l’État par un système qui s’apparente au chèque éducation. Ces écoles libres peuvent recruter leur personnel, bâtir leurs programmes et organiser librement l’année scolaire. Le succès est immédiat puisque des centaines d’écoles libres se créent.

Dans le même temps, le gouvernement cherche à insuffler de la liberté dans les écoles d’État. Pour cela, il développe le statut d’Académie. Ce sont des écoles publiques, financées par de l’argent public, mais qui disposent d’une gestion privée, avec les mêmes prérogatives que les écoles libres (liberté de recrutement et de pédagogie). Ce système n’est valable qu’en Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles ayant une gestion scolaire différente.

L’Angleterre compte déjà 2 075 académies dans le secondaire, sur 3 381 écoles, et 2 440 sur 16 766 dans le primaire. Le but du gouvernement est donc que l’ensemble des écoles publiques d’Angleterre acquiert ce statut dans quatre ans. Voilà comment en six ans, par la primauté donnée à la liberté, le gouvernement de David Cameron a totalement réformé l’école, permettant à la fois de faire d’importantes économies et d’améliorer le niveau scolaire.

Sources : Contrepoints, BBC

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Angleterre — La révolution des académies et des écoles libres


Les « écoles libres » en Grande-Bretagne : des écoles vraiment autonomes et subventionnées par l'État

« L’avenir de notre école passe par l’autonomie »


vendredi 22 avril 2016

ECR — Un cours réducteur qui rate la cible

Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal et membre de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec), publie une critique (laïque, féministe et pro « pluralisme ») du programme ECR dans Le Devoir :

« Parle de ta religion », « Qui est le créateur de l’univers ? », « Reconnaît la musulmane et le juif dans cette image ». Voici des exemples de questions auxquelles doivent répondre les enfants du primaire dans le cours Éthique et culture religieuse (ECR). Il y a lieu de se demander si, concrètement, ce cours ne va pas à l’encontre des nobles objectifs de ses concepteurs. [Note du carnet : nous ne sommes pas si sûrs que ces objectifs sont si nobles.] Le philosophe Georges Leroux, qui vient de publier un nouvel essai (Différence et liberté, Boréal), parle d’ouverture au pluralisme et de dialogue entre les citoyens. Éducation au pluralisme ? Certes. Mais pas en réduisant la diversité à sa dimension religieuse. Dialogue interculturel ? Oui, mais pas en survalorisant le dialogue religieux.

Que répondra l’enseignante à l’enfant qui demande « Est-ce que l’archange Gabriel existe vraiment ? », « Est-ce qu’Abraham a vraiment voulu obéir à Dieu qui lui commandait de tuer son fils ? » Alors que M. Leroux affirme que les enseignants sont très à l’aise de donner ce cours, en réalité, on les laisse seuls dans la classe pour arbitrer les incohérences et les conflits éventuels.

Un cours fortement contesté

Dans une récente entrevue, Georges Leroux évoque trois vagues de contestation à ce cours : celles des parents chrétiens, du Mouvement laïque québécois et du mouvement nationaliste. Mais il y en a une quatrième, celle des femmes, illustrée par l’avis du Conseil du statut de la femme de 2011, qui recommande d’intégrer les connaissances sur les religions au cours Histoire et éducation à la citoyenneté au secondaire, parce que l’enfant plus âgé est plus apte à prendre une distance critique par rapport au sujet.

Ce dossier est également porté par PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) à la suite d’une analyse de tous les manuels ECR du primaire approuvés par le ministère de l’Éducation.

Il en ressort une contradiction flagrante entre le volet « éthique », qui valorise les facteurs d’émancipation de la femme, et le volet « culture religieuse », où c’est plutôt une vision fondamentaliste et traditionaliste du statut et du rôle des femmes qui est mise en avant. Les femmes sont nettement moins représentées que les hommes, et ce, pour toutes les religions. Alors que ce sont surtout les hommes qui officient aux cérémonies religieuses et qui manipulent les livres sacrés, ce sont les femmes qui font la cuisine et qui portent les enfants. Contrairement aux aspirations d’ouverture vers l’avenir de M. Leroux, les manuels scolaires illustrent plutôt un cours branché sur le passé, qui laisse craindre un retour en arrière pour les droits des femmes.

