vendredi 18 novembre 2016

Québec — Les garçons et la lecture

Chronique de Mathieu Bock-Côté :

L’Institut de la statistique nous apprenait mardi ce que nous savions déjà : les garçons lisent peu au Québec. Plusieurs ne lisent même pas du tout. Ouvrir un livre n’est pas considéré par le jeune homme comme un plaisir.

Lecture

Il faut dire aussi que notre école n’aide pas. Elle entend moins transmettre une culture qui élève l’âme que distribuer massivement des diplômes artificiels.

Une vie sans lecture, c’est une vie sans culture.

Inversement, celui qui aime lire ne s’ennuiera jamais.

C’est à travers la fréquentation des livres qu’on peut développer une réflexion­­ approfondie sur le monde, qu’on peut cultiver sa vie intérieure, qu’on peut rejoindre des mondes imaginaires et les habiter le temps d’un récit ou d’un voyage dans le temps.

L’homme qui lit peut se plonger dans l’Empire romain, il peut camper mentalement au Moyen Âge, ou à la Renaissance, ou chez les Égyptiens. Il peut même fréquenter l’homme des cavernes­­. Et il le fera en faisant travailler son imagination.

Ce jeune gagnera en liberté. Il saura que le présent n’est pas le seul monde possible.

On nous dira : le jeune homme est sauvage, il veut bouger, se dépenser. La lecture ne le permet pas. Peut-être. Mais faire du sport ne devrait pas être contradictoire avec la vie de l’esprit. Mais derrière ce dédain de la lecture, on trouve une conception appauvrie du masculin­­. Pour plusieurs, lire, ce n’est pas viril.

Nous n’avons pas valorisé, dans notre histoire, le modèle de l’homme cultivé, élégant et inspirant, sinon celui du prêtre en soutane, dont on garde un mauvais souvenir.

Un homme, un vrai, ne perd pas son temps avec des livres. Il répare des voitures, bricole dans son atelier, compte des buts au hockey ou plaque des adversaires au football.

Mais lire ? Dans les milieux populaires existe encore un préjugé anti-intellectuel. Le décrochage scolaire des garçons en est le symbole. Économiquement, ils en souffriront.

Qu’on me comprenne bien, je n’ai rien contre les activités masculines traditionnelles.

Et peut-être faut-il, pour pousser les garçons vers la lecture, la connecter à leurs instincts, même s’ils heurtent nos valeurs pacifistes ?

Enfance

Enfant, je me souviens, j’étais passionné­­ par la guerre. Les soldats, les uniformes, les blindés, c’était mon imaginaire­­. J’aimais l’héroïsme, le sacrifice, l’aventure. Comme la majorité des gamins. Mon père a compris que cette passion pouvait me conduire à une autre. Il m’a acheté chaque semaine L’Encyclopédie des armes.

Des armes, je suis passé à l’histoire, puis à la politique, à la philosophie et à la sociologie. J’ai aussi aimé les romans d’aventures, de cape et d’épée. Le petit homme que j’étais devenait grand en lisant. La passion de la lecture est le plus bel héritage que m’ont laissé mes parents.

Il faut dire que je viens d’une famille de profs. Mais le bonheur de la culture ne devrait pas être réservé aux fils d’historiens. C’est tout le Québec qu’il faut récon­cilier avec ses bibliothèques.



Contexte

► À la question « Durant une semaine normale, combien d’heures as-tu passées habituellement à lire pour ton plaisir ? (incluant les livres, les revues, les journaux et le temps de lecture sur l’ordinateur ou l’internet) », environ 2000 adolescents de 15 ans ont répondu :
  • Aucune : 27 % (garçons : 32 %, filles 23 %)
  • Moins d’une heure : 25 % (garçons 26 %, filles 24 %)
  • De 1 à 2 heures : 21 % (garçons 20 %, filles 21 %)
  • 3 heures ou plus : 27 % (garçons 22 %, filles 32 %)


Les résultats permettent par ailleurs d’affirmer que moins un jeune lit, plus il est à risque de décrocher. Plusieurs études en éducation démontrent aussi que les difficultés en lecture au primaire peuvent mener un jeune à abandonner l’école, une fois rendu au secondaire.

À l’inverse, consacrer davantage de temps à la lecture dans ses loisirs est associé à une plus grande motivation et de meilleurs résultats scolaires, non seulement en français, mais aussi en mathématiques, conclut l’enquête.

Grâce à des données amassées depuis la petite enfance, l’étude permettrait aussi de démontrer que des enfants qui ont feuilleté des livres par eux-mêmes vers l’âge de 2 ans et demi sont plus susceptibles d’aimer la lecture une fois rendus au primaire, ce qui permet par la suite d’avoir de meilleurs résultats scolaires à 15 ans. Par ailleurs, les enfants dont les parents sont allophones présentent un plus grand intérêt pour la lecture au primaire, ce qui pourrait s’expliquer par le désir de certains de ces élèves de maîtriser la langue de leur pays d’accueil, peut-on lire. L’Étude ne semble pas considérer l’importance de la culture livresque dans certaines cultures (le prestige des lettrés en Asie par exemple) et l’effet de sélection des immigrants (immigrent d’abord des gens diplômés).

Par ailleurs, on a constaté qu’à caractéristiques égales, les élèves de 15 ans dont les parents parlent anglais seulement ou plus d’une langue (incluant le français ou l’anglais) à la maison sont plus susceptibles d’avoir un rendement dans la langue d’enseignement au secondaire dans la moyenne ou au-dessus de celle-ci que ceux dont les parents parlent seulement le français. Il en est de même des jeunes dont la langue d’enseignement est l’anglais plutôt que le français. Des études auprès d’élèves québécois révèlent une moins grande probabilité d’être à risque de décrocher (Giroux, 2007 ; Pica et autres, 2014) ou d’afficher un retard scolaire (Giroux, 2007) chez ceux qui fréquentent une école anglophone plutôt qu’une école francophone.

Voir aussi

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