Mais il y a également une cinquième vague de contestation, qui est celle des Québécois de culture musulmane, représentés notamment par l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL), dont je fais partie. En effet, nous subissons les dommages collatéraux de l’identification des groupes par leur religion. Nos enfants sont encouragés à s’identifier comme musulmans. Mais, en plus, ils sont amenés à intégrer toute une série de pratiques religieuses contraignantes, portées par une version dogmatique et rigoriste de l’islam. « Mon fils est devenu musulman avec ce cours », « ma fille demande maintenant à sa mère pourquoi elle n’est pas voilée », « mon enfant est culpabilisé parce qu’il ne mange pas halal à l’école ». Voici le genre de commentaires rapportés par plusieurs. En effet, plutôt qu’une approche non confessionnelle du phénomène religieux, c’est bien un ensemble de règles, d’interdictions et de codes religieux qui sont mis en avant.

Quand la culture se résume à la religion

M. Leroux prône l’éducation au pluralisme, mais c’est plutôt une vision normative des cultures religieuses qui ressort des manuels scolaires. La diversité est en fait réduite essentiellement à quelques stéréotypes. Les juifs portent une kippa, les musulmanes un voile, les bouddhistes une robe orange, les chrétiennes une croix dans le cou et les autochtones des plumes. C’est simple, ainsi on peut les « reconnaître ». On amène les enfants, ni plus ni moins, à faire du profilage ethno-religieux. Et ces constatations ne sont pas extrapolées de quelques cas isolés de manuels défaillants. Par exemple, c’est à peu près l’ensemble des manuels ECR du primaire qui utilisent la femme voilée comme marqueur visuel pour l’islam. Est-ce qu’une petite fille qui subirait des pressions dans sa famille pour porter le voile se sentirait encouragée d’en parler à l’école, alors que l’on présente le voile comme LE code vestimentaire de l’islam ?

Si l’objectif est d’éduquer les jeunes à la diversité, au pluralisme du Québec, il faudrait tenir compte de toutes les convictions spirituelles. Où sont les non-croyants ? Les non-pratiquants, qui forment pourtant la majorité de la population du Québec ? Mais surtout, ramener la culture à la religion est un raccourci qui a pour effet de gommer les spécificités nationales. De grands pans de la société du Québec moderne se retrouvent ainsi sous-représentés. Où sont les vagues successives d’immigration au Québec, les Portugais, les Italiens, les Latino-Américains, les Libanais, les Vietnamiens, les Haïtiens dans ces manuels ? Le biais religieux de ce cours n’a pas pour effet de promouvoir la diversité culturelle.

Promotion du fait religieux

Le volet « culture religieuse » ressemble plus à de l’endoctrinement et à de la promotion du fait religieux qu’à un apprentissage objectif de connaissances sur les religions. On ressasse, pendant toute la scolarité de l’enfant, des manifestations du religieux, mais sans les éléments permettant de développer son sens critique.

Nous demandons que les concepteurs du cours ECR se préoccupent de savoir comment sont traduits, concrètement, les beaux principes du programme dans les manuels scolaires, mais surtout dans les classes, alors que les enseignants sont amenés à gérer, seuls, les pressions religieuses et les conflits qui peuvent en découler. Réduire le pluralisme à sa seule dimension religieuse est un réel danger pour la cohésion sociale et le « vivre ensemble ». N’oublions pas que c’est le Québec de l’avenir qu’on est en train de construire.

jeudi 21 avril 2016

Écoliers du primaire intimidés et traumatisés lors d'un atelier pour lutter contre l'« intimidation »

Un atelier sur l’intimidation a mal tourné à l’école Pierre-Boucher, à Boucherville. L’incident soulève de sérieuses questions sur :

  • les méthodes employées pour lutter contre l’intimidation à l’école primaire,
  • la formation des enseignants en la matière,
  • comment cetet activité aurait pu être organisée sans l’accord de la personne qui surveillait la stagiaire,
  • le manque d’informations données aux parents avant cet atelier (ils ont été informés après coup).

Des insultes, des enfants intimidés et forcés à insulter

« Gros con, laid, imbécile ». Un élève de 12 ans a dû subir les insultes de ses camarades de classe dans le cadre d’un atelier « éducatif » donné le 14 avril dernier visant à contrer l’intimidation à l’école primaire Pierre-Boucher (ci-contre), à Boucherville. La séance s’est conclue dans les larmes. Alors que les élèves sortent ébranlés de l’expérience, des parents, eux, sont en colère. La direction a mis fin au stage de l’étudiante en éducation spécialisée derrière l’initiative.

Les événements se sont produit jeudi dernier le 14 avril (le lendemain de la Journée Rose, voir ci-dessous), à la dernière période de la journée, dans une classe de sixième année. L’enseignante et la stagiaire ont demandé à un des élèves de sortir de la salle de classe, sans lui en expliquer la raison.

Pendant son absence, la consigne suivante a été donnée à ses camarades de classe : vous devrez l’insulter à tour de rôle à son retour dans la classe et ensuite jeter votre dictionnaire dans le bac qu’il tiendra pour illustrer le poids des insultes.

Toute la classe devait y passer. Une vingtaine d’élèves. L’exercice, dont l’objectif est de démontrer ce que ça fait de vivre de l’intimidation, a duré une quinzaine de minutes.

Selon cette source qui ne veut pas être identifiée, l’intensité de la situation était telle que plusieurs élèves, dont celui visé par cette pluie d’insultes, se sont mis à pleurer, ce qui a mis fin à l’atelier. Le parent qualifie cette situation d’« inadmissible » et de « déplorable ».

Un autre parent avec qui nous avons discuté rapporte que sa fille l’a appelé en larmes à la sortie de l’école.

« Elle m’a raconté l’histoire et elle m’a dit qu’elle ne se sentait pas bien, que son ami pleurait et que toute la classe pleurait. Elle avait mal au ventre », décrit-elle.

Les enfants de la classe n’auraient pas voulu participer à l’activité, mais auraient été forcés de se lever pour lancer à tour de rôle des insultes de leur cru. Selon le parent, le jeune impliqué ne s’était pas fait expliquer l’activité et ne comprenait pas la situation.


« J’ai envoyé un courriel à l’enseignante. C’est inacceptable, ce n’est pas normal que ma fille revienne traumatisée de l’école », dit ce parent. Il ajoute que tous ses enfants ont été à l’école Pierre-Boucher et que c’est la première fois qu’une telle situation se produit. « C’est une bonne école », souligne-t-il.

L’événement a aussi été rapporté sur les réseaux sociaux, où il a soulevé l’indignation de nombreux internautes, qui ont qualifié cet exercice de « pathétique » et d’« inapproprié » et qui ont déploré un « manque de jugement ».

Une lettre à tous les parents, après coup

Du côté de la Commission scolaire des Patriotes, on confirme l’événement par courriel. On souligne qu’il s’agit de l’initiative de la stagiaire et que les parents ont été informés de cette « malheureuse intervention ».

Mardi, une lettre que nous reproduisons ci-dessous a été envoyée par la direction à tous les parents des 350 élèves de l’école Pierre-Boucher pour faire le point.



La directrice de l’établissement, Chantal Courchesne, écrit que plusieurs écoliers ont été « troublés » à l’occasion de cette activité et qu’« un suivi de la part des membres de l’équipe-école a été fait auprès de ceux qui avaient besoin d’en discuter ».

La direction charge la seule stagiaire

Elle affirme qu’il s’agit d’un type d’atelier qui n’est pas autorisé à l’école et qu’il a été organisé par la stagiaire sans l’accord de la direction, qui a mis fin au stage de la personne concernée.

Quant à l’enseignante du groupe, il n’a pas été possible de connaître son implication ni de savoir si elle a été sanctionnée, la Commission scolaire n’a pas rappelé les journalistes de Radio-Canada qui demandaient des détails supplémentaires. La direction soutient dans sa lettre que l’atelier a été organisé sans l’accord du maître associé.

Une erreur de jugement

« Enseigner l’humiliation ou la violence verbale relève de l’incompétence. On ne modèle pas de comportements agressifs auprès de jeunes enfants », a expliqué mercredi matin Égide Royer, psychologue et professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval au micro d’Alain Gravel.

La lutte contre l’intimidation pilotée par une fondation militante

Rappelons le rôle important dévolu dans la lutte contre l’intimation à une fondation militante comme la Fondation Jasmin Roy (elle organise le concours L’école en rose le 13 avril) qui associe intimidation, homophobie et transphobie dans son matériel « éducatif ». Alors que l’« homophobie » et la « transphobie » sont des causes marginales à l’école selon une étude ontarienne et encore plus à l’école primaire !




Sur L’école en rose, voici ce qu’en dit le site de la Fondation : La Journée Rose est la journée internationale contre le harcèlement, la discrimination, l’homophobie, la transphobie et la transmysoginie à travers le monde. Le 13 avril prochain, nous vous invitons donc à transformer votre école en rose pour célébrer la diversité sous toutes ses formes. »


Lutte contre l’homophobie à l’école primaire... (Mountainview Elementary School de Deux-Montagnes)

Voir aussi

Détourner la lutte contre l’intimidation et intimider les hétérosexistes

Australie — Le programme « écoles sûres » fait polémique, le gouvernement recule

Le syndicat (majoritaire dans l’enseignement) CSQ suggère des livres homosexuels et transgenres aux garderies et écoles primaires

Le Québec « en avance » dans la formation des enseignants à la lutte contre l’hétérosexisme

À l’école, la lutte contre « l’homophobie » doit-elle se faire par la promotion de l’homosexualité ?

Manitoba — opposition à une loi « anti-intimidation » vague qui impose des cercles homo-hétéros (m-à-j : réaction Vic Toews)

Intimidation à l’école : insultes sur le physique, les notes, l’origine culturelle et linguistique bien avant « l’homophobie »

Pas de classiques de la littérature, mais la lutte contre l’hétérosexisme en classe de français, d’anglais, d’histoire et de mathématiques

Ontario — Les parents se rebiffent contre le nouveau programme de lutte contre l’« homophobie »

Restriction à la liberté d’expression d’un élève dans une école texane

Conférencier anti-intimidation insulte et intimide des élèves chrétiens

Couple homosexuel invité en cours de mathématiques, euh ECR, exercice de « français » sur le « mariage homosexuel »

Un plan de lutte contre l’homophobie méprisant pour la population

Le Monopole de l’Éducation au service des lobbies dits progressistes avec vos sous

École québécoise : l’homoparentalité expliquée aux enfants du primaire par l’État

Comment créer une majorité en faveur de l’homoparentalité... dans les médias (philosophe français)
Cahier ECR : « Beaucoup de travail à faire aux groupes religieux pour accepter les homosexuels »

Sondages : Les États-Uniens surestiment grandement le nombre d’homosexuels

« Le multiculturalisme tue toute identité commune enracinée dans une histoire » (m-à-j entretien)

Le Figaro publie un article à l’occasion du dernier livre de Mathieu publié aux éditions du Cerf.

Mathieu Bock-Côté propose le décryptage lucide et sévère d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom. Sociologue (Ph. D), chroniqueur, figure de la vie intellectuelle québécoise, Mathieu Bock-Côté collabore au Débat, à Commentaire et au Figaro. Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment Exercices politiques (2013), Fin de cycle (2012) et La dénationalisation tranquille (2007).

M. Bock-Côté était l'invité de Radio Notre-Dame pour la sortie de son livre, il était le grand témoin de Louis Daufresne (51 minutes) : 




(lien direct pour télécharger le MP3)

(Mathieu Bock-Côté y aborde l’origine de son nom de famille. Sur les noms de famille composés qui ne se sont jamais généralisés au Québec, mais ont atteint un maximum de 22 % des naissances en 1992 avant de descendre à 10 % aujourd’hui, lire Le nom composé en voie de disparition au Québec)

Mathieu Bock-Côté a également accordé un entretien au magazine Valeurs actuelles sur cet ouvrage. Extraits.

« L’État multiculturel entend métamorphoser l’identité de la population »

— Votre ouvrage s’intitule Le Multiculturalisme comme religion politique. Cette catéchèse de l’ouverture à l’autre serait-elle devenue la nouvelle religion du XXIe siècle ?

— Le multiculturalisme se présente comme l’horizon indépassable de notre temps. C’est à condition de s’y soumettre qu’on peut passer le test de la respectabilité médiatique : ceux qui y résistent risquent le discrédit et l’ostracisme politique. Il repose sur une révélation terrible à laquelle il faut absolument croire : l’Occident aurait étouffé la diversité, il serait coupable d’un crime historique contre l’altérité. L’homme occidental devrait donc renaître en se lavant de ses péchés historiques et en embrassant la diversité.

L’histoire du multiculturalisme s’inscrit dans l’histoire de la mutation de la gauche, qui va de la crise du marxisme dans les années 1950 jusqu’à Terra Nova [le réseau pensant proche de la gauche socialiste urbaine et multiculturelle]. Devant la faillite du marxisme, la gauche s’est transformée. L’ouvrier sera remplacé par le minoritaire, à qui l’on prêtera une sublime mission : révéler les injustices. C’est sur lui que l’on s’appuiera pour renouveler la critique radicale de la société. Le bourgeois, comme figure de l’oppresseur, sera remplacé par le majoritaire – de manière caricaturale, l’homme blanc hétérosexuel. Les vieilles classes populaires sont désormais dans le camp de l’oppression à cause de leur attachement aux valeurs traditionnelles. Dès lors, la gauche idéologique s’alimentera de toutes les revendications minoritaires qui prétendent s’affranchir du conservatisme culturel de la majorité de la population.

— Cette nouvelle gauche organise désormais ses luttes autour de la « politique des identités ». Que recouvre cette dernière ?

— Il faut d’un côté neutraliser la majorité et de l’autre valoriser toutes les minorités qui s’inscrivent contre elle, en traduisant leurs revendications dans le langage des droits fondamentaux. Si on constate qu’une communauté particulière ne s’intègre pas à la nation, on en fera toujours porter la responsabilité à la société d’accueil qui ne serait pas assez inclusive et jamais à certaines caractéristiques singulières de cette communauté. La moindre disparité statistique s’expliquerait par un système discriminatoire.

— « La transformation multiculturelle de la société contemporaine n’est pas seulement l’effet d’un déferlement idéologique, mais bien d’une mutation de l’action publique », dites-vous. Quelle est cette action ?

— Elle est massive. Les idées sont fondamentales, mais n’avancent pas toutes seules. On peut penser à la fois à l’enseignement de l’histoire, aux campagnes de sensibilisation à la diversité, à la réforme des programmes scolaires pour rompre la transmission culturelle, à la mise en place des politiques de discrimination positive, à la politique d’immigration massive qui s’est conjuguée avec un refus de plus en plus explicite de l’intégration des immigrés. Il ne faut pas oublier l’incroyable puissance de socialisation de l’État, qui peut conditionner culturellement toute une population à travers ses nombreuses politiques. À terme, l’État multiculturel entend métamorphoser l’identité de la population pour accoucher d’un nouveau peuple, heureux d’évoluer dans la société diversitaire. C’est une immense entreprise de rééducation, de réingénierie sociale, de reprogrammation identitaire.

— Avec l’avènement de cette utopie égalitaire et diversitaire, peut-on encore parler de véritable régime démocratique ?

— Nous avons changé de régime même si nous peinons à le reconnaître. Officiellement, les institutions de la démocratie classique sont encore là : dans les faits, elles sont vidées de leur substance. La souveraineté est transférée aux agences administratives. Le peuple lui-même a été congédié par la diversité, nouvelle figure fondatrice de la démocratie. Il ne survit plus qu’à travers le populisme. Le combat politique est devenu une guerre culturelle dans la mesure où tous les camps s’affrontent pour imposer leur définition de la démocratie. Et pour l’instant, on peut dire que sa définition dominante n’a rien à voir avec sa définition traditionnelle. Un nouveau régime qui usurpe la référence à la démocratie s’est installé, mais nous ne parvenons ni à le voir ni à le conceptualiser.

— En se détachant du conservatisme après Mai 68, la droite française a-t-elle abandonné à la gauche la bataille idéologique ?

— Sans aucun doute. Elle cherche à tout prix à paraître aussi progressiste que la gauche, à laquelle elle reconnaît le privilège immense de distinguer les « droitiers » respectables de ceux qui ne le sont pas. Et pour conserver sa bonne réputation, elle doit toujours sacrifier davantage sa part conservatrice, sans quoi on l’accusera d’être réactionnaire. On assiste ainsi à un déplacement à gauche du centre de gravité idéologique. Le centre droit d’hier devient la droite d’aujourd’hui et sera l’extrême droite de demain. En d’autres mots, la droite française consent à évoluer dans l’espace réduit qu’on lui laisse et, pour ne pas subir l’opprobre médiatique, à se détacher des préoccupations de ses électeurs, ce qui favorise l’émergence d’une offre politique alternative. Elle devrait pourtant d’abord être le parti des ancrages, de l’enracinement et rappeler que l’homme est un héritier. Qu’est-ce que le conservatisme ? C’est la défense des fondements historiques, culturels et identitaires indispensables à la démocratie libérale, sans lesquels cette dernière se dessèche et se condamne à l’impuissance.

— Quelle responsabilité porte cette idéologie multiculturaliste dans les crises qui secouent notre monde ?

C’est une responsabilité majeure : en disqualifiant la nation, en considérant la culture de la société d’accueil comme une composante parmi d’autres de la diversité, le multiculturalisme a inversé le devoir d’intégration. Ce n’est plus à l’immigrant de prendre le pli de la société d’accueil, mais à cette dernière de transformer ses institutions et sa culture pour accommoder la diversité. En faisant la promotion d’une histoire culpabilisante, elle affaiblit l’identité nationale. Par ailleurs, en laissant croire que toutes les cultures peuvent cohabiter aisément, pour peu qu’elles se soumettent au principe des droits de l’homme, elle encourage une politique d’immigration massive qui dépasse largement les capacités d’intégration des sociétés occidentales.

— Politique, anthropologique, sociétal... le problème ne serait-il pas aussi spirituel ?

À l’américaine, on parle de la droite religieuse. Je crois qu’il faudrait aussi parler de la gauche religieuse européenne. Au fond d’elle-même, elle veut abolir l’histoire et la reprendre à neuf : elle est soumise au fantasme de l’autoengendrement. Cette gauche veut revenir au moment où l’homme était dans la pure indétermination, avant la division du monde en nations, religions, sexes et civilisations. [...] Elle s’est reprise à rêver à l’homme nouveau, qu’elle s’imagine comme un homme désincarné, à l’identité insaisissable, délivré de l’héritage. Un homme absolument neuf, hors de l’histoire, sans culture et, comme on dira, sans « préjugés ». Un homme fade, livré à toutes les possibilités d’ingénierie sociale et identitaire. Nous rencontrons ici la théorie du genre qui nous plonge au cœur de la question anthropologique. Elle pèsera de plus en plus lourd dans les années à venir.





En outre, voici quelques extraits de ce dernier ouvrage Le Multiculturalisme comme religion politique.

Un nouvel esprit public

Contrairement à ce qu’on laisse souvent croire, le radicalisme des années 1960-1970 n’est pas disparu au moment du passage à la maturité de ceux qui s’étaient lancés dans une des nombreuses luttes ouvertes par le gauchisme : tout au contraire, il a profondément transformé la culture politique et la dynamique idéologique des sociétés occidentales. On pourrait reprendre l’hypothèse de Philippe Raynaud : si la gauche radicale n’est pas reconnue comme telle, c’est en bonne partie parce qu’elle est parvenue à imposer ses catégories dans la vie publique. […] Notre monde, loin d’être sous-idéologisé, est « suridéologisé », mais nous n’en sommes plus conscients, tellement l’idéologie dominante est si écrasante qu’on ne voit plus qu’elle. […] Les institutions restent à peu près les mêmes et, au premier regard, les démocraties occidentales écrivent leur histoire à l’encre de la continuité. Il n’en demeure pas moins qu’en s’investissant d’une toute nouvelle philosophie, elles ont transformé en profondeur leur vocation.

L’idée fixe de la domination

Foucault prend le relais de Marx comme inspirateur de la gauche radicale. […] La domination serait partout, surtout où on ne la voit pas : elle serait présente dans les rapports les plus intimes entre les êtres, elle serait constitutive de la culture. […] Toute autorité devient une domination illégitime à déconstruire. […] Ce qui se dessine déjà, c’est la figure de l’individu auto-référentiel, hors-sol, délivré de tout rapport de filiation, et ne se reconnaissant aucune dette à l’endroit de l’héritage qu’il a reçu et de la communauté politique qu’il habite. […] Le mouvement des « immigrés », celui des « femmes », celui des « homosexuels », celui des « prisonniers », celui des « psychiatrisés » — tous ces mouvements qui, en eux-mêmes, ont peu de choses en commun, sont appelés à féconder l’action politique, pour la décentrer des institutions prédominantes et ouvrir le domaine public à l’expression d’une diversité inédite de formes de vie, le point culminant de cette théorisation de l’émancipation se retrouvant dans les « queer studies ». […] De la lutte des classes périmée, on passera à un nouveau modèle susceptible d’articuler les luttes sociales : la politique des identités. Les classes populaires ont déserté la guerre révolutionnaire ? Le peuple n’est plus à gauche ? On se fabriquera une série de petits peuples de substitution.

L’obsession du respect

La théorie de la reconnaissance vient ici fonder la légitimité de l’action thérapeutique d’un État devant travailler à rehausser l’estime de soi de ceux qui l’habitent. […] À terme, il faudra créer la culture commune la moins offensante possible envers les minorités, ce qui impliquera souvent, comme on le voit de plus en plus depuis le début des années 1990, de multiplier les « speech codes » [codes de conduite, de parole] et de criminaliser les propos offensants, dans la mesure où la liberté d’expression ne devrait pas tolérer l’expression de propos en contradiction avec les formes contemporaines du vivre-ensemble. On connaît les origines du politiquement correct, qui se trouve dans les campus américains marqués par l’héritage des radical sixties. […] Le politiquement correct se présente ainsi comme une forme de discipline morale de la parole publique dans une société reconnaissant par exemple le droit de ne pas être offensé, le droit aussi de ne pas voir transgresser ses symboles identitaires les plus fondamentaux. On pourrait parler d’une reformulation postmoderne de la censure. Il faut ainsi assurer une surveillance rigoureuse aussi bien des discours militants que de l’humour, pour s’assurer qu’ils n’expriment aucune contestation de la nouvelle orthodoxie de la reconnaissance. On réduira la plupart du temps la contestation à autant de propos haineux, cette catégorie en venant à s’étendre progressivement à toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales. […] Il faudrait donc, pour éviter de blesser les nouveaux venus, dissoudre la culture dans une forme d’indétermination historique, la nation se réduisant désormais à un pacte juridique.

Épurer passé et musées

C’est désormais un rituel, ou presque : d’une nation à l’autre, on exhume du passé des figures illustres ou oubliées pour les soumettre à un procès implacable : ils n’anticiperaient pas la société présente, ils ne se seraient pas pliés à l’avance aux valeurs que nous chérissons. Ils témoigneraient même d’un autre rapport au monde, qui nous est absolument incompréhensible. [...] C’est ce qu’appelle généralement la repentance, qui a partout la cote, qu’il s’agisse de renoncer à célébrer Austerlitz en France, d’accuser de sexisme le mouvement patriote du XIXe siècle au Bas-Canada ou de déboulonner les statues qui, à Londres, rappellent trop la mémoire de l’Empire britannique. C’est la passion morbide de la commémoration négative : nous ne tolérons plus dans l’imaginaire collectif des hommes qui, d’une manière ou d’une autre, contredisent le présent et laissent croire que l’humanité a pu vivre autrement, en vénérant d’autres dieux ou d’autres valeurs. […] Dans sa formulation la plus grossière et la plus caricaturale, l’historiographie victimaire finit toujours par désigner à la vindicte publique l’homme blanc hétérosexuel, coupable d’une société qu’il aurait construite à son avantage exclusif. […]

L’histoire ne serait valable qu’à la manière d’une pédagogie pour l’avenir, le passé étant filtré à partir d’un présentisme intransigeant criminalisant les formes sociales et culturelles traditionnelles qui ne seraient pas compatibles avec les nouvelles exigences de l’émancipation. La mémoire est devenue un enjeu de politique publique dans la perspective d’une dénationalisation de la conscience historique, les gouvernements devant construire publiquement une mémoire « inclusive », susceptible d’assurer leur visibilité historique aux groupes marginalisés. C’est ainsi que les mois consacrés aux minorités se multiplient et que les musées sont invités à exposer une nouvelle vision de l’histoire, ayant pleinement intériorisé l’impératif diversitaire. Theodore Dalrymple a montré comment en Grande-Bretagne au début des années 2000, on a cherché à rendre le financement des musées conditionnel à leur capacité à attirer une clientèle provenant des minorités ethniques et culturelles. […] Évidemment, on tenait pour acquis qu’il serait pour cela nécessaire de transformer le contenu et la présentation des expositions pour les amener à participer à la reconstruction multiculturelle de l’imaginaire et de l’identité britannique. La mise en scène de la culpabilité occidentale est au programme.

L’État rééducateur

Les classes populaires « nationales » sont désormais classées parmi les populations « ennemies », ou à tout le moins, parmi les classes dominantes et désormais appelées à sacrifier une partie de leur bien-être pour les nouveaux peuples marginaux dévoilés par la sociologie antidiscriminatoire. […] Il faut non seulement déprendre l’emprise de la majorité sur les minorités : il faut réformer la majorité pour l’amener à consentir à ce nouveau monde où elle ne sera plus qu’une communauté. La majorité doit vouloir la fin de ses privilèges, elle doit désirer ardemment s’en déprendre, s’en délivrer. […] Il faut transformer les attitudes devant la diversité : la majorité doit s’enthousiasmer du fait qu’elle deviendra une minorité, elle doit aimer le multiculturalisme. […] Ce n’est pas le moindre paradoxe de la culture libertaire qui a pris forme avec les radical sixties qu’elle ne peut se diffuser qu’à travers une reconstruction autoritaire de la société.

Les droits contre la démocratie

La démocratie représentative semble périmée, car elle ne sait plus trop quel peuple elle doit représenter. L’identité du peuple n’étant plus présupposée, son existence même étant remise en question, il n’est plus possible de penser l’espace public sous une forme unitaire, où les individus appartenant à une même communauté historico-politique se diviseraient ensuite selon des lignes essentiellement idéologiques. […] Si la souveraineté populaire n’est pas officiellement abolie, évidemment, elle est désormais réduite à une portion minimale du pouvoir politique et n’est plus investie d’aucune charge existentielle. Le pouvoir démocratique est condamné à l’impuissance. Un constitutionnalisme approprié à la société pluraliste sera appelé à exercer une souveraineté surplombante sur le corps social pour justement piloter sa transformation égalitariste dans le langage du droit. Les groupes marginalisés, les minorités sont appelés à faire valoir leurs droits contre les pratiques sociales qui limiteraient leur émancipation, le droit devenant un recours prioritaire à mobiliser contre la souveraineté populaire, assimilée la plupart du temps à une tyrannie de la majorité, la gauche multiculturelle voyant justement dans les droits de l’homme un instrument privilégié pour piloter à l’abri des controverses politiques classiques l’avancement des revendications minoritaires.

Le Canada, un laboratoire

On le sait, le multiculturalisme est une doctrine d’État au Canada, mais il faut voir à quel point cette mutation identitaire a été portée par la classe intellectuelle qui a reconnu justement dans sa reconstruction diversitaire la marque distinctive de l’identité canadienne. Sans abuser d’un langage paradoxal, on pourrait dire que le Canada trouverait son identité propre dans le fait de ne pas avoir d’identité nationale distinctive, John Ibbitson allant même jusqu’à affirmer que le génie propre à l’identité canadienne serait justement de n’être porteuse d’aucune signification historique particulière, ce qui faciliterait son appropriation par les immigrés qui n’auraient aucunement à se départir de leurs appartenances culturelles préalables pour devenir canadiens. En fait, le Canada se serait reconstitué et refondé sur une dissociation radicale entre la communauté politique et son expérience historique, et c’est justement cette prétention à se fonder sur une utopie plutôt que sur une mémoire qui en ferait un paradis diversitaire à nul autre pareil parmi les sociétés contemporaines. Selon la formule de John Ibbitson, les pays qui ont le moins d’histoire seraient aujourd’hui ceux qui ont le plus d’avenir.


Le Multiculturalisme comme religion politique
de Mathieu Bock-Côté,
publié aux éditions du Cerf,
à Paris
le 15 avril 2016
368 pages,
ISBN : 9 782 204 110 914




Voir aussi

Ce peuple qui tambourine à la porte au sujet de Le retour du peuple. AN I. de Vincent Coussedière, aux éditions du Cerf, 235 pages.

Multiculturalisme, « hybridation », « métissage culturel », une nouvelle illusion théorique dans les sciences sociales (P.-A. Taguieff)

La Cour suprême du Canada (multiculturaliste) : décideur politique de l’année 2014